From Vegas with love

Chapitre 10 : C10 : Deux hommes et un coup fin

5047 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 18:11

CHAPITRE X

JACK HARKNESS ET JOHN HART

Lorsqu'ils avaient été à bord, une fois que les multiples autorisations de décollage avaient été accordées une bonne heure plus tard, et après avoir saisi les coordonnées du second aéroport de la toute petite planète Velquesh, le Capitaine s'était décidé à commencer à poser les vraies questions qui l'intéressaient : la raison de la présence de Hart dans le secteur, qui ils allaient voir sur Velquesh et pourquoi.

Son ami expliqua qu'il souhaitait évaluer la « reconnaissance » éventuelle d'un industriel dont il avait rapporté l'androïde prototype. Jack s'était amusé en lui demandant depuis quand il rapportait ce qu'il trouvait, à quoi le blond mercenaire avait répondu qu'il n'avait pas tellement eu le choix sur le moment. Lorsque les questions du Capitaine s'étaient faites un peu plus insistantes, John avait juste rétorqué qu'il ne lui avait pas posé de question sur les quatre types qui avaient essayé de l'abattre en quelques heures, en soulignant qu'il s'était juste contenté de l'aider, quand lui non plus ne s'était pas montré très bavard sur les vraies raisons de sa présence.

— Ok celle-là je l'ai méritée, avait acquiescé Jack. Mais alors au moins, est-ce que tu peux me dire ce qu'il y a entre cette chanteuse et toi ?

— Un point commun : elle a mauvais caractère.

— Seule la frustration te rend passablement grincheux. Les mêmes causes produisent-elles chez elle les mêmes effets ?

— Aucune idée.

— John, John, John, soupira le Capitaine en basculant les commandes de vol sur le pilote automatique, je sais que tu aimerais croire que je suis un grand dadais complètement idiot, mais j'ai vu comment tu te tiens quand tu es à côté d'elle et comment tu lui parles. Tu as l'air… Hem, comment qualifier ça, sans que tu ne me colles ton poing dans la figure…

— Réfléchis bien…

— J'essaie… Tu as l'air, euh… et bien… attentif. En soi, c'est déjà assez bizarre, mais quand elle te regarde, elle est embarrassée. Donc je me demande à quoi vous jouez tous les deux. Mieux : pourquoi tu y joues... Tu as couché avec elle ?

— Oui.

— Ahhh, on progresse !… s'enthousiasma Jack. Et alors ?

— Et alors quoi ?

— Oui c'est bien ma question ! John, comment veux-tu que je t'aide si tu refuses de me dire quoi que ce soit ?

— Mais pourquoi veux-tu m'aider ? répondit-il en haussant le ton plus qu'il ne l'aurait voulu. J'ai essayé de te descendre et… pas qu'une fois !

Le Capitaine prit son temps pour lui répondre. C'était tout à fait vrai, mais c'était il y avait si longtemps. Il avait eu tout le temps d'y repenser depuis, tout au long des dernières années de sa vie d'errance. Il devinait bien que les sentiments trop intenses de John devaient lui imposer de temps en temps de s'en libérer d'une façon ou d'une autre. Le tuer, c'était une tentative comme une autre de retrouver sa liberté. Il avait mis du temps à le comprendre. Ce n'est pas comme s'il lui en voulait toujours…

Le problème de l'immortalité, c'était qu'on avait tout le temps du monde pour réfléchir. Mais pas forcément l'occasion d'arranger la somme considérable des erreurs accumulées… Il savait bien que John n'était pas fiable, mais il avait témoigné d'une certaine forme de loyauté la dernière fois, en l'aidant face à la menace qu'était devenue son frère Gray… Et puis, un mauvais garçon qui essayait de s'amender, n'était-ce pas toujours tellement trop sexy ?…

— Ça fait un petit bail que je te connais maintenant, répondit-il. Et il ne reste que toi qui me permettes de faire le lien avec ma vie d'avant.

— Et d'où vient cette soudaine… nostalgie ?

— C'était quand la dernière fois que tu m'as vu ?

— Avec ton frangin.

— Combien de temps pour toi ?

