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Chapitre 4 : Corollaire III ~ La loi de l'Emmerdement Maximum
5855 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 17:16
Corollaire III ~ La loi de l’Emmerdement Maximum
« C'est en imaginant que plus rien ne peut nous arriver que tout nous tombe dessus. »
XXX XX XXX XXXX 02:36 a.m. Tōkyō, quartier de Beika Agence Mōri _
L’enfant bâilla, se dirigeant vers la cuisine d’un pas lourd, les yeux à demi clos et endormis. Ses pas le guidèrent silencieusement vers un placard, qu’il ouvrit d’un geste somnolent pour en sortir un verre.
Il avait vraiment soif. Ce n’était pas courant, la nuit. Ce devait être parce qu’il faisait chaud dans sa chambre. Il faisait bizarrement plus chaud que d’habitude, il avait l’impression.
Il se retourna mollement vers l’endroit où étaient stockées les bouteilles d’eau, mais il ne s’y rendit pas.
Il sentit le bout d’un canon se coller au beau milieu de son front et écarquilla graduellement les yeux, comme si cela lui prenait autant de temps pour se réveiller et réaliser exactement ce qui était en train de se passer.
« Tiens donc, qui voilà ? Le petit Edogawa Conan fait une petite promenade nocturne ? »
Cette voix adulte et confiante marqua une courte pause. Mais son ton sournois ne l’avait pas quittée lorsqu’elle reprit :
« Ou devrais-je plutôt dire… Kudō Shinichi ? »
Il frissonna, paralysé de stupeur.
« Bourbon… s’entendit-il marmonner d’une petite voix éreintée par la terreur.
- Je le savais. Tu nous connais vraiment. »
Il ne sut que répondre. Il ne pouvait pas répondre. Son sang se glaçait.
« Conan-kun…? Que se passe-t-il ? Tu es avec quelqu’un ? »
Les deux écarquillèrent les yeux de stupeur. C’était la voix de Ran. La porte s’ouvrit.
« Amuro-san ? Mais qu’est-ce que— »
Elle se stoppa net. En deux temps, trois mouvements, l’homme s’était jeté sur elle et la menaçait déjà de son arme à bout portant.
L’enfant voulut se jeter vers eux dans un dernier élan d’espoir, l’air suppliant et l’expression terrorisée.
Un simple mot traversa ses lèvres. Un nom. Mais il savait que cela ne changerait rien.
Il entendit l’écho d’un coup de feu.
Son cœur manqua un battement. Il lui sembla qu’il s’était arrêté.
« Ran ! »
Shinichi, haletant, se releva d’un bond en tendant la main vers quelque objet inexistant.
Il demeura immobile, face au miroir posé sur le mur opposé, dévisageant son reflet au travers des brumes de l’obscurité.
Il ne vit que la silhouette d’un jeune homme à l’air hagard et aux cheveux en bataille, venant de se réveiller brusquement.
Il prit plusieurs longues secondes à se rendre finalement compte qu’il était chez lui, dans la chambre de ses parents. Et que donc rien de tout cela n’avait été réel.
« Ce n’était qu’un cauchemar. Rien de plus qu’un cauchemar. », marmonna-t-il d’une voix éteinte et terrorisée, comme pour s’en convaincre, tout en tentant de retrouver son calme.
Ce n’est plus qu’un cauchemar.
Cela n’arrivera pas… Cela n’arrivera plus.
Pas cette fois.
De toute manière, il se souvint bien que le déroulement réel des évènements n’était pas celui-ci. Ce rêve ne reflétait pas exactement son passé… Tout s’était passé beaucoup plus vite, cette fois. Une bonne dizaine de minutes avait été omise durant ce cauchemar… Après tout, cela tenait la route, puisque le sommeil paradoxal ne durait jamais plus de dix minutes. Son rêve devait être raccourci pour pouvoir tenir dans cet intervalle de temps.
Mais quoiqu’il en fût, il était hors de question de réfléchir plus longtemps à cela. Cela n’avait plus de raison d’être.
Ce n’était plus la réalité.
Ce ne sera plus la réalité.
Il épongea son front trempé de sueurs froides, puis se tourna vers le réveil qui se trouvait à ses côtés.
03:31 a.m.
Il avait encore tout son temps pour dormir. Ce n’était pas encore l’heure. Il n’était pas encore prêt. Mais cela ne saurait tarder, désormais.
Il se rallongea, jetant encore un regard rapide au miroir qui lui faisait face. Attirant les couvertures sur son visage, il tâcha de se rendormir le plus tôt possible.
