JE SUIS VIVANT

Chapitre 24 : Briser la glace

5259 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 04/12/2023 13:15

Briser la glace



En cette mi-décembre, un hiver particulièrement glacial s'installa sur l'État du Michigan, au grand désespoir de Hank.


Ce dernier laissa échapper un soupir alors qu'il traversait les rues enneigées avec Connor à ses côtés comme seul passager. Le déviant contemplatif, regardait par sa fenêtre latérale un groupe d'écoliers se rassembler dans un grand parc. Ils s'apprêtaient à choisir leur camp et se dispersaient en deux équipes distinctes pour une future bataille à venir.


Le spectacle inhabituel suscita un concert de rires et de cris de la part des participants, contrastant avec la nature apparemment violente du jeu.


La LED de l'androïde clignota du bleu au jaune avec curiosité.


« Ces enfants se battent entre eux, mais ils semblent y prendre plaisir. » Observa t'il avec une confusion tangible dans sa voix. « Je ne comprends vraiment pas. Est ce normal ? »


Hank tourna la tête pour regarder par la fenêtre de son coéquipier.


« Cela s'appelle une bataille de boules de neige. Les enfants adorent ça. »


« Pourquoi ? Il semble violent, désagréable et inutile d'être volontairement frappé par des projectiles sphériques de glace et de neige. »


« C'est juste ce que font les enfants. Je ne peux pas l'expliquer. » Le feu passa finalement au vert et Hank traversa l'intersection tout en suivant les indications de son GPS pour rejoindre le lieu du crime sur lequel ils devaient enquêter. « Les gosses trouvent ces conneries amusantes. »


« Avez-vous participé à des batailles de boules de neige quand vous étiez enfant ? »


« Ouais. Tout le monde l'a fait. »


« Et avez-vous sciemment... »


« Connor, arrête ! » L'explosion du détective fit subitement clignoter de surprise la LED du déviant qui passa du bleu au jaune. « Je ne peux pas expliquer chaque petite chose que font les humains, d'accord ? Nous sommes bizarres. Fin de l'histoire ! »


« ...Je suis désolé, Hank. Je vais arrêter de poser des questions. » La LED de l'androïde revint au bleu après s'être excusé et il continua à regarder par la fenêtre. « Je ne voulais pas vous énerver. »


L'offense blessée dans la voix de Connor toucha une corde sensible du détective qui se sentit immédiatement comme un con.


« C'est moi qui suis désolé.» Hank passa sa main droite dans ses cheveux gris. « Je ne voulais pas te crier dessus, Connor. Tu n'as rien dit de mal. »


« C'est bon. Je sais que j'ai tendance à poser trop de... »


« Non, c'est juste que... je déteste vraiment l'hiver. » Répondit le lieutenant d'un regard triste. « Il fait froid, tout est gris et mort, les gens tombent malades ou sont blessés à cause de toute cette putain de glace et les routes deviennent... » Ce fut trop douloureux pour lui de poursuivre. 


« Je comprends. » Connor savait pourquoi Hank réagissait de cette manière. Il avait tragiquement perdu son fils Cole à cette saison. « Vous n'avez pas à vous justifier. Je vais me taire maintenant. »


« Ne fais pas ça. Tu n'as rien dit de mal. Je suis un connard. Désolé... »


« ...Et si on mettait un peu de musique ? » 


Connor alluma la radio et trouva la première station diffusant de la musique jazzy. Il augmenta le volume jusqu'à un degré audible et s'assit au fond de son siège, décidant de rester silencieux pour le reste du trajet.


Hank jeta un bref coup d'œil au gamin, notant sa posture et son visage stoïquement illisible, avant de reporter toute son attention sur la route qui s'étendait devant lui. 


« Oui pourquoi pas... »


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Le duo arriva enfin vers la scène de crime. Ce qui ressemblait à un androïde calciné, gisait sur la berge de la rivière partiellement gelée. Une barricade de ruban holographique de la police entourait le corps tragiquement détruit. 


