From Vegas with love

Chapitre 6 : C6 : Hold me, thrill me, kiss me, kill me

7869 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/11/2016 07:09

CHAPITRE VI

Hold me, thrill me, kiss me, kill me

JOHN HART

Il avait d’abord été réveillé par un cauchemar. Un rêve angoissant où Jack le poignardait avec un sourire narquois et l’abandonnait au milieu de nulle part, en le laissant tranquillement se vider de son sang.En ouvrant les yeux brusquement dans le noir, il s’était d’abord demandé où il était. A son côté, un corps chaud et gracile tout aussi habillé que lui, reposait sur les draps… La mémoire lui était alors revenue d’un coup : Velquesh, Rusha, la suite royale du palace Vegas Highlight, Miss Watts et… l’être fascinant qui n’avait pas de nom…

Quand il s’était retrouvé seul au bar la veille, brutalement déserté par l’enivrante et électrisante présence de son « invité », le sentiment de vide et de solitude avait été violent. Certes, il s’était assez naturellement et spontanément rebellé contre l’intrusion qu’il avait subie, mais la vérité vraie, c’était que c’était physiquement très agréable, passée la première surprise. Comme une sorte de vibration lente, un bourdonnement, une effervescence qui chatouillait la peau. Sans parler de la conversation de l’intrus... Ce dialogue muet, intime et direct qui lui donnait l’impression de pouvoir parler à sa propre âme, ou en tous cas, à quelqu’un qui comptait.

Et il s’en était d’autant mieux rendu compte, lorsque tout cela avait disparu d’un seul coup. A partir de ce moment, la seule chose qui l’avait intéressé, c’était de retrouver cette sensation indicible. Toute l’expérience retentissait trop fort en lui pour qu’il puisse se contenter de tourner simplement la page. Pas avec la morne plaine qu’était sa vie actuelle. Le reclassement de ses priorités immédiates s’était opéré en un clin d’œil.

Aussitôt qu’il se fixait un objectif, les choses se mettaient rapidement en place dans sa tête. Il avait passé une partie des heures qui avaient suivi à se vendre pour avoir de l’argent rapidement. Cela ne lui posait pas de problème bien qu’il n’en fasse pas une habitude ou un mode de vie. Son corps étant encore relativement attirant, il se servait de cet atout, exactement comme de sa capacité à mentir, ou à tricher. C’était dangereux bien sûr, particulièrement si on avait affaire à des dingues…  Mais, il savait que si on le tabassait, il pouvait se défendre. Si on le torturait, il pouvait résister, si on le tuait… il serait libéré, qu’avait-il donc à craindre ? Au pire, il y prenait un plaisir fugace.

Il s’était concentré pour réfléchir parallèlement sur le moyen de retrouver cette « entité », se demandant comment la définir, se demandant même si c’était seulement humain… Il avait réussi à poser que cet être incorporel n’était pas né ainsi, qu’il savait ce que c’était d’être vivant dans un corps, parce qu’il en avait eu un. Donc c’était une sorte d’esprit.

A partir de là, la solution lui était apparue d’elle-même. Il y avait dans cette ville vouée au divertissement et au spectacle, une bonne demi-douzaine de soi-disant mediums tous bien installés sur le créneau des « esprits »... Il les avait tous embauchés avec l’argent qu’il avait gagné sans le moindre état d’âme en leur demandant s’ils ressentaient un esprit puissant à l’adresse du palace ou autour. Quatre d’entre eux avaient confirmé qu’il y en avait plusieurs à cette adresse et deux avaient désigné un endroit à proximité mais situé à l’extérieur du de l’hôtel. Un endroit où il y aurait eu du bleu. Il écarta cette option en choisissant de limiter les recherches au strict périmètre de l’hôtel, puis les avait informés qu’une rallonge serait attribuée à ceux qui seraient capables de lui indiquer l’étage et à quoi ressemblait cet esprit. Et tous avaient dit spontanément et sans hésitation qu’il s’agissait d’une femme blonde.

John ne les avait pourtant pas crus. Il leur avait demandé s’il n’était pas plutôt possible que l’esprit soit en train de hanter une femme telle qu’ils la décrivaient… Les médiums avaient hésité. Le client avait l’air prêt à lâcher la monnaie pour peu qu’on lui dise ce qu’il voulait entendre. Ils s’étaient regardés et avaient opiné. Oui caché dans une femme. John avait payé les médiums sans discuter et les avait renvoyés à leurs autres rendez-vous.

