L'archipel du Zygon

Chapitre 2 : Chapitre 2 : Où le Corsaire n'est manifestement pas le Corsaire

4876 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:20

CHAPITRE II

Le Docteur et Clara la fixèrent d'un air passablement stupéfait. L'air assez contrariée, elle écarta les bras et se regarda. La chemise qu'elle portait ouverte jusqu'à la ceinture il y avait encore cinq minutes, offrait désormais une vue très directe sur des pectoraux d'aspect assez différent… Elle la referma vivement et se mit à bougonner en se passant la main sur le biceps.

— Et voilà ! Qu'est-ce que c'est que ces petits bras maigres ?… Non mais de quoi j'ai l'air maintenant ?

— D'une femme, répondit sobrement le Docteur avec un air soucieux.

Le Corsaire l'ignora en essayant d'ajuster sa tenue au mieux : en resserrant ce qui devait l'être, en reboutonnant ce qui ne l'était pas, en retroussant ce qui était trop long, puis leur adressa un grand sourire, comme si tout cela n'était qu'un épiphénomène sans la moindre importance.

— Bon. Prenez place, je vous en prie ! Goûtez le raisin, vous m'en direz des nouvelles !

Le Docteur se croisa les bras en signe ostensible de mécontentement et ne prit pas place le moins du monde.

— Est-ce que tu vas me dire ce qui se passe ici ?

Elle grimaça.

— Ah bon, tu as remarqué la différence ?... D'accord. Depuis que je suis là, enfin je veux dire quand la Caravelle a été immobilisée, ça a commencé. Je crains que cette substance n'ait complètement intoxiqué ses circuits et que ça ait même une influence sur l'eau que je recycle... C'est d'ailleurs bien pour ça que je ne vous en propose pas ! dit-elle en levant sa chopine. Ça ne me fait pas mal, c'est juste déconcertant, car ça se produit n'importe quand et sans crier gare.

— Ce ne sont pas des régénérations éclair ? demanda Clara.

— Et que savez-vous donc des régénérations, jeune fille ? fit le Corsaire avec un sourire un peu distant.

— Je sais ce que j'en ai vu, répondit-elle avec l'assurance tranquille de celle qui n'était pas décidée à s'en laisser remontrer.

Le Corsaire haussa un sourcil semi réprobateur, tout en se découpant plusieurs grosses tranches de pain à l'aide du grand coutelas qu'elle portait à la ceinture. En lui balançant une œillade en biais, elle laissa échapper d'un ton faussement scandalisé qui faisait traîner les voyelles :

— Docteur ! Tu laisses voir tes régénérations à tes petits compagnons ? C'est positivement choquant et si avant-gardiste de ta part ! J'avais oublié combien tu pouvais être iconoclaste, sous tes airs de ne pas y toucher…

Elle entreprit de couper aussi du fromage et de confectionner des petits sandwichs et vint en mettre un d'autorité dans les mains de Clara.

— Corsaire, intervint le Docteur, tu sais bien que nous ne pouvons pas changer d'apparence aussi rapidement que ça sans nous régénérer et sans un certain temps d'adaptation…

Elle opina et vida son gobelet d'un trait après un toast muet dans sa direction.

— Oui, ça me dit vaguement quelque chose, ironisa-t-elle. Mais avant de m'inquiéter, je préférerais que mon vaisseau puisse se remettre de cette épreuve. Je voudrais l'emmener se ressourcer dans un endroit sympa. Une fois qu'elle ira bien, on s'occupera de moi. Le Tardis est toujours amarré ? Il ne faudrait pas qu'on le perde en route…

— Non, aucun grappin ne résistait. Tu n'as pas fait de recherches pour identifier ce nuage ?

— Tout ce que je sais, c'est que c'est une vraie cochonnerie ! Et… que nous n'allons pas ennuyer la demoiselle, avec des théories fumeuses sur le plasma carnivore…

— Oh si, je vous en prie, ennuyez-moi ! fit-elle en regardant le Docteur qui fixait son ami d'un air hiératique impénétrable.

