Le Mystère des Lapins-tonnerre

Chapitre 5 : C5 : Mr and Mrs Smith

4114 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 11/03/2015 19:41

CHAPITRE V

CLARA OSWALD

Clara suivait l’ancienne compagne du Docteur dans le dédale de couloirs de son vaisseau cargo. Elle ne laissait pas de se demander comment cette femme avait pu en arriver là, à vivre avec sa famille une vie de transporteurs de marchandises, dans l’espace, et à plusieurs centaines d’années de son époque d’origine.

Comme l’avait prévu le dixième Docteur, le nouveau Docteur était redescendu au bout de quarante-cinq minutes, mais avait fait comme si rien ne s’était passé. Comme s’il n’était pas tombé dans cette syncope bizarre. Et comme il n’avait pas paru disposé à la remercier ou lui parler de ce qui était arrivé, elle n’avait pas abordé le sujet non plus. De plus, elle restait un peu chamboulée par cette intervention inopinée du dixième Docteur, tellement extraordinaire, qu’elle se demandait si elle ne l’avait pas rêvée. Aussi, quand il était revenu à lui et lui avait proposé cette petite promenade, ou ce détour avant de la ramener, elle avait tout de même accepté. « Donnez-lui une petite chance » suppliait encore le jeune Docteur dans un repli de sa mémoire.

Ce qui était étrange, c’était que pour la première fois, elle ne se sentait pas à sa place et ce sentiment était nouveau et désagréable.Les yeux presque dépourvus de sourcils de « son » Docteur lui manquaient. Leur complicité tacite et son sourire d’enfant retors et mutin lui manquaient. La façon qu’il avait de la considérer comme un merveilleux mystère et un cadeau du ciel lui manquaient. Et dans son désarroi, elle devait reconnaître que même l’expression joyeuse et impatiente de Numéro Dix arrivé à la rescousse dans un pur accès de compassion, alors qu’il était manifestement à un moment critique de son propre temps, lui manquaient aussi…

Maintenant, il l’emmenait en voyage mais il ne restait pas près d’elle. Il aurait voulu l’éviter qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Mais pourquoi ? Elle regrettait que Numéro Dix n’ait pas eu le temps de lui en dire davantage. Le nouveau Docteur avait une personnalité différente. Elle essayait de se le répéter pour que ça rentre. Quelque chose se tordait d’inquiétude en elle à l’idée qu’elle ne puisse pas s’entendre avec ce nouveau lui.

Martha respectait son silence quand elles traversaient les couloirs, mais elle commentait chaque salle de son vaisseau. Quartiers d’habitation, stockage des marchandises, pilotage, salle des moteurs… Elle sembla s’apercevoir du mutisme prolongé de son hôte au bout d’un petit moment.

― Qu’est-ce qui ne va pas, Clara ? demanda-t-elle franchement.

― Votre cargo est… (Elle hésita). En fait c’est la première fois que j’en vois un ! Je ne sais pas trop comment le qualifier. Mais je suis allée dans un sous-marin russe une fois et j’y ai croisé un martien d’une autre ère ! (Martha sourit largement). Pourtant, je vous ai écouté me parler un peu de votre vie. Et je vous regarde marcher et parler mais vous ne perdez pas une miette de ce qui se passe autour. On dirait que vous avez fait l’armée. Tout ceci ne vous semble-t-il pas… un peu trop simple après tout ce que vous m’avez dit et ce que j’imagine du quotidien avec le Docteur, puisqu’il change mais ne change pas ?  Je n’arrive pas à savoir si vous êtes à la retraite, si vous êtes un soldat, et en même temps une maman qui gronde son ado et élève des petits lapins bizarres… 

― Des petits lapins bizarres ? Où ça ? 

― Là ! dit Clara en désignant du bras de petites créatures toutes serrées contre une cloison.

Ils avaient tirés les fils d’une goulotte avec leurs petites pattes griffues et rongeaient le tout sans le moins du monde se soucier des étincelles qu’ils avaient l’air d’apprécier tout autant. L’éclairage du couloir se mit à clignoter.

― Ah les voilà ces chenapans ! dit-elle en marchant lentement vers eux sans doute pour éviter qu’ils ne détalent.

― Vous n’allez pas leur tirer dessus ? s’inquiéta Clara en voyant l’arme prête dans son dos accrochée en bandoulière.

― Pas si je peux l’éviter, concéda-t-elle, en approchant doucement les deux bras.

Lorsqu’elle les attrapa par la peau du cou, ils se mirent à gronder bizarrement.

