Become Human : L'aube bleue
Chapitre 4
Cours de box
Quelques heures après l’interrogatoire, Mila fut placée dans un foyer pour adolescents, une décision prise en concertation avec son avocate. Elle pourrait ainsi rester en sécurité et reprendre contact avec les enquêteurs quand elle se sentirait prête. Malgré cette avancée, Gavin ne ressentait aucun sentiment de satisfaction. Il n’avait pas l’impression d’avoir progressé dans l’enquête, et son altercation avec Emma tournait encore dans son esprit, ressassant des fragments de leur passé commun. Mais il chassa ces pensées d’un geste, refusant de se laisser distraire. Ce n’était pas le moment pour des souvenirs personnels. Il avait une affaire à résoudre.
Assis à son bureau, il feuilletait distraitement le rapport préliminaire, lorsque deux bras solides s’abattirent brusquement sur le bord de son poste, le faisant sursauter.
— Bonsoir, Gavin !
Il leva les yeux, foudroyant du regard le RK900, ou "Nines" comme tout le monde semblait l’appeler désormais. Le visage de l’androïde affichait cette expression impassible qui l’irritait tant, ce masque de perfection inébranlable.
— Tu pourrais prévenir avant de débarquer comme ça ! Et pour toi, c’est Détective Reed, on n’est pas potes, répliqua-t-il d’un ton acerbe.
Nines leva un petit sachet en plastique transparent, l’air imperturbable.
— Je pense que vous allez apprécier cela, dit-il calmement.
Gavin fronça les sourcils, exaspéré mais intrigué malgré lui.
— C’est quoi, ça ? grogna-t-il.
— Une copie des données récupérées sur le CD trouvé dans la caméra. Ce sachet contient le code pour accéder aux fichiers en ligne, expliqua Nines avec la précision d’une machine.
Gavin roula des yeux en soupirant.
— Sérieux ? Le mot CD et caméra dans la même phrase ? On est dans les années 2000 ou quoi ?
Nines esquissa ce qui ressemblait à un sourire, une expression si subtile qu’on aurait pu croire qu’elle n’était qu’un glitch dans sa programmation.
— Dans votre génération, apparemment, répondit-il, son ton mécanique empreint d’une pointe de sarcasme.
Gavin lui arracha le sachet avec un grognement.
— Donne-moi ça, petit malin.
Le RK900 resta là, sans bouger, les yeux rivés sur l’écran. Sa posture était droite, impeccable, et Gavin sentit l’irritation monter en lui.
— Tu fais quoi, là, au juste ? Tu veux pas aller faire un tour ? Je te ferai un rapport après, pour l’instant, dégage. Ou va me chercher un café.
Nines hocha la tête avec une obéissance parfaitement calculée.
— Très bien, un café, répondit-il d’un ton monocorde. Et je reviendrai ensuite pour l’enquête, ajouta-t-il en imitant l’intonation de Gavin.
Avant que Gavin n’ait le temps de répliquer, l’androïde s’éloigna déjà dans le couloir, le laissant avec le code d’accès. Gavin soupira, mais un petit sourire s’échappa malgré lui. Peut-être, juste peut-être, que cette boîte de conserve n’était pas aussi insupportable qu’il voulait bien le croire.
Il introduisit le code sur son terminal, et des vignettes de vidéos apparurent aussitôt sur l’écran, défilant une à une. Des titres simples, datés, comme des morceaux de vie enregistrés et figés dans le temps. Gavin cliqua au hasard sur la quatrième vignette.
À travers les haut-parleurs, la voix enfantine de Mila résonna, pleine de gaieté et de curiosité : « Ça là, c’est un papillon appelé ''pyrite du chou'' ! » La caméra, légèrement tremblante, zoomait maladroitement sur les plantes d’un parc, probablement Lafayette Greens. Gavin pouvait presque sentir la douceur de l’air printanier qui entourait cette scène, une journée ordinaire transformée en un souvenir précieux. La voix d’une femme se fit soudain entendre : « Reste près de nous, Mila, on va partir. » La caméra pivota brusquement, et pendant un instant, on aperçut deux femmes se tenant la main. Julia et Romie, sans aucun doute. Leur posture, leurs gestes, les regards qu’elles se lançaient semblaient trop humains pour n’être que des simulations.
Gavin fut tiré de sa rêverie par le gobelet de café fumant que Nines posa doucement à côté de lui.
