Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 6 : C6 : La chasse au lapin

6256 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 13/03/2015 19:24

CHAPITRE VI

MARTHA JONES-SMITH

Martha avait trouvé le moyen de bloquer l’accès du hangar 2 en poussant devant plusieurs étagères dont elle avait ensuite saboté les roulettes. Si la bestiole sortait de là, elle serait au moins un peu ralentie par l’amoncellement devant la porte. Elle frissonnait en repensant à cette énorme masse velue dont les yeux orangés étincelaient d’une lueur quasi électrique. La bête avait l’air… en colère. Mais pourquoi ? Que voulait-elle ? Et surtout comment était-elle arrivée là ?... Il était facile d’embarquer par mégarde des petites créatures comme les cagals qui se cachaient dans les caisses de matériel alors qu’ils ne dépassaient pas la taille d’une petite souris. Mais des choses aussi énormes ?...

Tout en continuant à réfléchir, elle était retournée vers la salle des moteurs où elle se trouvait avant l’arrivée du Docteur. Elle savait y avoir laissé une caisse à outils en plastique rigide qui ferait une cage parfaite pour les deux petites boules de poil qui s’étaient endormies dans ses bras. Elle essaya de ne pas s’attendrir et continua à se concentrer sur le plus gros problème. Comment les deux monstres avaient-ils pu monter à bord ?

Possibilité numéro un, ils avaient été téléportés. Malheureusement aucun vaisseau ne croisait dans ce secteur de l’espace peu fréquenté et à moins d’un vaisseau possédant des boucliers occultants, la seule possibilité était le Tardis qui venait d’arriver. Bien que le Tardis soit véritablement énorme sous sa forme originelle et qu’il aurait pu facilement abriter les deux monstres poilus et furieux, le Docteur se serait vite rendu compte de certains dysfonctionnements s’ils avaient été à bord… Peu plausible.

Possibilité numéro deux, comme les cagals, les deux monstres avaient été embarqués au cours de l’une des escales mais… à ce moment ils étaient probablement plus furtifs ou plus petits. En caressant machinalement la tête d’un cagal, Martha fut soudain frappée par une idée terrifiante… Elle souleva l’un des petits animaux face à elle et le regarda très attentivement. Il ouvrit un œil qu’il cligna paresseusement sans manifester la moindre peur. Objectivement, ce petit animal était juste mignon.

Comme elle arrivait en vue de la salle des machines, elle repéra sa caisse à outils près de la porte. Rangeant les petites bêtes dans la poche ventrale de son uniforme de travail, elle entreprit de vider les outils dans un tiroir proche et déposa la première  petite créature dedans en vérifiant qu’elle pourrait respirer. Elle plaçait la seconde à côté quand elle entendit soudain un craquement puis une sorte de grondement. Elle se retourna.

Martha ferma la caisse à outils d’un coup sec et la garda à la main. Le monstre était face à elle, il grondait affreusement mais paraissait comme hésitant pour une raison qu’elle ne comprenait pas et qu’elle ne chercha pas à élucider pour le moment. Elle emprunta un escalier raide qui conduisait à une passerelle faisant le tour de la salle des machines.  Rester ici avec ce mastodonte était extrêmement dangereux. Au moindre mouvement qu’il faisait, à l’instar d’un éléphant dans un magasin de porcelaine, il pouvait endommager les moteurs et toute leur mission serait sévèrement compromise. Bien sûr il y avait le Tardis, qui pourrait les rapatrier s’ils perdaient le vaisseau et sa précieuse cargaison, mais il valait mieux essayer de faire en sorte que le bestiau n’abime rien. Il fallait qu’il sorte de cette pièce bien trop stratégique.

