Lorcana: Monde Patchwork
Chapitre 6: Le chemin des Mome Raths
Loin devant, ouvrant la marche, Blanche Neige avançait en sautillant au milieu des fleurs et des herbes hautes.
Un interminable tapis aux nuances fuchsia, rubis et ambres recouvrait le champ en jachère dans lequel cheminait le trio d'aventuriers et leur petit dragon.
Haut dans le ciel dégagé, l'astre du jour baignait cette agréable mâtinée de sa douce chaleur.
Quelque peu distancé par la princesse, Mulan et Gaston tenaient la cadence. Celui-ci se désaltéra d'une gorgée d'eau fraîche, puis proposa son outre en peau de daim à la jeune femme avant de demander :
-Ne devrions-nous pas déjà avoir franchi la frontière ?
La soldate refusa poliment la boisson avant de se retourner pour indiquer un point sur la ligne d'horizon, loin derrière eux. Tout en caressant les côtés de Mushu posés sur son épaule, elle demanda calmement :
-Tu vois l'arbre plat là-bas, Gaston ?
Ce dernier émit un léger grognement approbateur. La jeune femme annonça :
-C'était la frontière. Nous l'avons traversé ce matin.
Elle reprit le sens de la marche.
-Il ne nous reste plus qu'à trouver une âme charitable capable de nous indiquer l'emplacement d'une mine.
Elle cru bon de préciser, élevant la voix pour que Blanche Neige entende également :
-Ne vous fiez surtout pas au panneau de direction !
Ajoutant ensuite à l'adresse de Gaston :
-Et il ne faut surtout pas accorder une confiance aveugle aux habitants du Pays des Merveilles...
Le Chasseur abonda :
-Les étrangers sont rarement dignes de confiance. Ils sont plus fourbes encore lorsqu'ils sont dans leur propre pays…
Outrée, Mulan bredouilla :
-Mais ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire !
Blanche-Neige revint vers le duo en courant, un sourire accroché à ses lèvres rouges. Retenant d'une main la sangle de son sac à dos, elle prit celle de Gaston de l'autre pour l'entraîner plus en avant.
-Venez voir M'sieur Gaston!
Toujours perché sur l'épaule de Mulan, Mushu lui glissa à l'oreille :
-C'est moi ou cette pimbêche s'est entiché de cet homme des cavernes ?
Mulan accélérera le pas, se contentant d'un :
-Ça, c'est son problème.
Depuis qu'ils avaient quitté la chaumière où Blanche Neige avait laissé ses tamias, Gaston n'avait fait que conter ses exploits et ses aventures, abreuvant ainsi de rêve la jeune princesse restée seule bien trop longtemps.
La belle exilée avait remonté ses cheveux à l'aide d'un ruban rouge, troquée sa longue robe contre une plus courte, toujours jaune, mais aux motifs verts entrelacés, relevée son haut col blanc. Elle avait également remplacé ses fins mocassins pour une paire de grosses chaussures de marche.
C'était sa façon de se sentir prête pour l'aventure.
Elle ne l'était pas.
Les nuits à la belle étoile lui était pénible, et son cœur d'artichaut n'avait pas su résister au charme animal (certains diraient bourrin) de Gaston.
Elle tenait donc son "prince charmant" par le bras, l'emmenant au-delà du champ, pour se rapprocher d'un chant qui s'y elevait douloureusement.
Au-delà d'une clôture de bois, derrière quelques arbres entretenus, une longue table était dressée dans un jardin fleuri. Sans aucune organisation, toutes sortes de tasses fumantes et de théières sifflantes étaient disposées éparses, avec de-ci de-là, des piles de tartines, des mottes de beurre sur des coupelles, sans oublier quelques petits monticules de biscuits.
La table était entourée de dizaine de chaises.
Au bout de cet horizon, derrière les vapeurs, un triste individu entonnait une complainte :
-Un joyeux non anniversaire, à moi... Un joyeux non anniversaire, tout seul...
