Lorcana: Monde Patchwork

Chapitre 7 : Ce monde auquel j'appartiens

1902 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/06/2024 09:38


Chapitre 7: Ce monde auquel j'appartiens




Semblables aux pages d'un livre, les jours s'étaient suivis.

Depuis son arrivée en Lorcana, son récit avait été imposé à Hercule.

Lui qui avait mené tant de bataille, accompli tant de travaux afin de gagner son statut divin ne ressentait plus désormais que frustration et tristesse.

Loin du monde qui était le sien. Loin de celle à qui son cœur appartenait:

Mégara.

Celle pour qui le héros avait affronté les enfers d'Hadès. Celle pour qui il avait fait face à la mort et en était revenu.

Chaque résident de Lorcana était invoqué depuis les contes et les légendes. Ils avaient donc un souvenir assez confus de ce qu'ils étaient avant leur arrivée. Cependant, Hercule, tout comme son ami Gaston, avait connu la mort, événement suffisamment forts pour cristalliser ses souvenirs.

Si la confusion des souvenirs aidait à accepter ce nouveau monde à ses résidents, ce n'était pas le cas pour le jeune souverain du Vieux Londres, hanté par sa vie d'avant.

Tout le ramenait à Megara.


Au cours de la semaine passée, il avait auditionné un chat, un vizir, des sorcières de toutes sortes ainsi qu'un petit poulet, une véritable ménagerie digne d'un cirque, sans pour autant trouver quelqu'un digne de prendre sa place sur le trône.

Aussi las fut-il, Hercule ne pouvait se résigner à laisser le peuple du Vieux Londres entre les mains du premier venu.

Vêtu d'une simple toge blanche, il déambulait sans but, entre deux réunions, entre deux entretiens, dans ces interminables corridors étroits éclairés au gaz. Avec ses murs nus, ses larges pierres grises, l'endroit manquait cruellement de chaleur.

Grimsby apparue au détour d'un escalier. L'antique conseiller avait peu à peu retrouvé le sourire. Le protocole et les exigences avaient finalement pris le pas sur les auditions, piégeant Hercule dans une royale routine que son code d'honneur empêchait de rompre.

Grimsby s'en délectait. La prochaine étape serait de faire entrer ce roi païen dans la maison de Dieu.

-Mes hommages, votre Altesse.

Il était porteur d'une nouvelle qui, il l'espérait, mettrait fin aux espoirs du jeune grecque.

-Bonjour Grimsby, fit Hercule, morose.

-Nous avons des informations au sujet du Pays des Merveilles.

Le visage juvénile du souverain s'illumina.

-De bien mauvaises nouvelles, j'en ai peur, repris le vieux conseiller, constatant l'inquiétude s'emparer de son roi. Il y a eu un changement de régime : une nouvelle reine. Elle aurait fait instaurer une loi martiale et ségrégationniste, oppressant les animaux. Une répression allant jusqu'à la condamnation à mort.

Hercule eut un peu de mal à assimiler l'information. Son cœur était trop pur pour pouvoir imaginer un tel scénario. Il peina à articuler :

-N'y a-t-il rien que nous ne puissions faire ?

Grimsby n'avait pas envisagé un seul instant que le premier réflexe du jeune roi puisse être de vouloir de prendre la défense d'un peuple qui n'était pas le sien.

-Monsieur, interférer avec la politique étrangère pourrait mener nos royaumes vers un conflit armé.

Il tenta de ramener le jeune homme à des préoccupations plus personnelles :

-Si je vous fais part de cette information, c'est avant tout pour que vous sachiez que votre opération secrète est compromise.

Hercule ne semblait pas comprendre. Le vieil homme repris :

-Je fais parfaitement confiance au soldat Ping. Mais votre ami Gaston est-il fiable ?

Il n'aurait pas su décrire ce qu'il avait vu en Gaston, mais le jeune roi avait vu son potentiel. Le français était vantard, égocentrique et très certainement mythomane. Et pourtant, le demi-dieu y avait vu du potentiel. Hercule n'aurait jamais su expliquer cela à son vieux conseiller.