Bien que Gavin soit arrivé le premier sur les lieux, l'affaire fut attribuée aux deux partenaires spécialisés dans les affaires concernant les déviants. 


« Il était temps que vous débarquiez. » Râla le sergent en voyant Connor et Hank s'approcher professionnellement du corps pour enquêter. « J'ai mieux à faire que de me geler le cul pour garder un morceau de plastique. »


« Oh. La ferme Reed. » Aboya Hank d'un ton bourru et agacé. « C'est bon. Dégage de là. On prend le relais. »


« Tu n'as pas à me le dire deux fois. » Rétorqua amèrement son collègue en rentrant rapidement à l'intérieur de son véhicule pour s'en aller.


« Mais quel crétin celui-là... » Marmonna Hank tout en regardant son partenaire s'accroupir près du corps. « Bon, alors dis moi. Accident, meurtre ou suicide ? ».


La LED bleue du déviant passa au jaune pendant un instant. 


« Meurtre. »


« Putain. »


« La victime était une déviante. » 


Connor sembla soudainement mélancolique en touchant la LED désormais grise de la brûlée.


« Elle s'appelait Vanessa. Arrêtée depuis hier soir, à vingt deux heures et trente trois minutes plus exactement. »


Soupirant une épaisse brume blanche, Hank croisa ses bras sur sa poitrine. « Que peux-tu me dire d'autre ? »


« Ses avant-bras sont gravement endommagés. »


« Blessures défensives. »


« Exact. » Connor tourna légèrement la tête pour faire apparaître le côté droit du visage brûlé et meurtri. « Mâchoire inférieure brisée. Les dommages sont importants. »


« Il l'a battue. » 


« Oui. La jambe gauche a également été cassée au niveau du genou à cause d'un traumatisme contondant. Très probablement à cause d'un véhicule qui l'a heurtée. » Poursuivit Connor d'une voix morne tandis qu'il vérifiait le corps de la victime pour déceler d'autres indices utiles. « Je peux également détecter des traces de saleté sous ses ongles et sur ses paumes. Elle a de multiples déchirures sur sa peau artificielle. »


« Ce connard lui a cassé la jambe et elle a essayé de s'éloigner de lui en rampant. » Passant sa main droite sur son menton barbu, Hank souffla profondément et baissa les yeux sur la pauvre déviante. « Sais tu ce qui l'a finalement tuée ? »


« C'est l'impact sur sa colonne vertébrale. Après son arrêt, elle a été incendiée à l'aide d'un accélérateur de butane. »


« Au moins, elle était déjà morte quand il lui a mis le feu. » Ce fait particulier n’apporta qu’un minimum de réconfort à Hank visiblement touché par le sort de cette malheureuse. « Peux-tu trouver une trace de son assassin ? »


« Il y a une marque visible de sa main droite autour de sa gorge. Le feu a fait fondre la peau artificielle et a ainsi conservé une copie parfaite. »


« Des empreintes digitales ? »


« Oui. Je les scanne. » Restant accroupi, la LED de Connor clignota rapidement en jaune alors qu'il accédait à la base de données criminelle du commissariat. « Les empreintes correspondent à Jack Stapleton. Il a été arrêté quatre fois pour conduite en état d'ivresse et trois fois pour agression contre son ex-femme. Libéré de prison il y a quatre mois, il était en probation. »


« Tu as son adresse ? »


« Je la transmets actuellement à Gavin au moment où nous parlons. Il pourra l'arrêter pendant que nous finissons d'examiner la scène de crime et recueillir les preuves. »


En jetant un coup d'œil sur le sol enneigé, Hank eut du mal à imaginer trouver autre chose d'utile que les restes calcinés de la victime.


