From Vegas with love

Chapitre 7 : C7 : La coalition des cerveaux

6661 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:25

CHAPITRE VII

LE DOCTEUR ET CLARA OSWALD

Lorsqu'il revint dans le Tardis et réapparut à la porte de sa chambre d'invitée les bras chargés d'un grand plateau débordant, Clara fit semblant de ne pas s'apercevoir que le Docteur faisait une mine de six pieds de long. Elle lui sourit et l'invita à partager le petit déjeuner pantagruélique qu'il avait ramené, concocté par les cuisines du palace.

Ayant tiré une chaise près de son lit, il fit spontanément le service, en lui servant du jus de fruit, lui beurrant ses toasts et en préparant son thé. Elle voyait bien que toute cette petite activité lui permettait en fait de ruminer quelque chose. Elle mangea de bon appétit car c'était son premier vrai repas depuis un moment. Elle insista pour partager parce qu'il y en avait trop mais il répondit qu'il n'avait pas faim et qu'elle mange tout ce qu'elle voulait car elle avait des forces à reprendre.

Quand elle en fut à siroter son thé, elle demanda :

― Ok, c'est quoi la suite maintenant ? Et tachez de vous creuser un peu la tête et d'en trouver une qui ne passe pas par la case « Je vous ramène sur Terre »…

Il lui jeta un coup d'œil un peu embarrassé qui devait signifier qu'il y avait pensé.

― Pendant que vous étiez… souffrante, dit-il, j'ai fait quelques recherches sur le morceau de peau de l'androïde. C'est très novateur. Beaucoup plus que je ne le croyais au début. Je pense que s'il continue dans cette voie, Quentin Cormack risque de faire une entrée fracassante dans cette industrie. C'est pourquoi je veux absolument un rendez-vous avec lui. Il faut que je visite son labo de recherche et parler à ceux qui travaillent vraiment sur le projet.

Elle acquiesça en prenant une autre gorgée de thé.

― Rien d'insoluble au porteur du papier psychique… Et moi je serai quoi ? Je peux choisir ?

― Vous serez mon assistante, comme d'habitude.

― Justement, ce n'est pas très plausible, dit-elle en grimaçant. Ce n'est pas parce que vous utilisez le papier psychique qu'il faut négliger les détails… Disons que je serai plutôt votre spécialiste des questions juridiques, ou carrément votre directeur financier. Je me vois très bien lever un sourcil en énonçant de façon catégorique que ça coûte beaucoup trop cher pour un si maigre retour sur investissement dont on ne verra pas la couleur avant des années…

― Bon, directeur financier si vous voulez…

― Vous voulez quoi avec cette visite ?

― Je veux évaluer où il en est dans ses recherches et m'assurer qu'il n'a pas reçu d'aide « extérieure » à sa propre époque en mettant au point, en avance, une technologie qui ne devrait pas voir le jour avant beaucoup plus longtemps… Je sens que c'est quelque chose comme ça…

― Vous voulez dire que vous savez ce qu'il est en train de construire ? Vous avez déjà vu des machines comme celle-là opérationnelles dans le futur ?

Le Docteur la regarda avec intérêt.

― Dans le futur… mais dans mon passé… Vous êtes en train de dire quelque chose de très intéressant. J'ai l'impression que c'est quelque chose comme ça. Mais que je ne peux pas encore dire à quoi ce robot me fait penser. Il possède une solidité remarquable. Ils ont mis au point un nouvel alliage. Ce truc a sauté du haut de l'hôtel et a atterri sans perdre un boulon. La technologie qui commence à être développée pour l'interface polymimétique promet d'être excellente.

― J'ai toujours pensé que les interfaces polymimétiques étaient un peu laissées pour compte… et c'est vraiment dommage, abonda-t-elle en étouffant un sourire dans une gorgée de thé.

