Fairy Big 4 : La légende des quatre saisons
Une migraine à vous rendre fou accueillit Mérida à son réveil. Était-elle encore vivante ? Était-elle ailleurs ? Tout tournait autour d’elle. En passant sa main sur son visage elle le sentit humide, dégoulinant de sueur fiévreuse… Un grommèlement s’échappa de sa bouche avant qu’une douce fraîcheur la calme.
- Tout va bien, calme toi. Je veille sur toi.
La rousse se sentit repartir tandis qu’une main lui tapotait le front avec de l’eau de rivière. Elle replongea dans les abysses d’un affreux cauchemar, remplit de Fées noires et d’un ours cherchant à la dévorer avant de rouvrir les yeux.
Cette-fois, elle reprit une partie de sa conscience. Son souffle s’accéléra en repensant à ce qui l’avait conduite à être allongée et blessée. La chasse dans les bois avait été une véritable torture mais elle avait réussi à semer l’Ours en plongeant dans l’eau… Elle s’était laissé entraîner par le courant. La suite était plus vague… Elle avait réussi à ressortir en s’accrochant à une racine mais la nuit l’avait rendu aveugle du reste. Elle se souvenait juste avoir voyagé sur le dos de son ami Kenai, entourée d’animaux fuyant aux pas de course. Elle avait dû appeler l’ours pendant sa détresse et il l’avait cueilli quelque part, dans un état lamentable.
Un bruit de froissement attira son attention. Mérida prit une grande inspiration et se souleva, ses cheveux ballotant sur ses épaules. Son visage se tordit en une grimace, la main sur sa poitrine. Où était-elle ? A priori dans un arbre, au frais… Sous terre peut-être ? Oui, elle voyait les racines parcourir le plafond et une lumière blafarde transpercer un trou juste en face. Mais ce fut autre chose qui retint son attention…
Une fée inconnue était là, en train de recoudre son vêtement orange-marron troué de toute part. Elle ne l’avait jamais vu et se demandait si c’était une ennemie ? La pénombre ne permettait pas de visualiser correctement les couleurs de cette fée…
Méfiante, Mérida se raidit et chercha une arme autour d’elle. Elle heurta une bassine coquillage remplit d’eau qui fit relever la tête de la couturière. Celle-ci se leva en souriant. A son approche l’Automnale comprit tout de suite que c’était une alliée. Elle dégageait une aura lumineuse.
- Tu es réveillée ! J’avais peur que tu ne t’en sortes pas…
- … C’est toi qui m’a sauvé ?
- Et bien… Je t’ai trouvé devant chez moi, deux ours t’ont déposés là… J’étais un peu terrifiée. Heureusement, ils ne m’ont rien fait et se sont mis plus loin. J’ai fait ce que j’ai pu pour te guérir mais je… Je n’ai pas de pouvoir magique alors… J’ai fait au mieux.
La rousse plissa les yeux. La fée en face d’elle se touchait les cheveux, gênée. Elle ressemblait à Raiponce en faisant se geste. Un maigre sourire s’échappa de son visage à cette constatation.
- Tu es une Sans-Talent ?
- Oui.
- Je ne t’ai jamais vu dans la vallée ? Ni Harold qui connait pourtant tous sur vous. Est-ce que tu vis en ermite, comme Bruno ?
La fée sembla prise au dépourvue. Bruno ? Harold ? Elle secoua la tête, prit un peu d’eau et le lui tendit.
- Tiens, bois. Tu en a bien besoin avec tout ce que tu as perdu. Quand à ta question… Voilà longtemps que je vis seule, sur une île loin de la vallée. Je l’ai quitté depuis plusieurs années. A part les animaux et des amis, personne ne sait que je suis là.
Mérida s’exécuta tout en cogitant. Elle ne comprenait pas bien sa réponse.
- Pourquoi tu as fait ça ?