 « Que reste-t-il à examiner ? »


« Sans preuves substantielles au-delà d'une seule empreinte de main, les chances de réussir à condamner Stapleton pour le meurtre d'un androïde sont minces et, par conséquent, nous devons être capable de prouver qu'il est le tueur sans qu'il n'y ait le moindre doute quant à sa culpabilité. »


« D'accord. Toi, continue à vérifier ici. De mon côté, je vais remonter la colline pour voir si je peux retracer son trajet » Hank pointa son pouce droit par-dessus son épaule pour indiquer où il se rendait. « Il doit y avoir des empreintes de pas et de pneus que nous pourrons également utiliser contre lui. »


Après avoir fait un signe de tête à son partenaire, Connor décida de scanner la zone entourant le corps.


« Je vais essayer de localiser davantage de preuves le long de la rivière. »


Pendant que Hank gravissait la colline enneigée, Connor resta à côté du corps, vérifiant le sol à la recherche d'autres éléments permettant de relier le tueur à la victime. C'était une tâche difficile que le déviant était déterminé à accomplir pour rendre justice à Vanessa.


Trop d'empreintes de chaussures étaient recouvertes de neige et de glace pour être analysées correctement, même pour les yeux perçants d'un androïde, et l'allumette utilisée pour démarrer le feu était réduite en cendres. Le mince matériau en bois restant ne révélait aucun indice.


Il se leva avec précaution et s'éloigna du corps pour se diriger près de la rive afin d'avoir une vue plus large de la scène de crime.


Tout en reculant plus loin sur la glace, le déviant scruta les environs immédiats à la recherche d'autres éléments.


Quand soudain...


Il percut un craquement.


Son poids fragilisa la glace qui commença à se fendre en dessinant comme une toile d'araignée tout autour de ses chaussures. 


En réponse, sa LED bleue devint jaune tandis que ses scanners vérifiaient en urgence la densité globale de la plaque sous ses pieds, jugée trop instable et mince pour être foulée en toute sécurité.


Une prise de conscience arrivée malheureusement un peu trop tard.


« Oh, merde... »


La glace céda brusquement, plongeant le déviant directement dans la rivière en quelques secondes. Alors que son corps passait sous la surface de l'eau étonnamment profonde, tous ses capteurs visuels se mirent à clignoter en rouge, avec des avertissements concernant la température dangereusement froide pour ses biocomposants et son Thirium.


L'eau glaciale stupéfia ses réflexes et le laissa sans savoir quoi faire. 


Le froid intense était comme un millier d'aiguilles transperçant et tétanisant ses membres à cause d'une déviance qui lui permettait de vraiment ressentir et reconnaître les températures extrêmes du monde qui l'entourait. 


Connor nagea difficilement jusqu'à la surface et traversa l'étroit espace d'où il était tombé. La LED rouge sang dans sa tempe clignota frénétiquement alors que ses systèmes commençaient à glisser dans une sorte de choc thermique contre lequel il devait lutter en rejetant des dizaines et des dizaines d'avertissements dans son champ visuel.


Tout en s'accrochant désespérément au bord de la glace glissante et instable, il appela aussi fort qu'il put son partenaire pour obtenir de l'aide.


« HANK ! H-HANK ! »


La voix paniquée tremblait et balbutiait à cause du froid implacable qui commençait déjà à l'envahir.


« J'AI B-BESOIN D'AIDE ! S'IL VOUS PLAIT ! »


Du haut de la colline, Hank entendit le désespoir dans la voix de Connor. Regardant autour de lui, l'homme sentit son cœur se serrer lorsqu'il réalisa qu'il ne le voyait plus à proximité du corps.


« Connor ?! »


Soudain, il aperçut une vive lumière rouge brillant à quelques mètres du rivage et dans l'eau. Il ne fallut pas longtemps à Hank pour comprendre où Connor était allé et pourquoi il avait soudainement besoin d'aide. 


Le détective démarra une course effrénée, avec de la neige jusqu'aux chevilles, et retourna à la rivière le plus rapidement possible.


« Oh, merde ! J'arrive gamin ! »


Le déviant gelé perdait son emprise, luttant pour s'empêcher d’être emporter par le courant. Il haleta et siffla tandis que le froid mordant limitait douloureusement ses mouvements.


