Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 7 : C7 : Ghost in the shell

7071 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:22

CHAPITRE VII

CLARA ET LE DOCTEUR

Il n’eut pas le temps de se retourner que la forme translucide avait déjà disparu. A peine avait-il entraperçu quelque chose du coin de l’œil, ce qui lui permettait de ne pas avoir à mettre en doute les perceptions de son amie.

Je l’ai manqué ! Avez-vous eu le temps de voir ce que c’était ? Pouvez-vous faire une description ? demanda-t-il avec un enthousiasme qui pour le coup semblait plus que familier.

Vous allez être déçu : je n’ai aperçu qu’une forme lumineuse pas très distincte, mais qui m’a semblé humanoïde… Enfin, une tête, un corps, deux bras... Pour les jambes, rien de sûr parce qu’elle était au beau milieu de la console de pilotage.

Quelle couleur la lumière ? A peu près quelle stature ? Et qu’est-ce qu’elle faisait ?

Je pense que ça n’a pas eu le temps de faire grand-chose... On aurait dit que ça commençait à se matérialiser. Soit quelque chose a raté, soit c’est timide. Pour la couleur, c’était pâle, blanc, avec peut-être un peu de jaune. La taille, si vous aviez été debout, ça m’aurait aidée. C’était un peu plus grand que moi.

Je n’imagine pas un seul instant que ce facteur bizarre ajouté à ce qui se passe ici soit totalement indépendant… On a le Tardis qui a refusé de nous emmener à la destination prévue, des bestioles géantes probablement mutantes et d’origine inconnue, des amis à moi sur-enthousiastes qui accomplissent des choses que je ne les ai jamais vu faire, et maintenant un fantôme un peu timide.

Dans mon souvenir, la théorie officielle était qu’il n’y a pas de fantômes… releva Clara.

Dans le mien aussi, mais disons que si je vous parle de manifestation énergétique d’une forme de vie éthérique, vous allez spontanément trouver ça très ennuyeux et le rebaptiser fantôme.

C’est tout à fait vraisemblable, admit-elle avec un sourire en coin.

Le Docteur regarda pensivement la console où le fantôme avait disparu et puis il se leva d’un bond.

Vous savez quoi ? Il y a trop de manifestations énergétiques bizarres ici… Le scan thermique c’est bien bon, mais j’aimerais bien retourner au Tardis pour lancer quelques programmes additionnels de détection. Il y a quelque chose qui nous échappe depuis le début.

Martha doit nous rejoindre ici, rappela la jeune femme.

Le Docteur haussa une épaule et appuya sur le bouton de la radio.

Martha ? Je retourne au Tardis avec Clara pour vérifier quelque chose. Rejoignez-nous là-bas avec les analyses.

― Ok. Je pense que vous serez curieux d’y jeter un œil.

Pourquoi ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ?

― Des choses inattendues.

Martha… ne me faites pas languir.

― J’ai déjà rebroussé chemin. Je vous attendrai devant le Tardis. Essayez de faire un crochet pour voir si Mickey et Ricky s’en sortent avec le deuxième monstre, ça me tranquilliserait.

On n’a pas dit qu’on devait lui trouver un nom ? commenta Clara.

Je vous en prie, ne bridez pas votre créativité… dit-il avant de répondre dans la radio : reçu Martha, on arrive.

Il coupa la communication et déclara encore :

J’adore cette radio !

Si vous voulez, je peux toujours vous payer une paire de talkie-walkie quand on rentrera sur Terre, proposa-t-elle. J’ai toujours beaucoup de succès avec ce genre de cadeau.

Ça ne m’étonne pas, c’est quand même beaucoup plus classe qu’un téléphone portable…

Clara le suivit sans rien dire. Beaucoup de succès avec les enfants. Ce genre de remarque décalée, ça ressemblait déjà beaucoup plus au Docteur que tout ce qu’elle avait vu et entendu jusqu’à présent…

Hé, appela-t-elle. Mais pourquoi marchez-vous aussi vite ?