― Je ne vous le fait pas dire… s'amusa-t-il en comprenant qu'elle ignorait de quoi il s'agissait. Mais ce qui est le plus troublant dans tout cela c'est que j'ai parlé à cet androïde. C'est lui qui vous a sauvée. Il a développé une conscience !… Alors c'est sûr, il y a un gros problème de logiciel d'exploitation, mais ça reste tout de même très impressionnant. Même s'il n'a pas vraiment une conscience, ça veut dire qu'il a été programmé pour enchaîner des actions telles que… que ça vaudrait vraiment le coup de rencontrer le programmeur !

― Ok, qu'avez-vous d'autre ? Vous gardez toujours tout un tas de truc dans votre manche…

― Oui, c'est pour ça aussi que je ne suis pas admis aux tables de jeu, dit-il en souriant.

― Vous trichez ?

― Je suis trop bien élevé pour faire ça pour le sport, il me faudrait par exemple une très bonne raison. Je suis hélas affligé d'une excellente mémoire extensive et beaucoup considèrent que cet avantage naturel propre à ma race me disqualifie pour…

― Vous comptez les cartes ! termina-t-elle avec un sourire entendu.

― La façon dont vous le dites est un petit peu…

― Émerveillée, coupa-t-elle rapidement. Et c'était quoi donc les autres choses ?

Il soupira et attrapa un toast dans lequel il mordit pour se donner un peu plus de temps pour répondre. Elle le guetta derrière ses cils, le nez dans sa boisson qu'elle faisait durer.

― Les autres choses intéressantes à savoir mais qui sont tout à fait préoccupantes, voire déplaisantes sont : UN – je crois que Miss Watts n'a aucun d'alibi solide pour l'agression de Quentin Cormack. DEUX – votre soupirant maladroit a rapporté le robot à l'hôtel après mon départ MAIS il n'a demandé aucun dédommagement, ni laissé son nom. Comprenez que même si ce robot est un prototype, ça ne l'empêche pas de valoir très cher. Même un triple idiot comme lui aurait pu s'en rendre compte, et du coup je ne comprends pas son attitude, ce que je n'aime pas du tout… et TROIS…

Il mordit encore dans la tartine qu'il mâchonna trop longuement pour la patience de Clara, qui avait fini son thé depuis longtemps. Elle battit des paupières plusieurs fois pour l'encourager.

― Et TROIS… Il n'est apparemment pas toujours maladroit, parce que la moitié du personnel de l'hôtel confirme que Miss Watts et lui ont passé la nuit ensemble.

Clara lui sourit gentiment. Voilà. C'était pour ça, la tête de chien battu...

― Vous les soupçonnez de… complicité dans cette affaire ? demanda-t-elle le plus sérieusement qu'elle put.

Il ignora le sarcasme et mâcha le reste de son toast d'un air pensif.

― Hmpf.

― Vous êtes triste parce que la petite chanteuse pour laquelle vous aviez le béguin a eu le mauvais goût de choisir d'étrenner votre superbe cadeau avec un homme jeune, extrêmement joli garçon et particulièrement sulfureux ?

Il lui adressa un regard impatienté.

― Pas du tout. Et à vous entendre parler de lui, on se demande qui a eu le béguin... Dois-je vous rappeler qu'il a essayé de vous tuer froidement ? Et d'ailleurs comment savez-vous pour la suite que je lui ai obtenue ?

― J'ai mes sources, éluda-t-elle en poussant le plateau pour descendre de son lit. Laissez-moi une demi-heure pour me préparer et on fonce chez votre milliardaire pour lui tirer les vers du nez.

― Clara… commença-t-il.

Elle ne le laissa pas finir et lui planta prestement un petit baiser sur la joue en se haussant sur la pointe des pieds.

― Je sais, je vous taquine. Je sais bien que vous êtes perturbé parce que vous vous croyez, et sans doute à juste titre vu votre expérience, un très bon juge des caractères. Vous aviez envie de croire en l'innocence de Miss Watts parce que – ne le niez pas – vous aimez sauver les frêles jeunes filles en détresse. Mais votre raison vous sert toujours plus d'indices de sa culpabilité et vous avez sans doute un peu d'appréhension à l'idée de creuser plus cette affaire, pour y découvrir que peut-être vous étiez très loin du compte. Que finalement Miss Amy-Leigh Watts n'était pas seulement une pauvre victime ou une complice mais bien le vrai cerveau de la bande. Et qu'elle, et elle seule, a tout orchestré depuis le début, en envoyant un Hart asservi par ses charmes, tout droit dans vos pattes, en se servant de moi pour faire diversion, pendant qu'elle poursuit des plans mégalomaniaques pour introduire dès aujourd'hui des technologies supérieurement polymimétiques qui ne verront pas le jour avant des siècles… Mhh ?

