JE SUIS VIVANT
Souvenirs douloureux
Noël approchait à grands pas et une neige abondante s'apprêtait à l'accueillir. Toutes les vitrines et façades des magasins de Détroit étaient métamorphosées par les vibrantes lumières scintillantes.
N'ayant jamais célébré de fête au cours de sa courte vie, Connor ne comprenait pas le but des décorations, mais il trouvait quand même cette ambiance festive très agréable.
De nombreuses guirlandes multicolores et bougies embellissaient chaleureusement les propriétés du quartier résidentiel, contrastant tristement avec la maison de Hank, dépourvue de ces jolis artifices, et ce, au grand désespoir de Connor qui avait pris l'habitude de les admirer.
Déjà l'année dernière, l'homme avait refusé catégoriquement de fêter Noël. Apparemment, pour celle-ci aussi le plan restait le même.
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Pendant que Hank se perdait dans un vieux livre déjà lu près d'une centaine de fois, Connor, assis sur le sol, passait une brosse dans l'épaisse fourrure de Sumo.
Être capable de faire quelque chose de si calme et paisible était un changement bienvenu par rapport à tout le chaos rencontré au travail.
« C'est étrange. Sumo est anormalement léthargique aujourd'hui. » Remarqua Connor en effleurant une énorme touffe de fourrure emmêlée sur le flanc du chien.
« Sumo est vieux. » Répondit platement Hank sans jamais détourner les yeux de son roman policier. « L'arthrite est une vraie saloperie par temps froid. »
« C'est arrivé d'un coup. » Soupira l'androïde en offrant une tendre caresse au chien fatigué. « Il n'a jamais été comme ça. »
« Toutes ces années, Sumo s'est obstiné à rester ce jeune chiot plein d'énergie mais la vieillesse a fini par le rattraper. »
« Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour qu'il se sente mieux ? » Demanda sincèrement Connor alors qu'il recommençait à brosser le pelage du Saint Bernard dont la tête reposait sur ses genoux.
« Il n'y a pas grand chose à faire malheureusement. Crois-moi, si je connaissais le secret pour lutter contre le temps qui passe, je te le dirais. »
Connor reporta son attention sur le vieux chien et lui offrit un tendre sourire.
« Te voilà délester de quelques kilos de poils, mon grand. Ça devrait t'aider à te sentir mieux. »
« Si c'était aussi simple pour tout le monde de perdre du poids. » Commenta ironiquement Hank, le nez toujours plongé dans son bouquin.
La toilette terminée, Connor ramassa les énormes touffes de fourrure sur le sol et se leva pour les jeter. Hank baissa son livre, juste assez pour regarder son chien par-dessus les pages, et lui fit un compliment discret. « Tu es un bon garçon, Sumo. »
La queue du Saint Bernard cogna joyeusement à l'acquiescement de son maître.
Après s'être occupé de son ami canidé, Connor, incapable de rester inactif plus de deux minutes, se lança sans plus attendre dans un gros ménage et entreprit, avec l'accord de Hank, de trier tous les vieux objets accumulés avec le temps.
Pendant plus d'une heure, le déviant s'attela à la tâche, rendant le domicile du détective aussi impeccable qu'une maison témoin.
Alors qu'il vérifiait l'étagère au dessus de la télévision, l'androïde sentit les yeux sévères de son ami se poser sur lui, ce qui fit clignoter brièvement sa LED bleue en jaune.
« Je veux bien te laisser faire du tri Connor, mais ne t'avise surtout pas à toucher mes livres. » Menaça Hank. « Ils sont vieux mais toujours bons. »
« Je peux vous procurer des copies moins usées pour les remp... »
« Non ! Laisse-les tranquilles, d'accord ? »
« Mais je... »
« Aucune négociation possible Connor ! »
« Très bien, Hank. » Cédant à la demande, l'androïde se détourna à contrecœur de la bibliothèque. « Je pourrais au moins essayer de restaurer les couvertures pour empêcher les pages de tomber ? »
« Non pas question ! Je les aime tels qu'ils sont. » Grogna le détective en faisant les gros yeux.
« Mais j'ai déjà tout nettoyé et organisé dans la maison, je n'ai rien d'autre à faire au-delà de l'étagère. »
« Ma parole, mais tu as la bougeotte aujourd'hui. C'est la neige qui te fait cet effet ou quoi ? »
L'androïde fixa le lieutenant avec interrogation.
« Je ne comprends pas. Comment la météo actuelle pourrait avoir un impact sur... »
« C'est une façon de parler, Connor. » Coupa Hank en levant les yeux en l'air.
« Oh. »
« Bon ok gamin. Si tu veux vraiment t'occuper... euh... » L'homme réfléchit un instant en se frottant nonchalamment la barbe. « Pourquoi ne pas t'attaquer au grenier ? »
« ...Le grenier ? »
« Ouais. » Hank désigna plus précisément la buanderie, où était dissimulée la petite trappe. « Tu peux y accéder par là. »
Connor se dirigea vers la pièce et attrapa la petite cordelette pendante pour déplier l'échelle en bois.