J’ai envie de savoir ce que Martha a trouvé et vous venez de me promettre un talkie-walkie dès qu’on rentrera sur Terre… Deux bonnes raisons de nous hâter de résoudre les mystères de ce cargo !

*

RIVER SONG

River soupira pour la vingt-troisième fois. Elle devait bien se rendre à l’évidence. Sans la coopération volontaire du Tardis, pas moyen de se matérialiser au dehors du vaisseau et à fortiori à petite distance. Peut-être devait-elle simplement se calmer un peu et profiter de cette chose extraordinaire qui venait de se passer aujourd’hui.

Quand tout avait commencé, elle se trouvait dans sa retraite forcée de la mémoire centrale de La Bibliothèque au 51e siècle. A la vérité, elle n’avait même plus l’espoir d’en sortir. Prison un jour, prison toujours ?Comme elle n’y avait pas beaucoup d’occupation et que l’éternité s’avérait interminable lorsqu’on la passait seule, elle avait décidé d’entamer une carrière d’écrivain « post-mortem » sous le nom de Melody Malone. Ou comment vivre des dizaines de vies quand la vôtre vous manque.

Sur un plan purement pratique, il n’y avait rien de compliqué à cela. Il lui suffisait d’expédier électroniquement ses manuscrits à un éditeur doté d’une technologie compatible. Quelques courriers, une vidéo-conférence de temps en temps, d’excellentes excuses pour remettre les rendez-vous : la supercherie était facile à entretenir. Bien sûr, elle aurait préféré faire paraître ses polars dans les années 50 mais il lui aurait fallu pour cela quelques complicités locales pour retaper son manuscrit à la machine et le réacheminer par voie postale...

Lorsqu’elle s’ennuyait encore un peu, ce qui arrivait vraiment très souvent, elle continuait également à disposer de son identité en tant que Professeur Song et à rédiger des cours ou des thèses recherches « à distance », tout en cultivant quelques rares contacts qu’elle savait discrets. De l’archéologie à distance et même plus sur le terrain, elle ne doutait pas que le Docteur s’en serait vigoureusement moqué !... Mais quel autre choix lui restait-il ? 

Elle était plongée dans la rédaction de son vingt-septième roman (Licence to kiss) quand l’appel avait résonné dans tout son être. Elle en avait éprouvé un irrépressible frisson. Si elle avait encore eu un cœur, elle était sûre qu’il se serait mis à battre follement. Cette étrange sensation qui la saisissait était un appel du Tardis – elle y avait passé suffisamment de temps pour en être sûre. Elle s’était alors levée de sa table de travail et ce mouvement avait dû être analysé comme un assentiment plein et entier. River n’aimait pas du tout reconnaître que c’était un « oui » désespéré et soulagé à la fois. Un oui qui l’aurait presque fait pleurer de bonheur. Lorsqu’elle s’était sentie happée par une sorte de flux, la seule chose qu’elle avait regretté au fond, c’était de ne pas avoir pu passer une robe virtuelle plus jolie. Mais le Tardis qui appelait, ça ne pouvait être que le Docteur. Et quand le Docteur claquait des doigts, elle accourait.

.°.

Lorsqu’elle s’était rematérialisée dans le vaisseau, il était en pleine perdition. Il y régnait un chaos tout à fait intéressant et River avait eu tout d’abord un mal fou à s’y maintenir de façon stable. Une sorte de communication non verbale s’était établie rapidement avec le Tardis et avec beaucoup d’émotion, elle avait compris que c’était un appel au secours. C’était lui qui faisait directement appel à elle et pas le Docteur comme elle l’avait cru !

Elle n’était pas sûre qu’une entité capable d’étendre sa conscience sur onze dimensions soit en mesure d’éprouver de la panique ou de l’angoisse, mais si jamais il existait un équivalent à cela pour les Tardis, nul doute que ce devait être ce qu’elle ressentait là. River s’était ouverte et avait senti sa conscience se dilater en recevant une fraction de la lumière du vaisseau. Cette opération avait permis d’activer un lien plus permanent entre elles deux, de sorte qu’elle avait su ce qui n’allait pas. Le lien télépathique du vaisseau avec le Docteur s’était trouvé si affaibli qu’il était presque inexistant.