Toujours de son côté de la barrière, Gaston commenta :
-Quel pathétique individu...
Sortant à son tour du pré, Mulan s'inquiéta:
-Où est Blanche Neige ?
Gaston était effectivement seul, appuyé contre les planches. Ils n'eurent pas le temps d'inspecter les lieux, ni d'appeler leur amie, qu'ils entendirent :
-Bonjour cher Monsieur, vous avez l'air triste. Puis-je vous aider ?
La douce voix de la princesse provenait d'au-delà du rideau de vapeur.
Mulan pesta, puis s'en alla rejoindre sa trop aimable compagne de voyage. Elle traversa un charmant petit portail, suivis d'un Gaston peu motivé.
Blanche Neige faisait la discussion avec étrange individu. Vêtu d'un costume de tweed orange, et de son nœud assorti, il dissimulait son visage derrière de grosses lunettes. Il avait enfoncé sur son crâne un chapeau melon finissant de couvrir cette tête qu'il semblait vouloir cacher.
Le subterfuge n'était pas des plus efficaces puisque l'on distinguait toujours la pilosité excessive de son visage, sa truffe frémissante au-dessus de deux dents proéminentes, son strabisme et sa tignasse blonde dépassant sous le galurin.
L'étrange individu faisait couler du thé dans une tasse face à la pâle jeune femme assise à ses côtés, lorsque Gaston et Mulan s'approchèrent.
La jeune soldate avait de nouveau glissé son dragon sous son armure.
Blanche Neige souffla sur le thé qu'elle portait à ses lèvres puis fit les présentations :
-Mr Mars, je vous présente mes amis : Monsieur Gaston et Mulan.
Mars ne fut guère très accueillant. Bien que cette politesse ne l'enchantait guère, il les invita tout de même à prendre le thé. Ce que Gaston s'empressa de refuser.
-Voilà qui est très aimable de votre part, annonça l'hôte soulagé.
-Quoi donc ? Demanda le ballot.
-Mais de refuser, pardi.
Mars ajouta, un regard en coin vers la princesse :
-D'autres n'ont pas cette prévenance.
Mal à l'aise, Blanche Neige reposa sa tasse. Ce qui eut le don d'énerver le poilu costumé :
-Ho, mais je vous en prie! Buvez ce thé !
Le français posa une main rassurante sur l'épaule de son amie avant de se pencher vers l'étrange individu :
-Je n'ai aucune confiance en vous.
-Voilà qui est judicieux ! Vous êtes prévenant et judicieux. Je vous aime bien. Voulez-vous une tasse de thé ?
Mulan coupa court :
-Plus de thé pour personne. Connaîtriez-vous par hasard l'emplacement d'une mine dans les environs ?
Aucunement brusqué, Mars questionna :
-Quel genre de mine ? Une bonne mine ? Une mauvaise mine ? Une mine de crayon ? Une mine blafarde ?
Chaque proposition s'accompagnait d'une grimace appropriée. Cette gymnastique faciale fit légèrement glisser les fausses lunettes.
Blanche Neige n'y tenait plus. Elle posa délicatement sa tasse fumante et demanda :
-Excusez-moi, monsieur, mais, vous êtes un lapin ?
Tel une tempête gesticulante, Mars se leva :
-Voilà qui est trop ! Quelle indiscrétion ! Quelle insolence ! D'abord mon thé, maintenant mon identi-té…
-Inutile de vous empor-ter, fit timidement la jolie brune.
Le fou s'apaisa aussi sec :
-Ho, jolie rime.
De ses mains calmes, Mulan dirigea ses amis vers la sortie, s'excusant auprès du Lièvre de Mars.
-Nous n'allons pas vous déranger plus longtemps.
-Êtes vous certaines de ne pas vouloir une tasse de thé ?
-C'est vraiment aimable à vous, mais nous avons à faire.
Le lièvre était déçu. Alors que le trio quittait le jardin et ses vapeurs, il leur conseilla tout de même :
-Pour votre mine, je vous conseille de suivre les panneaux.