— Avez-vous trouvé quelque chose d’intéressant, détective ? demanda-t-il, les yeux inquisiteurs.
Gavin hocha la tête, absorbé par la vidéo.
— Mmmh, ouais. Il semblerait que ce soit… des vidéos de famille.
Nines inclina la tête, l’expression curieuse.
— "Famille", vous dites ?
Gavin se reprit immédiatement, un brin gêné par son propre choix de mots.
— Enfin… je dis pas que c’est une vraie famille, hein. Juste que… ça y ressemble, marmonna-t-il en haussant les épaules, comme pour chasser cette idée inconfortable.
Nines fixa l’écran, son visage restant impassible, mais quelque chose dans ses yeux sembla s’intensifier, un éclat de compréhension ou peut-être une simple simulation de réflexion.
— Si cela vous aide à progresser, je peux analyser les fichiers en profondeur et fournir un compte rendu détaillé, suggéra-t-il.
Gavin, toujours un peu agacé par sa présence, lui tendit le sachet avec le code, mais Nines leva la main pour décliner poliment.
— Je peux déjà accéder aux fichiers. Mais j’apprécie le geste, ajouta-t-il humblement.
Gavin soupira, exaspéré par ce qui ressemblait à de la courtoisie mécanique, puis se reconcentra sur l’écran. Intrigué malgré lui, il cliqua sur une autre vidéo intitulée *Anniversaire Mila – huit ans*. La scène se déroulait dans un petit salon décoré de ballons colorés et d’une banderole « Happy Birthday ». La caméra, posée sur un trépied, capturait Mila, impatiente, assise devant un gâteau en forme de chat. Les deux androïdes s’approchèrent d’elle, l’enlaçant tendrement et l’encourageant à souffler ses bougies. Leur comportement était tellement naturel, tellement… humain, que Gavin sentit une pointe de malaise.
Il cliqua ensuite sur une autre vidéo, simplement intitulée *Vacances*. Julia arrosait Mila avec un pistolet à eau, sous le rire cristallin de la jeune fille. Romie tenait la caméra, capturant chaque éclat de rire, chaque moment de complicité. La joie dans les voix, la tendresse dans les gestes… Gavin observa en silence, et un sourire fugace lui échappa, bien qu’il s’empressa de refermer la vidéo. Ces moments paraissaient si authentiques qu’il peinait à croire qu’il s’agissait d’androïdes. Si on lui avait montré ces vidéos sans contexte, il aurait juré qu’il s’agissait d’une famille humaine. Cette pensée le troubla profondément.
— Vous allez où, détective ? demanda Nines, levant les yeux de son poste.
Gavin reprit contenance, tentant de masquer son trouble.
— Il se fait tard. Je rentre. Fais-moi un bilan demain, dit-il d’un ton plus brusque qu’il ne l’avait voulu.
Nines hocha la tête.
— Aucun problème. Bonne nuit, détective Reed.
Gavin marmonna quelque chose d’inintelligible et s’éloigna. Mais au milieu du couloir, il s’arrêta, pris d’une impulsion soudaine. Il se retourna vers Nines, les mains enfoncées dans les poches de sa veste.
— Et pense à te recharger cette nuit, lança-t-il d’un ton provocateur et amusé. Je t’ai trouvé un peu mou aujourd’hui.
Le RK900 resta silencieux un instant, sa diode bleue clignotant légèrement, comme si quelque chose en lui calculait la réponse appropriée. Puis, dans un geste presque humain, il esquissa un sourire – ou du moins, ce qui ressemblait à un sourire.
— Je m’en souviendrai, répondit-il doucement.
Gavin, troublé par cette réplique étrangement personnelle, secoua la tête et sortit du poste. Alors qu’il arpentait les rues désertes de Detroit, le visage de Mila, ses éclats de rire capturés dans les vidéos, et le comportement inexplicablement humain de Nines tournaient dans son esprit, le laissant avec une question qu’il n’avait jamais pensé se poser : et si ces "machines" comprenaient bien plus que ce qu’il avait toujours cru ?
****
La nuit s’étendait, dense et silencieuse, alors qu'il parcourait les rues de Detroit sur sa moto. La fatigue nerveuse de la journée pesait sur ses épaules, l’empêchant de trouver la paix dans ce trajet habituel. Au lieu de rentrer directement chez lui, il bifurqua soudain, guidé par une impulsion irrépressible. Il avait besoin de se défouler, de chasser les images obsédantes qui tournaient en boucle dans son esprit : Mila, Emma, ce foutu androïde… Il accéléra, sa destination en tête.