Face à ce consternant événement inédit, le Tardis n’avait pu faire autrement que de chercher une parade et mettre en place des mesures drastiques. D’abord, il s’était occupé de générer des micro-dimensions spatiales parallèles en son sein pour pouvoir gérer séparément Clara et le douzième Docteur, ensuite il avait convoqué River pour qu’elle l’aide à communiquer avec l’esprit du Docteur, et enfin il avait appelé le dixième Docteur pour aider Clara. Aucun des deux n’avait vécu la même chose durant l’heure qui avait suivi la régénération.

River avait bien conscience que sa nature désormais immatérielle la rendait beaucoup plus facile à solliciter que quiconque ; elle se doutait qu’elle avait été recrutée sur ce genre de critère en plus de son lien privilégié avec le Docteur. Mais elle n’aurait jamais cru que le vaisseau puisse être aussi rude à la négociation. Le Tardis lui avait fait comprendre qu’elle n’était là que pour deux raisons : aider à rétablir son lien télépathique avec le Docteur (désigné comme « Pilote » exprimé avec une touche à la fois possessive, maternelle, et amusée) et aider à manœuvrer à sa place. Toute revendication personnelle ne serait ni autorisée ni tolérée. A la moindre incartade, elle serait renvoyée illico dans la Bibliothèque.

Le Tardis était une entité bienveillante mais non humaine, la patience qu’il montrait envers River trouvait son origine dans son souci constant du Docteur, parce qu’il savait qu’il éprouvait une forme d’affection pour elle. Mais à aucun moment il n’avait l’intention de se laisser amadouer ou manipuler par une créature aussi simpliste et à la juste réputation de fauteuse de troubles. En fait, par aucune de ces petites choses humaines éphémères que le Docteur aimait à trimballer toujours après lui.

.°.

Le marché avait donc été le suivant : River devrait jouer avec un maximum de crédibilité le rôle d’interface holographique auprès du Docteur et se faire passer pour le Tardis pendant environ quarante-huit heures. Le tout bien sûr, pour peu qu’elle fasse office de chanel docile (docile, ça avait l’air important) et pour peu qu’elle passe avec succès le test initial : il fallait que le Docteur la voie et l’entende. Elle avait passé le test haut la main et n’avait pu s’empêcher de le ressentir comme une petite victoire personnelle.

Elle avait reçu assez jeune un entrainement tout particulier pour ce qui était de maitriser ses émotions et de les masquer. Ce n’est pas le genre de compétence qui se perdait vite. Aussi ne bougea-t-elle pas un cil quand elle se trouva soudain face à un Docteur très différent. Elle ne sourit pas, ne se rua pas dans ses bras avec gourmandise pour découvrir quel goût auraient maintenant les baisers qu’elle lui volerait, ou sa réaction lorsqu’elle se serrerait contre lui…Elle l’avait trouvé très impressionnant, comme toujours. D’une énergie très différente, mais qui lui plaisait. Mais ne lui avait-il pas toujours plu ?

Elle aimait passionnément tous les visages du Docteur qu’elle avait répertoriés dans son journal intime. Mais d’où pouvait bien venir celui-ci ? Elle était étonnée et profondément heureuse de le revoir car lors de sa dernière entrevue avec lui, ses adieux avaient plutôt sonnés comme définitifs. Il lui avait semblé implicite qu’elle ne le reverrait jamais parce qu’il aurait dépensé sans doute bientôt la totalité de ses régénérations disponibles. C’était déchirant de penser qu’elle lui avait déjà abandonné toutes les siennes pour le sauver, et qu’elle allait lui survivre, Dieu seul savait combien de temps, sous son nouvel état… Elle lui aurait redonné toutes ses vies encore et encore, si elle l’avait pu.