— Je sais pas… deux ans ?

— Pour moi c'était il y a plus de vingt ans…

John lui jeta un coup d'œil différent. Vingt ans ? Oui, peut-être que ça expliquait son attitude plus conciliante et plus affectueuse. Ce n'était pas celui qu'il avait revu quelques années plus tôt, qui ne le supportait plus et ne voulait plus avoir affaire à lui.

Alors qu'ils avaient le même âge au départ lorsqu'ils avaient été recrutés par l'Agence du Temps, ils avaient fini par se désynchroniser complètement. C'étaient les risques du métier. Selon ses calculs, Jack estimait qu'il avait à présent presque quatre fois son âge (en ne comptant pas ses presques deux mille ans de stase) mais s'était abstenu de le souligner trop précisément.

— Salaud ! Je ne sais pas combien ça te fait maintenant, mais t'as pas pris une seule ride ! commenta le plus jeune des deux.

— Mais si… fit Jack avec un sourire prodigieusement vaniteux. Alors, il se passe quoi avec cette fille ?

Que se passait-il ? Si seulement John le savait ! Rien évidemment. En tous cas, rien qui vaille d'être tenu secret.Il haussa une épaule.

— Ok, pour la faire brève… Quand j'ai couché avec elle, elle était sous influence et ne s'en souvient pas pour cette raison. Le patron du club où elle jouait hier m'a dit qu'elle était enceinte. Enfin, c'est ce qu'il croit. J'ai pu constater qu'elle était effectivement malade mais de là à pouvoir dire à quoi c'est dû... Pourtant depuis que je le sais, je me pose des questions.

Jack ne se moqua pas et le regarda dans les yeux.

Toi, tu as envie d'être père ?! Je t'avoue que j'ai un peu de mal à t'imaginer dans le rôle…

— Non… et je crois bien que je n'ai jamais eu envie de ça !… Mais je n'avais même pas à me le demander, avec les effets secondaires du vortex. Jusqu'à récemment mon manipulateur fonctionnait toujours et je dois dire que je l'utilisais. Il me semble que tu as eu des enfants pendant le temps que tu as passé sur Terre, tu te souviens depuis combien de temps tu avais arrêté les voyages temporels ?

— Plusieurs dizaines d'années !… Tes chances de pouvoir procréer me paraissent donc… inexistantes.

— Mhh. Mais il y a quand même un truc bizarre.

— Oui, confirma le Capitaine en hochant vigoureusement la tête. Et c'est : pourquoi tu t'en fais pour elle ? Non pas que j'y trouve à redire, c'est plutôt une bonne surprise venant de toi, mais…

— Oh là, n'imagine pas un instant que je regrette ce qui s'est passé !… Cette fille, je vais être bien clair, on s'est servi d'elle ! Elle n'avait rien demandé… Le parfait marché de dupes : à nous la partie de plaisir et à elle la grossesse et le gosse à élever… Moi je voudrais savoir comment ça a pu se produire « techniquement », puisque je suis stérile ?

— Ok, temps mort ! Je vais essayer de ne penser à rien du tout, fit Jack. Vous étiez plusieurs ?

— Plusieurs… plusieurs… oui et non. De fait, pas tout à fait trois.

— Ça c'est un brave petit !

— Arrête un peu...

— Hey, lui dit-il gentiment. Tu ne peux pas être le père de cet enfant. Pourquoi as-tu tellement envie de croire le contraire ?

— Parce que j'étais le seul mec.

Jack arbora son insupportable sourire radieux et ses yeux se mirent à briller.

— Avec deux filles ? Mais t'as vraiment changé, toi…

— Non, je n'ai pas du tout « changé » ! se défendit John avec un soudain accès de mauvaise humeur. Je n'ai pas souvenir de m'être jamais comporté différemment de toi sur ces questions !

Le Capitaine lui donna un petit coup de poing sur l'épaule, avant de pianoter des instructions de descente sur son tableau de commande. Déjà rien que cette tournure de phrase !... Il avait dû bouffer un écrivain.