-Ce que je veux dire, insista Grimsby, c'est que des patrouilles armées sillonnent les routes et les chemins du Pays des Merveilles. Comment serait-il possible d'imaginer le comportement de cet individu ? Vous-même m'avez confié ne le connaître que depuis peu. Se pourrait-il que, dans un instant de faiblesse, ce Gaston utilise ces pierres pour son intérêt personnel ? Si tant est que ces pierres magiques existent.

Il avait dit ce qu'il avait à dire. Grimsby observait maintenant l'effet de cette théorie sur le visage de son nouveau souverain.

Satisfait, il vit effectivement passer le doute dans les yeux du jeune homme.

Mécaniquement, Hercule fit un pas, puis deux. Sans s'en apercevoir, il avait repris sa déambulation, Grimsby à ses côtés.

-Si je peux me permettre, laissons ses préoccupations de côté afin de nous concentrer sur...

Il fut interrompu par un hennissement. Le cri montait depuis l'une des ouvertures donnant sur un large balcon. Hercule s'y précipita.


Plus bas dans la cour du château, quatre palefreniers se démenaient à maîtriser un cheval blanc.

Depuis les hauteurs de sa rambarde, Hercule n'eut aucun mal à le reconnaître. Il ne s'agissait pas d'un cheval ordinaire.

Il tapait des sabots, soufflait, secouait sa crinière bleue coupée en brosse, se cabrait puis retombait lourdement. Sa fougue n'avait d'égal que son mécontentement.

L'animal était libre par essence.

Malmené, secoué, balloté de gauche à droite, mais ne voulant à aucun prix lacher la longe qui le relié au cheval, l'un des jeunes serviteurs salua son souverain :

-Sir, je pense que c'est l'animal que vous cherchiez !


Avoir vu le vieil enchanteur en compagnie de son hibou avait donné espoir au jeune grecque. Aussi avait il ordonné à ses chevaliers de se mettre en quête de ses amis Philoctète, son mentor, et Mégara a tout hasard.

Il leur avait également décrit Pégase, son fidèle destrier, sans conviction.

Et pourtant, il était là.

L'animal s'ébroua si violemment qu'il souleva le pauvre palefrenier, toujours agrippait à la longe, qui céda.

L'équidé merveilleux sauta par-dessus le pauvre homme couché dans la poussière, délaissant derrière lui les autres serviteurs. Il tourna sur lui-même avant de prendre son élan, puis déploya ses ailes.

Léger, immaculé, libre, Pégase s'envola, sa crinière azur dansant dans le vent.

Cadeau de Zeus à Hercule son fils.

Façonné dans les nuages.

Sa fine silhouette musclée monta au-dessus du château, laissant son ombre se déployer dans la cour, puis l'animal plongea en piqué, droit vers le balcon, droit vers Hercule.

De ses sabots avant, Pégase atterri sur le torse puissant du demi-dieu. Ils roulèrent tous deux sur les dalles du balcon. Herc se releva, tapant de ses paumes sur ses genoux a l'attention du cheval ailé, souriant et riant comme il ne l'avait plus fait depuis longtemps.

Sous le regard perplexe du vieux conseiller, le roi leva sa main droite et Pégase la frappa de son sabot. Ils finirent de se saluer d'un violent coup de tête mutuel.

-Ha ha! Pégase! C'est toi, c'est vraiment toi!

Hercule enlassait désormais l'encolure de l'animal, visiblement tout aussi heureux.

-Louée soit Artémis !

-Seigneur Dieu, soupira Grimsby.

Dès que le roi faisait mention de "ses dieux", le vieil homme s'offusquait. Ce fut la fois de trop. Hercule s'éloigna de Pégase.

-Grimsby, vous allez me faire un point détaillé sur la situation aux Pays des Merveilles, suite à quoi vous leur ferez parvenir un courrier officiel annonçant mon arrivée.

Hercule venait de retrouver toute son assurance. Grimsby, lui, bégayait de veines protestations.

-Vous ferez également nourrir et brosser mon cheval.