Elle ne s’y attendait plus, mais voilà qu’elle était à bord. Comment ? Pourquoi ? Et chose plus troublante encore, elle avait le sentiment que pour une fois, les choses se passaient dans le bon ordre. Sa « mort » avait-elle mis un terme définitif au casse-tête crève-cœur de leurs lignes temporelles anachroniques ? Fallait-il qu’elle meure pour que cesse enfin la malédiction qui voulait qu’elle le connaisse chaque fois mieux quand il la méconnaissait chaque fois davantage ?

Face à lui, elle avait joué intérieurement pendant de longues minutes d’ivresse avec l’idée délicieuse de le provoquer et de le re-séduire, et cela sans bouger un muscle, en débitant d’un ton monocorde ce que le Tardis voulait qu’elle dise. C’était presque une torture de sentir qu’il était aussi près, aussi vivant, aussi neuf... Mais avait-elle laissé échapper quelque chose ? A un moment, le vaisseau l’avait rappelée à l’ordre sans pitié, comme si une laisse invisible avait été passée autour de son cou et aurait été tirée une fois en arrière, lentement et implacablement. Elle avait repéré que le regard du Docteur sur elle était différent et qu’il semblait un peu déçu. Elle était partagée entre l’envie dévorante de se faire reconnaître, et la certitude qu’à l’instant où elle ferait un mouvement de trop, le Tardis la réexpédierait en exil. Alors elle tint bon.

River avait pourtant plaidé pour apparaître à Clara mais le Tardis inflexible l’avait déboutée. Il pouvait communiquer « normalement » avec Clara et n’avait pas besoin de son intermédiaire. Parce que Clara avait déjà été en contact avec elle précédemment, River avait compté qu’il lui aurait été possible de se révéler à elle puisque le Tardis ne considérait pas la jeune compagne comme prioritaire. Mais la solidarité féminine n’avait pas pu jouer.

Par contre, en aidant la jeune compagne à piloter, River avait pu ressentir de plein fouet tous ses doutes. C’était une expérience singulière de ressentir les émotions et d’entendre les pensées d’une femme qui n’avait pas une grande conscience de sa féminité ou du pouvoir qui y résidait. L’esprit vif et taquin de Clara masquait une autre réalité, un bluff qui jetait le voile sur un cœur dévoué à un point que River avait du mal à saisir. Une forme de passion qui lui était étrangère alors même qu’elle se concevait volontiers comme éminemment passionnée et une experte en la matière... Clara craignait ses propres sentiments envers le Docteur, comme s’ils avaient le pouvoir d’ouvrir une nouvelle Pandorica au contenu terrible. Pourquoi diable croyait-elle cela ? River n’avait pas eu le temps de l’approfondir, parce que le Tardis était arrivé à destination et lui avait intimé l’ordre de quitter Clara. Avait-elle été percée à jour ? Elle avait à peine esquissé la pensée qu’elle aurait aimé rester là, hébergée par Clara, et sortir du Tardis pour visiter l’endroit où ils avaient atterri que la réponse négative avait claqué sèchement.

.°.

Quand, il n’y avait plus eu personne à bord, le vaisseau l’avait laissée faire ce qu’elle voulait. Elle était seule depuis une heure ou deux. Bien sûr, elle avait pensé à accéder aux archives vidéo mais avait fini par y renoncer de peur que cela ne l’aide pas du tout à rester concentrée. Elle avait pensé aussi à aller se lover dans le coin secret du Docteur, celui où il aimait aller pour réfléchir, lire ou rêver lorsqu’il était seul pendant longtemps... Elle avait pensé qu’elle aurait aimé y emporter une veste à étreindre et y enfouir sa tête, ou peut-être ce nœud papillon sali qui semblait abandonné non loin de l’escalier. Que lui restait-il de ses sens maintenant qu’elle n’était plus qu’un esprit ? Elle pouvait toucher les commandes du Tardis, mais passait au travers d’autres objets. Comme si elle n’avait pas été rapportée ici avec toutes les options mais uniquement celles qui lui permettaient de faire ce qui était attendu d’elle…

