From Vegas with love

Chapitre 4 : C4 : Tainted love

5607 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/05/2017 17:51

CHAPITRE IV – Tainted love

RIVER SONG

River ouvrit les yeux. Devant elle se trouvait l'androïde, assis sur le banc où elle avait pris place quelques instants plus tôt. Elle sursauta légèrement en voyant ses bras recouvert des manches d'une veste blanche. En avisant que l'un de ses poignets portait un manipulateur de vortex, elle comprit ce qui venait de se passer. Le type qu'elle avait assommé avait dû se réveiller et essayer de remettre l'androïde en fonction. Le constat était simple : un simple contact lui suffisait à présent pour se transférer d'un support à un autre, elle était tout simplement passée en lui.

Elle se concentra et entendit ses pensées pleines de colère, elle ressentit aussi sa peur face à cette situation bizarre. Aussitôt, elle lui intima mentalement de se calmer et de respirer plus lentement. Il n'était pas sensé savoir que ça l'aidait à assurer sa prise… Elle décida qu'elle devait profiter de ce qu'elle se trouvait là pour remonter l'androïde chez Cormack grâce à son hôte, car elle devinait qu'elle n'arriverait jamais à refaire le trajet en sens inverse en pilotant l'androïde qui réagissait très mal à sa présence parasite…

« Ecoutez-moi, dit-elle mentalement en s'adressant à l'homme. Je suis navrée de ce qui vient de se produire. Je veux parler du transfert qui fait de vous mon hôte involontaire… pas de vous avoir cassé la figure… J'ai besoin d'un service. Mais comme je vois bien clair en vous de là où je suis, je sais que vous ne me l'accorderez pas forcément même si je le demande très gentiment… Alors voilà ce que je vais faire, je vais rester avec vous juste quelques dizaines de minutes, le temps que je remonte cette machine jusqu'à son propriétaire. Je n'ai besoin de rien d'autre, c'est mon seul objectif en ce qui vous concerne. Et ensuite, vous n'entendrez plus parler de moi. Avez-vous compris ? Formulez votre réponse mentalement, n'essayez pas d'articuler, vous n'y arriverez pas : je contrôle votre larynx ».

Elle sentit qu'il n'avait pas l'intention de la laisser faire.Lors de ses précédentes tentatives, elle avait toujours eu soin de choisir des cobayes humains particulièrement ouverts et faciles à contrôler. Des personnes douces au tempérament aimable. Certaines ne réalisaient pas totalement ce qui leur arrivait et pensaient avoir eu une simple absence. Mais celui-ci n'était vraiment pas le candidat idéal…

« Sortez de là immédiatement ! » émit-il.

« Je voudrais bien mais je ne peux pas pour l'instant. Ce n'est pas de mon ressort, c'est une impossibilité… mécanique. Patientez un tout petit peu, calmez-vous ».

« Vous allez voir si je vais me calmer ! »

Sans prévenir, il prit le bracelet en cuir qui était sur son bras et commença à tirer dessus. Ce dernier était incrusté dans la chair de son bras. Cela n'avait pas eu l'air d'être volontaire ou maîtrisé comme lors d'une opération chirurgicale. Du bricolage. Un accident peut-être même. Elle commença à ressentir une vive douleur et elle comprit ce qu'il essayait de faire. Comme il était endurant à la souffrance, il se mutilait volontairement pour essayer de la faire lâcher prise…En réalité, ça aurait pu marcher, s'il y avait eu quelqu'un à proximité. Au lieu de cela, le coin étant plutôt désert, elle réfléchit et se contenta de débrancher sa propre connexion aux terminaisons nerveuses du bras.

Le pire, c'était qu'elle ne savait pas du tout comment elle arrivait à faire des choses comme celles-là. Quand elle avait un hôte humain, c'était simple et presque naturel, il suffisait d'y penser de façon délibérée, et ça se faisait. En revanche elle souffrait le martyre en essayant de piloter des androïdes…

« John, appela-t-elle en trouvant son prénom dans la masse de pensées rugissantes qui étaient les siennes, arrêtezvous souffrez inutilement, je ne ressens pas ce que vous essayez de m'infliger ».

« Je ne suis pas forcé de vous croire » répondit-il en continuant de plus belle.

