Redux

Chapitre 2 : Fish & chips

1579 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 7 jours

Chapitre deux

Fish & chips




L'heure d'affluence était passée depuis longtemps.

La salle et ses nombreuses tables entassées étaient en grande partie vidées. Et pourtant, derrière son comptoir garni de corde et de bouées en plastiques, Lucile Wellington était nerveuse. Cela faisait vingt minutes qu'elle passait son torchon à carreaux au fond de la même chope, les yeux rivés sur son dernier client.


L'individu était arrivé durant le coup de feu. Sa carte l'avait présentée comme critique gastronome, puis il s'était installé avant de commander une assiette de fish & chips accompagnée d'un pichet d'eau.

Lucille interpella son dernier serveur, avant qu'il ne disparaisse derrière la porte à battant de la cuisine :

-Arun, siffla-t-elle nerveusement en lui saisissant l'avant-bras. Alors ? Il a dit quoi ?

Le jeune homme faisait des heures supplémentaires, mais la situation l'amusait :

-Il a dit "encore".

Elle relâcha le serveur qui disparu en cuisine.

Après avoir déposé torchon et chope sur le comptoir, la patronne mit le cap vers le client mystère d'un pas décidé.


Elle se posta face à la table, les mains dans le dos, bombant le torse pour se faire imposante :

-Le repas est-il a votre convenance ? Demanda-t-elle sans parvenir à contenir une grimace agacée.

Le large sourire de l'individu était franc, tout comme sa réponse :

-Fantastique !

Il avait cessé de saucer son plat et présentait un visage radieux, les yeux dans le regard de son hôte.

Ses cheveux noirs étaient désormais coupé très court. Il était rasé de près. Malheureusement, à son grand désarroi, ses oreilles étaient toujours décollées.


Lucille avait vu défiler nombre de critiques gastronomes au long de sa carrière, et celui-ci était différent des autres : trop jovial pour être honnête.

Ce ne pouvait être qu'un resquilleur.

-Dois-je vous préparer l'addition ?

Elle avait vu juste. Le visage radieux s'effaça, laissant place à l'embarra.

L'individu claqua des doigts, comme si ce détail lui avait échappé.

-Mais, oui ! Suis-je bête : la rémunération !

Les poings sur les hanches, Lucille était victorieuse.

Mais l'excentrique n'y prêta aucune attention. Il s'était penché pour farfouiller dans les poches de sa veste de cuir posée sur le dossier de sa chaise. Il en sortit une petite bourse de tissus qu'il glissa sur la table en direction de l'inquisitrice.

-Voyez-vous, je voyage énormément. Je ne suis jamais très au fait des devises utilisées...

D'un mouvement de menton, Lucille indiqua le pochon :

-De quoi s'agit-il ?

Portant une frite à la bouche, il expliqua avec nonchalance :

-Ceci fait généralement office de monnaie universelle.

Il jeta un coup d'œil impatient vers la porte de la cuisine :

-Cela devrait également couvrir le troisième service.

Il ajouta avec un rictus gêné :

-Je n'avais pas fait un véritable repas depuis bien longtemps. J'étais affamé en arrivant ici…

Mais Lucille ne l'écoutait plus. Elle avait machinalement pris puis ouvert le pochon avant d'en vider le contenu dans la paume de sa main. Quelques minuscules cailloux brillants s'y déposèrent en scintillant de mille reflets.

-Ce... Ce sont des vrais? bredouilla la gérante.

-Je les ai ramassés moi-même, affirma l'individu en pointant les pépites du bout de sa fourchette.


Arun réapparu, une assiette fumante délicatement maintenue en équilibre dans sa main tendue, un grand sourire aux lèvres. Le jeune homme remplaça l'assiette vide par la pleine puis s'enquit :

-Avez-vous besoin d'autres choses, Monsieur ?

La gérante s'empressa d'ajouter, après avoir fait disparaître le pochon sous son tablier :

-Nous pouvons vous proposer un excellent vin pour accompagner le poisson. Cadeau de la maison !

Déjà en train de piocher dans ses frites, le client leva son verre :

-Rien ne convient mieux au poisson qu'un peu d'eau fraîche.

Il avait l'air ravi de son petit trait d'humour.




Jimmy était inquiet. Terrifié.

Il l'avait vu bouger. Il l'avait vu bouger, mais sa mère avait refusé de l'écouter.

-Tu l'as vu également, n'est-ce pas ?

Appuyé contre l'un des larges pilier du magasin, un grand type vêtu d'une veste de cuir avait les bras croisés.

Jimmy ne lui accorda qu'un coup d'œil furtif avant de reprendre sa surveillance.

-Ouais, je l'ai vu.

-Le mannequin a bougé, mais aucun adulte ne te croit.

-Aucun grand ne me croît jamais de toute façon.

Jimmy avait neuf ans. Les cheveux en bataille, de la détermination dans le regard et un t-shirt Star Wars.

La musique du magasin de vêtements était omniprésente, une suite ininterrompue de morceaux pop, mais ni le nouveau venu, ni Jimmy n'y prêtait véritablement attention.