De guerre lasse, elle s’était alors servie des détecteurs du vaisseau pour tenter de savoir ce qui se passait au dehors. Et elle avait assez d’expérience pour réaliser qu’une certaine situation était en cours ! En plus du Docteur, de Clara et de quelques membres d’équipage, elle détectait des sources d’énergie chaotiques dont la plupart était vivantes. Une en particulier était assez volumineuse et puissante pour occuper une salle entière au niveau des quartiers d’habitation. Etait-ce vivant ? Les relevés n’étaient pas très clairs à ce niveau. Elle leur pardonna aisément ce manque de précision étant donné qu’elle-même se sentait vivante, alors qu’elle ne l’était plus. Stupides détecteurs.

Par contre ce qui était clair, c’était qu’il y avait de petites choses à bord qui lorsqu’elles s’approchaient de cette pièce grandissaient d’un coup et paraissaient devenir structurellement instables. Elle essaya de suivre les mouvements des gens du vaisseau cargo et voyait qu’ils ne restaient guère en place. Ce va-et-vient constant l’amusa un peu au début jusqu’à ce qu’elle se mette à penser qu’ils semblaient montés sur ressorts.Elle se doutait bien que la croissance rapide de certains êtres vivants à bord pouvait être une source potentielle de soucis. Mais n’était-elle pas voulue ? Elle avait déjà vu plus dingue dans l’univers et avait appris à ne plus s’en formaliser. Le tableau était simple à imaginer. On embarquait par exemple du bétail sous forme fœtale sur une planète, on procédait à une croissance accélérée juste avant la livraison sur une autre, et entre les deux : une grosse économie en termes de stockage et de consommation de carburant… Le pragmatisme des commerçants était notoire. Mais elle se doutait que ça heurterait le Docteur.

Pourtant, quand elle comprit que les créatures énormes pouvaient libérer leur surplus d’énergie en produisant des dommages considérables équivalents à ceux d’une bombe, elle s’était dit qu’il fallait trouver un moyen de prévenir. D’autant que les relevés indiquaient du mouvement dans ce qui devait être des hangars de stockage où deux créatures se trouvaient à  présent réunies.Les scanners du Tardis lui montraient qu’elles devenaient dangereuses et elle cherchait par quel moyen elle pourrait convaincre le Tardis de lui permettre de sortir, quand elle aperçut soudain quasiment en direct la naissance d’une grosse créature !

Avec trois de ces choses à bord, il n’était plus temps de tergiverser. Ce n’était plus une affaire personnelle qui la poussait à agir ainsi et elle espérait que le vaisseau du Docteur le comprendrait. Elle se concentra intensément sur son lien avec le Docteur, évoqua tous ses plus beaux souvenirs, dans l’espoir d’être conduite auprès de lui où qu’il se trouvait. Malheureusement, elle manquait de puissance et rien ne se produisit. La dernière fois à Trenzalore, elle avait pu s’appuyer sur quatre compagnons du Docteur pour lui fournir l’énergie nécessaire. Mais à présent, il n’y avait que Clara et un Tardis très réticent : c’était loin d’être suffisant.

Elle resta debout, les yeux brillants de larmes qu’elle essayait de contenir, la tête en arrière pour les empêcher de couler, les poings serrés de rage et d’impuissance. Si elle criait, est-ce que quelqu’un l’entendrait ?

Et c’est ainsi qu’il la trouva quand il regagna le Tardis.

.°.

LE DOCTEUR

Le Docteur avait ouvert la porte.River était encore là.  Elle ne bougeait pas. L’angle de son port de tête n’était pas naturel. La situation l’intriguait. Depuis qu’il y réfléchissait en arrière-plan – et il avait eu tout le temps de le faire puisque Martha et Mickey mettaient un point d’honneur à ne pas le laisser intervenir – il en était venu à la conclusion que ce prétendu hologramme d’interface était bien River Song.