Si Martha choisissait de s’enfuir par l’une des portes de la passerelle aérienne, il pourrait vouloir la suivre… Comme maintenant. A chaque pas lent qu’elle faisait il ne la quittait pas des yeux et semblait prêt à attaquer. Qui sait ce qu’il ferait si elle disparaissait par l’une des portes ? Elle craignait qu’il ne saccage tout. Aussi, alors même que son instinct lui recommandait de s’enfuir par la première issue, elle se força à rester calme et elle chercha où elle pourrait se placer pour que les moteurs soient épargnés au maximum…

Elle progressa doucement sur la passerelle et le monstre poilu fit mine de se redresser sur ses puissantes pattes arrière, lançant une patte avant dans l’espoir probable de la faire tomber de la passerelle. Martha pressa le pas en essayant de contrôler sa peur. Elle prit le fusil paralysant dans son dos et posa la caisse à outils contenant les cagals pour engager plusieurs fléchettes tranquillisantes dans le chargeur. Il ne pouvait hélas pas en contenir plus de trois. Elle doutait que ce soit suffisant vu la masse de l’animal. Mais il fallait essayer, au moins pour le ralentir, l’étourdir cinq minutes, juste pour se donner un peu d’avance.

L’arme au poing, elle rapprocha la caisse de sa jambe et activa la radio de l’autre main.

.°.

LES SMITH

― Ici Martha, avis à tous les passagers, l’un des monstres est avec moi dans la salle des moteurs, il ne me lâche pas d’un pouce et je vais essayer de le ralentir en lui envoyant autant de tranquillisant que je pourrai. Il ne doit pas rester dans cette pièce… Oh, non ! (Elle s’interrompit brièvement et reprit aussitôt). Je répète, il ne doit pas rester dans la salle des machines, il émet des arcs électriques ! J’ai besoin de renfort !

Mickey et le Docteur venaient d’arriver au poste de commande quand cet appel avait résonné.  Ils n’y avaient pas passé deux minutes. Suffisamment pour que Mickey aille saluer la nouvelle venue en écoutant le rapport que lui faisait son fils.Elle était toute menue et possédait un visage charmant qui pour l’instant affichait une grande concentration.

Bonjour, navré j’ai été retardé. Je suis Mickey Smith. Il paraît que vous avez sorti la liste complète des marchandises ?

Elle lui jeta un coup d’œil appréciateur, hocha la tête et lui tendit un listing de trois pages pendant qu’elle continuait à taper quelque chose sur l’ordinateur qu’elle avait emprunté.

Je suis Clara et j’ai autre chose à vous proposer, si ça vous intéresse… Si vous avez encore une seconde, le temps que j’imprime… je pense que ça pourrait vous être utile…

Mickey vint se placer à côté d’elle pour regarder par-dessus son épaule, et un grand sourire se peignit sur ses lèvres…

Hey hey, fit-il avec l’œil brillant et une nuance admirative dans la voix, votre genre c’est le style petite futée, hein ? Le Docteur aime les femmes intelligentes qui peuvent le suivre à peu près sur ce terrain...  

Il alla attraper au vol les nouvelles feuilles qui sortaient de l’imprimante et tapa sur l’épaule de Ricky en guise de signal de départ.

Je peux vous laisser ici dix minutes ? leur lança-t-il à tous les deux. Ricky et moi nous allons donner un coup de main à Martha et on revient.

Le Docteur se campa sur ses pieds et dit avec un rien de colère détectable :

Et pourquoi est-ce qu’on ne vient pas avec vous ? Est-ce que subitement deux cerveaux ne valent pas mieux qu’un ?

Ho-ho ! fit Mickey en poussant son fils du coude avec un brin d’autodérision. Ta mère va devenir impossible lorsqu’elle apprendra qu’elle est le 2e cerveau… Dix minutes, promis. Vous restez là. Par contre Docteur, je veux bien que vous rappeliez ici le scan thermique de tout à l’heure. Peut-être que vous pourriez nous indiquer où se trouve le second machin si jamais il fait mine de rappliquer avant qu’on ait fini le sauvetage de Martha... Je suppose que je n’ai pas besoin de vous remontrer ce que j’ai fait tout à l’heure, n’est-ce pas ?

Non, c’était simple, maugréa le Docteur en le regardant partir d’un air perplexe.

Clara avait étouffé un sourire. Cette famille était vraiment sympathique. Ils s’arrangeaient ostensiblement pour qu’elle reste seule avec le Docteur.

.°.

Ricky essayait d’avoir l’air brave en courant vers la salle des moteurs mais au bout d’un moment, il n’y tint plus :

Tu crois qu’elle s’en est tirée, Maman ?

Mickey émit un petit rire sec.