« John ne soyez pas stupide… Attendez, vous allez comprendre que je ne mens pas ».

Au même moment, elle retint momentanément la connexion qu'il avait avec sa propre souffrance. Il perdit lui aussi toute sensibilité dans le bras pendant une quinzaine de secondes, puis elle la rétablit.Contre toute attente, cela déclencha chez lui une sorte de panique, comme s'il venait de comprendre qu'il était véritablement pris au piège et quel était le pouvoir de celui qui avait le contrôle sur lui.

« Vous prolongez par votre entêtement une situation qui n'a pas lieu d'être. Vous n'avez pas d'autre choix que… Et bien, je ne sais pas comment le formuler autrement… que de me laisser utiliser votre corps !… ».

« Si vous m'aviez demandé cela de façon plus classique, qui sait si j'aurais été contre ? » maugréa-t-il entre ses dents en se tenant le bras.

Il entendit une sorte de rire doux et amusé dans sa tête.

« Oh, je pense que vous auriez été contre, d'après ce que vous avez à l'esprit. Mais si vous préférez la carotte au bâton, il fallait me le dire… ».

Elle le força à marcher jusqu'au banc et à s'asseoir à côté de l'androïde, puis – comme si une main invisible le repoussait sur la poitrine – à s'appuyer contre le dossier. Il était terriblement anxieux, à la merci d'un ennemi qu'il ne voyait pas et qu'il ne pouvait atteindre. Voilà des années qu'un tel sentiment ne l'avait plus tenaillé. River prenait conscience avec lui de l'absolue nécessité pour elle de trouver des solutions non humaines à une future forme d'autonomie loin de la Bibliothèque.

« Vous m'y obligez » prononça-t-elle pourtant avec une tonalité de regret et d'amusement qui le mirent dans un état qu'il n'avait pas envie de qualifier trop précisément.

Elle le laissa fermer les yeux et il se crispa dans l'attente du choc. Elle voyait bien qu'il ne la croyait pas et pensait qu'elle allait lui faire mal. Une option qu'elle aurait d'ailleurs très bien pu choisir car elle n'avait pas réellement d'état d'âme face à un homme qui avait essayé de manipuler le Docteur de la façon la plus basse qui soit. Elle seule pouvait prétendre à ce droit et elle n'était pas pour laisser la concurrence se développer !

Toutefois, en investissant ce beau corps abîmé et ses pensées, elle avait compris qu'elle en tirerait moins en le brutalisant. Parce qu'il y était tout simplement habitué, parce qu'elle sentait qu'il était fier de sa résistance à la douleur… Et c'est pourquoi elle n'eut aucun scrupule à laisser déferler sur lui une dose massive d'endorphines puis activer d'un coup et sans prévenir tous les centres du plaisir.

Son corps s'arqua mais il ne se permit qu'un faible gémissement, ce qui la déçut un peu, elle devait le reconnaître. D'un autre côté, c'était la première fois qu'elle testait ce genre de « motivation ». Il resta deux minutes comme un crucifié sur son banc, incapable de se lever, de bouger, ou d'aligner deux pensées cohérentes.

« Allez, levez-vous, paresseux ! intima-t-elle. Attrapez ce robot, portez-le, traînez-le, débrouillez-vous comme vous voulez mais il faut le monter, et si possible en un seul morceau, dans une chambre de l'hôtel que je vais vous indiquer ».

« Je ne peux pas… pas tout de suite. Par pitié, laissez-moi une petite minute… » émit-il faiblement.

« Hmm, ce n'est pas tellement mon genre... Nous avons perdu assez de temps. Je peux vous obliger à vous lever, vous le savez maintenant. Bougez-vous, je n'ai pas toute la nuit ».