Le roi se planta face à son serviteur. Avec fermeté, il continua :

-À l'avenir, je vous serai reconnaissant de ne plus remettre mes décisions en question.

Avant de conclure :

-Gaston trouvera ces pierres et les ramènera.



...




Avant de disparaitre complètement dans les sous-bois, nos aventuriers avaient pu voir passer une patrouille au loin.

Les cinq cartes à jouer humanoïdes larges d'épaules, armées de lances, s'engageaient sur le chemin que venaient de quitter nos voyageurs.

-Ils se dirigent vers ce maboul de lièvre, en avait conclu Gaston.

-Serait-ce la raison de son étrange déguisement ? Pensez-vous qu'il soit recherché ?

-Quand on est recherché, on ne prend pas le thé, coupa Mulan.

Sur l'épaule de la jeune asiatique, Mushu s'agita :

-Les bestioles se carapatent !

Les petites touffes de poils multicolores que suivaient désormais les voyageurs ne perdaient effectivement pas de temps. Aussi minuscules qu'ils fussent, les Mome Raths étaient rapides.

La petite troupe laissa ces considérations en suspens et leur emboîtèrent le pas, suivant ces étranges petits guides dans les ombres denses.

Dérapant sur des tapis de mousse, évitant les branches basses, enjambant d'anciennes souches, traversant des cours d'eau sur des ponts de fortune, l'expédition avançait bon train derrière les Mome Raths que rien ne ralentissait.

Mulan, qui avait arrangé ses cheveux en une longue tresse, maudissait son armure contraignante à laquelle s'accrochait son petit dragon. Blanche Neige pour sa part était ravie de lourdes chaussures de marche qui lui assurait confort et stabilité. Par deux fois seulement la belle princesse manqua de trébucher. Ce qui fut à chaque fois empêché par les puissants bras de Gaston.

Le français remarqua sans peine que ces étreintes fortuites faisaient monter le rose aux joues de la jeune femme. Aussi, les avait-il faits durer plus que nécessaire.

-On avance derrière! Les Mome Raths ne nous attendrons pas, leur rappelera Mulan, excédée.


Ils finirent par arriver au pied d'un monticule herbeux au-dessus duquel la lune semblait posée. La nuit venait de tomber. Au sol, les Mome Raths formaient une flèche pointant une crevasse dans la paroi qui mettait à jour la roche sous le tapis mousseux.

La déchirure béante paraissait s'enfoncer profond sous la terre. De ses entrailles montaient une lueur bleue salutaire face aux ombres de la nuit qui prenaient peu à peu possession des bois.

Un genou au sol, Blanche-Neige sorti de son sac à dos un restant de pain de campagne pour l'émietter au dessus des Mome Raths.

-Merci, petites créatures, nous n'y serions jamais arrivés sans votre aide.

Une main posée sur la paroi, Mulan inspectait l'ouverture, Gaston à ses côtés.

-Dis à la princesse que nous devons avancer, lui ordonnat-elle.

Par réflexe, Gaston s'apprêtait à lever la voix pour interpeller la délicate créature. Il se ravisa, s'approcha doucement et lui tendit la main, l'aidant à se relever.

-Nous devons y aller, Blanche.


Mulan avait déjà disparu dans l'ouverture.



Le conduit n'était pas large et descendait en pente douce vers cette lueur de plus en plus insistante, aussi les voyageurs avaient-ils pu se passer de torches.

La marche fut longue, éreintante puis le boyau déboucha enfin dans une impressionnante chambre ronde aux murs scintillants. D'ici commençaient plusieurs galeries, au sol desquelles courraient de petits rails. Au bout de certains de ces rails reposaient encore de vieux wagonnets.

Les parois s'élevaient à plusieurs dizaines de mètres. Enchâssées arbitrairement dans la roche, de nombreux cristaux lumineux dépassaient, éclairant l'endroit comme en plein jour.


Une voix douce et ronde s'éleva depuis un coin ombre :

-Soyez les bienvenus.

Un petit ourson jaune habillé en sorcier avança dans la clarté.

-Je vous attendais. Veuillez m'excuser, je n'ai qu'un peu de miel à vous proposer.

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