Il serait dommage que Kudō fût réveillé au moment où il serait prêt à partir. Cela risquerait de ne pas lui plaire… même s’il faisait cela pour son bien.
Oui. C’était pour son bien qu’il le ferait.
Uniquement pour son bien.
Pour le bien de tout le monde.
Lundi 19 mars XXXX 04:51 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence d’Hiroshi Agasa _
« C’est vrai ? Tu vas bientôt pouvoir mettre ton plan à exécution ? »
Le lycéen reposa silencieusement, d’un geste calme et confiant, son verre à moitié vide. Puis il plongea son regard dans les yeux du professeur et esquissa un sourire mêlant satisfaction et détermination.
« C’est vrai. Les derniers préparatifs sont quasiment terminés. Ce n’est plus qu’une affaire d’un ou deux jours, désormais.
- Impressionnant ! Je savais que tu nous serais d’une grande aide, mais je ne m’attendais pas à ce que tu sois aussi efficace. »
Le fin sourire de l’adolescent parut s’assombrir de manière très subtile.
« Ouais. Mais faudrait encore savoir en quoi il est vraiment aussi efficace. »
Silence. Tous se tournèrent avec surprise vers Conan, qui semblait de bien mauvaise humeur depuis qu’ils étaient rentrés, ne cessant pas de dévisager son alter-ego du coin de l’œil. Sa remarque fut prise avec davantage de surprise encore, car il s’agissait en réalité de la première fois qu’il parlait depuis qu’ils étaient sortis de Teitan ce jour-là.
Shinichi baissa le regard, poussant un soupir.
« Pour la dernière fois, Kudō, c’était un accident. C’est Sonoko qui—
- Mais ne change pas de sujet, ça n’a rien à voir avec ça et tu le sais très bien !
- Il n’empêche que je t’avais rarement vu aussi rouge quand ils sont tombés l’un sur l’autre juste sous tes yeux… marmonna Haibara avec un très léger sourire sarcastique.
- Toi, je ne t’ai strictement rien demandé. » cracha-t-il en lui lançant un regard noir.
Il y eut encore un silence consterné. La métisse elle-même ne s’était pas attendue à une réaction aussi virulente de sa part. Jamais n’aurait-il osé parler sur un ton aussi cinglant en temps normal. Car plus que dans ses mots, son ton tout particulièrement haineux avait parfaitement laissé deviner le véritable fond de ses pensées.
Le trajet du retour s’était en effet déroulé ce jour-là de manière beaucoup moins sereine que d’habitude, car Sonoko avait eu l’étrange idée de forcer un peu ses deux camarades de classe à se rapprocher l’un de l’autre, probablement déçue de voir qu’après tant de temps de séparation, le lycéen demeurait aussi distant et perdu dans ses pensées à longueur de journée, prenant à peine attention à son amie : sa méthode avait été réalisée d’une manière bien peu délicate, certes, mais elle s’était avérée relativement efficace. Ayant perdu violemment l’équilibre, le Tokyoïte s’était retrouvé, sans s’en rendre véritablement compte, en train de plaquer son amie contre le mur, leurs deux visages face à face, s’effleurant presque. Sonoko avait apparemment particulièrement bien calculé son coup, bien qu’elle fût profondément déçue de voir qu’après quelques secondes incommensurablement longues d’intense hésitation de leur part, le lycéen s’était lentement redressé en s’excusant dans des murmures embarrassés, n’allant pas plus loin.
Mais Conan avait bien remarqué qu’il n’avait agi ainsi que parce qu’il était là à le surveiller. Que s’ils avaient été seuls, il n’aurait pas hésité un seul instant. Et c’était ce doute insupportable, cette lueur de désir intense qu’il avait bien aperçue dans son regard sur le moment, qui l’enrageait. Parce qu’il aurait été capable de le faire en d’autres circonstances.
Mais même si cela contribuait certainement à la rancune particulièrement corrosive qu’il ressentait pour son alter-ego depuis qu’ils étaient rentrés, il était évident qu’il ne s’agissait en réalité que de la petite gouttelette qui avait fait déborder le vase ; l’iceberg venait seulement d’émerger, montrant à peine le bout de son nez.
Cette fois-ci, quelque chose n’allait clairement pas. Bien qu’il semblât évident que le petit détective avait dû endurer sans broncher de nombreuses situations qui étaient loin de lui plaire et que les ennuis, les doutes et les tourments se multipliaient depuis ces derniers jours, jamais ses amis n’avaient imaginé que toutes ces tensions représentaient un fardeau aussi lourd et qu’il prenait cette situation aussi sérieusement.
Et pourtant, il était évident que cette situation ne pouvait pas durer indéfiniment et que tout cela devait bien éclater un jour ou l’autre.