Puis, il avait dépensé ce qui lui restait pour acheter une meilleure veste, une chemise blanche et un pantalon noir qui le mettaient en valeur, et il avait fait un brin de toilette en payant une femme de chambre pour qu’elle lui laisse l’accès à la salle de bain d’une chambre inoccupée.

Il était descendu à l’accueil ensuite, pour laisser traîner ses oreilles et écouter les potins du personnel. Le nom de la chanteuse, Amy-Leigh Watts, revenait tout le temps. La suite royale. Dernier étage. Les serveurs et les serveuses bruissaient, en suggérant qu’elle avait forcément dû faire quelque chose de vraiment spécial pour mériter ça… Il avait essayé vainement de savoir comment elle était, et les informations les plus contradictoires lui étaient revenues, en le laissant perplexe. « On ne sait pas à quoi s’en tenir avec elle » avait résumé un homme. « Un coup elle est chaude comme la braise et un coup elle vous regarde de haut, comme si elle ne vous avait jamais vu de sa vie… ».

Par acquit de conscience, il s’était rendu aux trois autres chambres où les médiums avaient indiqué la présence d’un esprit puissant. L’une était vide. Les deux autres étaient attribués à deux vieux couples qui regardaient très sagement la télévision. Il savait que ce ne pouvait être que la chanteuse. Ou du moins il en avait très envie... Quand elle lui avait ouvert, il avait fait confiance au tressaillement intérieur qu’il avait ressenti en rencontrant son regard. Là. Il l’avait retrouvé.Il le savait aussi parce qu’elle avait eu l’air contrariée de le voir… Quelqu’un qui ne le connaissait pas n’aurait pas eu l’air aussi contrarié. Ennuyé, oui. Déçu, peut-être, si elle avait attendu quelqu’un d’autre. Mais pas une once de surprise. Et pas cet air qu’ont toujours ceux qui le voyaient pour la première fois… Et puis, il y avait sa mauvaise humeur. Il l’avait interprétée automatiquement comme l’indice qu’elle luttait contre son attirance. Et il était flatté de réaliser qu’il pouvait l’attirer un peu. Le jeu lui semblait tellement inégal. Rien qu’à cette seule idée, il sentait un désir douloureux lui laminer les reins.

.°.

Zut. Très mauvaise idée de repenser à ça… C’était, au bout du compte, très bizarre de se trouver à côté d’une femme et… d’en avoir envie à ce point. Il avait déjà couché avec des femmes mais ce n’était pas ce qu’il préférait. Miss Watts devait être sûrement considérée comme jolie mais il devait reconnaître qu’il n’y aurait prêté absolument aucune attention, s’il n’avait pas su que la créature immatérielle s’y cachait…

Il essaya de bouger son bras endolori, mais elle se pressa davantage contre son flanc et passa un bras léger en travers de sa poitrine, se lovant plus intimement encore contre lui. Il laissa échapper un bref petit soupir, entre incrédulité et désespoir. Il avait tellement envie d’elle qu’il aurait pu en hurler. Mais s’il posait ses mains sur elle maintenant, laquelle des deux se réveillerait ?

Il sentit sa bouche s’étirer en un sourire tout contre son bras, ce qui le chatouilla et lui donna la chair de poule.

― C’est toujours moi, chuchota-t-elle, d’une voix ensommeillée. Je sens que je vous empêche de dormir.

― Et bien… si vous pouviez m’assommer une nouvelle fois comme vous l’avez fait tout à l’heure, je crois que ça m’aiderait, parce que là…

Elle eut un petit rire.

― Oui, là vous n’avez plus du tout sommeil. Votre tachycardie est inquiétante…

Elle plaqua une paume brûlante sur son cœur.

― Je ne peux pas le calmer, dit-elle un peu surprise.

― Certainement pas en faisant cela, fit-il d’une voix étouffée et haletante, en attrapant son poignet pour repousser sa main, mais ce simple contact lui électrisa la colonne vertébrale.

Elle secoua la tête.

― Ah, non ?

Il ne répondit rien mais elle sentait qu’il la regardait dans le noir.

― Vous n’êtes qu’une maudite créature cruelle, grogna-t-il alors qu’elle faisait mine de se lever.

― Mais n’est-ce pas exactement tout ce que vous méritez ?…

Il la retint par la main et la fit tomber sur lui. Elle ne protesta pas.

― Hem. J’ai l’impression que vous avez une intention précise… murmura-t-elle. Mais je crois qu’il serait tout de même préférable que je vous prévienne avant...