- Parce que je ne trouvais pas ma place…
Elle se releva et croisa les bras, hésitant à parler d’elle et de ses plus profondes émotions à une inconnue. La rousse en profita pour l’observer de plus près. Une jolie peau teinte chocolat au lait avec des tâches de rousseurs, des yeux noisettes, de long cheveux noirs tressées qui courait dans son dos entre des ailes basses et sur son buste, une tenue en fleur violette.
Elle aurait fait une jolie voltigeuse si elle avait pu recevoir un don…
- Et, comment tu t’appels ? Moi, c’est Mérida. Je suis une Automnale des animaux. Je suis née il y a moins de 4 mois…
- Oh, tu es toute jeune ! Moi c’est Asha. Enchantée de te connaître.
Elles se sourirent, la plus âgée se détendit en offrant des bons fruits juteux à sa patiente. Mérida ne se fit pas prier et dévora son assiette.
- Je suis désolée pour ce qui t’ai arrivé. Tes ailes… Ton corps…
La rousse haussa les épaules en croquant dans du raisin. Elle avait bien sentit que ses ailes ne répondaient plus… Elle n’osait pas y faire face et ignora l’implacable vérité : Elle ne pouvait plus voler.
- Merci d’avoir veillée sur moi, répliqua-t-elle une fois repue et remise de ses émotions. Sans toi je serais morte à l’heure qu’il est.
- Tu aurais été bien mieux soignée avec une autre. Je n’ai pas de potion magique, ni de sortilèges de soin…
- Peu importe, je suis encore là, c’est tout ce qui compte.
- … Mais le poison, je n’ai pas pu le retirer. Il ronge encore ton corps. Et tes plaies sont… toujours profondes.
La rousse se décida à s’ausculter. Elle avait en effet la peau violette par endroit et quatre tranchées bien rouges qui parcouraient son buste et son visage. Ses ailes pendaient comme son vis-à-vis, mais elles étaient surtout trouées à cause des branchages de la rivière et du courant… Elle poussa un long soupir.
- Je n’ai rien pu faire. Je me suis complétement fait dominer par les Fées Noires et se taré de métamorphe Ours. Si il y a bien une incapable, ici, c’est moi.
Asha allait répondre mais la rousse reprit.
- Tu sais ce qu’il s’est passé à l’Arbre-Monde ?! Je n’ai vu qu’une grande débandade, l’arrivée de nos ennemies puis… j’ai dû fuir et me suis évanouie. Dis-moi comment ça se passe ?
- Je n’en sais rien, déplora Asha la mine basse. Je ne quitte jamais mon île. J’ai juste vu de la fumée et entendus des hurlements terrifiants !
- On est encore dans la vallée ici ?
- Non, à la frontière entre les deux mondes. Enfin, c’était le cas avant. Maintenant que j’ai vu la barrière se briser, je ne sais plus trop où est où.
Dehors, le soleil chaud filtrait par le trou de la sortie. Mérida se releva prudemment, étirant tous ses muscles endoloris. Asha l’aida et s’enquit de son état. L’Automnale avait affreusement mal mais elle tenait debout.
- Il faut que j’y retourne pour voir de mes propres yeux.
- Surtout pas ! Tu n’es pas en état ! Remets-toi avant de tes blessures.
- Mais beaucoup de monde compte sur moi ! La Reine, Harold, Raiponce, Jack, les Automnales, les Animalières… Angus…
Elle serra sa poitrine, les larmes montants si rapidement qu’elle en fut surprise. Asha lui frotta le dos en la reposant sur un siège en mousse moelleux surmontée d’un patchworks fait main. Son ami, Angus, s’était vaillamment battu pour la protéger… Qu’en était-il maintenant ? Elle devait aller voir… Mais, sans ses ailes, elle n’y arriverait jamais.
- Je vais te faire une bonne tisane d’herbes curatives, tu vas voir, ça va t’aider ! Ne bouge pas.