« Ohe, Kudō, qu’est-ce qui te prend…? » balbutia finalement Shinichi, incrédule.
Le petit Tokyoïte craqua finalement, se mettant à rager. Laissant éclater sa colère, il ne prit plus la peine d’essayer de contenir toutes ces violentes émotions et angoisses qu’il avait dû laisser ruminer depuis des jours désormais.
« Mais je suis vraiment le seul à voir à quel point ce type est suspect ou quoi ?! Réfléchissez-y juste quelques secondes, au moins ! On ne sait rien de lui, il a un projet de grande envergure qu’il nous cache depuis des jours, il s’enferme tout le temps dans sa chambre pour trafiquer je-ne-sais-quoi, il ne veut rien dire et ne nous dira rien, et vous ne le trouvez toujours pas suspect ? Comment vous pouvez être sûrs qu’il n’est pas en train de mijoter quelque chose de grave, hein ?! Qu’est-ce qui vous dit qu’il n’est pas en réalité contre nous ?!
- Ohe, calme-toi… Tu ne penses pas que tu exagères un peu, Conan…? »
Agasa ne se rendit apparemment compte que trop tard que ce dernier mot qu’il avait prononcé n’avait fait qu’envenimer la situation plus encore qu’elle ne l’était déjà.
« Mon nom est Kudō Shinichi ! » hurla brutalement l’enfant, hors de lui.
Et ayant saisi la poignée de la porte d’entrée, il l’ouvrit en fracas et la claqua violemment derrière lui. Le professeur tenta de le retenir de la manière la plus adroite possible, mais le lycéen lui conseilla de le laisser seul.
Personne n’y prit garde, mais son regard s’était de nouveau assombri de manière très discrète.
Lundi 19 mars XXXX 06:47 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence Kudō _
Cela faisait près d’une semaine que tous ces problèmes avaient commencé et que sa vie avait véritablement tourné au cauchemar. Enfin, beaucoup moins s’il fallait être exact, puisque cela ne faisait en réalité que quatre jours. Mais cela ne changeait rien au fait qu’il ne s’en remettait toujours pas.
Son alter-ego était parvenu à s’intégrer dans le quotidien de chacun de manière incroyablement habile, par rapport à son attitude le premier jour. Il voyait bien qu’il jouait en quelque sorte la comédie, car sa mentalité et son comportement semblaient tout autres des siens – en tout cas, il avait pu constater dès le premier jour que quelque chose faisait qu’ils avaient des points de vue totalement différents sur bien des points – ; mais, depuis la “réapparition” de Kudō Shinichi à Teitan, il avait imité ses anciennes manies à un point tel que même ceux qui étaient au courant de l’affaire se laissaient de plus en plus aveugler par cette façade. Il jouait tellement bien le détective lycéen qu’il avait l’habitude d’être que tout le monde, parfois même lui, avait tendance à oublier qu’il avait vingt-sept ans. À croire qu’il avait fait du théâtre toute sa vie.
Il était tellement doué dans son rôle que même Hattori et Hakase étaient allés jusqu’à prendre sa défense, l’accusant par moments de se méfier de lui à tort, sans réelle raison : “si ça se trouve, t’es juste jaloux de devoir continuer à te comporter comme un gamin, alors qu’il n’a pas à se faire passer pour quelqu’un d’autre”, lui avait rétorqué une fois le détective de l’Ouest, avant de rentrer à Ōsaka. Et le fait de lui avoir rappelé cet accident qui était arrivé ce jour-même, à la sortie de Teitan, où Sonoko l’avait comme par hasard bousculé pour qu’en perdant l’équilibre il se retrouvât à seulement quelques centimètres du visage embarrassé de Ran… Il secoua violemment sa tête, tentant d’effacer ces images de sa mémoire sans y parvenir.
Quant à Haibara, la question ne se posait même pas : les deux s’entendaient si bien qu’ils s’isolaient souvent pour se faire des messes basses, le sourire cynique aux lèvres. Souvent en le regardant lui, d’ailleurs. Que pouvaient-ils bien se raconter dans son dos ?!
Mais le plus insupportable dans tout cela était sa condition actuelle. Il supportait de moins en moins de devoir continuer à jouer le gamin, alors que ce type était totalement libre de ses mouvements. Autant il s’agissait de quelque chose d’handicapant pour ses investigations sur lui, vu qu’il était beaucoup plus indépendant que lui et qu’il s’arrangeait souvent pour se retrouver en public, là où il ne pouvait pas jouer l’enquêteur autant qu’il le voudrait, autant cette situation était douloureuse quand il fallait y mêler les autres, qui bien sûr prenaient de plus en plus souvent sa défense. Parce que si Conan n’aimait pas Shinichi, c’était forcément par jalousie. Et qu’il ne fallait donc pas y faire attention.