― La, là, calmez-vous, je ne vous veux pas de mal, mais vous ne pouvez pas continuer à manger nos câbles. Ça vous embête d’en prendre un ? demanda-t-elle en lui en collant un dans les bras. Il faut que je fasse le point radio avec mon fils. Tenez le bien, ils peuvent être vifs. On les trouve tout mignons, on ne se méfie pas, puis ils nous griffent, on les lâche, et ils détalent…

Martha ralluma sa radio, tout en tenant contre elle son cagal, avec son fusil coincé sous l’aisselle.

― Ricky, tu me reçois ?

― Oui, capitaine.

― Arrête de bouder… On en a eu deux. On va les rapporter dans la cage. Est-ce que tu peux me passer ton père ? J’ai quelque chose à lui demander.

 Négatif. Je ne l’ai toujours pas vu. Ni lui ni le vieux crou… ni le Docteur. Et ça commence à m’inquiéter aussi. Je vous rejoins dans le hangar 2, je pense qu’il vaut mieux qu’on reste ensemble, vu que le quadrillage n’a rien donné… 

― Reçu. On t’attend là-bas, terminé.

Martha sourit en désignant le lapin.

― Vous voulez bien le garder le temps qu’on y arrive ? Je préfère conserver une main de libre en cas de besoin.

― Qu’est-ce qui vous inquiète ? 

― C’est juste une précaution. Mickey devrait s’être montré. Et le fait qu’il n’ait pas cherché à nous contacter ne me plait pas. Il sait très bien qu’il doit le faire ou sinon… 

― Quand vous disiez « aptitude au commandement » vous ne blaguiez pas, observa Clara. Vous menez tous vos hommes à la baguette… 

Martha rit et secoua la tête.

― Ou sinon je m’inquiète un peu trop !... J’accepte bien d’être séparée de lui pour certaines missions… mais j’ai besoin de savoir que tout va bien, parce que… 

Elle se mordit la lèvre. Clara eut un sourire entendu.

― Parce que vous n’êtes pas vraiment des commerçants proches de la retraite.

― Hum, répondit-elle, mais si voyons ! 

Elle décida de changer diplomatiquement de sujet.

― Notre vie est beaucoup plus calme à présent et c’est normal car nous ne sommes plus tout jeunes… Mais je le suis encore assez pour être très intriguée par ce que vous me dites à propos du Docteur qui se serait marié ?... Vous ne pouvez pas imaginer combien cette idée lui ressemble peu ! Nous sommes presque arrivées, mais dites m’en plus ! Que savez-vous de celle qui a réussi à passer la corde au cou du célibataire le plus endurci de l’univers ? Elle doit être vraiment spéciale !

― Quand je l’ai rencontrée, elle était déjà morte, commença Clara. Aïe, je viens d’entendre ce que je viens de dire… Euh, c’est compliqué. Sa conscience a été préservée dans un ordinateur.

― Ne vous en faites pas, j’ai l’habitude, fit Martha conciliante en allongeant subrepticement le pas vers la porte du hangar qui arrivait en vue. Ce qui m’intrigue, c’est de savoir comment ils étaient ensemble.

― Je n’ai rencontré le Professeur qu’une fois si l’on peut dire et apparemment, le Docteur était seul depuis très longtemps quand je l’ai rejoint. Il n’en parlait pas beaucoup, mais j’ai compris qu’elle n’était pas officiellement une compagne comme… vous et moi. Elle avait l’air d’avoir beaucoup d’assurance, de prestance, et elle était diaboliquement rusée. Elle mentait presque aussi bien que lui ! Leur relation était… très intéressante.

― Mais… ? demanda Martha en stationnant devant la porte, le bras en l’air devant le commutateur d’ouverture, impatiente d’entendre la suite.

― Mais il y a eu sans doute un problème. Je sais qu’ils ne se voyaient que rarement. Et on ne peut pas parler de vie commune… 

― Vous pensez que c’était un mariage fantoche ? s’étonna Martha en riant un peu.

Clara secoua la tête.

― Non. Je pense qu’il y avait un élément tragique plus ou moins responsable du mutisme du Docteur à ce sujet…  J’ai un peu peur qu’il ne se sente responsable de sa mort, ou quelque chose comme ça.

― Ce serait très bien son genre, acquiesça la vieille femme. Vous savez s’il l’a aimée ? Vraiment aimée ? Parce que bon quand vous l’écoutez, tous les humains sont merveilleux et chacun est intéressant, et bla-bla-bla… Vous savez bien comment il noie le poisson…

Oui, Clara savait très bien.

― Je ne voudrais pas me montrer partiale, dit Clara en hochant la tête avec un sourire. Mais pourquoi ne l’aurait-il pas aimée ? Elle était magnifique, piquante, pleine de ressources, extrêmement intelligente… A quelques reprises il a parlé d’elle comme si elle était… comme lui, vous savez, un peu Seigneur du Temps… Je n’ai pas eu toutes les explications et j’ai rarement l’occasion de lire en cachette son journal intime.