Fiston, ça fait un moment que je la connais ta mère… et à ta place je m’en ferai plutôt pour la bestiole. C’est une vraie tigresse !

Ricky eut l’air gêné et rougit.

C’est de ma mère dont tu parles ! Arrête ! Je déteste quand vous faites ça !

Quand on fait quoi ? demanda-t-il en rentrant en trombe dans la salle des machines où ils venaient d’arriver.

Quand vous faites comme si vous aviez toujours vingt ans et que vous jouez les amoureux avec des allusions que j’aimerais mieux ne pas entendre… ronchonna Ricky.

Au milieu de la pièce, le mastodonte reposait sur un flanc, immobile. Grimpée à son sommet, Martha avait tout de la déesse de la victoire triomphante, penchée sur ce qui aurait pu être son épaule.

Qu’est-ce que je te disais ? rétorqua-t-il à mi-voix à un Ricky soulagé de voir qu’elle allait bien. Le truc est à terre et elle a le dessus… Je n’invente rien. Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il à sa femme un plus fort.

Ah pas trop tôt ! J’ai failli attendre… Il est tombé au bout de la quatrième fléchette… J’espère qu’on aura assez de produit pour l’autre… Je suis en train de lui prélever un peu de sang pour voir si on peut rechercher ce que c’est par ce moyen.

Le Docteur pense que c’est peut-être un autre parasite qu’on aurait pu embarquer en même temps que les cagals et qui aurait pu être exposé à une radiation ou une manipulation génétique quelconque antérieure à son embarquement…

Mhh-mhh, fit Martha en empochant les flacons de sang marron qu’elle avait soutiré à l’animal. L’analyse nous en dira davantage, j’aimerais bien vérifier une théorie.

Elle sauta à terre d’un mouvement souple, comme si les années et l’arthrose n’avaient pas de prise sur elle. Le regard de Mickey fut empli de tendresse et de fierté. Et Ricky lui balança un coup de coude dans les côtes qui devait signifier «Vous recommencez là ».Mickey s’en fichait. Il avait épousé une héroïne.

Et comment fonctionne le plan ? demanda-t-elle avec un grand sourire.

Ils sont tout seuls tous les deux au poste de pilotage. J’ai dit au Docteur qu’il devait rester là pour nous indiquer où était l’autre mocheté grâce au scan thermique… Désolé, sur le moment je n’ai pas trouvé mieux.

Non, c’est pas mal. Est-ce que tu pourrais t’occuper de le mettre dans un hangar vide avec Ricky ? C’est un travail pour des hommes forts et musclés… dit-elle en regardant ostensiblement vers son fils.

Bien essayé, maman, mais ça ne prend pas ! C’est toujours moi qui fais les corvées… bouda-t-il.

― Mais non Ricky, commenta Mickey avec un air philosophe, tu sais très bien que c’est juste nous deux… Clara est une petite maligne, ajouta-t-il à l’attention de sa femme en sortant le second listing. Elle a utilisé le programme de chargement automatique pour réattribuer les containers les plus gros et les déplacer en se servant des deux hangars vides comme d’une zone tampon. Maintenant nous avons en fait trois hangars à disposition, c’est plus qu’il n’en faut pour y parquer les deux bestioles. Ça m’étonnerait qu’on puisse en caser deux dans un seul hangar. Le temps d’arriver avec le second, l’autre se sera réveillé et chargera si nous essayons d’ouvrir la porte… Il faudra les séparer. Maintenant la question que je me pose, c’est comment on va le déplacer jusqu’au prochain hangar vide ?

Martha acquiesça.

Ah, alors c’est ça que j’ai entendu, tout à l’heure ? Les automates ont déplacé le chargement ?... C’est excellent ! Le problème, c’est que nous n’avons pas beaucoup de temps avant le réveil de celui-ci et que l’autre court toujours. Il faudrait que je passe à l’infirmerie pour vérifier la composition de ce sang… Je voudrais savoir si les cagals et ces trucs sont apparentés…

Des cousins très éloignés alors, lâcha Ricky un peu sarcastique.

Quelle est ton idée ? demanda Mickey tout à fait sérieusement.

