Lorcana: Monde Patchwork

Chapitre 8 : Cruelle Diablesse

2319 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 06/07/2024 13:32



Chapitre 8 : Cruelle Diablesse




L'humidité suintait entre les pierres du mur, formant un filet d'eau que le lièvre s'était risqué à goûter. Sur sa langue, le liquide était frais et agréable.

Le sol de sa cellule était en terre battue. Tout rongeur qu'il était, le Lièvre de Mars aurait pu sans peine y creuser un tunnel, mais sa condition de gentleman lui interdisait formellement de s'abaisser à de telles besognes.

Par ailleurs, le lit de paille aménagé dans un coin était confortable. Le vent doux et la lumière du dehors passant entre les barreaux réchauffaient les lieux durant la plus grande partie de la journée.

Mars avait beau être condamné à mort par la reine Cruella pour le simple crime d'être lui-même, il gardait un œil positif sur la situation.

On frappa à la lourde porte d'acier qui semblait enchâssée dans la roche.

Le Lièvre réajusta sa veste et son nœud papillon avant de lancer :

-Entrez.

Son bourreau se glissa dans la cellule avec le repas de midi sur un plateau. C'était un plateau d'argent sur lequel étaient disposées deux charmantes tasses de porcelaine, une théière et un imposant gâteau a étages bardés de fruits rouges et de crème chantilly.

-Un joyeux non-anniversaire, mon Cher, annonça le Chapelier Fou.

Les deux amis étaient heureux d'être ainsi réunis. Le fait que l'un d'eux ait été désigné pour exécuter l'autre ne paraissait en rien assombrir leur bonne humeur.

Tenant d'une main agile le plateau en équilibre, le Chapelier, d'un geste rapide de la main gauche, tira de sa manche droite un long tissu à carreaux. Il fit claquer la nappe au-dessus de la triste table de la cellule afin de l'en recouvrir. Sortant les couverts de ses poches, il les disposa, puis remplie deux tasses d'earl grey fumant.

Le bourreau entreprit de garnir ensuite le gâteau de bougies qu'il sortit déjà allumées de son veston.

-Quelques bougies, du thé et un ami, voilà de quoi égayer une matinée, déclara ravi Le Lièvre de Mars qui prenait place à la table.

-Tout à fait, acquiesça son ami. Et rien de tel que de rendre visite à un bon copain pour embellir une journée.

Il indiqua ensuite les bougies de l'index :

-Veuillez faire un vœu et souffler, je vous prie.

-Mais oui, où avais-je la tête ? S'amusa le rongeur avant de s'exécuter.

Après avoir tiré un couteau hors de son haut-de-forme, le Chapelier trancha deux parts qu'il déposa dans les petites assiettes et prit place face à son ami.

-Très cher, commença le Lièvre de Mars sur le ton de la discussion. Quand allez-vous devoir vous acquitter de votre funeste besogne ?

-Notre Reine exige une exécution par mois. Notre rendez-vous est donc fixé au premier du mois prochain.

Il tira ensuite une énorme montre à gousset de sa poche pour la consulter. Il annonça enfin d'un ton formel :

-Votre exécution est prévue dans deux jours, mon ami.

-Ce qui nous laisse amplement le temps de prendre le thé.



...



L'essieu grinçait bruyamment. Les cahots de la route bringuebalaient le carrosse et ses occupants. Ce qui n'arrangeait pas l'humeur de Gaston.

Le petit véhicule qui cheminait sur les routes ensoleillées du Pays des Merveilles, avait été matérialisé d'une note de magie sucrée par le sorcier gourmand. En forme de gigantesque pot de miel, le carrosse était tiré par un magnifique Pur Sang à la robe ambré. Installé derrière, son cocher était vêtu d'un costume doré et maniait un fouet à la poignée en forme de cuillère à miel.

Le cheval, ainsi que le cocher, portait une casquette rouge surmontée d'un petit drapeau.

À l'intérieur, l'ambiance était électrique.

Vêtu comme un valet, aux couleurs similaires à celle du conducteur, Mulan était redevenu un homme. Ce qui la mettait mal à l'aise.

La jeune femme sentait de nouveau la chape du mensonge sur ses épaules. Après ces quelques jours à avoir pu être elle-même, il lui semblait, plus que jamais, qu'être Ping était une torture.

-Rappel moi encore pourquoi tu ne peux pas simplement te matérialiser directement dans la salle du trône ?

A ses côtés se trouvait Winnie.

-Je peux me prestidigitationner où je veux. Cependant, je le fais sans en connaître les lieux, ni savoir qui s'y trouve.

-Ce n'est pas très clair.

-C'est assez confus pour moi également, avoua l'ours en peluche. Mais il serait fâcheux d'apparaître au milieu d'une salle remplie de soldats, tu ne crois pas ?

