Les liens du sang
Le lourd panneau de chêne s'ouvrit d'une simple pousée. L'entrée était typique d'une maison de campagne avec ratelier à bottes et porte-parapluies. Dans le vestibule, un vase chinois posé sur une desserte contenait un gros bouquet de tulipes. Leur couleur bronze faisait contraste avec le carmin du tapis. Il y flottait une agréable odeur de cire. Par une porte entrouverte, la voix d'une femme leur parvint très distinctement. Une voix hachée par le fureur. _ Tu n'es qu'un sale petit espion. Ecoute moi bien, cesse de te mêler de ma vie privée, c'est la dernière fois que je te le dis. Je ne supporte plus que tu mettes ton nez partout quand tu crois que personne ne te voit. Ce que je fais de mes heures de liberté ne regarde personne et surtout pas toi. Tu as bien de la chance d'être arrivé là où tu es, étant donné tes origines et tes dons... Ces derniers mots furent proférés avec un mépris cinglant. _... Mais je vais m'arranger pour que tu t'arrêtes là, tu peux me croire. Si tu as cru pouvoir me monter dessus, tu t'es trompé ! _ Ca, faudrait en avoir envie ! L'allusion fit sourire Aï et Conan malgré eux tandis que le visage de Ran devenait rouge comme une pivoine. _ Arrêtes ton numéro de peau de vache, Miyuki. Tu as réussi à enfiler un uniforme de directrice, d'accord, mais tu n'es pas Dieu le Père pour autant ! D'ailleurs, ajouta non sans malveillance la personne qui parlait, tu n'oserais jamais te plaindre de moi. Je me fiches pas mal de ce que tu fais avec la clientèle, mais j'ai idée que cela ne cadre pas avec la conception de la bienséance campagnarde qui est celle de nos patrons. A moins de vouloir reconstituer une partie de campagne dans le style de la Belle Epoque française. Je me demande ce que tu vas inventer cette semaine. Le jeu des lits musicaux. La voix était masculine mais assez haut perchée et légérement nasale, avec un soupson d'accent de la région d'Osaka. _ Il y a de l'ambiance, murmura Aï à l'oreille de Conan. _ Oui, on peut sentir que ces deux là ne s'apprécient pas beaucoup, continua Conan tout en retournant à la porte d'entrée pour en ouvrir le grand battant et le claquer sans ménagement. Maintenant on peut y aller. Ils traversèrent le vestibule d'un pas allègre et Ran frappa à la porte entrouverte avant de risquer un regard à l'intérieur. La femme se tenait debout, dos à une fenêtre, derrière une belle table qui servait apparemment de bureau de réception. Elle s'était figée avec en mains une liasse de feuille volante. Son interlocuteur, adossé, mains dans les poches, à la porte qui lui faisait face, semblait plutôt amusé. _ Bonjour, puis-je vous aider ? proposa aussitôt la femme avec un sang-froid parfait. Son sourire ne laissait rien deviner de la fureur qu'ils venaient malgré eux de surprendre. _ Je ne sais pas si nous sommes à la bonne adresse... hésita Kogoro. _ Si vous cherchez (), vous êtes bien arrivé. Je suis Miyuki Tendo, directrice de l'établissement. Vous êtes certainement monsieur Mouri. _ Tout à fait. Et voici ma fille, Ran, présenta le détective; _ Enchantée ! Et comment s'appelle ces adorables enfants, demanda Miyuki après avoir avoir serrée la main de Ran. Aï et Conan se présentèrent à tour de rôle _ Qu'est ce qu'ils sont mignons. Je suis certaines que vous allez rendre joyeuse cette maison. Vous allez être ravis d'apprendre que vous n'êtes pas les seuls enfants cette semaine. Les petits Tanaka ont pour ainsi le même age que vous. _ C'est super, n'est ce pas Haibara, se força à dire Conan _ Merveilleux... Aï examina Miyuki Tendo avec intêret. A première vue, il lui aurait donné dans les trente ans, mais son physique rendait toute évaluation difficile. Grande, la silhouette élégante, elle avait les yeux et les cheveux couleur feuilles mortes, le teint crème d'une rousse. Elle portait une robe de lainage uni très simple, d'une nuance à peine plus soutenue que celle de ses cheveux, et cette recherche de ton sur ton la rendait particulièrement séduisante. Aï présuma que c'était elle qui avait choisi les tulipes du vestibule, car elles lui étaient assortis à la perfection. L'homme, quant à lui, avait suivi l'échange sans se départir de sa posture nonchalante avec d'infimes hochements de tête, à la manière d'un oiseau. Il se décida à extraire la main droite de sa poche et vint vers Ran et Kogoro. _ Je suis Kojiro Ryoga, directeur adjoint, ou larbin de Lady Di içi présente, au choix, dit-il en tendant la main. Après un coup d'oeil en direction