— Ah non, si je voulais faire ça, je vous raconterais plutôt comment j'ai été adulé comme un dieu par les Assyriens…

— Et comment savez-vous que je sais ce qu'est un Assyrien ? rétorqua Clara, peut-être un peu gagnée par le doute du Docteur.

— Oh ! fit le Corsaire. A dire vrai, vous n'en avez qu'une très vague idée, mais vous êtes terrienne et vous êtes relativement érudite sur l'histoire de votre planète.

— Je vous remercie. Où est-ce écrit ?

Le Corsaire sourit en piquant un grain de raisin, puis de la pointe de son couteau, il désigna le Docteur.

— Dans sa caboche ! fit-il avant de rire. Vous ne mangez rien ? Je n'ai des soupçons que pour l'eau, vous savez…

Le Docteur croqua dans un sandwich sans doute uniquement pour se montrer suffisamment coopératif, car il dit tout de suite après :

— Moi j'aimerais bien savoir ce qu'est cette matière : une forme de vie consciente gazeuse ? Apparemment elle a besoin de se nourrir et c'est pour ça qu'elle a attrapé la Caravelle… Je remonte dans le Tardis pour effectuer quelques analyses. Parce que si on sait ce que c'est, on pourra peut-être comprendre pourquoi tu sembles osciller comme ça entre tes précédentes incarnations… J'aimerais bien que tu viennes à l'infirmerie aussi…

Le Corsaire secoua la tête et se remit debout d'un seul coup en faisait claquer ses bottes.

— Ho ho, pas question que tu joues au docteur avec moi, surtout tant que j'ai cette forme… Tu piquerais un fard en essayant de voir où est mon tatouage… Je t'accorde une heure pas plus avant de regagner l'Archipel car la Caravelle n'en peut plus ! Et pendant ce temps, moi je ferai le grand tour du propriétaire à ta jeune amie… Libre à toi de rester sur ton ennuyeux vaisseau cubique ! Puisque personne ne veut ni manger ni boire, venez jolie demoiselle. La salle des coffres est pleine de beaux bijoux qui vous iraient à ravir… fit-elle charmeuse.

Elle vit que Clara ne réagissait pas et accentua son sourire. Il faut dire qu'à lui tout seul, ce sourire-là était une arme de destruction massive. Mais cette dernière, qui avait tout de même déjà vu celui de Jack Harkness, surprit toutefois tout le monde en déclarant tout à trac :

— Je pense que le Docteur préférerait sûrement que je fasse l'analyse de la substance pendant que lui ferait un petit tour de vaisseau avec vous…

Elle fut ravie de voir la mâchoire du Corsaire s'étirer vers le bas, sous le coup de la surprise. Elle n'avait pas du tout l'air d'y croire.

— Vous êtes intelligente à ce point ? s'étonna-t-elle.

— Tu n'as pas idée ! répondit le Docteur en souriant avec un léger hochement de tête approbateur vers sa jeune amie pour marcher dans sa combine. Clara, je vous remercie de vous dévouez pour les analyses. Voilà tellement longtemps que je n'ai pas vu mon très cher Corsaire… Combien de temps au juste, mhh? Depuis cette bonne vieille présidente Flavia ? Depuis les petits ennuis que tu as eus avec la Kleptocratie ?...

— Ah baste ! Ne parlons plus de ces vieilles histoires… Parlons plutôt des nouvelles !

Même Clara sentit que cette façon d'éluder n'était pas de nature à rassurer le Docteur. Et le sourire qu'arborait ce dernier ne présageait rien de bon.

— Le Corsaire est trop bon, il fait mine de ne pas se souvenir que je n'ai jamais voulu embarquer comme mousse à son bord quand j'étais enfant !

Quand l'autre Seigneur du Temps ne releva pas l'erreur, le Docteur fut sûr que c'était un imposteur car il était impossible qu'il eut oublié les circonstances de leur toute première rencontre. En effet, lorsqu'il était tout jeune, le Docteur avait voulu s'embarquer avec le Corsaire pour découvrir le vaste univers à ses côtés et il s'était fait rembarrer et renvoyer tout penaud dans son foyer. Il avait été puni pour cela pendant une année entière.