Puis, il ajouta, comme pour détendre sa nouvelle amie, avec un petit rire entendu :

-Je me rends toujours où je dois aller en m'éloignant d'où j'étais. Ça reste la méthode la plus efficace.

Les bras en croix, Gaston le fusillait du regard

-Ravi de voir que quelqu'un s'amuse, lâcha-t-il amère.

Il était vêtu d'une élégante chemise à jabot dorée et portait sur le crâne un toupet blond à frisette. Avec une certaine nervosité, il faisait rouler une petite couronne entre ses mains.


Le problème n'était pas tant de devoir suivre le plan d'un ours en peluche.

-Je suis un enchanteur, leur avait-il dit dans la caverne. Le rôle des enchanteurs est de savoir des choses, et je sais que vous me viendrez en aide.

Si les enchanteurs en savaient tant, alors Gaston en était venu rapidement à la conclusion que ce vieux sénile de Merlin ne leur avait pas tout dit. Le petit Winnie, en revanche s'était montré très clair : pour activer la magie des lores, il fallait un magicien. En échange de cette faveur, le petit sorcier espérait un simple service en retour : approcher Cruella afin de la renvoyer dans son histoire. Et son plan était simple : profiter des festivités de la prochaine exécution pour s'introduire dans le château.

Se déguiser dans le but d'aider un ours en peluche à aller au bal en échange d'un tour de magie, non, ce n'était pas un problème.

Ce fut la réaction de Blanche-Neige, le problème. A la lueur des roches bleues, elle avait demandé :

-Ne pouvez-vous pas me renvoyer dans mon histoire, s'il vous plaît, petit ourson ?

-Est-ce véritablement ton souhait ?

La douce princesse hésita. Le regard posé sur Gaston, elle ajouta :

-Puis-je emmener quelqu'un avec moi, dans mon récit ?

Le chasseur fut surpris. Il n'avait pas un instant envisagé cette possibilité. Cependant, le sage plantigrade dû contredire la jeune femme :

-Non. Il n'y a que sur Lorcana que nous pouvons tous être réunis. En dehors de ces lieux, chacun appartient à son récit.

Gaston, pour la première fois depuis longtemps, peut-être depuis qu'il avait appris à parler, ne trouva rien a dire.

Les mains dans le dos, la tête légèrement sur le côté, Winnie s'adressa de nouveau à Blanche Neige :

-Je ne souhaite mettre personne en danger, encore moins obliger qui que ce soit à faire quoi que ce soit. Alors, dis-moi, souhaites-tu véritablement retourner dans ton monde ?

Sans quitter Gaston des yeux, elle s'était approcher de lui pour glisser sa main dans la sienne.

-Je reste.

Elle tourna finalement son regard vers le petit enchanteur.

-Je reste encore un peu. Je vais vous aider.

Reconnaissant, Winnie se voulut rassurant :

-Après quoi, tu rejoindras ton récit, je t'en fais la promesse.

Gaston avait retiré prestement sa main. Blanche Neige eut à peine le temps de réagir.

Du bout de ses doigts dansant, l'enchanteur invita les fibres, les plis et les couleurs des vêtements de la princesse à un ballet. Réorganisant l'harmonie, faisant valser les teintes, le plantigrade magique réorchestra la tenue de Blanche Neige.

Une interminable robe safran à jupons cascadait de sa taille sertie dans un corset noir. Une fine dentelle dorée couvrait ses épaules et un collier d'ambre reposait délicatement sur sa poitrine.

Winnie se chargea ensuite de costumer le reste de l'équipe, puis se chargea de faire apparaître le carrosse dans lequel ils cheminaient désormais.


Blanche Neige serait reine, il serait roi. Se faire passer pour un couple de monarque. Donner le change pendant que l'ourson et Mulan infiltrent de château. Quelques jours plus tôt, Gaston aurait trouvé l'idée presque séduisante.

Mais il ne décolérait pas. Une fois plus, il s'était fourvoyé.

Posant une main réconfortante sur la cuisse de son ami, Blanche Neige tenta :

-Mr Gaston ?

Il la repoussa. Il était amer, une femme allait de nouveau le quitter avant même qu'ils aient eu le temps de s'aimer. Gaston s'en voulait d'avoir des pensées aussi futiles. Il serra les dents.

-Réjouissons nous, cette mission ne peut qu'être couronnés de succès: nous avons avec nous deux excellentes comédiennes.


...



Les roses étaient autrefois du plus éclatant des rouges. C'est ainsi que les aimait la précédente reine.

Le jardin du château de Cœur se parait désormais de roses blanches et de roses noires, à part égales.

Les soldats de trèfles et de piques, bien entendu, trouvaient cela très distingué.