de Miyuki pour vérifier l'effet de sa raillerie, il serra la main à chacun des nouveaux arrivants avec un grand sourire. La chaleur de son acceuil paraissait sincère. A la cordialité policée de Miyuki Tendo, Conan s'aperçut qu'il préférait la malice de Kojiro Ryoga. Le jeune homme n'avait pas loin de trente ans. De constitutions plutot frêle, il avait la peau grêlée de trace d'acné mais un visage fin aux traits délicats sous des cheveux jaune paille coupés à la dernière mode. Ses yeux étaient sombres, bizarrement. Miyuki contourna prestement son bureau. Elle effleura le bras de Kogoro. _ Je vais vous montrer votre appartement. Quand vous aurez pris le temps de vous installer, je vous ferai visiter la maison et je répondrai à toutes vos questions. En traversant le vestibule, Kogoro qui la suivait admira sa sihouette. Le fin lainage de sa robe la mettait parfaitement en valeur. La senteur capiteuse d'un parfum musqué lui parvint, surprenante pour une personne d'une élégance aussi classique. _ Votre appartement est le plus joli de la maison, à mon avis. _ A premier étage, ils empruntèrent un couloir menant à l'arrière de la maison. Il aboutissait à une porte ornée d'un numéro discret, en cuivre, le 4. Miyuki l'ouvrit au moyen de sa clé personnelle et les préceda dans l'entrée. L'espace exigu ne permit pas à Kogoro de manoeuvrer avec son sac sans froler Miyuki. Elle le gratifia d'un sourire suggestif. Après l'entrée venait le salon dont la décoration trahissait encore la main de Miyuki, dans le choix des couleurs au moins. Fauteuils et canapés capitonnés de tissu vieil or, avec franges et accoudoirs rebondis, rideaux vert olive et tapis en reliefs associant les deux teintes dans un motif géométrique complexe. L'ensemble, qui pouvait sortir tel quel de la salle d'exposition d'un grand magasin de bon ton dégageait une impression de solide respectabilité. Après posé leurs bagages ils rejoingnèrent Miyuki qui les attendait sur le balcon. Sous leurs yeux s'étendaient les terres et jardins de la propriété, jusqu'à une montagne qui se dressait au loin. _ A gauche, vous avez le court de tennis, leur indiqua Miyuki. Vous pouvez pratiquer également le badmington, le croquet et le tennis de table dans la serre juste à coté. Bien sur, il est également posible de faire des randonnées à pieds et à cheval. Pour cela, je vous indiquerai des personnes très qualifiés au village... Et j'oubliais la natation, bien entendu. Notre piscine couverte est l'une de nos attractions vedettes. Vous trouverez de quoi vous occuper, je pense. _ C'est trop ! Je risque une attaque cérébrale si je dois choisir, plaisanta Kogoro. _ En attendant, je vous laisse vous installer. Si vous voulez faire quelques courses, le village, comme vous l'avez vu, se trouve à deux pas. Vous y trouverez un magasin. Nous donnons un cocktail se soir à vingt heures, pour que nos hotes puissent faire connaissance. _ C'est notre première expérience du genre, avoua Ran. Les autres clients doivent se connaitre, s'ils ont tous l'habitude de réserver la même semaine ? _ Pas forcément, il y a pas mal de renouvellement. Certains échangent leur semaine, ou utilisent leur temps ailleurs. Nous ne connaissons pas toujours ceux qui vont arriver. Cette semaine justement, outre vous, nous avons plusieurs personnes qui viennent pour la première fois. _ Parfait, nous ne serons donc pas les seuls novices, lança Ran rassurée. _ Vous avez combien de résidents demanda Aï qui était, comme Conan, restée silencieuse depuis un moment. Pour satisfaire à la curiosité de ses nouveaux clients, Miyuki Tendo s'adossa à la balustrade, bras croisé. _ La maison comporte huits appartements, et l'annexe trois cottages aménagés. Vous les avez peut etre vu sur votre gauche en arrivant. J'en habite un pour le moment, le dernier au bout _ Votre assistant habite également sur place, questionna Conan. Il a l'air d'air très gentil. Miyuki se redressa d'un geste brusque _ Non. Il vit en ville avec sa vieille mère. C'est la buraliste du village. Conan reconnut dans la voix qui venait d'executer socialement Kojiro Ryoga quelque chose de l'accent fielleux qu'il avait déjà entendu. Miyuki se frotta les mains, comme pour se débarasser de miettes. _ Si vous voulez bien m'excuser, j'ai beaucoup à faire. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit. Sinon, à tout à l'heure. Cette fois, le sourire fut bref et dénué de toute invite. Miyuki s'éclipsa en laissant ses hotes sur le balcon.