— Oh ça oui ! Ton comportement, c'est une chose, et je n'ai pas besoin que tu me le rappelles !… Égoïste. Menteur compulsif. Dangereusement insouciant. Retors. Cruel même à tes heures. Délicieusement masochiste aussi, enfin disons… juste assez. Tu ne crois en rien, ni en personne… Bref,  un très vilain garçon.

— T'as oublié drôle, insolent et atrocement sexy, ajouta le principal intéressé d'un ton léger et vaguement boudeur.

— Ça va sans dire… s'amusa Jack.

Mais il ajouta d'un ton plus détaché et plus sérieux, en le regardant droit dans les yeux :

— Et normalement tu n'accordes plus aucun prix à la vie. Alors explique-moi, il est où le type qui est allé en désintox de meurtre ?

Le beau blond poussa un soupir, un peu déprimé.

— Je vais me ressaisir. Promis.

Jack Harkness eut un bref rictus pour lui-même et adressa mentalement une prière à quiconque voudrait bien l'entendre, pour que surtout, ça n'arrive jamais.

.°.

Quand ils eurent atterri sur Velquesh à l'astroport de Rusha, et qu'ils se furent rendus de nouveau au Vegas Highlight, Harkness avait pour consignes claires de se tenir en retrait sans intervenir. Il le comprenait volontiers parce qu'il voyait bien que John lui cachait l'essentiel.

En arrivant à l'hôtel, ce dernier avait traversé le lobby en marbre pour aller directement auprès du réceptionniste et à la grande surprise de Jack, lui avait demandé tout à fait normalement et poliment si M. Cormack y résidait toujours. Ernest, qui était payé pour être physionomiste et l'avait reconnu, était parfaitement ravi de pouvoir lui répondre que celui qu'il voulait voir n'était plus là, tout en prévenant discrètement Bob, au PC sécurité.

Le chef de la Sécurité ne mit pas plus d'une minute à venir se présenter en leur demandant de les suivre. Comme Jack était devenu tout à fait suspicieux à chaque fois qu'on essayait de l'entraîner à l'écart, il demanda pourquoi. Le chef de la Sécurité répondit que M. Cormack avait laissé des instructions pour le cas où la personne qui avait rapporté son matériel reviendrait et qu'il avait besoin de lui parler pour mieux cerner les défaillances de sa machine. Il assura que ça ne prendrait pas beaucoup de temps car c'était un homme occupé mais qu'il tenait particulièrement à cette entrevue. John qui comprenait les réticences de son ami, lui conseilla de l'attendre ici et de réagir s'il ne le voyait pas revenir au bout d'un temps raisonnable.

Puis il suivit le chef de la Sécurité jusqu'à son bureau et ce dernier le pria d'attendre un instant le temps de mettre en place la visioconférence avec M. Cormack. La communication s'établit et Bob fit signe qu'il attendrait juste devant la porte, pour préserver la confidentialité de leur échange. De là où il était, le Capitaine le vit se poster à l'extérieur devant sa porte.

Le visage régulier de Quentin Cormack s'inscrivit dans la fenêtre de communication, arborant une expression neutre particulièrement difficile à déchiffrer.

— Vous êtes difficile à trouver M. Hart, commença-t-il. Pourquoi n'avoir laissé aucun moyen de vous contacter ?

— Je devais me rendre en ville assez rapidement et j'étais un peu en retard. Je suis revenu le lendemain mais vous étiez indisponible. J'avais peu de chances de rapporter la mauvaise machine, je veux dire celle d'un concurrent, tout le monde en parlait dans l'hôtel.

— Quoi qu'il en soit je vous remercie de l'avoir fait. Me permettez-vous de vous poser quelques questions sur la façon dont vous l'avez trouvé ?

— Bien sûr, mais je n'ai pas beaucoup à dire.

— Cela ne fait rien, le moindre détail peut peut-être nous aider à comprendre ce qui s'est mal passé… Qu'est-il arrivé ?