- Merci…
Une fois faite, la rousse bue lentement, appréciant les saveurs exotiques de son breuvage. Elle essaya de garder son calme. Puis elle insista pour en connaître plus sur sa sauveuse qui fini par lâcher du lest.
- Je ne saurais te dire le nombre d’années depuis mon départ. Peut-être trente ou quarante. J’ai arrêté de compter. Je… Je me sentais seule. J’étais pourtant très entourée, mais à l’intérieur, j’avais froid. J’étais incapable de faire quelque chose de bien, totalement inutile à quiconque. Je n’ai jamais su faire de magie et si je m’en approchais je causais des catastrophes. C’était comme une allergie à la magie. Alors j’ai pris peur. Et j’ai fui.
- Mais tes amis… Ils ne te manque pas ? Les autres Sans-Talent par exemple ?
- Ceux avec qui j’étais les plus proches sont tous morts. Des accidents, de ma faute parfois… des… départs volontaires pour les plus déprimés… Il ne restait plus que Milo. Il m’a supplié de rester mais je n’en pouvais plus. J’étouffais. Toutes ses fées , heureuses, qui vivaient leurs rêves et me regardaient de haut. Et moi, sans but, sans rien, sans talent. Non, rien que d’y repenser, je ne peux plus supporter ça.
La mine basse, Mérida fut parcourue d’une infinie tristesse pour Asha. Chaque fée avait ses problèmes, ses peurs, ses désirs, ses dons… Mais ceux qui souffraient le plus, en fin de compte, c’était les laissés pour compte. Les abandonnées par le système. Cette injustice fit monter la colère en elle. La reine aurait dût en faire plus ! Elle aurait dût voir le mal-être de certaines de ses petites chéries ! Tous comme l’isolement des Fées hivernales ! Pourquoi avoir détourné les yeux ? Probablement à cause de son obsession des Fées Noires et de son travail titanesque … Alors pourtant que la Grande fée Bleue en attendait beaucoup d’elle, des trois autres, et leur avait mise la pression ! Que savait-elle par ailleurs ?! Leur avait-elle caché cette terrible nuit ?
Nouveau soupir.
« J’ai fait, moi aussi, beaucoup d’erreurs ».
Mérida se rappela les paroles de sa reine. Personne n’était parfait, elle non plus. Dans un sens cela la soulagea et elle reprit des couleurs. Rien n’était encore définitif !
- C’est quoi tes rêves ?
- Mes rêves ?! Je n’en ai pas !
- Tout le monde en a. Réfléchit. Moi je ne te trouves pas inutile, loin de là. Sans toi je n’étais plus. Alors oui tu n’as pas de don de naissance, mais rien ne t’empêche de te forger un talent rien qu’à toi. Pourquoi pas le dessin ? Une amie à moi en est friande. Où la cuisine, tu es plutôt douée pour ça. Le jardinage aussi. Si tu le veux vraiment tu peux faire ce que tu veux ! C’est Harold, Raiponce et Jack qui me l’ont appris. Personne n’est inutile… Trouve ta propre voie tout comme je cherche la mienne ! Tout le monde à sa place dans le monde !
- Abuela Alma me répétait sans cesse que je devais être parfaite dans mes tâches car je ne valais rien sans magie. Elle ne m’a jamais aimé. Ni moi ni les autres. Je crois qu’elle nous voyais comme des tares à cacher.
Mérida fulminait. Elle n’avait jamais apprécié la doyenne de l’Arbre, vu ce qu’elle avait entendu d’Harold, mais elle comprenait encore mieux le sentiment d’injustice de ceux qui la côtoyait. Parfois, le mal ne se cachait pas que dans la magie noire… Parfois il se tapissait vicieusement parmi les gens qui pensaient faire le bien.