Il se leva donc en chancelant et elle réalisa qu'elle n'y était pas allée de main morte : il tenait à peine sur ses jambes et elle devait le soutenir par un effort conscient. Elle risqua l'équivalent d'un coup d'œil dans le flux de ses émotions… et referma l'accès aussitôt. C'était violent et enivrant ce qui se passait là-dedans. Elle monitora les organes et le cœur qui battait trop vite. Pendant qu'elle les passait en revue un par un, elle réalisa qu'il était dans un état tellement ravagé qu'elle aurait pu le tuer déjà deux fois, rien qu'avec le choc électrique. Inquiète, elle essaya de réguler de son mieux son rythme cardiaque.Sa vraie peur était qu'elle ignorait ce qui se passerait s'il mourrait pendant qu'elle était là… Comme il ne résistait pas, elle en profita pour assurer sa prise sur lui et constata qu'elle avait le plein accès à tout son corps. Mais ce n'était pas parce qu'il était calmé. C'était parce qu'il était à moitié inconscient.

Enfin aux commandes, elle chargea le robot sur son épaule, et revint à grands pas vers l'hôtel, en souriant. Effectivement la force d'un homme, ça n'avait rien à voir.

A la réception, elle demanda à faire appeler Quentin Cormack en expliquant que son prototype, échappé pendant une démonstration, avait été retrouvé dans le jardin. Le réceptionniste la regardait d'un sale œil mais elle n'en avait cure car ça s'adressait probablement à John. Il répondit que M. Cormack avait été admis à l'infirmerie suite à une agression et qu'il n'en était pas encore sorti. River hocha la tête en arguant qu'il apprécierait néanmoins sûrement de retrouver son bien dès son retour et qu'il fallait le faire porter dans sa chambre.

Face au refus catégorique de l'employé, sans doute inquiet de laisser un sinistre individu comme John pénétrer dans la chambre d'un client respectable, elle changea de tactique en demandant si le personnel de l'hôtel pouvait porter le robot au coffre de l'hôtel… Le réceptionniste se détendit et accepta. Il demanda son nom et River refusa de le donner en prétextant qu'elle avait juste trouvé l'androïde dans le jardin et qu'elle était logée ailleurs en ville où elle ne restait pas. Le réceptionniste apprécia encore plus.

Quand, les équipes de maintenance vinrent enlever le robot, elle se sentit soulagée et un peu désemparée aussi. Normalement, c'était le moment où elle aurait dû libérer John comme elle l'avait promis, mais cela signifiait aussi retrouver la chanteuse afin qu'elle puisse voyager avec elle. Pourtant elle n'était pas certaine qu'elle soit restée au Vegas Highlight après ce qui s'était produit tout à l'heure… A priori, il lui aurait suffi d'aller cogner à sa porte, mais elle doutait qu'il soit très judicieux de la laisser, même quelques instants en compagnie de son hôte actuel, quand même Clara qui était plutôt futée d'habitude, s'était laissée avoir avec des conséquences aussi terribles…

Pourtant il fallait bien qu'elle parte. Le Docteur n'était pas idiot, s'il ne savait pas encore ce qu'elle trafiquait, ça n'allait pas tarder, aussitôt qu'il serait rassuré sur l'état de santé de son amie.

« John ? appela-t-elle silencieusement. Vous êtes à nouveau conscient ? »

Pas de réponse.Un peu inquiète, elle vérifia ses constantes et vit que tout allait bien, ou au moins pas pire que quand elle était arrivée. Il ne pensait à rien. Elle réfléchit en cherchant ce qu'elle pouvait faire pour essayer de le faire revenir à lui…

Mais en se demandant où aller le déposer, elle prit conscience qu'elle était restée dans le hall et que les employés la regardaient avec suspicion, elle décida alors de retourner l'accouder au bar. Elle lui aurait bien fait avaler aussi un grand café serré ou quelque chose pour qu'il dessaoule un peu, mais sans doute se mêlait-elle de ce qui ne la regardait pas vraiment… Il se réveillait.

« John, appela-t-elle encore tout en retournant vers la salle de réception, répondez-moi. Je vais vous quitter maintenant comme je vous l'ai promis. Comment vous sentez-vous ».

« Vous tenez vraiment à le savoir ? »

« Et bien… oui. Est-ce que vous avez un endroit où vous pourriez vous reposer un peu ? Vous êtes fatigué ».

« Non, je ne dors jamais deux nuits au même endroit et je n'ai plus de vaisseau, j'ai fait du stop pour venir jusqu'ici… Pourquoi cette soudaine… sollicitude ? ».