« H-Hank ! »


Sa voix trembla audiblement à cause du froid alors même que sa vision floue détectait une silhouette informe se précipitant vers lui.


« Connor ! » Hank réussit enfin à atteindre le bord de la rive. « Je vais te sortir de là, fiston.»


Il étudia prudemment la glace et réfléchit à un moyen d’atteindre son partenaire sans tomber lui-même dans l'eau. 


« Je... ne peux plus... tenir... »


« Ne panique pas. » 


Restant incroyablement calme, le lieutenant ôta son épais manteau sombre et s'agenouilla sur la glace pour essayer de répartir son propre poids plus uniformément. 


L’homme jeta le vêtement vers Connor, la manche opposée s'arrêtant à quelques centimètres du bout de ses doigts pour agir comme une bouée de sauvetage.


 « Attrape ! Je vais te tirer ! »


À peine capable de voir le manteau offert, l'androïde se contenta de répondre avec une peur immense. 


« Je... ne peux... pas... »


« Si, tu peux ! » Refusant d'abandonner le déviant, Hank l'encouragea sincèrement à essayer d'attraper le manteau alors qu'il le regardait lutter pour se sauver de l'emprise glaciale. 


Connor dut rassembler toute sa force pour faire bouger sa main droite, ne serait-ce que légèrement. Lentement, le bout de ses doigts gelés effleurèrent puis agrippèrent faiblement le revers de la manche.


Il était difficile pour lui de voir à travers tous les messages d'erreurs et encore plus difficile de ressentir quoi que ce soit.


« Allez, accroche toi. »


Le jeune homme réussit à s'extraire peu à peu de l'eau.


« C'est ça ! Continue ! » Patiemment, Hank attendit qu'il fasse l'effort afin de pouvoir le ramener en sécurité sur le rivage. « Allez ! »


L'androïde força ses deux mains gelées et affaiblies à s'enrouler autour de la manche et à se serrer en poings. 


A cause du froid extrême, le Thirium circulant dans ses lignes commença à devenir une bouillie bleue compacte et dangereuse pour le maintien des biocomposants.


« Tiens aussi fort que tu peux et laisse-moi faire tout le travail. »


Au moment où Hank sentit le poids de Connor sur le manteau, il commença à tirer. Instinctivement, le déviant essaya d'utiliser ses jambes pour donner des coups de pied et nager, mais ses membres étaient trop froids pour être d'une quelconque utilité.


« Je t'ai presque... » Le détective souffla un autre nuage alors qu'il déplaçait son poids vers l'arrière et tirait de toutes ses forces pour soulever le déviant hors de l'eau. 


Incapable de contrôler son corps engourdi, Connor glissa sur la glace et s'enroula en position fœtale dans une tentative désespérée de se réchauffer. Ses mains étaient toujours accrochées à la manche du manteau alors que Hank le rapprochait du rivage.


« Je t'ai, gamin... » Apaisa t'il en enroulant ses bras autour de sa poitrine pour le traîner soigneusement sur la berge.


« F-Froid ! » Balbutia Connor entre ses dents claquantes. Incapable de bouger ou de ressentir quoi que ce soit au-delà de ses avant-bras et de ses tibias, il se sentit totalement impuissant. « T-Trop f-froid... »


« Ne t'inquiète pas, je vais te réchauffer. »


« D-Désolé... » S'excusa le déviant en sentant une honte immense l'envahir. « J-je suis un i...idiot. J’... j’ai... P-pas v-vérifié la g-glace... »


« Non, tu n'es pas idiot Connor, tu es juste une tête de mule. » Clarifia Hank tout en le ramenant sur le sol enneigé du parc, loin de la rivière. « C'est un accident. Tu m'entends ? Un accident ! »


Une fois sur un sol stable, il arracha la manche du manteau des mains gelées de Connor et l'enroula autour de ses épaules tremblantes.