- Son avis n’est pas parole sacrée. Je suis sûre que toi, Milo, Mirabel et Quasimodo avez de grande chose à faire dans ce monde. Une erreur peut engendrer de belle chose… Comme… Oui, comme cette fleur que j’ai vu une fois ! Elle avait poussé à l’envers ! C’était surprenant et vraiment magnifique ! Ses couleurs s’étaient mélangées, on aurait dit un arc-en-ciel !
Asha lui sourit. Elle opina simplement en terminant elle aussi son breuvage aux baies sauvages. Mérida était comme une bouffée d’air frais et, bizarrement, sa peur se calma.
- Mon rêve… Si je devais en donner un… Ce serait de pouvoir aider les autres à être heureux. Je sais, c’est stupide, dit-elle en agitant les mains. Mais j’aimerai être une de ses héroïnes qui apporte la joie. Comme la Reine, Flora, Pimprenelle, Pâquerette et Verna.
- C’est un vœu très altruiste, répliqua la rousse, surprise. Peut-être que tu pourrais le réaliser en trouvant, en même temps, ta propre voie.
- … Mais je ne suis capable de rien.
- Moi non plus. Mais à deux on peut déjà avancer plus loin. J’ai besoin d’aide. Vas-tu m’apporter la tienne ?
Elle haussa plusieurs fois ses sourcils d’un air taquin. Asha ne put retenir un rire tout en approuvant la demande ! Après tout… pourquoi pas ? Si elle voulait donner un sens à sa vie, c’était peut-être le moment opportun ? Saisir cette chance pour enfin vivre vraiment !
Mérida fut satisfaite de la voir de bonne humeur. Elle finit sa tisane et s’étira en se levant. Elle avait beaucoup moins mal, même si ses cicatrices la tiraillaient de partout.
- Ne me regarde pas comme ça, je ne vais pas m’enfuir, réagit la rousse. Je te promet de guérir avant qu’on s’en aille ensemble ! Ah…, Mais je ne peux plus voler par contre.
- Moi non plus.
- Ah bon ?! Pourtant, tes ailes sont entières !!
- Je te rappelle que je vis sans poussière de fée. Et sans poussière….
- Pas de vol ... NI DE MAGIE !
Elle réalisa enfin. Ses yeux s’agrandirent, la peur reflua dans son ventre. Comment faire pour vivre sans poussière ?! Il ne lui restait que quelques grains dans sa poche…
- Comment vais-je pouvoir savoir ce qu’il se passe là-bas ?!
- Pourquoi ne pas demander à tes amis ours ? Ils sont toujours à t’attendre dehors.
- Bonne idée ! Je reviens !
Asha lui sourit et la vit foncer dehors en courant. Ce que la rousse n’avait jamais compris c’est que voler était VRAIMENT très utile. La course jusqu’au bosquet des ours l’épuisa. Elle n’arrivait plus à respirer sous cette chappe de plomb.
Marcher est vraiment ennuyeux, grogna-t-elle.
Kenai et Koda lui firent la fête ! La rousse les accueillit avec chaleur et une gratitude infini. Elle se lova dans leur fourrure et embrassa leur truffe plein d’amour. Koda la lécha plusieurs fois, la faisant rire. Quand les retrouvailles s’apaisèrent elle leur demanda des nouvelles de la vallée. Les ours lui firent un résumé en mimant des gestes. Mérida ne fut pas sûre de comprendre, et surtout, elle ne pouvait croire le peu qu’elle avait saisi. Elle secoua la tête.
- Je ne comprends pas… Je suis désolée…
Koda fit la moue avant de s’approcher. Kenai continuait de mimer mais la rousse refusa cette étrange vérité. Elle avait du mal comprendre ? Pourquoi il mimait un arbre qui tombe et une fée couleur bleu qui explose ?
Les yeux dans les yeux, le plus jeune ours fixa Mérida intensément. Il posa sa truffe sur son mini nez de fée.
« L’Arbre divin est tombé ! Les Fées Noires ont détruit la vallée !! »
- Quoi ?! Je… Hein ?!!