En s'approchant du bar, elle commanda un double café – merveille des palaces à thème qui poussaient le souci du détail jusqu'à disposer de spécialités de ce genre, synthétisées d'après des échantillons recueillis depuis la planète d'origine.

Elle le fit boire une gorgée.

« C'est infect » commenta-t-il laconiquement.

« Il n'y a pas de quoi » répondit-elle. « Je devrais rester jusqu'à ce que vous l'ayez bu en entier ».

« Si vous le faisiez, j'en déduirais que vous ne pouvez plus vous passer de moi et que vous cherchez des excuses pour vous attarder ».

« Non. J'ai seulement deux dernières recommandations pour vous. Un : vous devez absolument vous reposer un peu. Et deux : dès demain le plus tôt que vous pourrez, vous quitterez la ville. La planète, ce serait mieux. Vous avez essayé de tuer la compagne du Docteur et d'après ce que j'ai lu dans votre dossier, c'est une récidive. Tenez-vous tranquille quelques temps et faites-vous discret. Vous vous êtes déjà trouvé une fois de trop sur sa route. Je ne connais pas bien cette incarnation, il est possible qu'elle soit moins pacifiste et moins idéaliste que les autres ».

« Vous devez partir tout de suite ? demanda-t-il un peu tendu. Vous ne m'avez même pas dit votre nom ».

« Il est grand temps que je vous laisse ! Je suis en train d'avoir une très mauvaise influence sur vous si vous commencez à vous soucier du nom de vos conquêtes ».

Il masqua un sourire en prenant une gorgée du breuvage amer, et elle le laissa faire.Une conquête ? Pourquoi le flattait-il de la sorte ? A la minute, il ne se faisait vraiment pas l'effet d'un conquérant. Il essaya le sarcasme.

« Attendez, mais j'ai vécu là l'une des meilleures soirées de ma vie… ! Si je résume, vous m'avez assommé sauvagement, envahi de force, soumis, puis manipulé à votre guise et administré sans ménagement l'orgasme le rapide et le plus incroyablement violent que je puisse répertorier sur ma propre échelle de Richter… Je pense que j'ai gagné le droit de connaître le nom de celui à qui je le dois ! ».

« Hem, la liste est incomplète. Pendant que vous étiez inconscient, je vous ai aussi électrocuté et je vous ai piqué du sang ».

Il secoua la tête avec un sourire sardonique. Ses yeux intensément brillants rencontrèrent son propre reflet dans le miroir derrière le bar : il pensa qu'elle pouvait sûrement le voir.

« Epousez-moi ! » gémit-il comiquement tout en formant silencieusement les mots.

Elle rit malgré elle, ce qui le rendit soudain euphorique car un peu de son amusement avait transbordé sur lui.

« John, j'ai été ravie de vous rencontrer, adieu ».

Il se crispa comme pour essayer maladroitement de la retenir.

« Restez encore un peu avec moi, cette nuit, partez seulement demain » demanda-t-il nerveusement.

Elle ne dit rien pendant quelques instants. C'était difficile de piloter quelqu'un d'agité comme lui. Bien qu'il se donnât une apparence flegmatique, elle réalisait que ses émotions étaient extrêmes, et qu'il aimait ces extrêmes par lesquels il en passait. Peut-être bien qu'il disait vrai quand il soutenait qu'il avait aimé cette soirée !

« Alors quoi ? répondit-elle le plus légèrement qu'elle put. Syndrome de Stockholm ? ».

Elle entendit distinctement « Oh Seigneur, oui ! » mais elle sut qu'il n'avait pas eu l'intention de répondre cela. Il l'avait juste pensé. La différence entre penser et parler mentalement était subtile.Il enchaîna.

« Vous ne m'avez pas dit qui vous êtes… Je ne sais pas pourquoi vous prenez d'innocents gredins en otage de cette façon, ni pourquoi vous sabotez des robots… Et comment vous connaissez ce Docteur… Et puis, vous ne pouvez-pas me faire ce que vous m'avez fait ce soir et me quitter froidement après une expérience aussi… intime. Je n'ai pas envie que vous partiez comme ça ».