Quelques minutes plus tard, il poussa la porte d’une salle de sport ouverte 24h/24, son refuge depuis des années lors des nuits trop longues. La boxe était devenue son exutoire, un moyen de purger la colère et le stress accumulés, de se libérer de l’absurdité de ses journées au DPD. Enfilant ses gants, il se dirigea vers le sac de frappe, ignorant le vide de la salle, se laissant engloutir par le rythme répétitif de ses frappes. Chaque coup résonnant dans le silence, chaque impact libérant un peu de la tension qui le rongeait. Dans cet espace exigu, il pouvait enfin lâcher prise, se déconnecter du chaos. Il frappait, encore et encore, s’acharnant comme si chaque coup pouvait effacer les souvenirs de la journée.
Mais un bruit inattendu brisa cette concentration. Un léger grincement de chaussure sur le sol. Il se retourna brusquement, les poings levés, sur la défensive.
— Bonsoir, détective Reed.
Devant lui, dans la lumière tamisée de la salle, se tenait le RK900, droit et impassible, son uniforme impeccable comme une provocation silencieuse.
Gavin serra les poings, l’agacement montant en lui.
— Mais qu’est-ce que tu fous là ? Tu me suis maintenant ? lança-t-il d’un ton acéré, sa voix trahissant sa fatigue autant que sa frustration.
L’androïde, imperturbable, répondit calmement, comme s’il n’avait pas remarqué l’hostilité de Gavin.
— Vous avez insisté pour être informé en premier de mes découvertes concernant l’affaire Mila. J’ai déduit que c’était la meilleure option pour respecter vos instructions.
Gavin fronça les sourcils, une ride d’irritation se formant sur son front.
— Et comment t’as fait pour me trouver ? C’est quoi, ce délire ? Depuis quand les boîtes de conserves font de la filature ?
Nines ne cilla pas, son regard analytique scrutant Gavin avec une intensité presque déconcertante.
— J’ai procédé par déduction. J’ai analysé vos habitudes, vos centres d’intérêt, votre besoin de défoulement. La boxe est un passe-temps que vous pratiquez souvent tardivement quand vous ressentez le besoin de canaliser votre stress.
Gavin roula des yeux, étouffant un soupir exaspéré. Cet androïde avec ses déductions froides et son apparente omniscience lui tapait sérieusement sur les nerfs. Mais soudain, une idée germa en lui, un sourire narquois étirant ses lèvres. Peut-être qu’il avait trouvé le moyen de remettre cette machine à sa place.
— Ok petit malin, alors t’as voulu venir jusqu’ici ? Parfait, lança-t-il avec un sourire provocateur. Si tu veux que je t’écoute, va falloir jouer le jeu. Passe des gants et viens me rejoindre sur le ring.
Nines inclina légèrement la tête, comme s’il analysait la proposition. Puis, avec une politesse qui frôlait l’arrogance, il répondit :
— Ce ne serait pas prudent, détective. Bien que je sois programmé pour me battre, il y a un risque que je vous blesse involontairement.
La remarque piqua Gavin au vif. Sa fierté de boxeur s'enflamma, et son sourire se durcit, teinté de défi.
— Tu penses vraiment que je me débrouille pas ? Vas-y, viens ! On va voir de quoi t’es fait.
Le RK900 resta silencieux pendant quelques secondes, sa diode passant du bleu au jaune, signe qu’il réfléchissait. Finalement, il acquiesça, se dirigeant vers le rack de gants sans un mot de plus. Il enfila les gants méthodiquement, comme s’il se préparait pour une tâche banale, avant de se placer face à Gavin, adoptant une posture de combat parfaite, presque trop parfaite.
Gavin n’attendit pas, attaquant immédiatement avec des jabs rapides, cherchant à percer la défense de l’androïde. Mais Nines esquiva chaque coup avec une précision déconcertante, ses mouvements calculés au millimètre près. Il bloquait chaque attaque, glissant hors de portée, ses gestes tellement fluides qu’ils semblaient prédéterminés.
Essoufflé, mais déterminé à percer cette défense impeccable, Gavin lança, entre deux coups :
— Alors, t’as pas peur de me blesser, au final ?
Nines demeura stoïque, le visage inexpressif.
— Vous l’avez demandé avec insistance, détective.