-Moi, je te crois. Je l'ai vu tourner légèrement la tête depuis l'autre côté de la rue.

L'homme indiqua le restaurant au dehors, au-delà de la foule de passant de l'après midi. Il s'agenouilla près de l'enfant installé dans un fauteuil, puis précisa :

-Je suis le Docteur. Et toi ?

Il présentait un large sourire. Comme si le fait de voir un mannequin de grande surface prendre vie ne l'inquiétait pas outre mesure.

-Jimmy, répondit le garçon.

Alors qu'elle était en pleine discussion avec l'une des vendeuses, une charmante femme blonde, l'une cliente jetait des coups d'œils réguliers dans leur direction.

-C'est ma mère.

-Elle ne crois pas au plastique vivant ou est-elle seulement trop occupée ?

-Les deux, je suppose.

L'homme se redressa puis posa une main réconfortante sur l'épaule de l'enfant.

-Tu as de la chance : j'ai tout le temps, et je crois aux plastiques vivants.

Il fouilla dans les poches intérieures de sa veste en ajoutant :

-Pour être tout à fait précis, je n'ai aucun mal à y croire, j'en aie déjà rencontré.

L'homme fut surpris d'extirper une banane qu'il donna au garçon :

-Mange, c'est bourré de calcium et de potassium. Ça aide à se détendre et ça facilite la concentration.

Jimmy considéra le fruit puis le drôle de bonhomme qui farfouillait encore dans ses poches.

-Comment vous avez dit que vous vous appeliez, m'sieur ?

-Le Docteur. Juste : le Docteur.


Ce nom, il ne l'avait plus utilisé depuis le début de la Guerre du Temps. Comment rester celui qui soigne, qui répare, lorsque l'objectif est la destruction mutuelle assurée ?

Mais aujourd'hui, il l'avait dit. Deux fois. La chape de plomb qu'il avait sur le cœur se fit moins lourde.

Le Docteur trouva enfin ce qu'il cherchait dans la poche arrière de son jean en poussant un petit cri victorieux. Il s'agissait d'un objet à peine plus grand qu'un stylo dont l'extrémité se mit à émettre une lueur bleue accompagnée d'un bruit de vibration alors que l'homme aux oreilles décollées le pointait vers le mannequin.

-C'est un truc de l'espace ?

-Qu'est-ce qui te fait croire ça?

-Bah, je crois pas aux fantômes. Du coup, si ça sort de l'ordinaire, ça doit être extra-terrestre.

-Étrange cheminement de pensé. Ceci étant dit, ta déduction est bonne.

Le mannequin, représentant une femme portant des vêtements de sport, leva le bras. Le mouvement se stoppa net lorsque la lumière bleue s'attarda sur le membre en ronronnant.

L'enfant demanda :

-Et ça, c'est un scanner ?

Le Docteur fit tourner l'engin dans les airs avant de le glisser dans une poche intérieure de sa veste :

-C'est un tournevis sonique.

-Comment un tournevis peut être sonique ?

La question sembla faire mouche. Un peu vexé, l'homme se justifia :

-Il fait du bruit.

D'un mouvement de tête, il indiqua la forme inanimée :

-J'ai augmenté le signal, puis je l'ai coupé. De cette façon, j'ai pu copier la fréquence…

Mais Jimmy ne s'intéressait plus tellement au mannequin, il avait trouvé mieux. Le regard en biais, la bouche pleine de banane, il accusa l'homme qui scrutait de nouveau le présentoir à forme humaine :

-Vous changez de chujet parce que vous chavez pas pourquoi il est chonique votre gadget.

-Est-ce qu'il t'importune ?

Une vendeuse venait d'intervenir. Sans se retourner, le Seigneur du Temps répondit :

-C'est un gentil garçon, mais…

-Je m'adressais à l'enfant.

Délaissant son inspection, l'homme à la veste de cuir fit face à une grande brune aux fines lèvres pincées et au regard sombre. Derrière elle, Jimmy faisait des signes d'adieux de la main tandis que sa mère le menait vers la sortie.

Suivant l'enfant du regard, il ne pû s'empêcher de penser que ce petit être était un survivant, sauvé sans le savoir par l'activation du Moment.


Affichant son sourire le plus efficace, le Docteur pris sa nouvelle adversaire à son propre jeu :

-Vous tombez à pique, j'ai besoin de l'avis d'une professionnelle : ai-je une tête à chapeau ?

-Je vous demande pardon, balbutia la vendeuse.

-Oui, voyez-vous, dans mes jeunes années, j'ai porté karakul, Fedora ou encore panama. Hélas, les années passants, mon visage a évolué, et j'aimerais savoir si, selon vous, je possède toujours une tête à chapeau ?

Déconcertée la jeune femme, d'un regard circulaire, chercha l'aide d'une collègue. Levant le bras, elle appela :

-Rose! Rose! Peux-tu venir s'il te plaît ?

À petite foulée, la pétillante Rose arriva.

Mais le client venait de disparaitre.

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