Elle n’avait jamais été timide. Jamais. S’il voulait être honnête, il aurait bien aimé qu’elle le soit davantage quelquefois, tant elle poussait sa réserve affective naturelle dans des retranchements rarement envisagés. Et s’il voulait être encore plus honnête, il devait reconnaître aussi qu’il avait beaucoup aimé cela, parce que relever des défis difficiles ou même impossibles était devenu sa propre signature et une seconde nature.

Il ne faisait pas l’ombre d’un doute pour lui qu’elle devait avoir des raisons pour jouer ce jeu. Elle avait un côté fantasque qu’il devinait directement inspiré du sien propre, mais il n’était pas sûr qu’elle soit en train de vouloir le faire tourner en bourrique, là maintenant. Elle aurait pu car elle avait toujours su comment. Mais si cela avait été le cas, elle l’aurait fait de façon beaucoup plus directe et triomphante.Pourtant, ce n’était pas là le dos d’une River manipulatrice, rusée et possédant toujours trois coups d’avance sur la situation. C’était une River inhabituelle. Peut-être était-ce pour lui la journée des compagnons qui ne sont pas tout à fait comme d’habitude, décidée par l’Univers, pour qu’il éprouve lui aussi un petit peu de la déstabilisation endurée par ses amis du fait de son changement de visage…

Clara semblait s’être attardée en compagnie de Martha à l’extérieur. Il décida donc que même trois secondes pouvaient lui apporter un surplus d’informations et à plus forte raison s’il disposait de toute une minute entière, ou de cinq. Elle se retourna en l’entendant approcher.Il nota immédiatement la brillance du regard et la légère crispation des muscles du cou. Une seconde pour chaque était amplement suffisante pour confirmer qu’une interface n’a pas l’œil humide ou la gorge sèche. C’était une très bonne actrice. Elle ne tremblait pas et respirait lentement, sa somptueuse petite menteuse. Ce n’était sans doute pas le meilleur moment pour un accès inopiné de puérilité, mais il avait envie d’une toute petite vengeance. Il s’approcha d’elle, inclina très légèrement la tête et repensa au sourire d’un Jack dopé aux phéromones. Ce n’était pas garanti que ça marche, mais ça pouvait la déstabiliser un instant. Et s’il était ridicule, elle pourrait éclater de rire, ce qui resterait une réaction humaine spontanée.

Encore là ? dit-il d’une voix caressante qui avait l’air de sous-entendre que ça n’avait rien d’une déception.

Docteur, il faut quitter cet endroit. Il est rempli d’animaux instables. Les êtres de ce vaisseau sont soumis à une technologie qui les dépasse.

Il leva la main comme pour caresser son visage. Il avait un regard qu’elle ne lui avait jamais vu, empreint de tendresse et, chose très inattendue, d’une touche fugace de désir. Elle serra les poings très fort jusqu’à enfoncer les ongles dans sa paume. Pas le moment de prendre ses rêves pour des réalités ! Mais aussitôt, s’en vint encore autre une insidieuse question : pouvait-il la toucher ? Il ne fallait sûrement pas penser à cela. Ses niveaux de panique commencèrent à grimper sous sa surface lisse. Elle s’attendait d’une seconde à l’autre à éprouver le douloureux coup de semonce du Tardis. Et c’était pourtant merveilleux de voir l’expression qu’il avait à cet instant.Ne pas sourire. Rester factuelle. Elle recula vers la console pour montrer un écran.

Docteur, cette pièce contient un objet qui pourrait être vivant. Ou qui pourrait susciter la vie. Il génère des champs de force et des ondes qui sont similaires aux miennes. Sa technologie n’est pas complètement gallifréenne pourtant. C’est lui qui impacte la biologie d’une partie des êtres de ce vaisseau de façon problématique.

Il s’approcha d’elle encore et elle se retrouva coincée entre lui et la console. Honnêtement, combien de fois avait-elle rêvé des yeux qu’il posait sur elle juste en ce moment ? Toutes les nuits au fond de sa prison de Stormcage… Elle se demanda si le Tardis aurait un tant soit peu pitié d’elle pour faire en sorte qu’elle puisse traverser la console plutôt que de s’y trouver appuyée, trop près de lui, un peu trop raide, dans l’attente d’une catastrophe imminente...