Martha ouvrit la porte en retenant un fou rire face à ce que la jeune femme venait de lui avouer…

Et elle la referma aussitôt, en lui criant de reculer !Elle activa sa radio.

― Ricky, Ricky, où es-tu ? 

 J’arrive ! Je suis en train de tourner au coin.

Elle soupira de soulagement.

― Bien, mais contrordre… Cours vers la salle de commande. Il faut condamner le hangar 2 et le larguer dans l’espace ! 

Ricky accourait vers sa mère, à bout de souffle. Elle avait pâli mais conservait magnifiquement son sang-froid.

― Je crois que j’ai compris pourquoi on n’a pas de nouvelles de ton père, dit-elle sombrement. Il y a un autre invité dans le hangar. C’est énorme et je n’ai pas du tout aimé l’œil qu’il a posé sur nous en voyant la porte s’ouvrir… Emmène Clara au pilotage, moi je dois rester ici le temps que tu verrouilles  pour m’assurer que ça ne cherchera pas à sortir… 

― Maman, c’est à moi de le faire : j’ai le filet magnétique, protesta Ricky.

Martha eut un sourire doux.

― Mon chéri tu  es mignon, mais ton filet il s’en fera un petit bonnet… Allez file ! Clara, rendez-moi le cagal, et allez-vous mettre à l’abri avec mon fils.

― Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée de se séparer, objecta-t-elle. Comment pourrait-il sortir ? Ses pattes sont énormes, il ne pourra pas pianoter le code ou activer un badge ou ce que vous faites pour ouvrir.

― En effet, mais il sait très bien arracher les fils, et ça suffira à court-circuiter le mécanisme. Cette pièce n’est pas sécurisée, dit-elle machinalement.

― Parce que d’autres le sont ? demanda innocemment Clara en la regardant droit dans les yeux.

― Les voyages dans l’espace sont dangereux, même pour des commerçants honnêtes, on peut se faire attaquer par des contrebandiers… répondit-elle avec aplomb. Filez tous les deux, ouste ! 

.°.

LE DOCTEUR

Le Docteur avait dégainé son stéthoscope pour écouter à la porte qu’ils  venaient juste de sceller…

― Il est toujours là, dit-t-il, je l’entends gratter et il n’a pas l’air très content. Je suppose qu’il n’y a pas d’autre issue ?

― Hé, si… ! 

Mickey arborait un large sourire satisfait et moqueur. Il s’approcha d’une paroi, déplaça sans effort une étagère où se trouvaient des quartiers de viande et des cagettes de légumes et dégagea un petit panneau où il présenta son œil pour un scan rétinien. Une ouverture rectangulaire se dessina dans une paroi lisse sous les yeux médusés du Docteur, puis s’effaça dans la paroi en révélant un passage étroit mais néanmoins praticable.

― Si vous voulez bien me suivre… c’est par ici.

Il s’engagèrent tous les deux dans le petit passage, et n’eurent qu’à tourner trois fois avant de débarquer dans une toute petite pièce nantie d’un fauteuil design, d’un tableau de bord impressionnant et  de tout un tas d’ordinateurs. Mickey s’installa aux manettes et alluma des boutons.

― Désolé, il n’y a qu’une chaise.

― ça ira... Mais vous avez une sortie de secours dans votre chambre froide ? Et qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda-t-il un peu surpris et peut être pas totalement rassuré de voir le Mickey qu’il connaissait manipuler du matériel sophistiqué.

Mickey sourit sans le regarder, pendant qu’il finissait d’allumer la station et attrapa un boitier de radio.

― Toujours en train de me sous-estimer, patron ? s’amusa-t-il en ouvrant une fréquence. Martha ? Ricky ? Le Docteur et moi nous sommes dans la cache n°3. On a croisé un invité surprise. Je ne l’ai pas vu en face, mais il a flanqué les chocottes au Docteur.

― Je n’ai pas du tout eu peur, protesta le Docteur. Je pensais avant tout à votre sécurité.

La voix de son fils résonna aussitôt.

 Je suis dans la salle de commande, Maman m’a envoyé larguer le hangar 2 dans l’espace parce qu’il y a un truc là-dedans qui n’a pas l’air très engageant… 

― Qu’est-ce que c’est ? demanda Mickey.

 Je n’ai pas eu le temps de le voir, mais elle a été assez catégorique.

― Dommage, avec une description, j’aurai pu chercher dans la base de données… Tu peux me sortir un état du contenu du hangar 2 ? Que je voie ce qu’on va sacrifier… 

― Où est Clara ? intervint le Docteur.