— C'est très simple, je discutais avec un client dans le jardin quand j'ai pris un grand coup à la tête qui m'a assommé. Je n'ai rien vu venir. Quand je suis revenu à moi, j'étais seul, les autres clients avaient filé, et l'androïde était assis immobile sur un banc à côté. J'ai essayé de le rallumer mais il est resté inerte. J'ai hésité mais je me suis dit qu'il valait mieux peut être ne pas le laisser là… Imaginez un peu qu'il tabasse quelqu'un d'autre… Je l'ai porté jusqu'à la réception en essayant de vous faire prévenir mais on m'a dit que vous étiez à l'infirmerie. J'ai fini par trouver un arrangement avec eux quand je leur ai suggéré de le garder au coffre, loin des gens, vous comprenez… J'ai attendu de voir qu'une équipe de l'hôtel l'embarque, ensuite je suis allé prendre un café parce que j'étais sonné et puis je me suis dépêché de me rendre à mon rendez-vous.

— Merci M. Hart. Juste une précision, vous dites que vous l'avez porté ? Il est lourd !

— Oui ça je peux bien vous le confirmer. J'espère que je ne l'ai pas trop abimé, les escaliers m'ont causé des difficultés…

— Non ça va, son matériau est résistant. Vous devez être dans une condition physique exceptionnelle pour parvenir à le déplacer…

— Sans doute. L'important pour vous je pense, c'est de savoir que je n'ai gardé aucune séquelle physique de cette fâcheuse aventure…

A travers l'écran, l'image de Quentin Cormack le regarda avec l'ombre d'un sourire, car il le voyait parfaitement venir avec ses sous-entendus.

— Certainement, répondit-il. Comme je vous comprends.

John joua la carte qu'il avait.

— Le réceptionniste dit que vous avez été agressé également très peu de temps avant, est-ce que vous avez vous-même eu à souffrir de son… dysfonctionnement ?

— Je ne saurais confirmer ou infirmer cette information sans avoir effectué des tests approfondis, répondit l'industriel avec sourire de commande.

— Alors, en avons-nous terminé ? demanda John.

— Pas tout à fait M. Hart, je souhaite que vous contactiez le directeur de l'hôtel pour qu'il vous remette une petite somme que j'ai fait tenir à votre disposition pour le cas où vous reviendriez. Ce prototype est précieux.

— C'est très aimable de votre part.

Quentin Cormack leva la main et fit un geste comme pour signifier que c'était normal, mais il ajouta :

— Une toute dernière question et je vous laisse aller : avez-vous la moindre information sur la personne qui a tenté de pirater ma machine ?

— Pirater votre machine ? répéta John.

— Vous avez entendu.

— Trop peu pour ce que vous aimeriez savoir.

Derrière son bureau, Quentin Cormack quitta insensiblement sa posture droite pour se rapprocher de l'écran, signe de son intérêt particulier pour ce point.

— Voilà qui est intéressant. Donc vous ne niez pas être au courant de cette tentative contre ma propriété ?

John lui répondit poliment :

— M. Cormack, je ne voudrais pas vous donner l'impression d'être ingrat. Je vous remercie de votre générosité, bien entendu, mais… mes loyautés sont partagées dans cette affaire. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'il ne s'agit pas de ce que vous croyez.

— Vous connaissez la personne qui en veut à mon prototype ? insista-t-il.

— Diriez-vous que je vous connais parce que je connais votre nom et que nous nous sommes brièvement parlé ?

— Vous jouez sur les mots, donnez-moi son nom si vous l'avez.

— Je ne doute pas que vous soyez un homme très riche, répondit John relativement prudemment. Mais si cette personne venait à savoir que je l'ai trahie, tout votre argent ne saurait me protéger contre elle.

— C'est quelqu'un de dangereux ?

— Plutôt désespéré. Mais vous savez que parfois, ça peut vouloir dire la même chose.

— Dites-moi ce que vous voulez en échange.

— Ce que je veux n'est pas très important. Je ne suis qu'un simple pion qui s'est trouvé là.

— Je double la somme si vous me dites quelque chose d'utile !

John réfléchit. Quelque chose d'utile pour qui ?

— Vous souvenez-vous de Miss Watts ?

Quentin Cormack eut l'air interloqué, comme s'il ne voyait pas du tout ce qu'elle venait faire dans cette conversation mais il acquiesça.