Il la fixa avec un air ébahi et légèrement inquiet.

― Franchement, parfois, vous me faites peur.

Elle sourit en se retournant pour sortir de la chambre.

― John lui, trouvait ça très sexy… Maintenant laissez-moi vous dire qu'en tant que femme, je suis habituée à ce que les hommes se croient nettement plus intelligents que nous, mais sans l'ombre d'un doute. Vous leur posez la question et cent fois sur cent, ils se croient plus brillants. Le fait que vous ne soyez pas humain n'y change rien. Vous n'êtes constitutionnellement pas fait pour voir l'évidence : je suis le vrai cerveau de notre bande ! se moqua-t-elle.

― Non mais je ne peux pas vous laisser dire ça, se défendit-il outragé, je suis authentiquement le plus brillant de nous d…

― CQFD, Docteur…

Il regarda le plateau qu'elle avait abandonné d'un œil torve et mordit dans une autre tartine qui avait le malheur de le narguer sournoisement.

― On n'est pas une bande !... cria-t-il en espérant qu'elle l'entende. Et je peux aussi vous ramener illico chez vous, si vous continuez !

.°.

Le Docteur avait réussi à attraper Quentin Cormack entre deux rendez-vous, car en dépit de sa bosse au crâne, il participait encore à de nombreuses conférences que ce soit en tant que conférencier ou dans l'auditoire.Il s'était présenté comme un amateur passionné d'abord mais surtout comme un investisseur potentiel ce qui avait permis que l'industriel le considère un peu plus sérieusement. Clara jouait son rôle avec le plus grand professionnalisme et prenait des notes sur ce qui était échangé sans beaucoup parler, profitant de ce qu'elle était considérée comme quantité négligeable pour observer l'attitude de Cormack. L'approche du Docteur avait été la bonne dans la mesure où l'on comprenait bien que le jeune homme était très impliqué dans ce projet qui avait l'air de lui tenir à cœur. Ce n'était pas seulement un gestionnaire qui aurait pu choisir cette voie comme une autre. Au bout d'un moment, le charme et la franchise du Docteur firent leur œuvre et les deux hommes se trouvaient plongés dans une conversation qui avait l'air de les passionner et que Clara pouvait suivre lorsqu'elle débordait sur des terrains plus philosophiques que techniques.

Cormack admit qu'il croyait dans son projet mais qu'il était pour l'instant encore un peu le seul, si l'on exceptait les équipes de recherches qu'il avait embauchées. Le Docteur se sentait rassuré sur les motivations même de l'industriel, mais savait bien qu'il pouvait être détourné à tout moment par l'arrivée dans le capital de son projet de partenaires extérieurs qui se soucieraient peut-être moins des applications pratiques permettant d'épargner des vies humaines pour le travail dans des conditions dangereuses, ou d'apporter un soutien logistique et pratique pour les personnes dont la mobilité était réduite…Intarissable, le jeune entrepreneur expliquait qu'il avait commencé à travailler sur des exosquelettes dès l'adolescence pour essayer de pallier aux problèmes de mobilité de son frère, et l'on comprenait aisément que son goût pour la robotique et la mécanique était inscrit en lui de longue date.

Lorsqu'ils furent sur le point de se séparer parce qu'il devait se rendre à son prochain rendez-vous, le Docteur décida de jouer sa dernière carte en lui rendant le petit morceau de peau de robot et en affirmant que c'était le travail le plus abouti qu'il lui ait été donné de voir jusqu'à présent (ce qui n'était pas du tout vrai mais le ton de sa sincérité ne faisait pas de doute).