― Vous ne devriez pas solliciter mon cerveau à ce moment-là du processus, répondit-il en attirant ses mains sur lui.

Elle sourit et pesa sur lui, en lui dessinant un collier de petits baisers autour du cou.

― Mhh, dommage, je ferai sans. Mais j’imagine que vous aimeriez tout de même savoir avant, que je ne suis pas exactement ce que vous croyez…

― Quelle race ? Pas humain ?

― Oh, si. Si. Mais… pas de sexe masculin.

Il l’écrasa contre lui et à quelques centimètres de ses lèvres, il chuchota :

― Je craignais bien que vous ne disiez cela…

Il l’embrassa à pleine bouche et entreprit de lui démontrer qu’il ne se bornait pas simplement à connaître le mot « préliminaires ».

.°.

Le premier soleil n’était pas encore levé quand il rouvrit les yeux, mais les prémices de l’aube se faisaient déjà deviner car la tonalité brune du ciel nocturne avait rougi. La grosse étoile brillante dardait toujours ses rayons bleus de façon presque hypnotique.Il avait le sentiment de n’avoir dormi qu’une heure ou deux, à peine.

Tournant la tête vers celle qui dormait près de lui, il la considéra avec incrédulité parce qu’il sentait que ses mains le démangeaient encore de la caresser. Après la nuit qu’ils venaient de passer, c’était pour le moins inattendu… Parce que ce n’était pas exactement comme s’ils n’avaient pas été satisfaits… Il n’avait pas de mots pour décrire ce que cette diablesse lui avait fait. Enfin il y en aurait eu, mais ils lui semblaient trop simples et terriblement inaptes à restituer quoi que ce soit de ce qui s’était passé entre eux.

C’était bizarre de penser cela, parce qu’il savait qu’il avait mené – et avec grand plaisir – une vie des plus dissolues, y compris et surtout sexuellement parlant, mais il avait été presque choqué de réaliser le degré d’intimité et d’excitation auquel il avait été conduit. A chaque fois qu’il l’avait prise, elle avait systématiquement doublé leur étreinte physique par une fusion mentale, où elle entrait à chaque fois plus profondément dans son esprit, dans ses émotions, en lui laissant le sentiment d’être dépouillé de tout, et écartelé par une félicité dont il n’aurait jamais soupçonné qu’elle puisse exister et dont il aurait voulu qu’elle n’ait jamais de fin. Lors de leur dernière étreinte, il avait pensé une brève seconde qu’à ce train, il ne resterait rien du tout de l’homme qu’il était le matin venu, mais il n’avait pas eu le temps d’en avoir peur, il avait été emporté avec elle dans un paroxysme sensoriel qu’une partie de lui-même avait observé avec un détachement serein.

Pour ne rien gâter, l’exceptionnelle endurance dont il avait fait preuve lui paraissait proprement surnaturelle… Bien sûr, il aurait été très agréable pour son ego de pouvoir se dire qu’il était devenu un dieu vivant du sexe, mais il y croyait moyennement. Il soupçonnait sans bien savoir trop comment que tout ceci était de son fait à elle… De la même manière qu’elle avait été capable de contrôler ses mouvements et sa douleur, dans les jardins… Il n’avait ressenti aucune fatigue, juste une sorte de joie sauvage qui accompagnait le renouvellement cyclique de son désir.Et cette ivresse d’être deux comme un seul ! Elle anticipait ses désirs avant même qu’il n’y pense, elle suggérait sans un mot quelques caresses. Il ignorait comment elle avait pu gérer leur fusion sans prendre le risque de ramener Miss Watts à la surface…

C’était une expérience invraisemblable qui lui faisait regarder tout ce qu’il avait connu avant comme un âge obscur d’une indigence pitoyable, et maintenant il se demandait avec une certaine appréhension comment il allait pouvoir accepter de se séparer d’elle, pour ne plus jamais la revoir.

.°.

Elle poussa un petit soupir, et il sentit son cœur s’emballer encore et cogner lourdement tandis que l’adrénaline se ruait dans ses veines. La chanteuse allait-elle déclencher toutes les alarmes parce qu’il y avait un étranger nu dans son lit ?...Il essaya d’évaluer ses chances de survie s’il se jetait depuis l’immense baie vitrée avant que la Sécurité ne lui mette la main dessus…

Mais elle se serra lascivement contre lui et noua un bras autour de sa taille comme pour l’empêcher de mettre ce plan à exécution.

― Bien dormi ? demanda-t-elle à mi-voix sans ouvrir les yeux, la tête enfouie dans son cou.

