Les liens du sang
Chapitre 1 Le monde déroulait sa tapisserie bigarrée dans une impalpable buée, inlassablement. Un paysage de prairies parsemées de moutons, de champs de colza jaune clair, lumineux comme eclairés de l'intérieur, de collines parfois entailées de profondes ravines, bordées de feuillus. De lentes rivières y coulaient, moussues, mystérieuses; En cette fin de printemps toute la campagne était en fleurs. C'était si somptueux qu'elle se souvenait avoir été submergée par l'émotion. Le bercement du train avait eu sur elle un effet légérement hypnotique. Elle avait eu, l'espace d'un instant, l'étrange sensation que le temps les emportait tous, elle, sa mère, les autres passagers, le train tout entier, dans un mouvement perpétuel entre les collines, à un rythme effréné.
Assez de fantasmes... Ran se reprit. Elle chercha du regard son père, Kogoro Mouri, assis en face d'elle.
_ Je ne sais pas où nous sommes, mais c'est beau içi, dit-elle avec un geste vers la fenêtre.
_ C'est la sous préfecture de Tokachi. Nous avons encore un bout de chemin à faire.
_ Je sens que ce séjour va me faire le plus grand bien, lança Ran spontanément.
_ Si quelqu'un mérite de faire une pause, c'est bien toi, répliqua son père chaleureusement. Rien de tel que quelques jours de repos pour se remettre de cette expérience traumatisante qu'est une amnésie. Quant aux enfants, ils se sont montrés extremement courageux en te protégeant à l'Aquatic Parc.
_ Oui, c'est vrai. C'est dommage qu'Ayumi, Genta et Mitsuyiko sont encore en colonie. Je me suis arrangée avec leurs parents, ils pourront venir nous rejoindre dès qu'ils seront rentrés.
_ Il n'y a pas à dire, Eri a eu sur ce coup, une excellente idée.
_ Ca oui, approuva Ran.
Trois jours auparavant, sa mère Eri l'avait appelé pour lui faire une proposition complétement inattendue.
_ Je te préviens à la dernière minute, ma chérie, s'était-elle excusée. Je t'explique. Un de mes clients est propriétaire d'un grand appartement dans la sous préfecture de Kushiro de l'île Hokkaido. Je lui ai fait gagné un procès important recemment, il m'a donc proposé d'utiiser son appartement à ma guise durant les vacances. Malheureusement mon emploi du temps est trop chargé. Je me suis donc dit que tu pourrais en profiter à ma place. Il y a de la place pour huit personnes, tu peux donc emmener des amis avec toi.
Elle avait accepté sans se faire prier. Ces vacances étaient l'occasion idéale de se changer les idées et de découvrir une région qu'elle ne connaissait pas. Conan aussi avait été ravi, tout comme Ai qui semblait être en petite forme ces derniers temps. Cette fille était pour elle un mystère et le peu qu'elle savait sur elle pouvait se résumer en quelques lignes. Elle habitait chez le professeur Agassa et n'était pas du genre très bavarde, du moins en sa présence.
_ Dis-moi Ran, tu pourrais m'en dire un peu plus sur l'endroit où nous nous rendons ?
_ D'après maman, le cadre est très agréable. Il y a de nombreuses promenades à faire dans cette région. Nous n'aurons pas le temps de nous ennuyer. J'ai vraiment hate d'être.
_ Moi, tu sais, tant qu'il y a de quoi boire et de jolies jeunes femmes, c'est le principal, lança Kogoro en riant.
_ Papa... !
_ En parlant de boissons, les gosses en mettent du temps, continua-t-il le regard tourné vers le wagons restaurant;
_ Il doit surement y avoir une queue importante, proposa Ran même si cette explication était peu probable.
Elle avait observé Ai attentivement durant le trajet remarquant ses cernes sous sa rangée de cils noirs. Ses joues également s'étaient creusées récemment. Conan, lui aussi, avait du s'en rendre compte. Aussi devait-il discutter avec elle pour connaitre la nature de son problème. Il s'agissait sans doute d'une fatigue passagère. Dans ce cas, ce séjour tombait à point nommé pour elle aussi, le grand air l'aiderai à recharger ses batteries.
Le train continuait sa route vers le nord. Les prairies puis les collines avaient laissé place aux versants de granits recouverts de forêts et enfin, avec l'altitude à la landes vétues de bruyère. Conan regardait à travers la vitre , enchanté par les jeux de la lumière et de l'ombre sur les pentes de la lande, comme un enfant représentant la carte du monde à flanc de colline. L'effet était étrange. Il fit par à Aï de son étonnement.
_ C'est parce qu'ils brûlent la bruyère, expliqua celle-ci. La grousse se nourrit de ce qui repousse après le brulis.
_ Et les parties en jaune, qu'est ce que c'est ?
_ En jaune vieil or, ce sont des ajoncs. Jolis à regarder mais très piquants si on tombe dedans. En jaune plus clair, comme cette plante...
Aï designa les fleurs qui s'épanouissaient sur le talus de la voie ferrée.
_ ... c'est du genêt.
_ Je ne savais pas que tu t'y connaissais autant en botanique.
_ Pour être honnete, c'était une des passions de ma grande soeur. Elle était capable d'identifier une espèce d'un simple regard. De plus, je connais un peu cette région, j'y était venue en vacances avec elle il y a quelques années. Je m'étais alors posée les mêmes questions que toi à l'instant.