Et bien, les bébés cagals sont les seuls parasites qui ont pu échapper à la biodétection quand nous avons chargé la marchandise… S’il y avait eu autre chose nous l’aurions su…  Je me suis demandé si ces monstres ne seraient pas tout simplement des cagals adultes. Les petits de beaucoup d’espèces sont parfois éloignés de ce dont ils pourraient avoir l’air une fois devenus grands…

Ouais ça vaut le coup de vérifier, concéda Mickey. Alors on fait ça. Toi tu analyses le sang, Ricky et moi on va trouver un moyen de trainer celui-là.

Elle commença à s’en aller pour se rendre en direction de l’infirmerie quand Mickey l’arrêta.

Euh, chérie ? Je voulais te dire prévenir aussi que… je lui ai dit pour Torchwood.

Martha ouvrit la bouche et fit une petite grimace silencieuse qui signifiait à peu près « Mais tu n’es pas dingue d’avoir fait ça ? ».

Oh ! Et… comment il a pris la chose ?

Avec assez de consternation.

Je ne le voyais pas tellement réagir autrement, dit Martha avec une expression fataliste. Il faudra qu’on en reparle dès qu’on peut. Je file à l’infirmerie. Je te recontacte avec les résultats.

.°.

CLARA OSWALD ET LE DOCTEUR

Le Docteur et Clara écoutaient toute la conversation depuis le début avec beaucoup d’intérêt. Dès qu’ils s’étaient retrouvés  seuls, il avait argumenté que le comportement de ses amis était bizarre et qu’il préférait avoir l’œil (ou l’oreille) sur eux. Il avait juste eu à ouvrir la radio. Clara savait pourquoi ils agissaient ainsi et le Docteur l’aurait su aussi s’il avait été un peu plus humain, aussi n’avait-elle que faiblement protesté contre ce genre d’écoute illégale.

Zut, ça commençait à devenir très intéressant ! regretta-t-il. Je crois que l’idée de Martha est bonne à creuser. Je me suis demandé pourquoi les grosses bestioles étaient furieuses. A part ça il faut vraiment leur trouver un nom parce que grosse bestiole ça ne fait pas très sérieux…  Mickey a proposé « crise sanitaire », j’avoue que j’aime son nouvel humour. Au fait, vous lui avez donné quoi tout à l’heure ?

Ricky ne me laissait rien faire, donc j’ai proposé à la première occasion de lui tirer les bordereaux d’embarquement des marchandises. Une fois que j’ai vu comment marchait leur programme, je l’ai utilisé pour réaffecter les plus gros containers et optimiser l’espace pour essayer de libérer de la place. J’ai passé mon enfance à jouer à Tetris, ça s’est avéré payant au bout du compte…

J’adore Tetris, commenta le Docteur avec un sourire nostalgique, c’est tellement stressant quand les cubes tombent de plus en plus vite et qu’ils s’empilent n’importe comment parce qu’on n’a plus le temps de les retourner…

J’avoue que c’est un peu difficile de vous imaginer jouer à ça !

Comment croyez-vous que je maintiens mes niveaux d’adrénaline quand il ne se passe rien ?

Clara le regarda un peu surprise et constata qu’il n’était pas sérieux.

Vous étiez en train de blaguer là ?

Quoi, j’étais si pitoyable ?

C’est rien de le dire, opina-t-elle avec un sourire qui démentait ses paroles.

Il soupira et la regarda intensément pendant une longue minute au point qu’elle se sente légèrement mal à l’aise.

Clara, je crois que nous devrions partager nos informations…

Je n’ai rien contre. Vous commencez. Qu’avez-vous fait depuis qu’on vous a laissé dans le Tardis ?

Il pencha la tête de côté, et s’appuya contre le bord de la console de commande du cargo avec l’air de chercher un peu.