A peine calmé, il étouffa pourtant un rire en demandant :

― Quand ça au juste ?

Elle rit en ronronnant et l’embrassa sur la jugulaire.

― Toutes mes excuses, dit-elle un peu piteusement. Je crois que j’ai… un tout petit peu dépassé les bornes.

― Oh mon Dieu ! Mais qu’est-ce que ça doit être quand tu te laisses vraiment aller…

Elle lui donna un minuscule coup de poing, enfouissant son petit nez froid sur son épaule.

― Ce n’est pas cela… ça faisait juste longtemps que je n’avais plus eu l’occasion de… hum, comment dis-tu déjà ? Commander un massage très relaxant ?

― Manifestement, dit-il en riant.

― La prochaine fois, tu réfléchiras peut-être un peu plus avant de faire ce genre de proposition. Vous pourrez faire de moi tout ce qu’il vous plaira. N’est-ce pas ce que tu as dit ?

― Au mot près, dit-il avant de l’embrasser. Mais sois sûre que s’il pouvait y avoir réellement une prochaine fois, je ferai tout sauf y réfléchir à deux fois…

― Mh, c’est le moment de la conversation sérieuse alors ?

Il prit quelques instants pour réfléchir tandis que ses mains semblaient magnétiquement attirées vers elle.

― Je ne sors pas franchement de ma province mais une nuit comme celle-là, c’est… la routine pour toi ? Si oui, il faut que tu me donnes le nom de ta planète, et je m’en irai de ce pas me consoler de ta perte en allant fiévreusement la coloniser…

Elle sourit encore en parvenant à dévier légèrement la conversation.

― J’en déduis que tu n’avais jamais été avec un télépathe ? se moqua-t-elle.

― Non. Mais à ma décharge, il y en a très peu qui ressemblent à autre chose qu’un mollusque spongiforme, objecta-t-il.

― C’est vrai, admit-elle en se mordant la lèvre d’une façon désespérément sexy. Presque pas.

Le sourcil arqué, il eut un sourire en coin qui la fit rosir et elle fut heureuse que cela ne se voie pas trop dans la pénombre.

― Tu as déjà couché avec un télépathe non spongiforme ? Allez, raconte, je ne suis pas jaloux.

― C’est arrivé une fois ou deux comme ça en passant, reconnut-elle. Nous étions mariés.

― Etions ? Est-ce que ce pauvre homme est mort de plaisir, un beau soir, où tu te serais un tout petit peu laissée aller ? la taquina-t-il en lui mordillant la main entre deux baisers car l’envie de sa peau crémeuse le reprenait impitoyablement.

― Je suppose que tu ne le croiras jamais si je te dis que je suis en fait beaucoup moins douée que lui… Tu n’es toujours pas jaloux ?

― Non, c’est avec moi que tu as passé cette nuit. Je ne sais pas comment je vais pouvoir l’oublier… Je suppose que j’y serai bien forcé parce que tu ne veux pas t’encombrer de moi, n’est-ce pas ?

Elle soupira.

― Ce n’était pas prévu dans le plan.

― Et qu’est-ce que c’était le plan ?

River se disait que le plan n’était certainement pas de coucher avec le premier venu – dusse-t-il être très attirant – pour combler sa frustration et sa tristesse face à la réalité de sa solitude, face à l’indifférence de celui qu’elle avait follement aimé… et qu’elle aimait toujours. Que le plan ne pouvait pas être de se venger du Docteur, dans l’espoir qu’il en souffre s’il avait des encore des sentiments, en se donnant comme elle l’avait fait à un escroc de petite envergure qu’il considérait sûrement aujourd’hui comme son ennemi et qu’il allait chercher à neutraliser dans des délais qu’elle soupçonnait assez courts. Et que le plan ne pouvait pas être non plus de continuer à utiliser cet homme, quelque consentant qu’il puisse être, et le tout au détriment évident de Miss Watts qui ne méritait certainement pas cela…

Il n’osait pas l’interrompre dans sa réflexion, espérant que ce long silence signifiât qu’elle avait un peu d’hésitation sur la conduite à tenir.

― Le plan, répondit-elle au bout d’un moment, c’était de laisser Miss Watts un peu tranquille pour qu’elle puisse vivre sa vie et de rentrer chez moi pour analyser les données que j’ai recueillies pendant mon séjour. Et de travailler à faire en sorte de retrouver un… moyen d’existence qui ne porte préjudice à personne.