― Avec moi, répondit l’adolescent. Maman est restée seule avec les deux cagals qu’elle a capturés, juste pour s’assurer que le machin ne sort pas de là où il est… .

― Mickey, où étions-nous exactement quand je vous ai demandé de courir ?

Mickey afficha sur un écran un plan du vaisseau et il pointa la zone.

― Là, à peu près, on revenait du hangar 12 où se trouve le Tardis ! 

Le Docteur ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais n’eut pas le temps de parler. Mickey avait rallumé sa radio.

― Ricky, Martha, attendez, on vient d’en discuter avec le Docteur et je crois qu’on a un autre problème, on dirait qu’il y en a deux ! Si vous en avez un dans le hangar 2 et que nous avons été poursuivis de l’autre côté à peu près en même temps, il y a peu de chances qu’il s’agisse du même. Docteur, ça se téléporte ce machin ? 

― Ah quand même, je vois que je peux encore servir à quelque chose, occasionnellement… 

― Allons, sourit Mickey, ne soyez pas bougon. Nous savons bien que vous êtes en vacances… Laissez-vous faire, on a l’habitude.

― Mais qui êtes-vous ? Et qu’avez-vous fait de mes amis ? gémit le Docteur de façon comique.

― Si je vous le dis… vous promettez de ne pas faire une attaque ?

La radio l’interrompit et la voix du jeune Ricky résonna.

 Papa, la fille vient de me sortir tout le listing de tous les hangars, elle est plus douée que ce que je croyais… Il ne faut pas éjecter le hangar 2, la majeure partie de nos vivres s’y trouve… Si on veut procéder comme ça, il faudrait s’arranger pour enfermer la ou les bestioles dans un hangar vide ou qui ne contient rien d’important… ».

― OK, est-ce que tu as des nouvelles de ta mère, j’émets sur toutes les fréquences et elle ne répond pas… 

 Tu ne pourrais pas lancer un scan thermique ? 

― Je crois que ça s’impose. Je te rappelle.

 Bien reçu. Chef.

Mickey leva les yeux au ciel.

― Il est super à cheval sur le protocole ces temps-ci. Alors Docteur, est-ce que vous connaissez cette créature ? 

― Pas exactement. C’est-à-dire, ajouta-t-il très vite, devant l’air stupéfait de Mickey, que ça ressemble effectivement à un petit léporidé très répandu dans ce secteur spatial… Il y a deux ou trois systèmes qui en sont totalement infestés… Mais il semble avoir été hybridé avec une autre race puisqu’il apprécie et digère le métal, et puis surtout, il y a ses dimensions et son agressivité parfaitement inhabituelles… Je me demande s’il aurait pu ingérer quelque chose faisant partie de votre cargaison et qui aurait pu conduire à cet étonnant résultat… 

― Il va nous falloir la fameuse liste de Clara, commenta Mickey. On bouge, mais avant… 

Mickey alluma un programme et balaya toutes les sources de chaleur supérieures à 20°. On voyait bien qu’il y avait deux grosses masses du côté des hangars et il repéra ce qui devait être Martha et les deux cagals près de la salle des machines. Malheureusement, il repéra également cinq ou six autres petites formes actives qui se déplaçaient. Il fit la moue en regardant le Docteur, puis coupa les systèmes et s’approcha d’un mur où il fit coulisser un autre panneau lisse ne présentant aucune aspérité, rien qu’en appuyant dessus. Derrière, toute une série d’armes étaient soigneusement disposées.

― Vous en voulez une ? Ou toujours pas ? demanda Mickey.

― Mickey… commença le Docteur d’un ton menaçant, ne me dites pas que… 

― ça doit vouloir dire non ! dit-il en refermant le panneau d’un coup sec après avoir enfilé dans sa ceinture deux armes de poing et gardé à la main un genre de pétoire galactique manifestement d’une époque plus avancée.

― Mickey… répéta le Docteur.

― Quoi ? J’ai été formé par Jack. J’aime les gros flingues, je sais ce que ça révèle au niveau psychologique… et j’assume ! rigola-t-il.

D’un geste vif, le Docteur prit d’autorité l’une des armes que son ami avait glissées dans son ceinturon, et la retourna dans tous les sens avant de découvrir sur la crosse, ce qu’il s’attendait malheureusement à trouver : propriété de Torchwood. Il la lui rendit d’un air dégoûté.

― Mickey ! Vous travaillez toujours pour Torchwood !  Mais comment pouvez-vous… ?

Les yeux de Mickey étaient rieurs. Il ouvrit une autre issue où il allait falloir s’engouffrer.

― Non, patron. Je ne travaille pas pour Torchwood. Ni Martha, dit-il en marquant une pause pour ne rien rater de l’expression du Docteur. Nous sommes Torchwood ! 

 

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