— C'est la journée des surprises ! s'exclama Clara qui ignorait tout cela. Non seulement je rencontre un autre Seigneur du Temps mais en plus il est plus vieux que vous ! Je ne croyais pas ça possible ! Et si vous faisiez un détour dans votre grand tour, pour me déposer à la porte du Tardis ?

— Je vote pour ! fit le Docteur.

— Moi aussi, répondit Clara.

« Moaa oossii » fit une troisième voix en écho, tout à fait semblable à celle d'un perroquet.

Ils sursautèrent tous en réalisant qu'ils n'étaient pas seuls dans cette pièce, ce qui était un peu étrange car ils pensaient avoir regardé partout lorsqu'ils étaient entrés.

— Ah, te voilà toi ! Je vous présente Carcarax ! Sois poli mon beau ! Dis bonjour à nos invités !

Dans un coin de la pièce, posée en équilibre précaire sur un petit perchoir, une pauvre bête fruit des amours improbables et malheureuses entre un chat et un ara, clignait ses yeux ronds trop écartés dans leur direction et secouait ses ailes.

« Bonne jour à nos zinvités ! Crraaa ! »

.°.

Le Corsaire tendit le bras en l'air comme un fauconnier et l'animal sauta pour venir s'y poser. Pour sa peine, il se vit gratifier d'un petit morceau de raisin qu'il goba d'une façon particulièrement bizarre étant donné qu'il avait une sorte de museau-bec d'allure peu pratique.

Le Docteur s'était approché de Clara et murmura subrepticement tout bas à son oreille :

— Reconnaissez-vous cet animal ?

— Pas du tout, je devrais ?

— D'habitude c'est soit un chat, soit un perroquet, mais personnellement je vois plutôt un amalgame très inesthétique entre les deux…

— Pareil pour moi.

— Ok, remontez à bord du Tardis, branchez tous les détecteurs et tâchez de suivre nos déplacements ou de savoir s'il y a d'autres formes de vie à bord... Si je n'ai pas donné signe de vie dans une heure, vous viendrez me sortir du pétrin. Je compte sur vous !

— C'est pas un peu fini les messes basses, vous deux ? fit le Corsaire en se rapprochant pour mieux entendre. Sortons, dépêchons !

Ils prirent le petit escalier raide qui menait au pont et sortirent sous le ciel nocturne de l'espace constellé. Un peu plus loin, l'étrange étendue nébuleuse semblait plus rouge et plus menaçante que jamais. Le Corsaire avait levé le bras de nouveau pour renvoyer son animal qui alla se lover dans un tas de corde, tandis que le Docteur raccompagnait Clara vers le Tardis flottant toujours sagement tout près du bastingage.

— Je ne suis pas très tranquille de vous laisser tout seul, remarqua Clara.

— Non, votre idée était très bonne… Je pense que le but était effectivement de m'attirer ici et plus tôt nous saurons ce qui se passe vraiment, mieux ça vaudra.

— Ce n'est pas votre ami, n'est-ce pas ?

— J'ai des doutes à ce sujet.

— Je suppose que nous n'avons pas le temps d'en parler plus… Mais qu'est-ce que je pourrai faire s'il voulait juste vous attraper et qu'il prenait la fuite dès que je ne suis plus à bord ?

— Je ne crois pas que c'est ce qui se passera, mais le cas échéant, j'ai pleinement confiance dans votre ressource et votre astuce. Vous êtes apparemment très capable d'inciter le Tardis à vous aider maintenant…

Elle eut une petite moue dubitative mais qu'il ne vit pas car il rapprochait une petite caisse pour lui servir de marchepied afin qu'elle puisse enjamber le rebord de la Caravelle et revenir à l'intérieur du Tardis. Il lui fit un signe de tête encourageant une fois qu'elle fut à l'intérieur et lui désigna la console.

— Les détecteurs ! lui rappela-t-il.

.°.

LE DOCTEUR

Le Corsaire l'avait rejoint : elle tenait à la main ses bottes qu'elle avait enlevées parce qu'elles étaient devenues vraiment trop grandes et les jolis petits pieds de sa cinquième incarnation ne faisaient aucun bruit sur le bois du pont. Le Docteur suivait des yeux la petite silhouette de Clara avancer jusqu'aux commandes de son vaisseau.