― Y a-t-il une bonne raison pour que tu cryptes tout ce que tu dis de toi ? Et de me taire les choses les plus simples que je désespère de savoir : qui es-tu ? Comment t’appelles-tu ? Où est-ce « chez toi » ? Et pourquoi tes projets secrets sont-ils totalement incompatibles avec mon encombrante présence physique ?...

Elle se glissa prestement à califourchon autour de sa taille et vint s’abreuver à sa bouche. Il l’accueillit avec un gémissement, savourant son baiser qui avait un goût de désespoir. Il se redressa pourtant car elle ne pesait rien et tira doucement ses cheveux en arrière pour l’obliger à le regarder dans les yeux.

― J’aime ta façon d’essayer de détourner la conversation ! dit-il le souffle court.

Elle semblait en proie à des émotions plus fortes à présent. Il vit des larmes briller dans ses yeux et elle dit enfin d’un ton plus angoissé qu’elle n’aurait souhaité :

― Pourquoi veux-tu savoir ? Il n’y a aucune réponse simple aux questions qui sont les tiennes. Qui suis-je ? Mais je ne suis plus personne ! Et des noms j’en ai eu plusieurs. Mon existence a été fragmentée entre divers lieux et différentes époques, tous très distants les uns des autres. Tu peux comprendre cela car je sais que tu étais un Agent du Temps… J’ai fait ce que j’ai pu pour maintenir une cohésion dans le chaos total et anachronique qu’a été ma vie. Et comme toi j’ai triché, j’ai menti, parce que je n’avais pas d’autre solution pour survivre, et pour survivre à ce qu’on avait fait de moi contre mon gré... Je suis devenue forte pour ressentir enfin que je pouvais maîtriser quelque chose… John ! Je lis en toi que tu crois que la mort t’apportera la paix ! Ce n’est pas vrai ! dit-elle durement entre ses larmes. Je suis morte il y a des années et tout ce que je veux… c’est vivre à nouveau !

Stupéfait, il l’attira contre lui. Il lui caressa doucement le dos pour la calmer, étonné lui-même de la spontanéité de ce geste tendre qu’il n’avait jamais eu pour personne.

― Qu’est-ce qu’on a fait de toi ? demanda-t-il en la berçant toujours.

Elle ne répondit pas. Il insista.

― Reprends depuis le début, comment t’appelles-tu ?

Elle poussa un long soupir et se recula pour le regarder dans les yeux et son regard le prit aux tripes.

― Je suis River Song. J’ai été enlevée à la naissance par des religieux fanatiques qui ont fait de moi une psychopathe entrainée à chercher et à tuer, dans l’unique but d’éliminer quelqu’un d’important qui les gênait. Je me suis enfuie encore enfant, mais toute ma vie ils m’ont traquée et reprise pour me forcer à accomplir mon programme. Cet homme, ils m’ont obligée à le tuer. Plusieurs fois. Et autant de fois, je l’ai sauvé ou ramené à la vie. La dernière, au détriment de la mienne. Je me suis sacrifiée pour qu’il vive. Mais je n’ai pas disparu, et je suis allée droit en Enfer. Je réside dans la mémoire centrale d’un grand ordinateur où je suis conservée. Et je ne peux pas t’emmener avec moi car chez moi ce n’est pas compatible avec la forme sous laquelle tu te trouves. Je veux sortir de là où je suis. Je veux aller dans le monde et vivre encore, parce que la mort ne m’apporte aucun repos. Je ne souffre pas mais chaque jour est identique au suivant et je suis seule pour méditer face au désastre désormais immuable et définitif de ce qui a été mon existence.

Elle s’arrêta au bout de cette confession, elle haletait presque et ses yeux lançaient des éclairs de colère. Il ne dit rien tout de suite, mais devina que cet aveu allait ranimer ses résolutions. Et qu’elle allait le flanquer dehors sous peu. Il embrassa ses mains une dernière fois et prit les devants.

― Ceci explique peut-être une chose ou deux… Je suppose que tu vas vouloir que je m’en aille maintenant ?

― Oui. Je vais aller dans la salle de bain et réveiller lentement la petite pendant sa douche. Ce serait bien qu’elle ne te trouve pas là quand elle reviendra.

Il acquiesça et la regarda partir quand elle se leva pour aller vers la salle de bains, entortillée dans le drap de satin brun qu’elle avait volé sur le lit. Il crut qu’elle n’allait même pas lui jeter un regard, mais juste avant d’entrer, elle pivota inclina la tête pour dire d’un air charmeur :

― Adieu John. Et merci de ton aide.