Guidant jusqu'à la voiture le déviant frigorifié, Hank frotta ses deux mains le long de ses bras dans l'espoir de créer une chaleur par friction.


De sa main gauche, il saisit la radio à sa ceinture et demanda à un autre officier de se rendre sur les lieux du crime afin qu'il puisse s'occuper de Connor. 


Expliquant la situation à la hâte, Hank n'attendit pas de réponse et ouvrit rapidement la portière du côté passager. Le déviant gelé s'effondra sur le siège à cause de ses jambes qui ne répondaient plus complètement. 


Le détective prit le volant et alluma le moteur pour mettre en route le chauffage. Il augmenta la température et pointa les bouches d'aération directement vers Connor.


« Je vais te réchauffer, reste juste éveillé, d'accord ? Ne t'endors pas. »


« H-Hank... » Siffla le déviant en frissonnant violemment. « ...Qu-Qu'est-ce q...qui m...m'arrive ? »


« Tu es en hypothermie, Connor. » Conscient de ce qui se passait, Hank lui expliqua calmement la situation tout en reculant la voiture sur le sentier enneigé. « C'est une réaction normale à des températures dangereusement froides. Reste simplement calme et tout ira bien. »


« Je m-me s...sens f-faible... » Accablé par ses systèmes défaillants, l'androïde avait l'air d'un enfant effrayé, ce qui encouragea Hank à rentrer au plus vite chez lui. 



Tandis que les messages d'erreur s’accumulaient dans son champ de vision, Connor baissa les yeux sur ses mains. Ses doigts glacés étaient devenus bleus car sa peau artificielle était endommagée par la température extrême. Il lui manquait de nombreuses zones d'épiderme, révélant le cadre en plastimétal blanc en dessous. 


« C-Comment j... j’ar...rrête ça ?! »


« Il faut te réchauffer. » Hank posa sa main droite sur le radiateur pour s'assurer qu'il était bien au maximum, puis appuya le dos de celle-ci sur le côté gauche du cou de Connor. C'était comme toucher un bloc de glace solide. « Je peux t'aider mais tu dois m'écouter. »


« Je v-vous écoute. »


« D'abord, je te le répète : reste éveillé. »


« D-D'acc...ord. »


« Ensuite, garde tes mains près du radiateur et laisse la chaleur atteindre ta poitrine. Tes systèmes internes doivent se réchauffer avant toute autre chose, compris ? »


« ...O-Oui. » Connor leva ses mains vers les bouches d'aération, forçant ses doigts à s'étendre pour que ses paumes puissent absorber la chaleur. Il combattit l'envie de rester plier sur lui-même pour permettre à celle-ci d'atteindre sa poitrine et son abdomen comme Hank le lui demandait. 


« Voilà. Essaies de plier de temps en temps tes doigts. »


« ...C-Ça fait m-mal de b-bouger. »


« Je sais, mais tu fais ce qu'il faut. »


« H-Hank... j...j’ai p-peur. Je ne v-veux pas m-mourir. P-pas comme ça... »


L’entendre parler avec un ton aussi sincèrement effrayé fut vraiment déchirant pour Hank.


« Tout ira bien, Connor. » Il tendit à nouveau sa main et la posa sur l'épaule gauche tremblante de son coéquipier. Il pouvait sentir sous l'épais manteau, le blazer gris et la chemise blanche entièrement trempés. « Tu seras réchauffé en un rien de temps. »


Mais soudain, les yeux marron du déviant commencèrent à se fermer contre sa volonté.


« Non, Connor ! » Cria Hank pour le maintenir en alerte. « Reste éveillé ! C'est un ordre ! »


« F-fati...gué... »


« Hé ! » Il frappa légèrement le côté gauche de son visage. « YEUX OUVERTS. »


Connor obéit à l'ordre, quoiqu'avec difficulté. Les avertissements rouges dans sa vision suggéraient tous de passer en mode repos pour conserver son énergie.