— Hey, fit-elle en claquant des doigts devant son visage pour capter son attention. Tu es donc tellement accro à ta petite terrienne que tu ne peux pas la laisser cinq minutes ?

— Cinq minutes ? On n'avait pas dit une heure ? releva le Docteur.

— Façon de parler ! Viens, suis-moi, j'ai quelque chose à te montrer.

— Quelque chose de plus important que de savoir ce qui t'a retenu prisonnier tout ce temps ?

— Oui, beaucoup plus important. C'est dans mes quartiers.

— Ils sont loin ?

— Non, juste derrière la plage. C'est par là.

Lorsqu'ils furent revenus dans la grande salle à l'intérieur de la Caravelle, elle l'avait conduit par une autre porte toute proche de celle du mess, qui avait débouché sur un vaste espace intérieur. Celui-ci présentait tous les aspects d'une carte postale maritime idyllique : une petite anse de mer, un soleil éternellement couchant rougeoyant au fond de l'horizon artificiel, des cocotiers qui bordaient une jolie plage de sable blanc très fin, léchée par une eau paresseuse et violemment bleue.

— Quel charmant endroit ! commenta le Docteur. Presque romantique, non ? Pourtant d'habitude, tu ne l'es pas du tout.

— Ok ! Tu veux bien arrêter le tir maintenant ? Mes invitées apprécient ce lieu parfait pour se détendre… Mes quartiers sont au bout.

— Corsaire, puisque tu veux de la sincérité, je sais que tu me mens.

— Ah, non, ils sont bien là ! Cette ouverture, là dans la paroi rocheuse… tu vois ?

Le Docteur stoppa sa marche et attrapa le bras du Corsaire pour en relever la manche. Il était vierge de tout tatouage. Il la fixa alors d'un air furieux et déçu. Piquée au jeu, elle releva d'elle-même l'autre manche pour montrer qu'il n'y en avait pas non plus de l'autre côté.

— Ne le cherche pas, ce n'est pas là qu'il est, dit-elle le poing sur la hanche.

— Pourquoi ne pas cesser cette mascarade ? proposa-t-il. Je sais que vous n'êtes pas mon ami.

Elle considéra son air fermé avec attention, plissant ses yeux joliment fendus en amande, elle analysa son comportement distant et méfiant avant de lui répondre :

— Tu n'as jamais vraiment aimé cette incarnation, n'est-ce pas ? C'est vrai qu'elle a été un peu difficile avec toi… Mais je te trouve un peu cruel au moins pour toutes les autres. Je t'ai envoyé un message de détresse, tu ne te souviens pas ? Entre et tu comprendras pourquoi je suis en danger.

Derrière eux, l'écho d'un grand « plouf » retentit et le Docteur se retourna.

— Le bassin aquatique est peuplé ? s'étonna-t-il.

— C'est un véritable écosystème, répondit-elle un peu évasivement. Maintenant si tu veux bien cesser d'atermoyer et me suivre…

Elle pénétra dans une sorte de grotte où il la suivit en soupirant. Une fois sur le seuil, il reconnut volontiers qu'il n'était certainement pas préparé à voir un tel spectacle !

Pour commencer, le lieu trop dépouillé ne ressemblait pas le moins du monde à l'idée qu'on se faisait d'une chambre. Ses parois étaient brutes, et il n'y avait presque pas d'éclairage à l'exception d'une petite bougie sans cire comme celles qu'ils avaient vues dans la grande salle sous le pont. Il n'y avait aucun meuble, pas même un tapis ou un coussin.

Mais une chose pourtant attirait le regard. Sur un grand rocher plat s'élevant à mi-hauteur, le corps du Corsaire tel qu'il le connaissait durant sa neuvième incarnation, le géant bronzé qui les avait accueilli tout à l'heure, gisait sur le dos tandis qu'une autre version de lui-même sous la forme de sa cinquième incarnation féminine, était agenouillée à ses côtés, la tête posée contre ses cœurs qu'elle devait essayer d'écouter battre faiblement.

.°.