« Qu'est-ce qu'il y a à l'intérieur ? »
« Honnêtement, je ne m'en souviens pas. Beaucoup de cochonneries, j'imagine. »
« J'ai le droit de tout trier et d'en disposer comme je l'entends ? »
« Ouais, bien sûr. » Acquiesça Hank en haussant les épaules avec dédain. « Amuse toi bien. »
Content d'avoir quelque chose pour s'occuper, Connor grimpa jusqu'à l'étroite ouverture et pénétra dans le petit espace bas de plafond. Instinctivement, Sumo se dirigea sous la trappe et remua la queue en sentant l'odeur familière flotter dans l'air. Le jeune homme regarda l'intérieur sombre où cinq cartons étaient disposés. Trois des boîtes étaient étiquetées au marqueur noir.
S'asseyant jambes croisées sur le sol, le déviant ramena vers lui la première boîte étiquettée “Académie" qu'il plaça sur ses genoux. À l'intérieur se trouvaient une poignée de photographies, ainsi qu'un tas de vieux vêtements portés par Hank à ses débuts dans la police.
Connor prit l'un des clichés et reconnut son partenaire aux côtés du capitaine Fowler. Tous deux avaient la vingtaine et semblaient être des amis très proches à cette époque. Il était dommage que les deux hommes se soient éloignés au fil des années.
« Hank était brun. » Déclara le déviant à voix haute. Sa LED clignota curieusement du bleu au jaune alors qu'il commençait à enregistrer de nouveaux détails sur la vie de son ami qui arborait en ce temps-là une coiffure beaucoup plus courte et professionnelle par rapport à son look actuel.
« Intéressant, j'ai toujours cru qu'il était blond. »
Poussant la boîte sur le côté, Connor décida d'en conserver le contenu. Il récupéra ensuite la deuxième qui était, cette fois, pleine de vieilles assiettes, couverts et verres.
Rien de valeur ou d'intérêt. Ça sera jeté.
Diligemment, le déviant continua son tri et passa à la vérification de la troisième boîte. Il y trouva du vieux matériel de sport ; dont quatre balles de baseball et deux gants.
La décision fut prise de mettre également ces affaires de côté. Peut-être que Hank voudra les utiliser et faire quelques balles avec lui dès l'arrivée des beaux jours.
Cette idée lui plaisait.
Lors de l'inspection du quatrième contenant, la LED bleue du déviant passa immédiatement au jaune à la découverte d'une vieille photographie dissimulée sous un mince tissu blanc.
« Barbara. »
Connor reconnut la femme comme étant la défunte épouse de Hank. Son visage était à la fois fin et anguleux, avec une peau très claire, des lèvres pulpeuses et de grands yeux noisette. Elle était d'une beauté éblouissante dans sa robe blanche.
Les deux amoureux s'enlacaient devant un grand chêne, au milieu d'un magnifique parc. Barbara tenait un petit bouquet de roses rouges, et tout comme Hank, elle portait une alliance au doigt.
Sous la photographie, un petit coffret gardait à l'abri le fameux bouquet de fleurs séchées, ainsi que l'acte de mariage. Connor fit aussi la triste découverte de la nécrologie de Barbara.
« Je ne peux pas jeter ça. Personne ne le peut. » Réalisa le jeune homme en remballant très soigneusement les affaires pour ensuite les placer dans la pile à sauvegarder.
En regardant à l'intérieur de la dernière boite, le déviant sentit son coeur s'emballer.
« Oh non... »
Il découvrit tout un tas de photographies et de vieux dessins d'enfants. Ces derniers étaient encadrés ou rassemblés soigneusement dans des enveloppes.
« Cole. »
Chaque cliché était protégé et daté par Hank ou Barbara, leur écriture unique racontant la vie courte mais significative de l'enfant. Toutes les images relataient ses instants les plus anodins à mesure qu'il grandissait.
Saisissant une des photos, Connor reconnut l'intérieur de la maison de Hank magnifiquement décorée de guirlandes électriques. L'instant figé à jamais révélait la scène attendrissante de Cole dans son pyjama bleu, posé devant un grand sapin de Noël et serrant dans ses petits bras un Sumo miniature d'à peine quatre mois. L'adorable chiot ressemblait à une vraie peluche avec son noeud rouge en guise de collier.
Connor prit le temps d'examiner chaque cliché, s'assurant de les manipuler avec le plus grand soin pendant qu'il les copiait dans sa banque de mémoire pour les conserver en toute sécurité.
Cole avait la couleur de cheveux de son père et les yeux marron clair de Barbara. Malgré son jeune âge, il semblait que l'enfant aimait particulièrement le sport, même s'il possédait aussi des compétences artistiques, comme en témoignaient les jolis dessins réalisés au crayon de couleur.