Voyons voir… J’ai retrouvé le traceur de biosignes que j’avais perdu depuis 488 ans à un endroit où je n’avais jamais eu l’idée de le chercher, je me suis fait assaisonner par Mickey parce que je ne suis pas très démonstratif, nous avons été poursuivis par la « crise sanitaire » que le traceur avait tout à fait bien su tracer, on s’est retrouvés enfermés dans une chambre froide dont la porte pouvait résister à une explosion nucléaire (mais probablement pas les murs), contre toute attente on s’en est sortis car vraisemblablement les Smith se sont déjà trouvés enfermés là-dedans et ont décidé que ça ne devrait plus jamais arriver, nous avons rampé jusqu’à une cache secrète bourrée de matériel et d’armes où Mickey m’a appris qu’il dirigeait désormais l’institut terrien dont la vocation était d’éliminer toute menace alien sur la Terre – moi compris, et nous vous avons rejoints ici. Et vous ? En avez-vous appris un peu plus sur l’espèce de conspiration qui se trame par ici ?

Quelle conspiration ? s’étonna-t-elle.

Pourquoi me tiennent-ils éloignés de ce qu’ils font ?! Je veux les aider ! Ils se comportent comme s’ils pensaient comme Ricky que je suis un vieux schnok perclus plus bon à rien… Mais je suis en pleine forme ou je le serai  très bientôt ! Dans vingt-quatre heures les derniers effets de la régénération seront normalisés…

Ils ne vous tiennent pas éloignés de ce qu’ils font, objecta Clara. Ils suivent vos directives en les réinterprétant. Vous avez dit à Martha que vous pensiez que j’avais besoin de parler avec elle. Pourquoi d’ailleurs sommes-nous aller trouver Martha plutôt que Sarah-Jane ? Premier mystère. Il est évident pour eux que vous êtes et restez le Docteur. Ils ne veulent pas se passer de vous, ils veulent vous montrer que vous pouvez toujours compter sur eux, malgré le temps, malgré leur âge – s’ils ont bien l’âge qu’ils prétendent avoir (deuxième mystère) et malgré le fait que vous vous soyez désintéressé d’eux. Ils veulent que vous soyez fier d’eux parce qu’ils se sentent incarner votre héritage. Peut-être que le Tardis nous a conduit vers eux parce qu’ils sont tous les deux des Sarah-Jane que vous avez laissé derrière vous lorsque vous êtes sorti de leurs vies. Et je me demande si vous envisagez de me préparer à un destin similaire.

Il sursauta en entendant sa dernière phrase. Et il secoua la tête négativement.

Pas du tout. Si vous le pouvez, je souhaiterais que vous m’accompagniez encore pendant quelques voyages…

Combien à peu près ?

Il haussa un sourcil, un peu impatienté.

Combien, combien…  Je n’en sais rien. Je n’ai pas un chiffre précis en tête… Vous avez bien dû remarquer que même avant ma régénération, j’essayais de ne pas vous solliciter trop souvent, pour vous permettre de vous installer dans votre vie… Dans la vie que vous menez quand vous n’êtes pas dans le Tardis. Vous avez trouvé ce poste d’enseignante… Peut-être aurez-vous envie de vous marier et d’avoir des enfants… comme Martha ? ajouta-t-il le plus légèrement qu’il put. C’est dans l’ordre des choses.

Clara se croisa les bras.

Vous avez souvenir que j’aie exprimé quoi que ce soit qui aille dans ce sens ? Me marier et avoir des enfants ?

Vous êtes merveilleuse avec les enfants… Vous n’en voulez pas ? s’étonna-t-il.

Elle lui sourit légèrement et dit :

Et donc là je suppose que ce n’était pas une proposition… Disons que sans avoir trouvé l’homme qui pourrait faire un bon père pour eux, je suis d’avis de patienter.

Il se leva sans et s’approcha d’elle, un rien accusateur.

C’est bien ce que je disais ! Comment le rencontreriez-vous si vous n’êtes jamais sur Terre et que vous n’avez pas de vie normale ? Est-ce que vous croyez que je ne me souviens pas que vous en étiez réduite à me faire passer pour votre petit-ami auprès de votre famille ?

Clara éclata de rire malgré elle.

Docteur, je me souviens très bien que vous ne vous êtes pas du tout fait prier et que vous n’en avez pas non plus fait toute une affaire. A cette époque, avec ou sans vêtements, vous aviez de quoi faire un petit ami tout à fait crédible.

Avec ou sans vêt… ?

Il s’interrompit, se remémorant soudain à quel épisode très précis elle faisait présentement allusion.