Il étira les commissures de ses lèvres en un sourire bravache et répondit :

― Tout le plaisir était pour moi.

Elle ferma la porte.Et John prit sa décision.

.°.

LE DOCTEUR

Il avait écrit un mot qu’il avait déposé sur le chevet de Clara en la prévenant qu’il était sorti lui chercher un petit déjeuner et il s’était dirigé vers l’hôtel où il fila direct sur le réceptionniste. Après les salutations d’usage, il s’était enquis de la jeune chanteuse et Ernest lui  avait appris qu’elle avait remis les clés de sa chambre environ deux heures plus tôt. Cette nouvelle le contraria car il aurait aimé pourvoir discuter seul avec elle.

Pendant tout le temps qu’il avait passé à jouer les garde-malades auprès de Clara, il en était venu à la certitude que c’était bien sa voix qu’il avait entendu dans la chambre de Quentin Cormack prononcer cette phrase étrange. Il n’aimait pas tellement devoir se rendre à ce genre d’évidence mais il y avait toutes les chances que ce fut elle qui ait assommé le milliardaire. En discutant avec Bob de la Sécurité, il avait su qu’il n’y avait personne dans la chambre avant que le couple n’y vienne. Le robot était éteint. Mais Cormack ne s’était pas assommé tout seul derrière la tête. Le seul élément qui ne cadrait pas était sa réaction de peur extrêmement réaliste. Si elle était feinte, elle méritait l’Oscar de la meilleure actrice…Remerciant Ernest, il lui demanda s’il pouvait essayer de lui trouver un créneau pour un rendez-vous professionnel avec Quentin Cormack, puis il décida de retourner questionner Bob pour visionner les bandes de l’autre nuit, car il était curieux de l’androïde.

En arrivant dans la petite salle familière du PC Sécurité où l’on pouvait le trouver quasiment à demeure, il salua son occupant tout aussi chaleureusement qu’à l’ordinaire.

― Bob ! J’ai un grand service à vous demander aujourd’hui. Ma jeune amie avec qui je dînais ici l’autre soir s’est fait agresser dans les jardins par un sinistre individu. Grâce à Dieu, ses jours ne sont plus en danger mais je me demandais si vous m’autoriseriez à revoir les bandes, car je voudrais remettre la main sur cet homme.

― Tss, tss, tss, fit Bob d’un air réprobateur. On vit vraiment dans un monde de fous où personne n’est à l’abri. Je suis navrée pour votre jeune dame. Est-ce qu’elle a pu vous donner un signalement ?

― Oui, un homme blond, teint clair, aux yeux bleus, environ un mètre quatre-vingt, corpulence moyenne à mince, il portait une veste blanche.

― Un signe distinctif peut-être ? demanda Bob en pianotant sur son grand clavier pour retrouver les archives de l’avant-veille.

― Oui, dit le Docteur, il portait un grand bracelet de cuir au poignet gauche. Et je suppose qu’on peut dire qu’il est assez séduisant.

― Il l’est ou il ne l’est pas ? demanda Bob en fronçant les sourcils.

― Il l’est, mais personnellement, j’ai juste envie de lui jouer le dentiste sans anesthésie, si vous voyez ce que je veux dire…

Le chef de la sécurité remonta aux heures que le Docteur lui indiquait. Les caméras du hall le montraient lui-même sortir de la grande salle où il avait laissé Clara, entrer au PC Sécurité, puis ressortir quand il était parti suivre Miss Watts dans les étages. Bob qui faisait défiler la bande rapidement, stoppa et recula légèrement.

― Là ! fit-il. Vous le voyez ? Ils viennent de sortir du restaurant et se dirigent vers les jardins.

― Vous avez des caméras à l’extérieur ? demanda le Docteur.

― Quelques-unes. Pas assez à mon goût, il y a des angles morts qui ne sont pas couverts. Les jardins sont encore sous la responsabilité de l’hôtel… si les clients s’y font attaquer…

― Tout va bien, Bob, le tranquillisa le Seigneur du Temps. Mon amie n’était pas vraiment une cliente, nous devions juste dîner ce soir-là… Pouvez-vous basculer sur les caméras extérieures ?

Bob s’exécuta, mais le lieu où se trouvait Clara était justement dans l’un de ces « angles morts ». L’Agent du Temps avait dû repérer les dispositifs de surveillance… Le Docteur était déçu mais Bob s’agita sur sa chaise.

― Regardez-moi ça ! Quelqu’un vient de passer en courant !