Puis, dans un mouvement mesuré, le RK900 passa à l’attaque. Un direct précis fusa, frôlant la mâchoire de Gavin qui recula d’un pas, par réflexe, esquivant de justesse. Gavin ne se laissa pas intimider et ajusta sa défense, concentrant sa force dans un coup de poing dirigé vers l’androïde. Cette fois, il mit toute sa puissance, espérant le surprendre.
Mais Nines bloqua l’attaque d’une main experte et, dans un mouvement fluide, se décala pour esquiver. Avant que Gavin n’ait le temps de réagir, l’androïde le surprit avec un uppercut parfaitement contrôlé qui le frappa au visage, atteignant le nez de Gavin avec une force mesurée.
Gavin recula en grimaçant, une douleur sourde irradiant de son nez. Bien que le coup n’ait rien cassé, il laissa une sensation brûlante, piquant sa fierté autant que son visage.
— Merde ! siffla-t-il en posant une main sur son nez, essayant de contenir la douleur.
Nines recula immédiatement, ses yeux scrutant Gavin avec attention, comme pour évaluer son état.
— Vous allez bien, détective ? Ce n’était pas mon intention de vous blesser, dit-il d’une voix calme, presque inquiète.
Gavin grogna en passant ses doigts sur l’endroit douloureux. Son regard était rempli d’une frustration palpable, mais aussi, bien malgré lui, d’une lueur d’admiration mal dissimulée. Nines avait beau être une machine, son coup était maîtrisé, précis. Il n’avait pas frappé pour blesser, mais avec une technique presque parfaite, un contrôle qu’il n’avait jamais vu chez un partenaire de boxe humain.
— Bon, d’accord, t’es pas si mauvais, concéda-t-il à contrecœur, en passant sa main sur son nez endolori. Mais ça prouve rien. Ça reste une machine bien programmée.
Le RK900 le dévisagea, et Gavin crut déceler dans ses yeux un éclat de quelque chose… une réflexion peut-être, ou une prise de conscience.
— Je ne suis pas ici pour "prouver" quoi que ce soit, détective. Simplement pour vous épauler dans cette enquête. Si cela inclut de vous apporter un défouloir, alors soit.
Gavin secoua la tête, un sourire en coin.
— T’es vraiment inflexible, pas vrai ? On te programmera jamais pour comprendre la subtilité de ce genre de situations.
Nines observa Gavin un instant, une lueur étrange dans les yeux.
— Je suis programmé pour apprendre, détective. Peut-être que je ne comprendrai jamais certaines choses, mais je m’efforce de saisir ce qui est nécessaire.
Gavin le fixa, surpris. Derrière cette façade mécanique, il commençait à percevoir quelque chose de plus complexe, quelque chose qui le troublait. Il ne répondit rien, se contentant de hocher la tête en signe d’acceptation.
— Bon, très bien, dit-il finalement. Dis-moi ce que t’as trouvé sur Mila, puisque apparemment, j’ai "insisté".
Le RK900 reprit son sérieux, le ton de sa voix se faisant plus grave.
— J’ai trouvé des informations sur Mila liées à l’Institut National de la Prolongation de la Vie. Cet institut est connu pour mener des expérimentations controversées. Certaines données suggèrent qu’ils auraient testé des techniques de préservation sur des individus jeunes.
Gavin le fixa, interloqué.
— Attends… tu veux dire que Mila… fait partie de ces expériences ?
Nines inclina légèrement la tête, comme s’il cherchait la meilleure façon de formuler sa réponse.
— J’ai accédé à des informations de l’Institut. Bien que mes ressources soient limitées, il semble que certaines expérimentations aient été menées sur des sujets en bas âge. Cependant, les données sont fragmentées, et je ne peux pas encore fournir de certitude.
Gavin sentit la colère monter en lui, ses poings se serrant malgré lui.
— Et ses "mères" ? Elles font partie de cette expérience ?
Nines hésita une fraction de seconde, sa diode émettant une lueur douce, presque apaisante.
— D’après les données accessibles, il est probable que les deux androïdes vivaient sous une fausse identité humaine. Si elles étaient déviantes, cela pourrait expliquer leur comportement parental et leur choix de se cacher avec Mila. Peut-être étaient-elles recherchées, ce qui pourrait avoir provoqué cette altercation.
Le détective passa une main sur son visage. Une question le brûlait, se faisant plus pressante que jamais.
— Tu penses qu’elle est en danger ?
Nines prit une seconde pour analyser ses mots, chaque syllabe pesée.