 Oh, on allait à l’Eglise ! grogna-t-il. Ce n’est pas moi qui ai inventé les règles de demande d’audience à l’Obédience Papale. Et si vous voulez, je peux vous promettre que ça n’arrivera plus !

.°.

Ricky choisit ce moment pour passer une tête dans l’encadrement de la porte, les pouces levés, faussement jovial et véritablement mal-à-l’aise comme en attestaient ses pommettes roses.

Faites comme si je n’étais pas là… Continuez à vous disputer, je ne fais que passer... J’ai juste besoin d’accéder au scan thermique pour dire à Papa où est le deuxième monstre. Nous voudrions arriver à l’isoler dans un autre hangar mais il se montrera peut-être réticent.

Le Docteur  se retourna vers Clara et dit :

Vous m’accordez un instant ?

Naturellement, répondit-elle tout aussi poliment.

Le Docteur s’approcha du garçon qui avait pris place devant un écran pour consulter les relevés.

Ricky, je pense que votre mère a eu une bonne intuition, est-ce qu’elle a terminé ses analyses ?

Non pas encore. Sur un cargo, le matériel n’est pas dernier cri…

Bon à tout hasard, je suggère si elle a bien raison, ou partiellement raison, que vous attrapiez un petit cagal. Il semble qu’elle en ait eu avec elle lorsqu’elle a été attaquée et j’ai repéré tout à l’heure avec votre père qu’il y en avait dans le couloir où nous nous trouvions aussi quand nous avons vu le nôtre… Si ça se trouve, ils nous attaquent parce qu’ils ont tout simplement peur pour leurs petits… et ce n’est pas un hasard si on trouve un « monstre » à chaque fois qu’on se trouve à proximité de vos charmants petits lapins… Si vous en attrapez  quelques-uns et que vous les mettiez dans le hangar désiré, peut-être le gros y viendra tout seul…

Ricky le regarda de côté avec des yeux exorbités et dit d’un ton plus que dubitatif :

Ou peut-être que vous venez de la planète Bisounours et que les monstres sont juste des prédateurs auxquels nous allons simplement offrir d’innocentes créatures sur un plateau…

Le Docteur se redressa d’un air pensif et admit :

Je ne suis jamais allé sur la planète Bisounours, mais pour le reste de votre argumentation, vous marquez un point ! Pourquoi n’y ai-je pas songé plus tôt ?

Ricky trouva la force de ne faire aucun commentaire désobligeant parce qu’il se sentait heureux qu’on puisse reconnaître que son avis soit judicieux. Au moins une fois.Il ralluma la radio pour avertir ses parents.

Papa, maman ? Le gros qui reste est à proximité du hangar 7. Le Docteur se demande si les monstres ne seraient pas, pour une raison ou une autre, en train de pister eux aussi les cagals. A ce titre, il suggère que nous en mettions dans le hangar où nous voulons l’attirer.

― Bien reçu, fit la voix de Mickey. Tout se passe bien chez vous ?

Super bien, commenta Ricky en grinçant des dents, ils se disputent en parlant d’aller nus à l’Eglise, mais je reconnais que j’ai arrêté d’écouter après…  Je suis entouré d’une bande d’adultes dégénérés et tout-va-bien !

La voix de Martha résonna à son tour.

― Ricky, je t’ai déjà dit que discuter de religion ne menait qu’à des chamailleries… L’Eglise naturiste ne nous regarde pas… Les analyses seront terminées dans cinq ou dix minutes j’espère. Je te suggère de faire un crochet par l’infirmerie. J’ai gardé les deux petits cagals que j’ai trouvés avec Clara. Ils n’ont pas trop aimé la prise de sang, mais si vous en voulez deux, autant prendre ceux-là plutôt que de courir partout pour en attraper d’autres.

Et nous, on ne vient toujours pas ? voulut savoir le Docteur.

Clara releva avec assez de satisfaction qu’il avait dit « nous ».

― Inutile, dit Martha, je reviens vers vous pour vous montrer les analyses et je suppose que vous voudrez peut-être ensuite utiliser le Tardis pour remorquer les hangars dans un endroit propice une fois qu’on aura trouvé ce que c’est… Car je me doute que vous serez contre le fait qu’on leur fasse du mal…

Ah oui, ce serait vraiment très bien, commenta le Docteur d’un air ravi et soulagé.