Je sais, répondit-il. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe à cet instant.

Il faut prendre tes amis à bord et partir.

Ce n’est pas trop mon style, murmura-t-il à son oreille.

Elle le savait très bien que ce n’était pas son style ! Rien de ce qu’il faisait depuis deux minutes n’était son style ! Et elle adorait ça.Elle supplia mentalement le Tardis et elle reçut l’équivalent d’un genre de bougonnement.

River, que se passera-t-il si je t’embrasse maintenant ? continua-t-il sur le même ton.

Docteur, penses-tu parvenir ainsi à reconnecter tes canaux télépathiques avec moi ? réussit-elle à dire avec une remarquable atonie.

Et alors qu’il l’enlaçait, elle comprit qu’elle venait de se trahir car il l’avait appelé « River » et qu’elle n’avait pas démenti. Elle posa une main sur son torse dans l’espoir de l’arrêter. En fait sa question était toute répondue : oui, il pouvait la toucher. Elle se força à répéter ce dont le Tardis l’informait.

Le calcul montre qu’il y a 67 % de probabilités d’échec. L’impact émotionnel généré par ce faible  attouchement ne serait pas suffisant pour lever la fermeture de tes canaux psychiques.

Hélas, dit-il avec un léger rire. Tu as toujours été affreusement gourmande. Que faudrait-il donc envisager si un baiser passionné ne s’avérait pas suffisant ?

Il flirtait maintenant ! Elle crut qu’elle allait craquer. Et elle le fit en lui lançant un regard éloquent dénué de toute pudeur, mêlé de rage et de peur. Ouvrant la bouche pour répondre du tac au tac, elle réalisa qu’elle ne pouvait plus parler. Une larme perla sur sa joue.

Cela nous fait donc 33 % de chances de réussite, conclut-il avec un très inhabituel sourire de requin, et tu sais que j’ai tenté des trucs avec moins que ça…

Quand il posa ses lèvres sur les siennes, River muette oublia tout. Elle s’agrippa à lui comme une naufragée, persuadée qu’elle allait se retrouver hagarde d’une seconde à l’autre, dans la nuit vide du cluster solitaire qui l’hébergeait, au fond d’un ordinateur perdu, sur une planète perdue. Elle s’abandonna totalement, ce qu’elle faisait rarement tant elle aimait être en contrôle, et elle accueillit une seconde fois la lumière du Tardis en elle, comme une douche éclatante qui transitait de son cerveau à son cœur – de ce qui aurait dû être son cerveau, à ce qui aurait été son cœur… – vers le Docteur.

Le Tardis émit une note et une vibration particulière, comme un genre de bourdonnement ou de ronronnement long. Un soupir. Un soulagement ? Elle devina douloureusement ce que cela pouvait signifier. L’opération avait fonctionné. Le temps leur baiser, le Tardis s’était servi d’elle pour guérir ce qui devait l’être.Elle eut un sanglot et le Docteur s’écarta à peine d’elle. Front contre front, il la tint encore un peu serrée contre lui. Elle lui jeta un regard éperdu : ses mains et ses jambes commençaient à se dématérialiser. Elle ne pouvait même pas crier.

.°.

C’est à ce moment précis que la porte s’était ouverte largement pour laisser entrer Martha et Clara. Toutes deux étaient restées bouche bée de surprise en découvrant cette scène intime.

A dire vrai, aucun compagnon ne pouvait réellement s’attendre à trouver le Docteur dans une telle situation… Mais les deux arrivantes ne pouvaient en détacher leur regard parce que la femme était en train de se désagréger sous leurs yeux, et que le temps de cligner deux fois, elle avait disparu. Le Docteur s’était appuyé un instant des deux mains sur la console là où se trouvait encore l’inconnue un instant plus tôt, il avait penché la tête, un bref instant, puis il s’était redressé pour aller accueillir les deux femmes médusées.

Que… Qu’est-ce qui vient de se passer ? bégaya Martha encore sous le choc.