Le jardin floral était enfin aux couleurs la nouvelle Reine Cruella qui y cheminait, le pas lourd, en compagnie de son époux, le petit roi de Cœur. Elle avait promis de lui dédier vingt par semaine lorsque le jardin ne serait plus rouge. Ce à quoi le mini monarque s'était empressé de remédier.

Cruella se refusait à faire chambre commune, à partager les repas et se refusait même à passer du temps avec son époux.

Elle avait cependant concédé, histoire de clore une discussion, de lui accorder un peu de son temps si le jardin royal se teintait de noir et de blanc.

Cruella n'y pensait déjà plus lorsque, deux jours plus tard, ce fut achevé.

Le roi n'avait plus aucun véritable pouvoir, mais il avait encore le contrôle des jardiniers. Ce qui, dans le cas présent, lui avait donné un semblant d'ascendant sur son épouse.

C'était donc avec un sourire niais que le nabot nabab courrait à côté de son épouse tout en soulevant un nuage de poussière de sa longue cape qui trainée au sol.

-Nous allons prochainement ériger une fontaine par ici, indiquait-il du bout de son sceptre.

Cruella, elle, serrait les dents.

-Fascinant.

L'affreuse fashionista n'avait pas la démarche assurée, ses talons ne faisant pas bon ménage avec les gravillons blancs des allées.

-Et ici, continua le roi, se dressera prochainement une statue à votre effigie.

Son visage ridé toujours crispé, Cruella n'émettait plus que de petits sons gutturaux pour signifier à son époux qu'elle l'écoutait. La dirigeante décharnée arborait une robe de cocktail aux motifs dominos. Bien que le vêtement fut dessiné, taillé et assemblé par ses soins, il semblait flotter au niveau de ses épaules osseuses.

Le petit monarque ravi, lui, profitait de l'instant :

-Ho, et ici, nous allons planter de nouveaux massifs !

-C'est palpitant, mentit son épouse, un œil sur les aiguilles de la montre à gousset qu'elle portait en collier.

Relevant la tête, Cruella remarqua une forme noire au sol.

Une ombre qui remontait l'allée dans leur direction. Elle pointa le nez au ciel, se couvrant les yeux de la main pour se protéger des éclats du jour.

Piquant depuis le bleu du ciel, comme se détachant des quelques boules de coton qui y flottait, un cheval ailé descendait.

Son envergure était impressionnante, sa crinière azur et son poil blanc comme les nuages. Il planta ses sabots dans les gravillons blancs.

Ce qui eut pour effet immédiat de couper la chique du mini monarque.

Sur son dos l'animal portait un cavalier. D'un mouvement souple, celui-ci sauta à terre pour se dresser face au couple.

C'était un magnifique jeune homme à la mâchoire volontaire, aux muscles ciselés. Le rouquin portait une armure de cuir, une jupette à lanières. À sa ceinture brillait Excalibur.

Frottant ses mains squelettiques, Cruella fit quelques pas en avant, impressionnée :

-Oulala! Mais à qui appartient ce corps d'Appolon?

-Mais enfin très chère, objecta le Roi. Un peu de tenu.

Elle se tourna vers lui, se pencha pour lui tapoter la joue :

-Oui, oui, t'es gentil, tu laisses maman travailler.

Puis s'adressant au nouveau venu :

-Qui es-tu, bel Adonis ?

-Je suis Hercule !

Roulant des yeux de biche au fond de ses orbites profondes, la Reine s'amusa :

-Oui, évidemment.

Dans son dos, son époux était gêné :

-Je me dois d'insister…

-Toi, tu dégages le nabot, intima-t-elle d'une voix mielleuse. Ou je te fais raccourcir au niveau de la nuque.

Puis, oubliant son inutile boulé, elle s'enquit :

-Que me vaut le plaisir ?

Fier, droit, théâtrale, Hercule déclara :

-Je viens mettre un terme à votre politique meurtrière.

Le courrier qu'elle avait délaissé sur un coin de table lui revint en mémoire :

-Bien sûr, le souverain du Vieux Londres. Je ne t'attendais pas si tôt.

L'antique manipulatrice avançait comme un serpent. Elle reprit :

-Voici ma proposition : soit mon invité. Nous organisons un bal en vue de l'exécution de demain soir. Tu pourras y exposer ton point de vue.

Elle faisait désormais danser ses doigts le long des pectoraux du jeune homme que l'armure épousait.

-Si les invités sont de ton avis, je me plierai à tes désirs.

Hercule fut pris d'une nausée passagère. Il hasarda :

-Dans le cas contraire ?

Le sourire sadique de Cruella se renforça :

-Nous aviserons. Je pourrais trouver un usage artistique aux plumes de ton cheval par exemple.

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