Mérida dut s’asseoir. Non pas par la nouvelle qu’elle n’assimilait toujours pas mais par ce qu’il venait de se passer. Koda aussi s’assit, les yeux ronds comme des billes. Kenai les fixa sans comprendre. Alors, les deux se rapprochèrent à nouveau. Mérida posa ses mains sur ses joues et ferma les yeux contre sa truffe.
- Parle-moi à nouveau… souffla-t-elle.
« Tu … Tu comprends ce que je dis ?! »
- Oui… OUI ! JE TE COMPRENDS ! Oh, Koda !! J’en rêvais tellement !
Kenai ouvrit grand sa gueule, choqué. Il s’avança et se colla contre eux.
« Et moi aussi ?! »
- Je vous entends, tous les deux ! Pleura-t-elle de joie. C’est tellement improbable… C’est… C’est mon don unique ! Comme Raiponce ! Je vais l’appeler… La voix de la forêt !
« Très joli ! J’aime beaucoup, dit Kenai dans l’esprit de Mérida ».
- Merci ! C’est ça que j’ai du entendre pendant l’attaque nocturne. Quelqu’un m’a prévenu des dangers, du métamorphe qui arrivait … Mais qui ? Ce n’était pas Angus ça j’en suis certaine.
Elle cogita un moment. Puis, reprenant ses esprits, elle demanda pour ce qu’il s’était passé. Alors, Kenai lui raconta l’implacable vérité.
Tout d’abord, ils étaient dans leur tanière, au calme, quand la barrière s’est brisée, que l’Arbre à prit feu et que des ombres noires ont surgit partout dans les royaumes. Leur mère s’est aussitôt mise en quête d’aider la vallée et est partie en courant vers les combats. Ils l’ont suivi pour porter leur aide mais… des Ténébreux leur ont barré la route. Cette terrifiante nuit resta graver, encore fraîche dans leur mémoire. Koda se mit à pleurer en racontant que leur mère s’était sacrifiée pour qu’ils fuient alors même qu’elle avait protégé des fées en déroutes dont Pimprenelle.
Elle était morte sous leurs yeux. Kenai avait dût protéger son petit frère et fuir en urgence en le prenant par le cou, tant il avait été tétanisée par la barbarie des Ténébreux. Ils avaient ensuite organisé la fuite des animaux de toute la vallée, proies comme ennemis étaient devenus alliés temporairement pour fuir de là à toute vitesse – Hormis ceux qui s’étaient battus avec les Animalière et qui avait offert leur vie dans ce combat. Tout ce que Kenai savait sur la suite lui avait été rapporté par les oiseaux sur place : L’Arbre mort, les ronces tout autour, les anciennes Fées de lumière devenues noires, la victoire des Ténébreux, la mort de la reine, la tournure tragique avec Raiponce et Jack puis la perte définitive de la cascade de poussières de Fées.
- C’est impossible… Je ne peux pas y croire… Et pourtant… je sais que c’est vrai.
Elle se prit la tête dans les mains, parcourut d’une intense angoisse au fond de ses tripes.
- Et Angus… Pitié, dites-moi qu’il s’en est sorti ! Mon ami la buse !
Kenai et Koda se regardèrent, lâchèrent les mains de Mérida en relevant leur tête. Ils baissèrent simplement la truffe avant de secouer la tête.
Cette nuit-là, tout comme ils avaient perdu leur mère, Mérida avait perdu son grand ami à plume. Elle fondit en larme, Koda et Kenai aussi. Ils se serrèrent tous les trois avec douleur, partageants un lourd fardeau.
Asha les observa depuis une branche de buisson, attristée par la scène. Elle comprit elle aussi que le monde venait de basculer dans l’horreur. Que son avenir, l’avenir du monde était désormais plus qu’incertain.
***
Ça sentait vraiment bon.