« Allez, nous y sommes presque. »


Hank se gara dans l'allée, à côté de la maison. Après avoir ouvert sa portière, il courut vers le côté passager de la voiture pour aider le déviant gelé à se relever. Ce fut à ce moment-là qu'il vit les yeux du gamin recommencer à se fermer. Réagissant rapidement, il plaça sa main droite sous son menton et lui releva la tête pour qu'il croise son regard avec lui.


« LES YEUX OUVERTS, CONNOR. »


Encore une fois, l'androïde essaya de les garder ouverts mais l'effort devint de plus en plus difficile.


« P-peux p-pas... » Un bruit parasite brouilla ses mots alors que son modulateur de voix s'arrêtait à cause du froid. 


« Merde, tu dois tenir le coup. » 


Le détective attrapa le bras droit de Connor et le passa rapidement autour de ses épaules. Il enfonça pratiquement sa propre porte, provoquant l'aboiement de Sumo.


Le manteau devenu glacé au contact du corps trempé de l'androïde fut rapidement retiré de ses épaules et jeté sur le sol.


Après l'avoir emmené dans la salle de bain, le détective l'assit avec une difficulté modérée sur le bord de la baignoire. L'homme fut désormais capable de glisser ses bras sous ses jambes et ses épaules pour le mettre doucement dedans.


« Connor ? » Hank étudia anxieusement la LED rouge qui restait à présent figée. « N'abandonne pas. Reste avec moi. »


Il ouvrit l'eau chaude et vérifia la température pour éviter de provoquer un choc thermique.


Alors que la douche trempait le déviant semi-conscient dans une chaleur réconfortante, Hank se précipita dans sa chambre pour lui récupérer des affaires de rechange.


Pendant ce temps là, Connor resta silencieux. Même la présence curieuse de Sumo à l'entrée ne suscita pas de réponse de la part du déviant hypothermique.


Déterminé à sauver son partenaire, le lieutenant retourna très vite à la salle de bain avec les vêtements secs qu'il posa sur le lavabo. Il s'agenouilla ensuite à côté de la baignoire et appuya le dos de sa main droite sur le côté gauche du cou de l'androïde pour vérifier les progrès. Sa peau artificielle était désormais plus chaude mais pas suffisamment.


« Connor, regarde-moi. Tu dois me regarder un instant, fiston. »


En entendant la voix de Hank, les yeux marron du déviant s'ouvrirent partiellement. 


Le détective plaça alors ses mains sur les côtés de son visage et tourna doucement sa tête pour établir un contact visuel.


 « Eh ! Tu es toujours avec moi ? »


Incapable de parler avec son modulateur de voix encore froid et tendu, le jeune homme ne put que hocher faiblement la tête en réponse.


« C'est bien. »


Maladroitement, Hank attrapa les revers du blazer gris et le poussa pour l'ouvrir. Il réussit à le faire glisser hors de ses bras, le libérant de la première couche de tissu glacial. Desserrant ensuite sa cravate noire, Hank la jeta par-dessus son épaule gauche, puis travailla à retirer le reste des vêtements froids du corps gelé du déviant.


« Connor, tu sais où tu es ? » Retirant les chaussures et les chaussettes du déviant, le détective observa très attentivement ses réactions. « Allez, j'ai besoin d'une réponse de ta part. »


L'androïde était toujours incapable de parler mais il pouvait entendre et comprendre les paroles de Hank. Encore une fois, il hocha la tête pour répondre.


« Bien. » Déplaçant ses mains vers la chemise blanche, Hank ouvrit les boutons un par un et observa la respiration très superficielle avec un regard studieux. « Tout ira bien. » Alors que le vêtement était maintenant retiré de ses bras, le déviant recommença à s'endormir et sa tête pencha en avant près du bras gauche de Hank. 


« Non, bon sang. Reste ÉVEILLÉ. Au moins encore quelques minutes... »


Les yeux épuisés de Connor clignèrent lentement et regardèrent le mur de carreaux jaunes pendant que l'homme continuait à s'efforcer d'enlever son jean trempé. La gravité de son hypothermie se révélait être un ennemi presque insupportable à combattre.