― Alors à tout de suite. Terminé, dit Martha.

― J’attends Ricky, dit Mickey. Et s’il pouvait venir avec une ou deux autres fléchettes tranquillisantes, je n’ai rien contre, car il a l’air vraiment vraiment gros… Terminé.

Le jeune homme se leva.

Il faut que j’y aille, comme on dit « le devoir m’appelle »… fit il en balançant les bras et en claquant les doigts.

Je peux vous prêter mon traceur si vous voulez, dit le Docteur qui l’avait gardé à la main. Quand vous vous baladerez tout seul dans les couloirs avec deux petits cagals très attirants avec vous, vous aimeriez peut être savoir si un…

C’est bon, je le prends ! fit le gamin en filant sans demander son reste.

Hey ! cria le Docteur, mais je ne vous ai pas montré comment ça marche !

Non mais c’est bon, votre antiquité, ça ne doit pas être bien sorcier à piger, fit la voix déclinante de Ricky au bout du couloir.

.°.

La jeunesse ne respecte rien ! soupira le Docteur en s’asseyant dans le fauteuil que le jeune garçon venait de quitter.

Mais qui n’est pas jeune, à votre échelle ? commenta Clara.

Il la regarda en souriant comme si elle avait touché juste. Il fit virevolter la chaise sur son pivot en un manège improvisé.

Et où en étions nous de notre dispute ?

Vous étiez en train de vous demander si le fait de vous promener tout nu en vous faisant passer pour mon petit ami avait un impact négatif sur ma vie amoureuse…

Il lui adressa une œillade pleine de reproches.

Clara, ne faites pas cela. Ne jouez pas avec moi. Ça ne marchera pas.

Vous voulez dire que ça ne marchera plus ?

Il soupira, l’air embarrassé.

Vous êtes impossible ! dit-il en songeant qu’elle méritait plus que jamais son surnom.

Allons… Nous avons toujours eu ce type de rapports légers et totalement sans conséquence, insista-t-elle. Et vous ne vous en êtes jamais plaint...

Je suis un homme différent aujourd’hui, répondit-il patiemment. Essayez de le comprendre ainsi : la régénération sauvegarde mon âme et mon esprit, mais pour ce qui est du corps et des sentiments, ils changent. Je ne ferais pas forcément les mêmes choix qu’avant, aujourd’hui.

Vous apparaissent-ils… critiquables,  vos choix d’avant ? s’enquit-elle doucement, heureuse de pouvoir enfin avoir une conversation plus personnelle.

Je ne saurais critiquer des choix que je comprends intimement pour les avoir pesés le plus murement et le plus justement possible en fonction des circonstances. Mais… parfois je suis accessible au regret même si je sais pertinemment que c’est inutile. Par exemple, lorsque vous m’expliquez comment vous comprenez l’attitude de mes amis, et me dites qu’en définitive, ils font tout pour continuer à essayer d’impressionner quelqu’un qui les a techniquement abandonnés et qu’ils aiment toujours malgré tout…

Que voulez-vous dire par « techniquement » ?

Il la regarda avec une franchise désarmante, ses yeux d’aigue-marine troublée brillants d’émotion, hésitant à parler ouvertement. Comme il se rendit compte de l’attention accrue qu’elle lui portait, il clôt à demi ses paupières.

Je veux dire que c’est ce dont ça a l’air, factuellement. Mais intérieurement, chaque personne qui a voyagé avec moi est toujours avec moi et possède ma gratitude éternelle. Ça a l’air d’un cliché de dire que même morts depuis des siècles, ils vivent encore dans mon souvenir et jusqu’au jour où je m’éteindrai moi-même.

Clara s’immobilisa un instant en voyant une forme translucide à l’arrière-plan du Docteur, à moitié intriquée dans la console, comme si elle était apparue au mauvais endroit.

Docteur, demanda-t-elle d’une voix blanche, est-ce que vous pensez à quelqu’un de précis quand vous dites cela ?

Pourquoi ?

Et bien parce que je dirais qu’il y a… comme un genre de fantôme derrière vous !

Laisser un commentaire ?