― Comment l'avez-vous eu ? demanda le jeune homme étonné.

― J'ai été appelé lorsque vous avez été trouvé inconscient dans votre chambre. Je n'ai pu faire autrement que de voir votre androïde qui semblait avoir un grave problème de fonctionnement. J'aurais dit d'un patient humain qu'il souffrait d'épilepsie…

Cormack secoua la tête d'un air interloqué.

― Je ne comprends pas, vous êtes sûr ? J'ai vu l'androïde allumé de nombreuses fois et il n'a pas montré à ce jour la moindre défaillance… Il n'est pas prêt mais…

― Le logiciel d'exploitation vous cause-t-il des difficultés ?

― Il est géré par une équipe séparée et pour tout dire, il n'est pas encore complètement installé. Mes équipes le font tourner à part sur un serveur dédié pour le débuguer. Pour le moment, il n'y a presque rien à ce niveau, il peut juste s'allumer et s'éteindre, répondre à des commandes vocales codifiées pour le faire marcher ou lever un bras, tourner la tête… des ordres très simples. Nous n'en sommes qu'au début de cette aventure…

― Vous confirmez donc que pour le moment le moteur d'intelligence artificielle de votre androïde n'est pas en place ? Il ne peut ni parler ni interagir au-delà de quelques commandes basiques…

― J'aime votre enthousiasme, mais non. Je dois reconnaître que pour l'instant, il est un peu stupide…

Le Docteur hocha la tête et dit :

― J'aimerais que nous nous revoyions, j'ai certaines vidéos du PC Sécurité du Vegas Highlight qui montrent que votre androïde a sauté de la chambre où vous vous trouviez et a couru dans les jardins. Il aurait agressé un homme d'ailleurs assez peu rancunier car il l'a rapporté…

― C'est tout à fait impossible, se ferma le jeune homme. Je vous dis qu'il n'a aucune programmation complexe… je ne voulais pas courir de risque et j'ai refusé que l'IA soit installée de peur de n'avoir que mes yeux pour pleurer si on me volait ce modèle unique…

― Une dernière question et je ne vous retarde pas plus : pensez-vous que ce soit votre androïde qui ait pu vous agresser ?

La stupéfaction se peignit sur le visage de Cormack, avec un rire de dénégation :

― Non, bien sûr.

― Donc vous pensez que c'est Miss Watts ?

Il secoua la tête.

― Je n'ai jamais dit ça… Ce n'est pas contre elle bien sûr, mais c'est un tout petit gabarit… Je ne suis pas sûre qu'elle ait eu la force faire cela… De plus, elle est plus petite que moi. Ma bosse et la façon dont le coup a été porté de haut en bas ne valident pas votre théorie, souligna-t-il avec un petit sourire.

Clara regarda le Docteur avec seulement l'ombre d'un sourire qui voulait dire « CQFD » mais ne fit aucun commentaire.

― Allez voir le chef de la Sécurité du Vegas Highlight de ma part, finit le Docteur. Demandez-lui de vous montrer le sprint de l'androïde…

Le jeune homme les regarda avec un air incrédule et préoccupé et puis se dépêcha de rejoindre le salon de sa prochaine conférence où il entra rapidement.

.°.

Après une brève méditation silencieuse, le Docteur se croisa les bras en se retournant alors vers Clara.

― Alors ? Vos conclusions ?

― Le retour sur investissement sera long et hasardeux, répondit-elle malicieusement. Mais lui, il a l'air d'un type bien.

― Oui et il va nous recontacter. Mais encore, sur ce que nous avons appris sur l'androïde ?