« Tu as de la chance... » Déclara Hank. « La plupart des gens qui tombent dans une rivière glacée coulent directement au fond à cause du choc. »


Le déviant resta silencieux face à ce qui était censé être une pensée réconfortante.


En appuyant à nouveau le dos de sa main droite sur le cou de Connor, le lieutenant vérifia la température du déviant et fut heureux de sentir une chaleur constante rayonner de sa personne.


« Beaucoup mieux... »


Satisfait que Connor ne soit plus en danger immédiat, Hank coupa l'eau et le tira hors de la baignoire par ses avant-bras. Une fois posé sur le sol, il enroula une serviette autour de ses épaules et fit de son mieux pour le garder aussi éveillé et alerte que possible.


« Hé, parle moi. » Exhorta Hank alors qu’il plaçait à nouveau sa main droite sous son menton et levait la tête vers le haut. « Dis quelque chose, n'importe quoi. S'il te plaît. »


Toujours faible et quelque peu confus, Connor déglutit visiblement une fois, comme s'il testait son modulateur de voix à nouveau opérationnel.


« ...Merci. »


« Ne me remercie pas encore. » Sourit affectueusement le détective en attrapant les vêtements secs. « Tiens, tu vas te sentir mieux là dedans. »


La main droite tremblante et partiellement sans peau de Connor s'éleva de dessous la serviette et saisit le t-shirt noir au dessus des vêtements pliés. Maladroitement, le déviant réussit à glisser le col sur sa tête mais ses bras, encore trop froids, eurent plus de mal à se mouvoir dans les manches.


« Laisse moi faire. » Sans aucune hésitation, Hank se porta volontaire pour l'aider et guida ses mains de manière appropriée.


Le pantalon de survêtement gris foncé et les chaussettes épaisses furent beaucoup plus faciles à gérer pour Connor. Il était déjà assez gêné d'être passé à travers la glace, il n'avait pas besoin de subir l'humiliation d'être habillé comme un bambin par Hank. Maintenant couvert de vêtements chauds, il se sentit beaucoup plus à l'aise.


« Allons au salon. » En offrant à Connor sa main droite, le lieutenant insista pour qu'il bouge un peu. « Ce sera plus confortable pour toi près de la cheminée. »


Connor accepta la poigne de son ami et se releva maladroitement sur ses jambes encore quelque peu engourdies. Il laissa le détective le ramener jusqu'au salon où Sumo attendait patiemment l'attention du duo.


« Mets toi sur le canapé. » Hank regarda le déviant tomber dessus et s'allonger sur son côté gauche tout en s'enroulant de manière protectrice. « Je vais te chercher des couvertures. » Avant de sortir du salon, il jeta un coup d'œil à son chien sagement couché dans son panier et tapota le bout du meuble en l’appelant. « Sumo, monte ! »


Le grand Saint-Bernard sauta joyeusement sur le canapé et s'allongea juste à côté des jambes du déviant, posant son menton sur sa hanche droite alors qu'il continuait de frissonner de froid. 


Récupérant deux grosses couvertures dans la buanderie, Hank les drapa soigneusement sur le jeune homme.


Complètement enterré, Sumo sortit la tête de sous les tissus, secoua un peu ses oreilles, puis reposa son menton sur la hanche comme si de rien n'était.


« Tu vas aller mieux. » Affirma le détective en regardant la LED pulsée en rouge dans la tempe de l'androïde frigorifié. « Connor, fais un diagnostic pour moi. »


Les sourcils du déviant se froncèrent pendant quelques secondes avant de se lisser à nouveau.