L’Estival se réveilla à nouveau, après quatre ou cinq rechutes. Son cœur se serrait à chaque fois et il pleurait en silence sur son lit improvisé, sous un bosquet. Quand il se sentait mieux il attendait que ses amis bricoleurs reviennent, uniquement lorsqu’ils étaient sûr que les Fées Noires ne rôdaient pas dans le coin. D’après eux, ils étaient toujours dans la vallée, tout du moins, ce qu’il en restait. Et elle semblait bien gardée, telle une forteresse imprenable où il était impossible à la fois d’entrée… mais aussi d’en sortir !
- Ça va ?
Astrid lui sourit, posant un bol plein de victuailles devant lui.
- Mieux…
Il massa son moignon fraîchement cicatrisé bien que toujours un peu purulant. Son amie, une jolie blonde cendrée aux nattes tressées et aux yeux clairs le lui soignait toutes les deux heures.
- Merci. Sans toi, Varian et Geulfor, je ne donnais pas cher de ma peau.
- Ce qu’il en reste oui, blagua-t-elle.
Il rit aussi et se détendit en mangeant.
Plus tard, Geulfor arriva avec un étrange « pied » de métal et de bois. Il le tendit à son protégé qui l’examina sous toutes les coutures.
- Ça fais trois jours qu’on bosse dessus, commenta Varian. Les prothèses, ça connait bien notre maître.
Celui-ci agita sa fausse main et son faux pied. Les Bricoleurs avaient déjà eu à rafistoler plein de fées de cette manière, ils étaient rodés, mais les matériaux à aller chercher avait été long et dangereux à récolter dans cette situation.
- Merci, infiniment…
- Tu vas être tout neuf ! Une fois ta cicatrice sèche, je te l’installerai.
- Tu en auras bien besoin, maintenant qu’on a plus de poussière on ne peut plus voler, commenta Astrid, amère.
Harold demanda plus de précision, les bricoleurs lui racontèrent ce qu’il s’était passé. Il resta bouche bée. Que dire devant toute cette horrible vérité ? Il ne termina pas son assiette et cogita le reste de la journée. Il n’avait rien pu faire… Ni lui, ni les autres. Ils avaient complétement été submergée, trompée et anéantit par les Ténébreux, préparant probablement leur plan depuis des décennie.
Avait-il seulement le pouvoir de changer tout ça ? Non. Impossible.
- On va refaire des provisions pour la route. Attends-nous là petiot.
- Hé ! Me laissez pas seul !!
- Ça va aller, on fait vite, commenta Varian.
Ils disparurent en une fraction de seconde. Encore seul, toujours inutile. Harold détestait se sentir comme un boulet. Il se décida à rejoindre l’établit à cloche pied, sous une souche, pour forger des armes et des boucliers avec les matériaux restants. Il fut particulièrement fier de son lance filet et de sa jolie dague forgée quand un bruissement le tétanisa.
Ça bougeait, proche de lui. Et il était totalement sans défense ! Haletant, Harold se glissa sous une racine, il vit les pièges posés par ses amis se faire détruire les uns après les autres tandis que les feuillages bougeaient de plus en plus proche. Il retint un cri quand une énorme patte noire émergea près de lui. Un grognement terrifiant monta jusqu’à ses oreilles. Le traumatisme de son combat passé reflua comme la marée.
C’était une de ses créatures du démon ! Un cracheur de feu !! La chose renifla le sol, à la recherche de sa proie. Il semblait impatient. Il grogna plusieurs fois tout en grattant de sa patte vers la racine. Il le sentait ! Harold se décala, prenant appuie avec une brindille comme d’une béquille. La créature s’excitait de plus en plus, montrant ses dents pour le manger.
Il ne lui restait plus qu’une option : Se battre… Où qu’il aille, IL le trouverait à cause de son odorat et le mangerait tout cru ! En colère par les révélations sur la vallée, il fut pris d’un acte de folie. L’Estival fonça, aussi vite que sa béquille le lui permit, vers son harpon tout neuf. La chose le sentit et sauta par-dessus la racine pour le rejoindre. Mais au moment où il bondit vers sa proie, celui-ci tira un filet clouté en plein vers lui.