— C’est une possibilité. Si quelqu’un la cherchait, il est probable qu’ils recommenceront.
Ce fut la goutte de trop. Gavin se dirigea vers ses affaires, ramassant son blouson en un geste brusque.
— Ça suffit. On y va. Je veux m’assurer qu’elle est en sécurité.
Nines le dévisagea, semblant jauger la détermination dans son regard.
— Vous êtes sûr que cette réaction n’est pas motivée par une implication émotionnelle ?
Gavin s’arrêta, le fixant avec un mélange de défi et de vulnérabilité.
— Et alors ? Si elle est en danger, je veux le savoir. On va au centre, maintenant.
L’androïde acquiesça après un instant de réflexion.
— Très bien, détective. J’ai pris une voiture de patrouille, cela facilitera notre accès.
Gavin haussa un sourcil, une pointe de surprise dans le regard.
— Sérieusement ? T’as même pensé à ramener une voiture de patrouille ?
Nines répondit avec un semblant d’humour froid.
— Disons que je m’adapte aux préférences de chacun.
Sans un mot de plus, Gavin emboîta le pas à l’androïde, son cœur battant un peu plus vite, un sentiment de tension et d’urgence le gagnant.
Gavin suivit le RK900 jusqu'à la voiture de patrouille, le bruit de leurs pas résonnant dans le calme oppressant de la nuit. Une tension subtile flottait dans l'air, et Gavin sentait son cœur battre plus vite, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que, pour la première fois, il avait le sentiment que cette enquête dépassait les limites de son travail habituel, qu’il touchait quelque chose de plus sombre, de plus vaste.
Lorsqu’ils arrivèrent au centre d’accueil, la lueur vacillante des lampes de sécurité conférait au lieu un aspect à la fois rassurant et étrange. Une agente de sécurité s’avança vers eux, l’air surpris et vaguement préoccupé.
— Vous êtes ici pour la disparition de Mila, je suppose ? Comment avez-vous été mis au courant si vite ? demanda-t-elle, ses yeux passant de Gavin à Nines, visiblement troublée.
Le visage de Gavin se figea. Pendant une seconde, il resta immobile, essayant de saisir le sens de ses mots. Disparition ? Le mot rebondissait dans sa tête, trop lourd, trop soudain.
— La… disparition ? Vous dites qu’elle a disparu ? balbutia-t-il, ses yeux écarquillés.
L’agente hocha lentement la tête, une lueur d’inquiétude dans le regard.
— Oui, elle a disparu. Nous avons signalé son absence à la police il y a dix minutes à peine. Elle n’est plus dans sa chambre, et nous n’avons trouvé aucune trace d’elle à l’intérieur du centre.
Une sueur froide perla sur le front de Gavin. Comment Mila avait-elle pu disparaître si vite, et surtout, comment cette information leur était-elle parvenue alors qu’ils étaient déjà en route ? Le regard de Nines était braqué droit devant, impassible, mais Gavin sentait que l’androïde analysait intensément chaque détail.
Sans perdre une seconde, Gavin et Nines firent demi-tour pour retourner à la voiture de police. En marchant, Gavin sortit son téléphone, envoyant des messages rapides à l’équipe pour alerter tout le monde de la situation. Quelques secondes plus tard, une alerte de disparition d’enfant fut diffusée sur tout le réseau de police de Detroit.
Arrivés à la voiture, Gavin se laissa aller contre la portière, le visage tendu et la mâchoire crispée. Dans un geste nerveux, il sortit une cigarette de sa poche, l’alluma, et tira une première bouffée, laissant la fumée emplir ses poumons pour apaiser ses nerfs. La réalité de la disparition de Mila était encore difficile à assimiler.
Nines, à ses côtés, observa l’instant avec ce qui semblait être une curiosité mesurée avant de rompre le silence.
— Savez-vous, détective, que le tabagisme a des effets dévastateurs sur la santé ? Chaque cigarette que vous fumez diminue votre espérance de vie et endommage vos poumons, sans compter les risques accrus de maladies cardiovasculaires et respiratoires.
Gavin leva les yeux au ciel, exaspéré, avant de fixer l’androïde avec un regard de défi.
— Nines… ferme-la, veux-tu ?
L’androïde s’interrompit, sa diode clignotant d’un bleu perplexe. Il garda le silence, comme s’il essayait de comprendre la réaction du détective, avant de se contenter d’observer Gavin en silence. Gavin reprit une longue bouffée, fixant le vide devant lui.