CLARA OSWALD

Tant bien que mal, Clara avait réussi à brancher les détecteurs sur la nouvelle console mais ne comprenait pas vraiment comment les lire. Les mises à jour qu'avait effectuées le Tardis ne s'étendaient pas qu'à la décoration. C'était beaucoup moins facile que d'allumer la caméra extérieure et d'observer ce qui se passait autour… Lorsqu'elle le fit, histoire de se donner l'impression qu'elle réussissait quelque chose, elle s'aperçut avec horreur que le « nuage » dont ils s'étaient précédemment éloignés, était tout simplement revenu vers les deux vaisseaux. Sa couleur rouge sang lui paraissait subjectivement assez menaçante et elle imagina qu'il était peut-être en colère.

Elle tenta de regarder les écrans mais ne voyait rien qui aurait pu indiquer ce que le Docteur lui avait demandé de chercher : d'une part la composition du nuage, d'autre part la localisation des formes de vies sur la Caravelle.

— Tardis, je suis navrée de te devoir le redemander, mais je crois que j'ai besoin d'aide pour déplacer les deux… euh… bâtiments… La chose rouge à l'extérieur me paraît mal intentionnée et je crains qu'elle ne s'imagine que la Caravelle et toi vous soyez bonnes à manger…

Elle ne pensait pas avoir une réponse aussi rapide. Le Tardis fit vaciller son éclairage en signe d'approbation et matérialisa non loin d'elle une silhouette très familière qui la fit sursauter et lui mit les larmes aux yeux. Au lieu de son propre double holographique habituel, le vaisseau venait de choisir une image du onzième Docteur pour servir d'interface.

Elle porta la main à sa bouche, car l'espace de trois brèves secondes, en un mouvement instinctif, elle avait failli se précipiter vers lui pour le serrer dans ses bras.

Comme toujours, l'hologramme n'avait pas l'air spécialement chaleureux mais elle devinait bien que cette nouveauté était sans doute un effort pour se montrer plus agréable. Il alla se poster aux commandes et répéter des gestes qu'elle lui avait vu faire des dizaines de fois mais sans jamais parvenir à en mémoriser la séquence, puisqu'elle ne connaissait ni le processus ni la fonction de chaque composant du tableau de bord. Bien entendu le Tardis n'avait aucun besoin d'un hologramme lancer une petite séquence de vol, mais il devait anticiper qu'elle aurait des questions…

Elle ne se rendit pas tout de suite compte que ses larmes coulaient. Mais quand l'interface se tourna vers elle et demanda la raison de cette humidité, elle s'essuya vivement les yeux sans répondre.

— Nous sommes hors de portée de l'entité maintenant, déclara l'hologramme.

— Tardis, est-ce que tu sais ce que c'est et pourquoi ça mange la Caravelle ? interrogea-t-elle pleine d'espoir.

L'hologramme se retourna pour lui faire face, un peu raide, les bras le long du corps. Elle ne pouvait s'empêcher de le dévisager, attendant vainement de le voir se frotter les mains ou les agiter maladroitement autour de lui tout en parlant, guettant encore un éclat dans son œil à la fois sombre et malicieux, caché sous ses cheveux souples.

— Cet organisme est primitif et vivant. Il s'agit d'un banc constitué de millions de petites unités. Il se nourrit d'énergie principalement. La matière est une énergie peu adaptée pour lui, mais il peut s'en contenter.

— Est-ce qu'il se nourrit de toute l'énergie de la Caravelle ?

— Pas uniquement. Il se nourrit aussi de l'énergie des passagers, car c'est une légion d'affamés.

Plus troublée par l'hologramme qu'elle n'était prête à le reconnaître, Clara s'appuya sur la console et tenta de réfléchir quand même.

— Est-ce que selon toi les régénérations du Corsaire sont anarchiques parce qu'il est affaibli en permanence par le nuage rouge ?

— Ce que vous avez vu n'est pas un Seigneur du Temps mais un imitateur. Cette créature a effectivement du mal à maintenir son apparence en raison de l'affaiblissement causé par les légions voraces. Le Corsaire et le Zygon sont prisonniers et esclaves des affamés.