Prit dans les cordages, la créature se griffa sur les pointes acérées à l’intérieur du piège. Des pierres au bout des mailles s’enroulèrent autour de lui. Il fut piégé comme un rat, saucissonné.
- JE T’AI EU ! SALOPERIE ! Tu vas me le payer !!
En rage, il sortit sa dague et s’avança pour tuer la Bête noire. Celle-ci s’agita fortement en grognant, mordant les cordes, et, voyant son impuissance, poussa un profond appel de détresse avant d’abdiquer. Il fixa Harold s’avancer, les yeux couverts de larmes. L’Estivale leva son arme, prêt à frapper. Il resta dans cette position quelques minutes, cherchant son courage au fond de ses tripes. Les énormes yeux verts, en face de lui, le suppliait de ne pas le faire souffrir. Pourtant, une de ses choses avaient mangé sa jambe et tuer leur Arbre ! Si ce n’est plein de ses amis… Elle devait payer !!!
- AHHHHHHHH !
Il lâcha sa dague. Il ne pouvait pas le faire. Tuer un être vivant était un acte contre nature… Contre leur valeur de fée. Même devant sa némésis, il ne pouvait s’y résoudre. La chose ouvrit les yeux de stupeurs, voyant la fée pleurer sur son sort.
- Je refuse d’être comme les Ténébreux. Où comme toi, Tueur !
L’animal gémit. Harold voulut le laisser là, en proies aux autres animaux mais il finit par se mordre la lèvre et ramasser sa dague. C’était une torture que de le laisser là… Pire que la mort.
- Je fais n’importe quoi…
Harold savait qu’il aurait dut l’achever ou le laisser enfermé… Mais il coupa les liens et le délivra. Il courut ce qu’il put pour se mettre à l’abris, or, la Chose ne lui fila pas au train. Harold se retourna. L’animal grogna mais finit par s’enfuir en vitesse par ses pattes. Lui avait-il fait assez peur pour qu’il ne tente plus sa chance ? Cela l’étonnait, vu la ténacité que ses congénères avaient eu lors de de cette nuit sans lune… Étrange…
Le soulagement prit la place sur sa peur. Il retricotait un filet tout neuf quand ses amis revinrent. Il n’osa pas raconter sa honteuse lâcheté et on le félicita pour ses magnifiques créations. Geulfor lui caressa même la tête et lui offrit un grand bol de soupe le soir venu. Ils se cachèrent un peu plus loin, à la demande d’un Harold nerveux de savoir la chose noire peut-être encore toute proche.
Il finit tout de même par demander, après avoir décrit la chose qui lui avait mangé la jambe:
- Vous savez ce que c’était comme créature?
Varian et Astrid secouèrent la tête, incrédules. Geulfor fut le seul à opiner gravement. Les plus jeunes l’incitèrent à parler. Il soupira en se replongeant dans le passé.
- Ce sont des dragons. Les plus dangereuses bestioles que notre monde ai engendré. Après les Ténébreux, bien sûr.
- Des… Dragons ? Attendez, c’est pas censé être gigantesque ça ? Commenta Astrid.
- Il en existe de toutes sortes. Certains font la taille des montagnes, d’autres celle d’une grosse pierre. On les appelle plus communément Dragon-Salamandre, ceux-là. Mais ça fais des années et des années qu’on en a plus vu. Les humains, apeurés et égoïstes, les ont tous anéantit. Ils ont totalement disparut de la terre. Les grands comme les petits. Certaines ont tenté de les protéger, des anciennes Fées Animalières de la vallée. Mais c’était trop tard. Puis, de toute façon, ils étaient trop dangereux.
Harold cogita un temps.
- Ce sont des animaux ou des êtres maléfiques ?