— Elle était avec vous quand vous avez été agressé, n'est-ce pas ?

— Oui. Cette pauvre fille a une personnalité vraiment instable.

— Non, dit John, pas du tout. Elle n'y est pour rien. Mais elle a été manipulée à son insu pour vous approcher. Je ne peux pas vous en apporter les preuves.

— Par cette tierce personne ?

— Oui. Et c'est vraiment tout ce que je peux vous dire.

— Ok, très bien. Merci pour ces informations. Je ne vous retiens pas.

John coupa la communication et sortit.Les traits du Capitaine se détendirent enfin quand il le vit réapparaître. John s'était arrêté pour discuter avec le chef de la sécurité. Et il fit signe à son ami de le rejoindre.

— On va pouvoir s'en aller mais je pense qu'il ne faudra pas traîner dans le coin, lui dit-il. Je passe toucher la récompense et on s'en va.

— Pour où ?

— Pour où tu voudras.

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RIVER SONG

De : Prof. R. Song / Felman Lux Corporation

A : M. Quentin Cormack, président directeur général de Cormack Industries et Systèmes

Cher M. Cormack,

Il est venu à ma connaissance durant la semaine de conférence qui s'est tenue sur Velquesh dans le système de Portabaal que vous cherchiez des partenariats et des financements pour développer des applications robotiques. Le sujet m'intéresse fort bien que ce ne soit pas mon domaine de compétence privilégié, et il me plairait cependant de pouvoir vous aider dans vos recherches au titre de contributeur bénévole, ou de mécène.

Bien que je sois au regret de n'avoir malheureusement pas pu vous rencontrer en personne durant cette semaine, je conserve l'espoir que nous pourrons nous voir à une autre occasion. D'ici là, je vous prie de trouver ci-joint une première modeste contribution financière qui permettra, je l'espère, de soutenir de vos recherches le plus utilement.

Je vous en souhaite bonne réception et vous prie d'agréer, cher M. Cormack, mes sentiments les plus dévoués.R. Song

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CLARA OSWALD ET LE DOCTEUR

L'enchaînement était extrêmement simple. Pour informer le Docteur que Quentin avait eu une entrevue avec Hart, Bob n'avait eu qu'à prévenir son homologue sur Modarkand en laissant au Gallifréen un message qui lui parvint aussitôt qu'il mit les pieds dans l'hôtel accueillant déjà Miss Watts pour sa nouvelle tournée de chant de la semaine, le Vegas Diamond. « Vous voyez que personne n'a vraiment besoin de ce fichu téléphone » disait-il à Clara. Elle le regardait peu convaincue. « Et avec quoi Bob a-t-il passé l'appel à son collègue d'après vous ? ».

— Je suis fatigué de ce petit jeu, déclara-t-il d'un ton courroucé. J'ai l'impression que nous passons notre temps à courir après quelqu'un qui n'est jamais là. Vous savez, j'ai hâte que nous reprenions l'exploration. La bonne vieille exploration ! Où on n'attend rien de précis et où personne ne nous attend. Il y a juste à découvrir et à admirer.

— De ce point de vue, cette planète n'est pas si mal, fit remarquer Clara en lançant une œillade approbatrice au décor qui l'entourait. Et ce spécimen de lézard des sables de tout à l'heure, je vous confirme que c'était une découverte… En tous cas pour moi ! Surtout quand vous avez dit que ses membres repoussaient et… qu'ils n'ont pas repoussé !

— Je ne connaissais pas cette sous-espèce moins évoluée… maugréa-t-il.

— Cela ne fait rien, c'est très joli, cette couleur de ciel parme et cette ambiance ocre. Pourquoi les ciels de toutes ces planètes sont-ils bizarres ?

— Ils ne sont pas bizarres. Ici c'est par pure coquetterie qu'ils les colorent.

— Tant mieux, car à chaque fois je me demande comment nous allons pouvoir respirer au cas où la composition de l'atmosphère générerait ce phénomène…

— Je ne vous aurais pas emmenée ici si l'atmosphère n'était pas respirable… Je ne suis pas aussi distrait.