« T-température C-Centrale à trente et un huit... » Déclara le déviant d’une voix tremblante. « ...Et en aug-gmentation »


« Bien. C'est une très bonne nouvelle. » Hank posa sa main sur les cheveux humides de Connor, puis descendit sur son front pour faire lui-même un contrôle de la température. « Dis moi, que puis je faire d'autre pour t'aider ? »


« R-rien de plus. V-vous avez fait tout ce dont j'avais besoin. » Déclara Connor d'une voix faible. « Merci, Hank. »


« Je t'en prie, gamin » le quinquagénaire s'assit lourdement dans le fauteuil inclinable et regarda la LED de Connor revenir au jaune pour finalement y rester.


« H-Hank ? » Appela t'il d'une voix tremblante.


« Ouais ? »


« A-avez-vous deja vécu ça, avant ? » La façon dont le détective avait géré la situation était pour le moins impressionnante. « V-vous semblez avoir b-beaucoup d'expérience avec ce genre de scénario. »


« Ouais. Une fois. » Hank passa sa main gauche sur son menton barbu. « J'avais douze ans et je pêchais sur la glace avec mon père. Ce jour là, j'ai décidé de m'aventurer dans une zone qui m'était formellement interdite. J'ai désobéi et je me suis alors retrouvé sur une glace trop fine que j'ai fini par traverser... Mon père m'a fait sortir et j'ai passé les six heures suivantes blotti devant la cheminée de la cabane. Je n'avais jamais vu mes parents aussi inquiets de toute ma vie. »


« Je suis content que vous ayez survécu. » Le claquement de ses dents commençait à s'atténuer, mais la tension sur le modulateur de voix était toujours évidente. 


« Maintenant, active ton mode repos et réchauffe toi. »


« O-oui... »


Fléchissant plusieurs fois ses vieilles mains semi-arthritiques, Hank considéra un instant le déviant hypothermique. Si ce dernier avait été seul sur les berges, ou s'il avait dû s'associer à Gavin pendant l'enquête, alors il aurait été tout à fait possible qu'il périsse d'une manière douloureuse et glaciale.


Hank se releva et alla fouiller le placard du couloir à la recherche d'une vieille bouillotte qu'il utilisait occasionnellement pour son dos douloureux. Il trouva également une paire de gants utilisée à l'origine pour la motoneige. Ce n'était pas grand-chose, mais Hank savait que cela pourrait aider le déviant à se sentir mieux plus rapidement.


Pendant que la bouillotte se remplissait dans le lavabo de la salle de bain, Hank fouilla la grande trousse de premiers secours rangée dessous et sortit quelques rouleaux de gaze. Même si la peau artificielle de Connor ne pouvait pas contracter d'infection suite à ses gelures, Hank voulait la panser pour garder les dommages douloureux cachés autant que possible.


Ramenant les fournitures dans le salon, le lieutenant posa l'ensemble sur la table basse et s'agenouilla sur le sol à côté du déviant endormi. 


Repoussant doucement les couvertures, il enveloppa les mains du gamin en commençant par ses poignets, puis remonta jusqu'à ses cinq doigts.


Étant extrêmement prudent et méticuleux, Hank glissa les épais gants noirs sur les mains bandées, puis il les replaça délicatement sur le canapé. Une fois les engelures traitées, Hank plaqua la bouillotte contre la poitrine de Connor, puis remit la couche de couvertures sur lui pour l'aider à retenir autant de chaleur que possible.


Une fois terminé, Il se dirigea vers la vieille cheminée en mortier et s'occupa à la fournir en bois pour raviver le feu.


« Tu prends bien soin de lui, hein Sumo ? »


La queue du Saint Bernard cogna sur les coussins du canapé tandis qu'il regardait son maître s'occuper du déviant inconscient. Sumo, toujours fidèle et doux, semblait comprendre que Connor avait besoin d'aide et qu'en se blottissant contre ses jambes, il faisait également sa part pour l'aider à se rétablir.


Dans un geste de réconfort, Hank passa légèrement ses doigts dans les mèches de cheveux glacées et humides du déviant.


« Putain... » soupira Hank. « Qu'est ce que je peux détester l'hiver. »



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