― Beaucoup de choses intéressantes. Nous avons deux suspects improbables et imparfaits pour une agression : un robot écervelé mais assez fort pour frapper violemment quelqu'un, une chanteuse poids-plume qui n'a pas d'alibi, mais qui jusqu'à preuve du contraire n'a pas de mobile non plus… Vous dites que votre lait de chamelle survitaminé vous a permis d'entendre leur conversation et qu'elle avait l'air très intéressée par le robot, mais si j'ai bien compris elle voulait le voir fonctionner, pourquoi aurait-elle assommé le propriétaire ? Il y a beaucoup de points obscurs à ce niveau… Après, nous avons un robot prétendument idiot dont vous avez dit qu'il avait une conscience et qu'il vous avait parlé. Si le lait de chamelle n'était pas frelaté et qu'il ne vous a pas causé d'hallucinations, nous avons trois options : UN, Quentin Cormack ment quand il dit que l'IA n'est pas installée car il protège son invention et il ne nous connaît pas, après tout. DEUX, il ne ment pas et croit en toute bonne foi qu'elle n'est pas installée, mais son équipe, qui voulait rentrer plus tôt le vendredi d'avant match, ne l'a pas supprimée… TROIS, personne ne ment mais ce pauvre robot a été pris en main à distance et il est… télécommandé ?

― Si vous me dites comment et par qui, je vous embrasse !

― Allons bon, se rembrunit-elle légèrement. Deux embrassades dans la même semaine, il faudrait voir à ne pas trop me surmener... Vous Monsieur le génie authentique, dites-moi qui et comment…

Il pensait qu'elle saisirait cette perche mais en fut pour ses frais. Cette malheureuse aventure avec Hart, allait-elle lui laisser des séquelles ?

― Retournons au Tardis, je voudrais voir si la requête que j'ai lancée sur les caractères que j'ai trouvés au microscope donne quelque chose… Mais pour répondre à vos deux questions, qui et comment, il manque tellement d'éléments…

Il lui donna le bras pour rentrer à pied.L'ancien Docteur ne faisait pas ça, il lui prenait la main, de temps en temps. Pour courir.

― Bien. Résumons ce qu'on a. Si ce robot a bien été piraté, est-ce que c'est dû à une complicité intérieure à l'intérieur de Cormack Industries ? Sabotage ? Espionnage industriel ? Étrangement, le robot n'a pas été volé. Dans ce créneau, je pense que tous les concurrents de l'entreprise pourraient être suspects mais il me semble que leur dîner de l'autre soir, visait à mettre les choses au clair là-dessus. Tant qu'on n'aura pas vu les personnes qui travaillent directement sur le projet, on aura du mal à dire, s'il y a eu une défaillance quelconque de la part des équipes. Sur le moyen de prendre la main sur lui, je m'interroge. Les ondes, je n'y crois pas, et une technologie impliquant le LiFi, la transmission d'informations par la lumière, nécessiterait que quelqu'un ait pu la bricoler dans son coin pour y arriver. Cela ferait beaucoup de génies impliqués dans ce projet… Mais il y a d'autres choses qui me chagrinent sur ce dossier et qui n'ont aucune réponse.

― Par exemple ?

― Premièrement pourquoi Hart a-t-il rapporté le robot SANS demander de contrepartie ? Il avait une occasion en or et ne l'a pas saisie. Il devait viser un autre but, ce qui ne lui ressemble pas tellement. Et en plus je ne comprends pas lequel, ce qui est très énervant. Autre question et non des moindres, pourquoi le robot est-il venu vous sauver ? Il ne vous a jamais vue. Pourquoi a-t-il pour ce faire enfreint l'une des lois de la Conservation qui font partie des routines de base de l'ingénierie robotique ? Cela aurait dû l'empêcher de se mettre en risque d'être détruit par le saut du haut de l'immeuble… Cette loi n'est surpassée que par celle qui enjoint les androïdes de protéger la vie humaine.

― Dans ce cas, pourrait-on supposer qu'il aurait pu me voir depuis la fenêtre de la chambre de Cormack ? demanda Clara.

― C'est un détail qui vaut la peine d'être vérifié, dit le Docteur. Faisons un crochet avant de rentrer au Tardis.

― Vous n'avez pas l'air très convaincu pourtant.

― Le jardin est presque là. Allons voir déjà si c'est seulement possible.

.°.

Ils reprirent les petites allées bien dessinées qu'elle avait parcourues avec Hart et se postèrent à l'endroit exact où ils se trouvaient l'autre nuit. La chambre de Cormack avait bien une baie latérale qui avait vue sur ce côté.