― Faites voir…

― Ça va trop vite. Je recule en diminuant la vitesse… C’est dingue, c’est… un robot ? Qu’est-ce qu’il fiche… ? Eh attendez, mais ce ne serait pas la machine de Cormack ?

Le Docteur haussa un sourcil.

― Pour un projet secret, je trouve qu’il y a beaucoup de monde au courant !

Bob s’esclaffa.

― C’est un secret de polichinelle ici. En rentrant de l’infirmerie Cormack a fait tout un pataquès à cause de son « androïde »… Mais d’où est-ce qu’il a bien pu arriver ?... Attendez un petit instant.

Il manipula les commandes pour switcher entre les différentes caméras et les deux hommes remontèrent le parcours du robot sur les bandes. Ils sursautèrent tous les deux en le voyant soudain apparaître comme « tombé du ciel » tout ramassé en boule.

― Wow ! Mais qu’est-ce qui s’est passé ? fit Bob.

Le Docteur se croisa les bras tout en tirant pensivement sur les poils de sa fine barbiche.

― Vous avez des caméras aériennes ? Je crois qu’il a sauté.

Bob se tint les côtes.

― Ha, ha ha. Vous êtes un petit marrant… sauté d’où ?

― De l’endroit où je l’ai laissé la dernière fois que je l’ai vu ce soir-là !... Vous vous souvenez que je voulais saluer Miss Watts et que j’ai rappelé en bas parce qu’ils avaient été agressés par quelqu’un eux aussi ? L’androïde était toujours dans la chambre de Cormack quand je suis parti. Et à moins que l’équipe médicale n’ait laissé la porte ouverte après l’avoir emmené à l’infirmerie, le robot n’a pu que sauter par la fenêtre.

― Du trentième étage ? fit Bob, éberlué. Il aurait dû finir en miettes… Et puis en plus ce n’est pas possible, on aurait dû avoir une alarme… Les fenêtres ne s’ouvrent pas en grand en étage élevé, pour éviter les accidents et les suicides.

― Est-ce que vous avez moyen de scanner l’étage pour repérer une anomalie ou quelque chose ?

Bob s’activa fébrilement. En tant que chef de la Sécurité, il entendrait parler du paysage s’il y avait eu le moindre risque que quelqu’un ou quelque chose se défenestre dans son hôtel…

― Miséricorde ! s’exclama-t-il. Ici. La petite salle où les femmes de ménages stockent les produits et les chariots. Vous voyez ça ? La fenêtre a l’air d’avoir été découpée au laser… Aucun badge client ne peut ouvrir ces salles réservées au personnel de nettoyage. Mais du coup, comme on sait que les clients ne peuvent pas y entrer, elles ne sont pas aussi sécurisées que les chambres…

Le Docteur opina silencieusement. Bob repoussa sa casquette sur son front et siffla.

― C’est quand même extraordinaire… Il est fait en quoi son robot ? Il saute de trente étages, se réceptionne sans un pet, court dans les jardins à toute vitesse… Il a quand même du bol que quelqu’un soit venu le rapporter après ça…

― Vous sauriez trouver qui ? Si ce n’est pas abuser bien sûr, demanda le Gallifréen.

― Non, non laissez, il en va de ma réputation professionnelle… fit Bob en triturant les boutons de contrôle pour revenir aux caméras du lobby. Les gars de la maintenance ont dit qu’ils avaient été réveillés assez tard pour le redescendre au coffre après qu’on l’ait ramené…

Le Docteur sera les mâchoires quand il vit qui avait ramené le robot.

― Hey, fit Bob, mais c’est pas justement votre copain ?

Quelque chose lui échappait définitivement dans cette histoire et il n’aimait pas ça. Pourquoi Hart aurait-il rapporté le robot ? Toucher une récompense sans doute… Il se dit qu’il allait devoir retourner questionner Ernest.Bob faisait défiler la bande où l’on voyait distinctement Hart marcher un peu difficilement pour rapporter le robot puis s’éloigner après ça en direction du bar.

― On sait ce qu’il a fait après ça ? demanda le Docteur.

― Oui, Tricky au bar m’a appelé pour me dire qu’un type louche – qui avait l’air de s’être fait tabasser – s’était installé et avait commandé double dose de ce truc infect tout noir... du café. Je ne savais pas que c’était lui… Il n’a rien demandé à part ses cafés. Comme il avait l’air un peu sonné, qu’il n’a pas fait d’esclandre et que les clients s’étaient faits rares, on ne l’a pas flanqué dehors. D’ailleurs, il est parti assez vite ensuite, vous voyez…

Bob s’était tourné vers le Docteur, en quêtant sa réaction. Celui-ci regardait l’écran le regard un peu vague, comme s’il était concentré sur autre chose. La bande continuait à défiler en vitesse rapide et avait embrayé sur la journée de la veille.