« Hé, Connor ? » Appela Hank en se positionnant sous l'accès « Alors, qu'est ce que tu as trouvé là haut ? »
« ...Juste des cartons. » Répondit honnêtement le déviant alors qu'il remballait à la hâte les affaires. « Il n'y a rien à l'intérieur qui mérite d'être jeté. Je vais les laisser ici. »
« As tu trouvé des choses intéressantes ? »
« Oui... » Déglutit nerveusement Connor. Il ne voulait pas évoquer Cole qui était toujours un sujet très sensible pour Hank, mais il ne voulait pas non plus laisser aux oubliettes les souvenirs de la vie de l'enfant . « ...Des photographies. » La réponse fut courte et succincte.
« Des photos, hein ? » Intrigué, Hank grimpa à l'échelle et rejoignit le déviant assis dos à lui en arborant un demi sourire. « Rien d'embarrassant, j'espère ? »
« N-Non ! Rien. »
« C'était une blague, gamin. Détends-toi. » Le lieutenant remarqua la LED jaune qui brillait nerveusement. « Ça va ? »
« Euh... Oui. »
Hank observa les mains du déviant se presser fermement sur les côtés de la boîte en carton, comme s'il avait peur de la lâcher. Doucement, il la retira de sa prise et souleva le couvercle.
À la vue des douloureuses photographies, l'expression de Hank devint soudainement vide.
Connor essaya de retirer la boîte afin de lui épargner tout chagrin inutile.
« Je... Je vais la ranger. » Bégaya t'il. « Je suis désolé de vous avoir laissé... »
« ...Non. Non, ne le fais pas. » Hank s'assit lentement sur le sol poussiéreux, à côté de Connor et sortit le premier paquet de photographies de la boîte.
« Je suis content que tu aies trouvé ça. Je... je pensais que Jeffrey avait tout brûlé après les funérailles, comme je lui avais demandé de le faire. »
« Vous vouliez les brûler ?! » La réaction de Connor fut accompagnée d'un intense flash rouge de sa LED. « Mais pourquoi ? »
« C'était si dur pour moi d'affronter tous ces souvenirs... » Hank prit un moment pour inspirer profondément afin de se contenir émotionnellement. « Jeffrey a dû penser que tout détruire était trop extrême et a préféré cacher la boîte ici à mon insu. Je te jure, quel enfoiré celui-là... »
« Il a pris la bonne décision. »
« Ouais. Je pense aussi. »
Une par une, le quinquagénaire commenca à parcourir les vieilles photos, se rappelant de chaque instant avec nostalgie.
« Tu sais... » Hank offrit un petit sourire à Connor. « ...Cole t'aurait vraiment adoré. »
Au commentaire, le déviant tourna silencieusement son regard vers le lieutenant.
« Barbara aussi. » Poursuivit l'homme d'un rictus narquois. « Elle avait un faible pour les bruns. »
Un étrange silence perdura avant que Hank ne reprenne finalement la parole en tendant au déviant le cliché de l'enfant prit devant le sapin de Noël.
« Tiens, ça c'est le fameux jour où Sumo et Cole sont devenus les meilleurs amis du monde. »
« Ils sont vraiment adorables tous les deux. » Sourit Connor en se saisissant de l'image.
« Tu sais, tu lui ressembles beaucoup. »
« Vraiment ? »
« Ouais. Tu me le rappelles souvent. » Hank effaça la poussière de ses bras et de ses épaules puis se redressa pour retourner sur l'échelle. Il se stoppa un instant dans sa descente, laissant apparaître une douce expression apaisée sur son visage. « Tu sais quoi Gamin, je vais sortir quelques-unes de ces photos de la boîte pour les remettre dans le salon... » Il marqua une courte pause avant d’esquisser un tendre sourire. « Toi, de ton côté, tu vas me récupérer toutes les guirlandes du garage et les installer dans la maison. »
Le déviant se figea de surprise.
« Vous êtes sûr ? »
« Ouais. Cette vieille bicoque a vraiment besoin de lumières. »
Ressentant un sentiment de soulagement et de réconfort, Connor approuva joyeusement la décision.
Le déviant suivit Hank hors du grenier et se précipita dans le garage tout en préparant mentalement la disposition des décorations.
« Vous allez voir, Hank » S'exclama t'il avec energie. « Ça va être magnifique. Je vais en mettre sur la bibliothèque, la cheminée. Ah ! Et aussi au bord des fenêtres. » Le jeune homme disparut quelques secondes dans l'immense bazar et en revint avec un gros tas de fils emmêlés plein les bras. « Il en faudra dans ma chambre. Oh, et puis après je m'attaquerai au jardin, sans oublier le... »
Hank l'écouta énumérer un par un les emplacements, attendri par l'enthousiasme pétillant de l’androïde.
Oui.
Connor ressemblait beaucoup à Cole.
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