« John, se moqua-t-elle un peu mais avec plus de bienveillance qu'elle ne l'aurait souhaité, heureusement que personne ne peut vous entendre, vous explorez de dangereusement près votre côté midinette… Et je dois vous prévenir aussi que vous ne pouvez pas me cacher vos pensées tant que je suis là où je suis… Je sais bien que vous voulez surtout me poser des questions sur le Docteur… Parce que vous pensez qu'il vous procurera le moyen de retrouver cet omniprésent « Jack » qui sature la moindre de vos pensées, en charriant des fleuves furieux de phéromones affolées… ».

« Enfin un peu de jalousie ? »

« Pas le moins du monde... Mais par contre, vous devez comprendre que comme je sais parfaitement ce qu'il en est de vos sentiments pour lui, à peu près tagués partout sur les moindres espaces de vos murs intérieurs, la crédibilité de vos avances s'en trouve sérieusement amoindrie ».

Il hocha lentement la tête en fixant la tasse de café vide depuis longtemps, puis en demanda un autre.

« Merci, émit-il en venant de réaliser qu'il avait eu la liberté de le faire. Vous me laissez faire des trucs ».

« Je vous ai dit que je devais vous quitter… Je le fais graduellement puisque vous semblez un peu désemparé ».

« Mais pas du tout ! Je trouve que je me suis habitué remarquablement vite à vous parler de cette façon ».

« C'est vrai ».

« Je trouve aussi que vous devriez réfléchir à mon offre. Où allez-vous trouver un corps à hanter aussi canon que le mien ? Je suis résistant et plein de sang-froid, je peux piloter à peu près n'importe quel zinc les yeux fermés et, si vous savez comment le réparer, j'ai un manipulateur de vortex intégré... Je ne sais pas pourquoi vous avez besoin de vous inviter dans les gens de cette façon, mais je suis volontaire. Je n'ai vraiment rien de mieux à faire ces jours prochains ».

« John, je préfère décliner, mais je suis touchée que vous vous proposiez aussi… « spontanément ». Votre sens de l'opportunisme fait toute mon admiration ».

« Quoi ? Je ne suis pas assez sexy pour vous ? Vous êtes habitué à mieux ? » insista-t-il avec l'ombre d'un sourire en ingurgitant le café brûlant pour l'impressionner.

Elle eut l'équivalent d'un soupir.

« Si je vous réponds que oui vous allez défaillir d'excitation, rien qu'à imaginer quel genre de personne pourrait se permettre de viser plus haut que la très haute opinion que vous avez déjà de votre physique... Et si je vous réponds que non, vous serez d'une arrogance insupportable..En fait, le problème n'est pas tellement votre apparence, mais bien votre état de santé. Vous n'avez aucune conscience de ce que vous faites subir à votre corps… ».

« Je suis curieux de savoir ce que mon tortionnaire entend par là… » rétorqua-t-il en finissant sa tasse.

« Mhh, voyons… Privations régulières, meurtrissures récurrentes, coups et blessures pas toujours bien cicatrisés… Je vois en plus les traces et les effets de différentes addictions : alcool, drogue, tabac... Pardonnez ma franchise, mais votre corps est totalement ravagé, pour ne parler que de lui… Vous tenez uniquement grâce au petit additif miraculeux dont on trouve les traces dans votre sang et qui parvient à vous maintenir à peu près alors que vous auriez dû vous effondrer il y a déjà longtemps... Et à propos, c'est lui qui vous protège du poison de l'Arbre de Judas quand vous l'utilisez ».

.°.

LE DOCTEUR

Il n'était pas sorti pendant deux jours entiers. Une bonne partie du premier, il l'avait passé à faire des analyses à l'infirmerie du bord, qui lui avaient confirmé que Clara se remettait. Elle était restée inconsciente pendant une quarantaine d'heures avant d'entrouvrir les yeux une première fois. Lorsqu'il avait vu qu'elle allait relativement mieux, il l'avait ramenée dans sa chambre dont l'environnement peut-être plus familier et moins intimidant, aurait peut-être un effet positif, au moins sur son moral.