— Il y a un Zygon qui a pris la place du Corsaire ! Ah le Docteur avait raison de se méfier… Je sais que j'en ai déjà rencontré mais je ne me souviens pas bien de tout. Est-ce qu'il y a un danger pour le Docteur ?

L'interface s'autorisa un faible sourire empreint d'une certaine patience.

— N'est-ce pas toujours le cas ?

— Mais le Corsaire est sauvé maintenant que nous avons fui, n'est-ce pas ?

— Non.

Clara fut bien obligée d'attraper le regard un peu vide de l'hologramme dans l'espoir qu'il se montrerait plus spontanément causant. En réalité, elle devait vraiment lui tirer les vers du nez. Il répondait mais ne livrait pas de lui-même les informations les plus cruciales dont elle aurait pu avoir besoin.

— La Caravelle a-t-elle toujours des représentants de la nébuleuse vorace en son sein ?

— Evidemment.

La nouvelle lui fit l'effet d'une claque. Elle avait espéré que le fait de s'éloigner du banc de voraces améliorerait de fait la situation mais rien n'était si simple, apparemment.

— Y a-t-il à bord d'autres créatures vivantes susceptibles de poser des problèmes, comme cet animal étrange qui s'appelle Carcarax ?

— « Carcarax » n'est qu'une illusion malhabile générée par le Zygon pour tromper vainement le Docteur. Il y a un petit Skarasen à bord, répondit l'interface.

— C'est dangereux un « scarasène» ?

— Pas trop à cette taille. Il est protégé à la fois par sa peau très résistante et par l'eau dans lequel il vit. De ce fait, il n'est pas sujet à l'emprise des petites créatures voraces, c'est la raison pour laquelle le Zygon est en meilleure santé que le Corsaire : sa source alimentaire n'est pas corrompue, car il se nourrit de son lait.

— Nous avons mangé à bord de la Caravelle, sommes-nous contaminés ?

— Très peu : votre exposition est encore faible.

Clara poussa un long soupir inquiet et déglutit, mal à l'aise à l'idée qu'elle pourrait être malade en même temps que le Docteur et dans l'incapacité de l'aider. Comment allaient-ils en être affectés ?

Elle considéra l'hologramme avec angoisse et résignation, soudain déprimée par toutes les mauvaises nouvelles qu'elle était en train d'apprendre, comme de constater que cette apparence de l'interface, pauvre simulacre à peine crédible, ne la réconfortait finalement pas du tout. Elle n'aurait jamais cru que les pieux mensonges du Onzième lui manqueraient autant.

— Tardis ? reprit Clara. A ta connaissance, le Zygon et les petites créatures rouges se sont-ils alliés ?

— Les Zygons sont fourbes par nature. Toutefois, celui-ci n'est pas ordinaire et il est tout autant victime de la situation. Mais il a dû prendre conscience que si le Corsaire mourait, il serait seul face aux affamés.

— C'est pour ça qu'il a attiré le Docteur ? Pour trouver un remplaçant au Corsaire ? s'inquiéta-t-elle.

— Probablement. En tous cas, s'il échoue dans son sauvetage.

Elle serra les poings, furieuse de constater que dans son plus pur style, le Docteur s'était lancé tête la première dans un piège qu'il pressentait pourtant. Cependant, elle n'oubliait pas que s'il savait que le Corsaire était mort ultérieurement sur sa propre ligne temporelle, il pouvait avoir présumé qu'il allait forcément s'en sortir.

— Comment la Brume rouge nous affecte-t-elle ? Allons-nous être malades ?

— Oui plus tard. Elle vous poussera les uns contre les autres pour avoir plus d'énergie.

Clara fronça les sourcils.

— Tu veux dire que nous allons nous battre et nous disputer parce qu'elle mangerait l'énergie de notre colère ?

— C'est une possibilité.

— Je ne comprends pas… Quelles autres possibilités y a-t-il ?

L'interface qui avait la forme du onzième Docteur lui sourit d'un air à peu près embarrassé.

— Les formes primitives de l'énergie psychique sont à l'œuvre, répondit-elle comme si ça expliquait tout, avant de disparaître sans autre forme de cérémonie.

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