_ Vous l'étiez vraiment... commença Conan.
_ De quoi ?
_ Proche, ta soeur et toi. Souvent, je...
_ Tu n'as pas à culpabiliser. Je te mentirais si je te disais que je ne t'en avais pas voulu au début. Mais à présent, je sais que tu as fait ton maximum. Le seul responsable, c'est l'organisation des hommes en noirs.
_ Haibara...
_ Tu as eu le professeur Agassa au téléphone, n'est ce pas ? lui demanda-t-elle, ses lèvres esquissant un léger sourire.
_ Oui, il s'inquiète beaucoup pour toi. Je vois bien que quelque chose te travaille ces derniers temps. Tu sais, cela fait du bien de se confier à quelqu'un. Rompre la carapace que l'on s'est fabriquée pour se protéger n'est pas un signe de faiblesse.
_ Ce n'est rien de grave. Je dors mal depuis quelques nuits à cause de cauchemars récurrents. Gin, la mort... à chaque fois la même chose... Mais bon, si ca ne te dérange pas, arrêtons d'épiloguer sur le sujet et profitons de ses quelques jours loin de nos problèmes, des hommes en noirs... Je suis certaine que l'air pur et frais de la montagne me fera le plus grand bien.
_ J'en suis certain. N'oublies pas une chose Haibara, tu n'es pas seule. Si tu as...
_ Allons rejoindre les autres. Les boissons vont finir pas ne plus être fraiche.
Très peu de temps, le train entra en gare de Iruta. Une gare en pain d'épice pensa Conan en contemplant avec stupeur cette fantaisie tarabiscotée aux moulures peintes. Son expression fit rire Ran.
_ C'est surement le batiment le plus coquet de la ville avança cette dernière tandis qu'ils rassemblaient leurs bagages.
Ils passèrent au bureau de location de voitures prendre les clés de leur véhicule puis sortirent de la gare dans la lumière du soir après que Kogoro ait calé au démarrage. La rue principale alignait des magasins d'article de randonnées, un restaurant et un supermarché tout neuf, sur la gauche, un hotel dressait sa masse carrée de béton au dessus d'une pente verdoyante, sur la droite du parking qu'ils venaient de quitter, se trouvait le commissariat de police de la ville. Derrière la gare, s'ouvrait une échappée vers les sommets auréolés de brume que dorait le soleil couchant.
_ D'après la responsable de l'agence de location, la résidence se trouve à peine dix minutes de la ville. Ce n'est pas très bien indiqué d'après elle.
_ De toute façon, comme Kogoro roule à trente kilomètres heures, on est sur de ne pas la manquer, pensa Conan, un sourire sarcastiques aux lèvres.
Quelques rues plus loin, ils quittaient la ville. Kogoro passa alors la troisième ! La petite route enjambait la rivière puis s'enfonçait dans une forêt de chêne vert.
_ Qu'est que ce nous sommes censés repérer exactement ? demanda Aï
_ Une maison blanche, en retrait de la route. Elle sera signalée, du moins je l'espère.
Kogoro ralentit encore. Il serrait tellement le volant que ses articulations blanchissaient. Ils roulèrent en silence pendant encore un kilomètre. Puis à la sortie d'un virage, au milieu d'une haute haie taillée, Conan remarqua un pilier de pierre signalant l'entrée de la propriété. Il portait une plaque de cuivre gravée d'un nom et d'une rose épanouie. La grille n'était pas large. Kogoro du s'y reprendre à deux reprises pour franchir le passage et venir s'arrêter dans la cour gravillonnée. La maison et ses abords arrachèrent un petit sifflement général d'admiration et de ravissement. Très chic, vraiment ! Assurérement, personne ne s'attendait à cette élégante demeure classique, imposante dans sa simplicité. Le soleil de fin d'après midi donnait à la pierre un ton de miel. Le lierre adoucissait par endroit l'austérité du rez de chaussée, tandis qu'une magnifique vigne éclaboussait sa partie haute d'une touche écarlate.
Une inspection plus minutieuse montra à Conan que sa première impression l'avait trompé. La maison n'était pas parfaitement symétrique. La façade était flanquée d'une aile de chaque coté, mais celle de gauche, plus longue, avançait davantage dans la cour. Ce trompe l'oeil lui plut beaucoup, et même mieux qu'un batiment à l'équilibre plus rigoureux.
Une fois sorti de la voiture, il s'attarda un instant à examiner les alentours. A l'ouest, une rangées de cottages de la même pierre blanche que le manoir; à l'est, des terres bien entretenues jusqu'à la montagne. Aï vint se placer à ses cotés après avoir récupéré ses affaires.
_ Je trouve cette maison vraiment belle. Et toi Conan ?
_ Il faudrait être difficile pour ne pas la trouver jolie.
_ Vu que nous sommes d'accord sur ce point, je te laisse le plaisirs de porter ma valise, lui lança la jeune fille en souriant.
Une sensation de bien être envahit Ai au même moment. Et à s'entendre respirer lentement, profondément, elle mesura à quel point elle avait été sous tension ces dernières semaines. Bien décidée à évacuer tout ce qui s'obstinait à lui rappeler son passé, elle se dirigea vers la maison à la suite de ses amis.