Ajoutant, hurlant par-dessus le sifflement des théières :
-Ne demandez surtout pas aux Mome Raths !
Ainsi le trio repris sa route.
Suivant un sentier clair aux bordures entretenues, ils s'éloignèrent, s'enfonçant une fois de plus dans une forêt.
Des tirants de lumière tranchaient de-ci de là au travers l'ombre des arbres, dessinant des volutes sur la poussière du sol.
Il n'y avait pas de saison, en Lorcana.
Pas à proprement dit.
La météo variait selon la narration, parfois selon les régions, lorsque l'ambiance l'exigeait.
Pour l'heure, le climat était clément. Ce qui confortait Mulan dans sa décision. Elle avait délaissé ses oripeaux d'homme dans la chaumière de Blanche Neige, sans avoir la certitude de redevenir un jour le soldat Ping.
Délestée de ses bandages, de son épaisse toge verte et de ses mensonges, la jeune femme avançait sereine vers son objectif.
En dehors de quelques piques sexistes, Gaston s'était révélé d'un soutien inattendu. Le gaillard lui avait certifié que le nouveau roi du Vieux Londres ne verrait aucun inconvénient à savoir une femme à la tête de l'expédition. Il avait qualifié cela de "faiblesse progressiste", en ajoutant cependant que Mulan avait bien l'étoffe "d'un homme, d'un vrai".
La soldate avait malgré tout apprécié la balourde tentative de rapprochement amical de Gaston.
Il faisait tout de même chaud sous l'armure, aussi Mushu avait-il repris sa place sur l'épaule de sa protégée.
-J'espère qu'ils ne sont pas tous aussi cinglés dans le coin.
-Pour ce que j'en ai lu, si, confirma son amie.
Gaston tenait son arme, crosse vers le bas. Tout en avançant, il piochait dans sa besace le sachet de poudre, puis les billes en métal, dont il gavait la gueule du tromblon.
Blanche Neige se voulut apaisante :
-Vous n'avez pas à être si méfiant, mon ami.
-Je ne suis pas méfiant, je suis prévoyant.
A l'aide d'une tige, le Français bourrait projectiles et explosifs dans le fond de son arme.
-Le prochain qui nous propose une tasse de thé...
Au loin le sentier se séparait en deux. Au cœur de cette intersection se trouvait deux points rouges et jaunes. Grandissants à mesure que la petite troupe avançait, il ne fit rapidement plus de doute: il s'agissait de deux individus bedonnants parfaitement immobiles.
Les deux rouquins rondouillards ronflaient faiblement, les yeux clos, debout, l'air paisible.
Vêtu d'une salopette rouge sur une chemise citron, ils portaient également tous deux un nœud papillon disproportionné. Au sommet de chacun de ces curieux bonshommes était posée une casquette rouge surmontée d'un petit drapeau, dansant dans la brise.
Mulan se tenait à présent à quelques centimètres de ces deux personnages, Gaston et Blanche Neige juste derrière elle.
-Tweedledum et Tweedledee, lut-elle.
Il s'agissait d'une inscription cousue à même le col des jumeaux.
-Du charabia, commenta Gaston.
-Nous pourrions leur demander notre chemin ? S'enquit la Princesse.
-On pourrait passer notre chemin, préféra le petit dragon.
Avec une sonorité de klaxon, Tweedledum et Tweedledee se mirent en mouvement. Le groupe de voyageurs dû faire quelques pas en arrière. Les petits rondouillards venaient d'ouvrir les yeux tout en entamant une étrange gigue.
Gaston épaula son fusil, ne sachant lequel des olibrius mettre en joue. Les doigts délicats de Blanche Neige se posèrent sur le canon. Elle plongea ses yeux bleus dans ceux du chasseur.
Celui-ci baissait son arme alors que Mulan levait ses paumes face aux danseurs, en signes d'apaisement.