— Vous ne l'êtes jamais, convint-elle en souriant.

Comme ils étaient à la terrasse, elle ajusta le chapeau à larges bords qu'elle avait trouvé dans le dressing du Tardis pour la protéger des rayons intenses du soleil et elle agita son superbe éventail – cadeau d'une reine espagnole, avait précisé le Docteur.

— Avez-vous songé à la façon dont nous pourrions aborder Miss Watts ? Vous disiez qu'elle n'avait pas d'alibi mais elle n'a aucune raison non plus de s'en prendre à Cormack. Elle voyage d'hôtel en hôtel, pour égrener tout son répertoire de vieilles chansons terriennes – qui doivent sembler très exotiques et très désuètes aux gens d'ici… Est-ce qu'on sait par exemple pourquoi elle chante ça, précisément ?

— Le Highlight était un hôtel thématique. Il ne serait pas surprenant que son répertoire varie en fonction.

— Donc ce soir, elle chante tout autre chose ?

— Nous verrons bien.

Comme il n'avait pas l'air de vouloir développer ce qu'avait dit l'industriel, elle supposait que c'était pour éviter de parler de l'abominable M. Hart, elle tenta une autre approche.

— A quoi aviez-vous pensé quand vous l'avez vue la première fois ? Vous m'aviez dit que c'était bête… Une bien extraordinaire entorse à votre si brillante intelligence… Vous aviez peut-être une intuition que vous n'avez pas écoutée ?…

Le Docteur lui jeta un regard en biais. Elle non plus n'était pas facilement distraite...

— J'ai pensé comme vous que ce choix de répertoire musical était surprenant. Mais comme je vous l'ai dit, il est cohérent avec la promesse commerciale de l'hôtel.

— Avec quoi d'autre était-il cohérent, et qui était « bête » ? insista-t-elle.

Il soupira et étira ses longues jambes dans le fauteuil d'osier, déjà fatigué d'être assis depuis trop longtemps pour sa bougeotte.

— River aimait aussi ce genre de musique. Pourtant Miss Watts ne lui ressemble pas du tout, ni sur le plan du caractère, ni au physique.

— Insinueriez-vous que pendant tout ce temps où vous regardiez Miss Watts, vous pensiez à River ?

Il lui jeta une œillade sourcilleuse et outragée.

Moi, je n'insinue rien du tout. Je pense tout le temps à mes compagnons qu'ils soient là ou partis depuis longtemps… Je vous l'ai déjà dit.

Clara avait envie de lui demander si River n'avait pas été tout de même plus qu'une simple compagne de voyage mais elle s'en était abstenue, interrompue dans ses pensées par l'arrivée tout à fait discrète de la chanteuse, les yeux cachés par de grandes lunettes sombres et un chapeau à larges bords pour protéger son teint clair des rigueurs du soleil local. Elle tirait après elle un petit bagage et venait de se présenter à la réception. D'où elle était, Clara entendait qu'on lui disait que sa chambre n'était pas tout à fait prête mais que le responsable du personnel allait la recevoir pour enregistrer ses coordonnées et valider sa présence pour une semaine.

Clara avait posé une main légère sur le bras du Docteur pour lui désigner la jeune femme qui prenait un siège à l'intérieur en attendant qu'on vienne la conduire au bureau du personnel. Pendant un instant, il avait semblé fixer intensément la nacre blanche irisée qui ornait ses ongles avant de reporter son attention sur le réceptionniste qui venait leur apporter un mot.

— Qu'est-ce que ça dit ? demanda Clara toute pleine de curiosité.

— C'est Quentin. Il dit qu'il nous rejoint pour déjeuner ici car il a de nouvelles informations à nous communiquer.

Clara se tourna vers Miss Watts et s'aperçut que celle-ci regardait dans leur direction, l'air inquiet ou préoccupé, tandis qu'elle filait sans qu'il soit possible de lui parler.

— On dirait qu'elle se méfie de nous. Elle avait l'air bizarre.

— Bizarre comment ? questionna le Docteur.

— Bien trop bizarre pour être le cerveau de la bande… reconnut-elle pensivement.

.°.

 

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