L'envie de quitter le Tardis pour rechercher le robot le démangeait furieusement et il devait prendre sur lui. C'était un défi à son intelligence de comprendre ce qu'il avait dans le sang de ce petit escroc de John Hart pour que cela ait pu faire barrage au poison de l'Arbre de Judas. Mais Clara était si faible qu'il ne pouvait pas la laisser seule. Elle ne pouvait pas se lever, et son corps n'acceptait presque pas de nourriture. C'était très inquiétant car elle ne pourrait pas tenir indéfiniment sans s'alimenter.

Ronger son frein n'était pas dans sa nature. Le Docteur ne savait pas très bien attendre, et encore moins attendre en se sentant impuissant et passablement misérable.

Pour s'occuper, il avala donc dans sa propre bibliothèque et dans les archives du Tardis, toutes les informations possibles sur ce poison. Et puis sur les autres poisons. Et enfin la section des contrepoisons et antidotes... Il savait que pour sa part, consommer à nouveau la première nourriture qu'il avait ingérée après sa régénération lui avait permis de ne pas mourir tout de suite et de prolonger un peu son temps. Il s'était quand même éteint en disant à celle qui n'était pas encore River Song qu'il l'aimait et qu'il lui pardonnait son geste.

Ça c'était juste avant qu'elle ne sacrifie ses propres régénérations à son profit. Les sacrifices de River étaient si nombreux. Si nombreux qu'il avait honte d'y penser.Pour sauver Clara, il était prêt à faire la même chose. Il le voulait.Et puis ce robot était arrivé de nulle part et avait fait cette chose totalement insensée.

Comme il avait toujours l'écaille de peau de l'androïde dans sa poche, pour se reposer de sa lente descente mentale dans le monde infernal des poisons, il avait décidé de l'étudier. Cette technologie était très intéressante et passablement novatrice. L'imitation de la peau était presque parfaite même s'il ne s'agissait nullement d'un épiderme à proprement parler. L'écaille était très fine et souple. Mais « au dos » on voyait briller du métal. Un alliage sans doute, mais sans microscope atomique pas moyen d'en savoir plus. Il se leva soudain pendant qu'il réfléchissait au problème, et alla chercher un des talkies-walkies qu'il posa près de la main de Clara en empochant l'autre. Si elle se réveillait, elle pourrait l'appeler.

Il courut jusqu'à son laboratoire scientifique, pour examiner de beaucoup plus près l'écaille. Plus il la regardait, plus elle lui semblait à la fois intrigante et familière. Sous la lunette grossissante de son matériel, il repéra un code, ou peut-être une marque. SLA ACT O. Il était très vraisemblable qu'il ne se fut agi que d'une fraction d'une chaine de caractères alphanumériques plus longue, mais il décida de lancer quand même une recherche dessus dans la base de données du Tardis. Il contempla l'écran avec espoir. Il lui fallait une piste.

Quand le talkie crachota de façon caractéristique trois fois, il sursauta. « Docteur, je suis enfin réveillée » entendit-il.Il quitta la pièce précipitamment.

.°.

En la voyant à demi assise dans son lit avec de gros oreillers dans le dos, il lui adressa un large sourire et se hâta de venir vers elle.

― Où étiez-vous parti ? demanda-t-elle.

― Au labo. J'analysais un fragment de peau de robot que j'ai trouvé en suivant la piste de l'industriel numéro quatre. Comment vous sentez-vous ?

― Fatiguée et affamée. Je n'ai rien mangé la nuit dernière.

― C'était il y a deux jours. Vous étiez dans le coma, Clara, j'ai été… assez inquiet.

― Allons, allons. Vous voyez bien que je suis une solide petite Clara puisque je suis toujours là... Il ne fallait pas vous en faire autant.

Il s'assied sur le bord du lit avec un air contrarié. Comment lui faire la leçon alors qu'elle avait failli mourir ? Il ne pouvait pas vraiment lui passer un savon alors qu'il était follement heureux qu'elle s'en soit tirée au bout du compte.

― Qu'est-ce qui vous a pris de faire une chose aussi insensée ? demanda-t-il sans oser la regarder.

― Quelle chose insensée ?

― Suivre cet homme !

Son visage s'anima soudain.