— Mila a disparu. Et maintenant, c’est notre problème, murmura-t-il, plus pour lui-même que pour Nines.
De retour au bureau, la nuit se fondit en une succession d'heures interminables. Gavin, rivé à son écran, passait en revue les dossiers de Mila, les vidéos de surveillance, et les relevés d’entrée et sortie du centre d’accueil. Chaque piste, chaque détail devenait une pièce d’un puzzle qui refusait de s’emboîter. Une fatigue insidieuse s’installait en lui, pesant sur ses épaules, mais il ne voulait rien lâcher. Il n’était pas habitué aux affaires impliquant des enfants, encore moins des disparitions. Cette affaire le touchait d’une manière qu’il n’arrivait pas vraiment à expliquer.
Au cours de la matinée, Tina vint le voir, captant d’un seul coup d’œil son air épuisé et le trouble qui marquait son regard. Elle hésita un instant, puis posa une main douce et familière sur son épaule.
— Gavin, ça va ? Tu devrais te reposer un peu. Cette affaire… elle te touche plus que d’habitude, non ? murmura-t-elle, avec une douceur inhabituelle.
Gavin détourna les yeux, serrant la mâchoire. Il n’avait aucune envie de se livrer, encore moins d’admettre que quelque chose dans cette enquête le secouait profondément.
— Oh, c’est bon, Tina. J’ai pas besoin de ta pitié, lâcha-t-il d’un ton tranchant, un sarcasme qui semblait trop acéré, même pour lui. Va compatir avec quelqu’un d’autre.
Le visage de Tina se ferma, mais elle fit de son mieux pour masquer sa déception. Elle connaissait Gavin depuis longtemps, elle savait que, lorsqu’il se sentait vulnérable, il réagissait par l’agressivité. Mais il y avait quelque chose de plus sombre, de plus douloureux dans son regard aujourd’hui, une crispation qu’elle n’avait pas l’habitude de voir.
— Très bien, Reed. Comme tu voudras, répondit-elle froidement avant de tourner les talons et de quitter la pièce.
Gavin la regarda s’éloigner, une pointe de regret l’atteignant presque immédiatement. Mais son orgueil l’empêcha de la rappeler. À quoi bon s’excuser ? Cela ne changerait rien.
Peu après, le capitaine Fowler entra dans son bureau. Son regard fatigué trahissait une nuit difficile, mais son ton restait ferme.
— Gavin, tu dois rentrer. On te tiendra au courant si quelque chose bouge. Tu as besoin de repos, sinon tu ne tiendras pas une autre nuit, ordonna-t-il, son ton sans appel.
Gavin ouvrit la bouche pour protester, mais quelque chose dans le regard de Fowler le fit taire. Il savait que le capitaine avait raison. Avec un soupir résigné, il hocha la tête, rassembla ses affaires, et se leva.
Alors qu’il quittait le bureau, son regard se posa une dernière fois sur le poste de travail de Nines, où l’androïde, toujours concentré, analysait les données sans relâche. Gavin s’arrêta brièvement, le poids de ses pensées se faisant plus lourd.
— Nines, murmura-t-il, presque dans un souffle. Continue de chercher. Tu as accès à tout ce qui pourrait nous dire où elle est, alors ne lâche rien.
L’androïde tourna légèrement la tête, fixant Gavin avec une intensité qui n’était plus aussi impersonnelle. Ses yeux semblaient presque… compatissants.
— Vous avez ma parole, détective. Je ne m’arrêterai pas tant que nous n’aurons pas retrouvé Mila.
Gavin hocha la tête en silence, un étrange sentiment de reconnaissance flottant entre eux. Puis il se détourna, franchissant les portes du poste pour se retrouver dans le froid de la rue, le cœur plus lourd que jamais.
Il rentra chez lui, épuisé et assommé par un sentiment d'impuissance. Le silence de son appartement accentuait encore le poids de l’affaire. Il s’effondra sur le canapé, laissant enfin retomber ses défenses. Le visage de Mila, ses yeux pleins de douleur et de mystère, hantait ses pensées. Pourquoi cette affaire lui semblait-elle si personnelle ? Il ne parvenait pas à détacher ce sentiment d’injustice, cette peur grandissante que cette enfant soit impliquée dans quelque chose de bien plus sinistre qu’il ne l’avait imaginé.
La fatigue l’engloutit finalement, le plongeant dans un sommeil troublé.