-Veuillez excuser notre enthousiasme Mademoiselle, dit le premier. C'est que nous avons rarement l'occasion de voir du monde dans ce coin de la forêt.
-Nous avons bien pensé aller ailleurs, ajouta le second. Mais si nous allions ailleurs, et que quelqu'un venait à passer ici, nous ne le verrions pas.
Mulan se voulut conciliante :
-Oui, voilà qui est un raisonnement tout à fait censer.
Sans véritablement l'écouter, celui de droite continua :
-Et par chance, vous êtes ici et non ailleurs.
Et celui de gauche :
-Une chance également, que nous ne soyons pas ailleurs.
Sans conviction, la négociatrice hasarda :
-Puisque vous semblez connaître les lieux. Savez-vous s'il y a dans les parages, une mine ?
Mais aucun des deux fous sautillant ne l'écoutait. L'un d'eux semblait intrigué par Mushu:
-Quel charmant petit animal ! Est-ce que vous connaissez le jeu du furet ?
-Ho ! Se défendit le dragon. Tu m'as pris pour une belette !?
Puis l'un d'eux, à Blanche Neige :
-Et cache-cache ? Connaissez-vous cache-cache ?
Gaston empoigna le col sur lequel était brodé Twiddledee puis le soulava, avec son occupant, quelques dizaines de centimètres vers le haut. Il le menaça d'un calme :
-Et ni oui ni non, tu connais rase-mottes ?
-Ou... Ou... Je connais, m'sieur !
Le français dévoila un sourire carnassier :
-Maintenant, connais-tu l'emplacement d'une mine dans les parages ?
-Nnnn... Ça, je ne pourrais pas vous dire, m'sieur... C'est qu'on ne bouge jamais d'ici.
Gaston ramena vers lui son mauvais informateur, collant presque son nez contre le sien :
-Dernière question : connais-tu quelqu'un qui pourrait nous renseigner ?
-Nnnn... Je ne sais vraiment pas, et vous m'en voyez navré. Quoi qu'il en soit, ne demandez surtout pas aux Mome Raths...
L'étau se desserra et le drôle de bonhomme en salopette se retrouva sur le derrière.
-C'est quoi ça les Mome Raths ?
Twiddledee, que son frère peinait à relever, indiqua du doigt ce qui ressemblait à un petit tapis d'herbe multicolore :
-Ça ! C'est sont les Mome Raths.
Mulan s'agenouilla pour observer de plus près les tâches bleues, vertes, rouges. Mushu s'étonna :
-C'est des bestioles !
Sous les touffes des couleurs se trouvaient deux yeux ronds sous lequelles descendaient deux tiges roses. Effrayées par les cris du dragon, les tiges s'activèrent, telles de petites jambes. Doucement, la guerrière les rappela :
-Ne partez pas. Pourriez-vous nous venir en aide s'il vous plaît ? Nous cherchons une grotte, une mine remplie de roches bleu brillantes.
Les petites créatures velues revinrent pour observer la jeune femme, puis se réunirent en cercle. Il devait y avoir là une cinquantaine de Mome Raths, formant un tout petit conciliabule.
Après délibération, les bestioles se mirent en formation, dessinant une flèche sur le sol. La pointe multicolore indiquait un point plus profond dans les bois, au bout d'un chemin qui, quelques secondes plus tôt, n'étaient pas là.
Le gaillard s'approcha de Mulan.
-Ce ne sont ni des gens, ni un véritable panneau. Peut-on leur faire confiance ?
-On va bientôt le savoir.
Emboîtant le pas à ses compagnons de voyage qui disparaissaient dans les ombres, Blanche Neige adressa aux jumeaux de maladroites excuses :
-Veuillez pardonner la rudesse de mes amis. Mais sachez que nous vous sommes infiniment reconnaissants.
Puis elle disparut à son tour.
Twiddledee réajustait sa casquette :
-Tu veux que je te dise cher frère ?
-Quoi donc ?
-Heureusement qu'il n'y a pas plus de monde à passer par ici.