― Oh oui celui-là ! Docteur vous n'allez pas en revenir, je suis presque sûre que c'est précisément celui qui voulait récupérer la fameuse boîte de Engar qui était sur le vaisseau de vos amis Martha et Mickey ! Il avait un engin très bizarre au poignet qui m'a intriguée, et il a éludé quand je lui ai demandé ce que c'était. Mais quelque chose me disait que c'était un mini bracelet Tardis. J'en ai déjà vu un. Je vous avoue que je ne sais pas du tout pourquoi j'ai bien pu penser ça. Mais j'en étais… incertainement sûre ! Quand j'ai compris que ça ne pouvait être que lui et qu'il devait vous chercher, je me suis dit qu'il fallait en savoir plus sur ses intentions…

― Ses plans étaient on ne peut plus tordus, déclara froidement le Docteur. Il voulait vous échanger contre la Fontaine.

― Oui, je l'ai compris assez vite quand il a parlé de m'enlever.

Le Docteur se pinça le haut du nez et se passa lentement les mains sur la figure, puis les croisa et il dit d'une voix qu'il essaya de garder calme :

― Il vous l'a dit et vous l'avez suivi quand même !... Clara, ce que j'aime chez vous, c'est que vous êtes vraiment intelligente et que vous avez beaucoup de bon sens mais là… j'avoue que je ne comprends pas ! Pourquoi avez-vous fait quelque chose d'aussi stupide ?

― Etre stupide ne faisait pas partie du plan, je vous assure. Il avait avoué qu'il n'avait pu entrer dans l'hôtel qu'avec de grosses difficultés, probablement parce qu'il était accompagné, et que sans moi, il ne pourrait pas y revenir. Je comptais lui fausser compagnie dès qu'il m'aurait dévoilé son plan machiavélique et retourner à l'intérieur en demandant au physionomiste de le bloquer quoi qu'il arrive. Les méchants aiment toujours étaler la somptuosité de leurs plans aux yeux de leurs pauvres victimes… non ? Ça marche toujours.

― Ok, ça je peux le comprendre… mais pourquoi avoir accepté de boire avec lui ?

― Ah, on vous a mal informé. Lui il a bu, mais pas moi...

― Vous avez forcément mangé quelque chose, sinon comment vous aurait-il empoisonnée ?

Clara se troubla. Empoisonnée ? Elle fit soudain le lien avec le mot « coma » qu'il avait prononcé plus tôt, ainsi que les mots « assez inquiet » qui devaient signifier pour lui « complètement paniqué »…

Et puis elle repensa à l'étrange baiser. Le poison s'était-il transmis par contact dermique ? Il lui avait dit qu'il avait 'envie de l'embrasser'. Cet homme prévenait-il toujours de ce qu'il comptait faire aussi honnêtement et aussi sournoisement à la fois ? Ce devait être un jeu pour lui d'énoncer des vérités qui n'en étaient pas vraiment... Elle dit seulement avec embarras :

― Je suis désolée… Je pensais seulement qu'il voulait me prendre en otage. Ce qui n'aurait servi à rien d'ailleurs puisque jamais vous ne lui auriez donné ce qu'il réclamait... Je n'ai pas perçu un seul instant qu'il avait l'intention de me supprimer si les choses ne tournaient pas comme il le voulait.

Le Docteur se remit debout et marcha nerveusement à côté du lit, de long en large.

― Clara, mes ennemis sont dangereux. Vous êtes une bonne personne et vous ne v…

― Stop ! l'interrompit-elle. Je sais cela. Je vous dis que je n'ai pas vu dans ses yeux qu'il voulait me tuer, sinon je ne serais pas restée assez longtemps pour lui donner la moindre chance d'essayer. Pour tout dire, je le trouvais… très ennuyeux. Un dragueur vraiment pitoyable. Il essayait de me faire parler et je n'ai rien lâché. J'étais sûre qu'il ne savait pas que vous étiez le Docteur. Il vous prenait pour mon père ou encore… un vieux client.

Le Docteur s'arrêta de marcher et haussa un sourcil rien moins que choqué. Mais elle ne savait pas si c'était à cause de « vieux » ou de « client ». Elle eut un faible sourire.

― On ne peut pas en vouloir aux gens de manquer d'imagination.