Bonne nouvelle ! Je communique de nouveau normalement avec le Tardis, répondit le Docteur.

Clara se croisa les bras et commenta d’un air sarcastique.

Je savais bien que vous me racontiez des bobards ! Avec moi l’interface ne se montre vraiment pas aussi… câline !

Ce n’était pas l’interface du Tardis, mais River qui se faisait passer pour elle. Elle a essayé de nous prévenir tout à l’heure, expliqua-t-il à l’adresse de Clara. C’était elle, le « fantôme » que vous avez vu au poste de commande du cargo.

Martha était profondément troublée mais pour une toute autre raison.Le Docteur qu’elle avait quitté se morfondait pour Rose. Il se montrait cruel avec elle parce qu’il y avait eu Rose. Elle était partie parce que jamais il ne l’aimerait comme Rose… Et que découvrait-elle aujourd’hui ? Rose était oubliée !

Pour éviter de se prendre une seconde volée de bois vert de la part de Madame Smith après avoir essuyé celle de Monsieur, le Docteur tendit la main vers les papiers que portait Martha.

N’aviez-vous pas envie de me montrer les étonnants résultats des analyses du sang des… des…

Il se retourna vers Clara :

Avez-vous trouvé un nom de baptême officiel finalement ?

Actuellement, je n’arrive à trouver rien de mieux que « espèce de sale petit menteur cachotier » mais j’ai envie de réfléchir encore…

Faites, je vous en prie, dit-il en évitant son regard. Essayons de considérer tout cela posément…

Il approcha de ses yeux les analyses pour en prendre connaissance, mais à cet instant, le Tardis trembla comme s’il était violement déséquilibré et un bruit énorme avait fracassé leurs oreilles. Ils furent tous jetés à terre tandis que des sirènes d’alerte entamaient leur hululement sinistre. Martha s’était remis debout en un clin d’œil et aidait les autres à se relever.

Docteur, dit-elle en lui tendant la main, je crois qu’il y a eu une explosion à bord du cargo.

La confirmation ne se fit pas attendre. Couvrant le bruit de l’alarme, la voix de Ricky rendue suraiguë par le stress, résonna dans tous les intercoms y compris celui du Tardis :

― On vient de perdre le hangar 3 ! Je répète : on vient de perdre le hangar 3 ! Papa est touché et à terre ! J’ai eu le temps de fermer les sas anti-dépressurisation pour les hangars latéraux ! Maman, rapplique immédiatement !

Martha soupira. Elle ramassa les feuilles qui étaient tombées un peu partout et tendit la liasse au Docteur.

Je dois rejoindre Mickey, dit-elle un peu à contrecœur. Mais vous ne perdez rien pour attendre.

Vous auriez dû me prévenir que vous transportiez quelque chose de spécial, lui dit-il d’un ton de reproche.

Nous ignorions que des animaux seraient du voyage.

― Je ne parlais pas d’eux. Ce que vous transportez vous affecte aussi.

Martha secoua la tête et recula.

Je suis navrée, je ne peux pas rester plus longtemps, si je dois intervenir médicalement sur Mickey il faut que je le fasse rapidement…

Fini de jouer maintenant ! Dites-moi ce que vous faites vraiment ici. Je veux que vous me disiez la vérité.

Clara retint son souffle mais Martha s’échappa.

Je n’en ai pas le temps pour l’instant, refusa-t-elle bourrelée d’inquiétude et les yeux mouillés de larmes.

Le Docteur la regarda partir en serrant les mâchoires, Clara s’approcha timidement de lui car il avait l’air furieux dans cet état, il lui faisait un peu peur. Il tourna la tête vers elle.

Et vous Clara, vous êtes avec moi sur ce coup ? questionna-t-il, un rien soupçonneux.

Pourquoi en doutez-vous ?

Parfait, alors nous on va s’occuper de la Fontaine de Myrn’An Ghaar

Il lui tendit la main et elle l’accepta sans réfléchir.

 

Laisser un commentaire ?