― Ok, admit le Docteur, l'androïde a pu vous voir tous les deux, matériellement. En admettant qu'il ait une vision augmentée et pourvue d'un très bon zoom.

― Mais… ?

Il reprit le bras de Clara et repartit vers le Tardis qui était un peu plus loin dans le parc. Il ne dit rien pendant le court trajet qui les séparait de son vaisseau, mais avant d'entrer, il se tourna vers elle une main sur la porte de la cabine pour exprimer ce qui le chagrinait.

― Mettons qu'il s'agisse de la directive de préservation de la vie humaine qui soit à l'oeuvre… Mettons qu'il vous ait vus. De quoi a-t-il déduit que vous étiez en danger ?

Clara eut une petite moue un peu désabusée. Certainement pas de ce qui aurait pu avoir l'air d'une ballade romantique au clair des trois lunes. Ni du baiser.Il la réconforta en lui disant qu'ils allaient trouver et qu'il y avait sans doute un indice qui les attendait au labo.

Une fois dans la salle de commande du Tardis, Clara fit une pause, le poing sur la hanche et ajouta :

― Docteur, puis-je formuler une hypothèse qui n'a rien de très logique ?

Il hocha la tête en signe d'assentiment.

― Si le robot est intelligent alors qu'il ne le devrait pas, s'il est venu me sauver alors qu'il ne me connaissait pas, n'y a-t-il pas d'autres possibilités qui auraient pu le pousser à agir ainsi ? Voici ma théorie. Je pose d'abord que le robot a été piraté par quelqu'un. Et que c'est ce quelqu'un qui est intelligent et qui a forcé l'androïde à agir d'une façon qui apparaissait sensible et humaine. Je dois poser aussi que ce que l'androïde hacké a vu et qui l'a fait réagir, ce n'est pas du tout moi mais bien John… première hypothèse. Car seul quelqu'un qui le connaîtrait bien aurait pu a) supposer que j'étais automatiquement en danger, b) connaître ses modes opératoires, et c) connaître jusqu'à même les propriétés particulières de son sang…

― Si vous pouviez éviter de l'appeler aussi familièrement « John » ça me contrarie. Mais poursuivez...

― Le robot a donc des informations très précises sur l'abominable M. Hart et on aimerait bien savoir comment… Est-ce un ennemi à lui qui est derrière tout ça ? Il a certainement dû avoir le temps de s'en faire des tas… Vous avez dit qu'il l'assommé brutalement sans crier gare pour le mettre KO… Il aurait très bien pu le faire rien que parce qu'il ne peut pas le sentir… Mais mon autre hypothèse est que ce qu'il a vu par la fenêtre et qui l'a poussé à rappliquer, ce n'est pas John et moi, mais bien John et vous !

Le Docteur la fixa un instant, faisant mine de lever un doigt contradicteur et puis se ravisa.Dans la chambre de Cormack, lorsqu'il avait pris l'écaille de peau, l'androïde l'avait regardé. Il avait eu l'air d'être très fatigué, soit en grave dysfonctionnement soit à court d'énergie…

― Peut-être, fit-il. Je vais y penser.

.°.

Clara et le Docteur s'étaient rendus dans la pièce du Tardis où il pouvait faire quelques expériences de temps à autre et qu'il appelait le laboratoire. Une fois sur place, il avait consulté les résultats de la recherche qu'il avait lancée et avait été tout à fait surpris de constater que les lettres SLAACTO ne correspondaient… à rien. En tous cas, ce n'était pas le nom d'un fournisseur ou une marque car il aurait été trouvé.

Ils convinrent tous deux qu'il fallait donc patienter jusqu'à ce que Cormack les rappelle et qu'ils puissent aller parler à ses techniciens. Dans l'intervalle, ils résolurent d'aller s'offrir un déjeuner puisque le dîner de l'autre soir avait tourné court.