― Clara ! Il vous a trompée sur toute la ligne ! Quand je suis arrivé et que je vous ai vus tous les deux… Il vous tenait blottie contre lui et il faisait la conversation tout tranquillement comme si vous n'étiez pas en train de sombrer dans le coma… Comme si ça n'avait aucune importance, le temps que nous perdions… Il savait parfaitement qui j'étais et que c'était moi qui lui avais pris la Fontaine. Et s'il vous a empoisonnée c'était parce qu'il avait prévu le fait que je me montrerai réticent à la lui donner. Ce n'était pas seulement vous contre la boîte, c'était votre vie contre cette maudite boîte ! Ce sombre crétin vous a administré le plus violent poison que je connaisse, un poison terrifiant car il ne laisse aucune chance de survie. Mais lui, il était persuadé d'avoir un antidote ! Il ne croyait pas qu'il vous tuerait. Simplement parce qu'il est trop stupide pour s'informer de ce qu'il fait et des conséquences de ses actes ! Comment songer un seul instant à laisser la Fontaine dans les mains d'un individu pareil ?

Soudain alarmée, Clara crispa ses poings sur les draps en les ramenant vers sa bouche.

― Docteur, dites-moi que vous n'avez pas fait quelque chose d'inconsidéré pour me sauver ! Avez-vous toujours la boîte ?

― Evidemment ! répondit-il avec un geste de colère.

Mais loin de la calmer, elle se figea alors avec un air encore plus terrifié.

― Docteur, hocqueta-t-elle soudain d'une voix blanche avec des larmes dans les yeux qu'elle retenait à grand peine, avez-vous… ouvert la boîte ? Pour… moi ?

Il la regarda la bouche ouverte mais aucun son n'en sortit. Le ciel lui tomba sur la tête à cet instant en comprenant ce qu'elle venait d'imaginer. Ouvert la Fontaine ?Il vint s'asseoir aussitôt plus près d'elle et la prit dans ses bras.

― Oh non ! Non ! Ma chère enfant ! Non ! Pas du tout.

― Mais alors ? Comment se fait-il que je sois encore en vie ? souffla-t-elle.

Il la serra gentiment contre lui en la berçant quelques instants pour qu'elle se calme, une main caressant ses cheveux. Et puis il soupira.

― Oh que j'aimerais pouvoir vous dire : Clara, Clara, je suis le Docteur, vous me connaissez, une minute avant c'est l'enfer, et une minute après : j'ai toujours la boîte, elle est toujours éteinte, cet imbécile d'Agent du Temps n'a plus de manipulateur de vortex et je vous ai sauvé la vie en faisant un miracle avec une allumette et deux bouts de ficelle…

Contre son beau veston tout neuf qu'elle était en train de tremper de larmes de soulagement et de mascara fondu, elle eut un petit sourire et marmonna :

― Vu d'ici, on dirait que c'est pourtant bien ce qui s'est passé…

― Oui je sais, dit-il en continuant à la bercer. Mais ce n'est pas moi qui ai fait le miracle. Et je suis… mortellement blessé dans mon orgueil de ne pas vous avoir sauvée proprement comme je le voulais. C'est à quelqu'un d'autre que vous devez la vie.

― Et vous comptez laver cet affront fait à votre honneur par un duel ?

― Mmh, un peu de sarcasme, vous allez mieux… se réjouit-il avec son humour froid démenti par son regard heureux. Mais si je retrouve cet individu un jour, je vais lui démonter sa sale petite tête perverse et lui passer l'envie de vous…

― Docteur, vous êtes pacifiste, le morigéna-t-elle en s'écartant de lui pour essuyer ses yeux.

― C'est un fait. Mais s'il me cherche, il va me trouver. Il ne peut pas jouer impunément avec la vie de mes amis et penser qu'il va s'en tirer sans encombre, c'est une question de principe. La bonté n'exclut pas le discernement !

Il se leva et ajouta.

― Ne bougez pas, je vais vous chercher un petit quelque chose à manger.

― Et bien ! Heureusement que je ne vous ai pas dit qu'il m'a embrassée en plus… Vous lui auriez fait sauter les dents une par une…

Il ne se retourna pas et continua tout droit vers la sortie.

― Définitivement, vous allez mieux… Mais je ne vous crois pas. S'il avait fait ça, il aurait certainement pris un furieux coup de genou et fini avec une voix de fausset !


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