― Bob… demanda-t-il au bout d’un moment. De quand datent ces images-là ?

Sur l’écran de contrôle, John Hart était réapparu, bien habillé et un peu plus soigné dans sa mise.

― Ho-ho, commenta Bob avec un sourire. Johnny Belle Gueule part en chasse.

― Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? demanda le Docteur en haussant un sourcil soupçonneux.

― Ne le prenez pas mal, Doc, mais parfois on se demande de quelle planète vous débarquez… Vous savez combien ça coûte une veste comme ça ? Et cette chemise en satin de coton avec effet d’optique blanc-bleu ? Non, hein ?... Et bien moi je vais vous le dire : trop cher pour ce que c’est !... C’est clair, il veut impressionner quelqu’un. Mais il y a quand même un truc que je ne comprends pas, dit-il en programmant automatiquement les caméras pour le suivre.

― Mhh, laquelle ? fit le Docteur avec une lueur inquiétante dans les yeux.

― Vous dites qu’il a agressé votre jeune amie… Mais pourquoi a-t-il besoin de faire ça ? Je veux dire, vous l’avez vu ? Moi si j’avais rien que le quart de son physique, j’aurais une vie sentimentale… Il doit pouvoir tomber des filles rien qu’en claquant des doigts. Et là, ce que je vois ce soir, dans sa démarche et son allure, c’est un type qui ne finira pas la nuit tout seul…

― Je ne suis pas sûr qu’il soit trop porté sur la gent féminine…

Bob eut un fin sourire dubitatif, et pianota sur les boutons pour sauter de caméra en caméra, car John sortait à un étage, allait frapper à une porte, puis disait quelques mots aux occupants et repartait aussitôt vers les ascenseurs.

― Qu’est-ce qu’il trafique ? pesta le Docteur qui ne comprenait pas son manège.

― Tout ce que je peux vous dire, c’est que ces chambres sont en enfilade verticale.

Le Docteur fronça les sourcils.

― Vous voulez dire que si on regardait le plan de l’hôtel en coupe 3D, elles seraient les unes sur les autres ?

― Exactement ! Toutes les chambres n’ayant pas la même surface, il y en a plus ou moins par étage. La numérotation n’attire pas l’attention sur le fait qu’elles soient presque aux mêmes coordonnées…

― Mais qu’est-ce qu’il cherche ?

Bob lui lança un petit regard inquiet.

― Oh, je vous l’ai dit… De toutes façons, c’est le dernier étage. Et nous savons tous les deux qui y logeait hier soir…

Sur l’enregistrement, le Docteur vit qui lui ouvrait en peignoir de bain. Telle que la caméra était placée, on voyait juste que Hart n’avait pas mis plus de quelques secondes à entrer furtivement. Les maxillaires du Docteur tressaillaient.

Bob crut bon de couper la diffusion.

― Hey, mais il faut que je sache quand il est sorti !

― Ça ne sert à rien de vous faire du mal comme ça… C’est la vie, et elle est injuste.

― Combien de temps ? insista le Docteur.

― Ah mais vous êtes terrible à la fin… Il est resté toute la nuit ! Il a décampé au petit matin, environ une heure avant elle. Vous êtes content ?

― Vous ne comprenez pas Bob… Cet homme est très dangereux. Est-ce que Miss Watts avait l’air d’aller bien ce matin ?

― Parfaitement bien. Ernest l’a saluée, lui a parlé, et lui a appelé un taxi pour aller attraper la navette transcontinentale…

― Ok. Alors tant mieux, dit-il d’un ton qui n’était pas très convaincant. Je crois que… je ferais mieux de retourner voir Ernest pour savoir s’il a pu me dégoter un temps mort dans l’emploi du temps de Cormack…

Bob opina.

― Faites ça, et ne vous mettez pas martel en tête.

― Merci Bob, à demain.

― A demain, Doc !

Bob rajusta sa casquette et se réinstalla dans son fauteuil. Ce pauvre vieux, il était touchant quand même. Mais ils étaient plusieurs parmi le personnel à avoir eu un petit faible pour Miss Watts. Et beaucoup avaient eu le cœur brisé de son départ. Et de ses goûts masculins.

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