Cependant, lorsqu'ils repassèrent dans la rue, devant l'hôtel pour retourner en ville, ils virent le groom leur faire signe de loin. Ils obliquèrent aussitôt pour aller voir s'il avait un message.Dans le grand hall, Ernest les salua et dit leur précipitamment que M. Cormack était venu au PC Sécurité, apparemment sur ses conseils et que suite à cette entrevue, il désirait le revoir le plus vite possible.

— Docteur, si vous escamotez encore notre déjeuner… menaça Clara.

— Non, non, fit-il. Puis en s'adressant à Ernest : Pouvons-nous rejoindre M. Cormack pour le déjeuner ? Est-il libre ?

Ernest composa un numéro et ils patientèrent un peu car il ne disait que « oui » ou « bien », ce qui ne les orientait pas beaucoup.

— Montez dans sa suite, il y déjeune sur le pouce avec quelques collaborateurs. Il dit qu'il ne vous retiendra pas longtemps.

Ils prirent le bel ascenseur à vue panoramique et Clara fit observer que ça n'avait pas pris très longtemps. Le Docteur avait souri sans répondre. Il n'en doutait pas.

Quand ils frappèrent à la porte, un Quentin Cormack déjà au téléphone vint leur ouvrir en les invitant du geste à entrer, mimant qu'il en avait encore pour une minute.

Le Docteur et Clara virent quelques jeunes gens assis sur un canapé et des fauteuils autour de la table basse, en train d'engloutir des tranches de ce que Clara qualifia aussitôt de « pizza de l'espace ». Ils avaient l'air affreusement jeunes pour le Docteur et terriblement sympathiques pour Clara qui les approcha aussitôt.

— Salut les gars, moi c'est Clara.

Ils levèrent la main avec un petit signe.

— Salut Clara. Chris. Là c'est Dave, là Matty et le grand, là-bas au bout, c'est Paul. C'est votre patron qui a dégotté la vidéo ?

— Oui, répondit-elle. Qu'est-ce que vous en pensez ?

— On en pense qu'on s'est fait convoquer dare-dare avec une téléportation d'urgence !… Ce que nous avons vu est proprement hallucinant, répondit Paul en lui tendant la main pour la saluer.

Les cheveux longs tirés en arrière, les yeux clairs, un nez aquilin, il se tenait droit. C'était manifestement leur supérieur.

— Selon vous, c'est impossible ?

— Rien n'est impossible, répondit celui qui s'appelait Dave. Le truc c'est de comprendre comment…

Cormack avait raccroché et invita les nouveaux arrivants à prendre place sur un coin de canapé ou un fauteuil de libre. Comme il n'y en avait plus, Matty laissa sa place Clara et s'assit en tailleur par terre.

— Bien, commença-t-il. Docteur, miss euh…

— Oswin ça ira, répondit Clara.

— Miss Oswin, je vous présente l'équipe qui travaille avec moi sur le projet Tesla Act One. Je les ai réunis pour leur montrer les vidéos prises par la sécurité de l'hôtel, où nous voyons clairement Otto accomplir une course qu'il n'aurait pas pu faire. Le chef de la Sécurité a mentionné qu'après enquête, Otto a su sortir de ma suite, ouvrir un passage dans une fenêtre de service et sauter les trente étages…

— Ce n'est pas tout à fait tout, intervint le Docteur.

— Il y a d'autres bandes ? s'étonna Cormack.

— Non non, le détrompa-t-il. Il n'a pas de preuves matérielles de ce que je vais vous dire puisque j'en ai été le seul témoin. Miss Oswin n'était pas consciente quand ces faits se sont produits, elle ne peut donc pas corroborer ce que je vais dire… Mais je vous jure que ce que je dis est la stricte vérité. J'ai vu votre androïde venir vers nous, assommer celui à qui j'étais en train de parler et accomplir ce qu'on pourrait appeler un acte médical. Et il m'a parlé.

Dave fit un bond sur sa chaise.

— Pardon, fit-il, je suis chargé du module de communication. L'enregistrement des ordres, l'analyse et la fourniture d'une réponse appropriée, vous voyez… M. Cormack a dû vous dire qu'Otto n'était pas finalisé. Il peut parler « physiquement » car le synthétiseur vocal est en place mais la fonction qui lui permettrait de « comprendre » et faire des phrases n'est pas encore implémentée…

— Il parlait très difficilement mais il était manifeste qu'il était intelligent. Vous confirmez ce que m'a dit M. Cormack : l'intelligence artificielle n'est pas installée ?