- Oh, ce sont des êtres vivants. C’est Mère-Nature qui leur avait donné vie. – Je me demande toujours pourquoi…
- Comme les buses ou les ours ?
- Oui, oui, ils étaient fait de chairs, de sangs et d’instincts sauvages. Mais il fallait être fou pour les approcher.
- Sont *, rectifia Varian. Ils ont finalement résisté à l’extinction et se sont, vraisemblablement, rangés du côté des Ténébreux…
- Peut-être. Je n’en sais pas plus. Je n’en avais pas vu depuis plusieurs siècles. La reine les pensais tous éteins.
- Ce sont des ennemis redoutables, commenta Astrid. Il va falloir bien se préparer si on tombe dessus.
- Si on arrive à s’en sortir…
Geulfor conclut la conversation en éteignant le feu et en sortant les lits en coton et en feuille. Harold resta pensif une bonne partie de la nuit. Il aurait tellement voulut en savoir plus… Ce couinement, ce regard, cette pitié… Il avait l’air plus humain que les humains eux même !
Il se demandait, si, comme Angus, il ne pouvait pas réussir à lui parler…
***
La chaleur était insoutenable ! Trente degrés à l’ombre…
Dans le monde des hommes, perdus au milieu de nul part dans une forêt, Raiponce tenait Jack dans ses bras. Elle pleurait en chantant la chanson de guérison. Mais ses cheveux ne répondaient plus, totalement inerte, sans lumière…
- Pitié, Jack, je ne veux pas te perdre…
Elle lui tenait la main. Il n’avait plus rien de froid et de la vapeur s’échappait de son corps. Il se liquéfiait dangereusement, perdant une bonne partie de ses ailes au passage. Raiponce fut impuissante, l’aspergeant d’eau froide qu’elle récupérait à la rivière non loin de là.
- Il faut qu’on aille dans le Nord ! Dans les régions aux neiges éternelles! Je ne peux pas te laisser comme ça !
- Je ne tiendrais pas le voyage… Tu le sais… Je suis un poids.
- Je vais trouver un moyen ! Alors tiens bon ! S’il te plait !!
- On ne sait pas où on est… Ma magie se tarie. Il faut que tu te sauves et que tu trouves un moyen de te protéger des Fées Noires… Elles n’en resteront pas là…
- Pas sans toi !
Elle hurla ses mots pour qu’il arrête de dire de telle chose. Jack se tut. Il papillonnait, la fatigue le rattrapait.
- Je t’interdit de dormir !
Elle lui balança un bol d’eau depuis une coquille de noisette avant de l’asperger de poussière de fée sortie de son sac qu’elle ne quittait jamais.
- Sans poussière, tu ne pourras plus voler…
- Tu en as plus besoin que moi. J’en garderai un peu pour chercher de quoi t’aider ce soir, ok ?
Le sac se vidait dangereusement. Jack se mit à boire beaucoup d’eau. Quand la nuit fut venue, le répit ne fut que de vingt-trois degrés ! Encore si chaud… Mais Raiponce devait agir ! Elle baigna Jack dans une flaque boueuse avec de la poussière de fée, s’aspergea aussi de la poudre dorée puis fila chercher de l’aide par les airs.
A quelques kilomètres de là, elle tomba sur un village rustique endormi. Elle s’approcha d’une maison aux fenêtres entrouvertes, se glissa sous un filet anti-insecte et entra sans une once d’hésitation. Elle devait à tout prix trouver le moyen de conduire Jack au Nord ! Et vite !
La baguette de la reine dans son sac, elle s’arma de courage en la prenant contre son cœur puis partie en quête d’une solution.
De son côté, Jack tenta d’utiliser sa magie sur son corps et sur l’eau pour garder une certaine fraîcheur.
Il fit le vide dans son esprit et resta là, à fixer Earendel qui brillait de mille feux entre d’épais nuages noirs menaçants. Il priait pour ses amis.