— Non, elle n'est pas là, laissa tomber Paul, catégorique.

— Moi j'ai une question, dit Clara et tous les garçons la regardèrent avec surprise. J'ai formulé l'hypothèse que quelqu'un avait peut être pris la main à distance sur votre robot, ce qui permettait d'expliquer comment il pouvait accomplir des actions pour lesquelles il n'était pas programmé et des actions sensées, qui plus est. Comment est-il protégé contre ce genre de chose ?

Paul regarda Chris avec insistance et ce dernier se sentit donc appelé à fournir des précisions puisque c'était son domaine.

— Et bien… commença-t-il, il n'est pas complètement sécurisé sur ce plan…

Quentin Cormack se leva d'un bond et Paul le calma d'un geste, une main sur son épaule, en invitant Chris à préciser sa pensée.

— Nous n'avons pas eu le temps d'installer tout ce que nous aurions voulu… Nous savions que vous vouliez emporter Otto avec vous pour des démonstrations pendant les conférences scientifiques et si tous les protocoles avaient dû être activés, ça n'aurait jamais pu être prêt à temps pour votre départ… dit-il d'un air embarrassé. Du coup, je me suis contenté d'installer les pare-feux de base, mais je les ai doublés par un petit sous-programme que je suis en train de tester…

— C'est lequel ? demanda Paul.

— Le LEUCOCIT.

— Qu'est-ce que ce programme fait au juste ? demanda le Docteur avec intérêt.

— Il fonctionne sur le modèle des anticorps… Des nanites sont chargées de repérer les intrusions, infections ou contaminations pour préserver la structure du…

— Les anticorps ! s'exclama le Docteur. Mais quel idiot je suis !

Clara lui adressa un grand sourire tandis que les autres le regardaient ébahis. Le Docteur faisait très précisément la tête qu'il avait quand il venait de trouver la réponse à un problème compliqué. Il avait l'air particulièrement idiot, mais ravi.

— Concrètement qu'est-ce qui se passe pour votre androïde si votre programme détecte une menace potentielle ? demanda-t-il.

— Pour le moment, répondit Chris un peu méfiant, il passe en mode atone… La plupart des fonctions se figent et il doit tout faire pour s'éteindre le plus rapidement possible afin d'empêcher toute propagation intempestive. Mais à terme, je préférerais que les nanites ciblent et détruisent l'origine de l'intrusion…

Cormack se mit à marcher nerveusement de long en large.

— Quelqu'un essaie de prendre le contrôle d'Otto ! fit-il avec colère. Docteur, vous m'avez dit qu'il avait fait une sorte de crise d'épilepsie… C'est ça, n'est-ce pas ? Le sous-programme de défense a détecté une intrusion qu'il n'a pas complètement su gérer ?

— Je le crains, acquiesça le Docteur.

— Mais pourquoi ? s'exclama-t-il. Personne ne croit dans ce projet. J'ai un mal fou à trouver des financements… Qui peut-il soudain intéresser ou inquiéter à ce point ?

Celui qu'on appelait Matty se leva et se rapprocha de Cormack.

— Ça va aller, fit-il, calme-toi…

Clara le regarda avec étonnement et demanda.

— Et vous, quelle est votre spécialité, Matthew ? Vous n'avez rien dit…

Le jeune homme eut un fin sourire un peu gauche.

— Je suis plutôt un membre honoraire de cette petite société, avoua-t-il. Disons que je sers plutôt de mascotte... Je suis Matthew Cormack, le frère de Quentin. C'est grâce à moi qu'on a trouvé l'alliage dont est fait aujourd'hui Otto.

Il souleva la jambe de son pantalon et au lieu d'une jambe humaine, une structure métallique apparut. Il cogna dessus et un « dong » sourd et profond résonna étrangement.

.°.

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