Tandis qu’il méditait sur la condition de ces derniers jours, assis sur son lit, son téléphone se mit soudainement à vibrer, signe que quelqu’un tentait de le joindre. Il soupira, espérant que ce ne serait pas quelqu’un comme Hakase, son alter-ego ou Hattori à qui il devrait s’expliquer… si jamais il voyait un tel nom s’afficher sur l’écran de son portable, il raccrocherait aussitôt. Ce ne serait même pas la peine d’essayer de lui parler.
Il remarqua toutefois avec soulagement qu’il ne s’agissait que de sa mère, aussi n’hésita-t-il pas et appuya sur le petit bouton vert, collant le petit appareil contre son oreille.
« Bonsoir, ‘Kaa-san. »
Il voulait masquer au mieux ses émotions, préférant montrer une attitude habituelle et répondant naturellement d’un ton qu’il voulait neutre ; mais sa tentative fut un échec, et sa mère devina très bien que quelque chose troublait son fils.
« Que se passe-t-il, Shin-chan ?
- Oh, rien du tout. J’ai juste l’impression que plus personne ne me fait confiance et que les personnes à qui je tiens le plus sont en train de me laisser tomber…
- Mais non, je suis sûre que tu te fais des idées.
- Ouais bon, passons, je n’ai pas vraiment envie d’en parler de toute façon. Tu voulais me dire quelque chose si tu m’appelles, non ? »
Lui-même n’était pas satisfait de sa transition plus que bancale, qui montrait bien qu’il ne tenait pas particulièrement à s’attarder sur un tel sujet de discussion. Mais bien que n’étant pas dupe, sa mère jugea bon de ne pas insister.
« Où es-tu en ce moment ?
- À la maison, pourquoi ?
- Hein ? Attends, comment ça, “à la maison” ? Qu’est-ce que tu fais là ? Il n’est pas un peu tard pour que Ran t’emmène l’aider à faire le ménage…? »
Il se mordit violemment la lèvre, jurant intérieurement.
C’était vrai qu’elle n’était pas au courant. Ce qui expliquait beaucoup de choses.
« Euh, c’est compliqué. Mais on va dire que depuis un peu moins d’une semaine, je suis chez moi, et je peux parler autant que tu veux. Maintenant, que se passe-t-il ?
- Est-ce que tu te serais amusé avec la carte bancaire que Papa t’a confiée ? »
L’enfant tomba des nues.
« Comment ça ? »
Il s’était subitement recroquevillé sur lui-même, cachant son téléphone de sa main libre et se mettant à murmurer d’un ton angoissé et grave. Comme s’il craignait d’être entendu, au cas où quelqu’un serait rentré sans qu’il ne s’en fût rendu compte.
« Quelques milliers de yens ont disparu “comme par magie”. On n’est pas encore sur la paille, mais je peux quand même savoir ce qui t’a pris ? »
Silence. Il demeurait totalement immobile, bouche légèrement béate, les verres de ses lunettes devenant totalement opaques à cause des reflets.
« Je connais le coupable. »
Il raccrocha aussitôt sans même attendre la réponse, sautant du lit et courant vers le couloir, sortant de chez lui en ayant au passage pris sa veste et ses clés.
À l’autre bout du fil, l’ancienne actrice continuera de l’appeler depuis l’Amérique à de nombreuses reprises, avant de se rendre compte que son fils ne pourrait plus l’entendre.
Lundi 19 mars XXXX 07:04 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Agence Mōri _
« Conan-kun ? Cela fait des jours que nous ne nous sommes plus vus… »
Elle lui avait ouvert sans hésiter, paraissant à la fois surprise, joyeuse et, finalement… légèrement angoissée, en voyant son jeune ami.
Quelque chose n’allait pas. Elle le sentait.
« Attends… Est-ce que ça va ? Tu fais une tête bizarre… »
Il inspira fortement, comme pour se donner du courage.
« Ran… Je suis désolé de ne te le dire que maintenant, mais la situation est grave. »
Silence. L’adolescente dévisagea avec perplexité le petit écolier qui, ayant prononcé ces paroles d’un ton plus sévère que jamais, gardait la tête baissée et les yeux légèrement plissés. Comme s’il n’osait pas la regarder.
Elle ne fit par ailleurs pas attention au fait qu’il eût usé du yobisute, négligeant l’habituel “Ran-neechan”. Mais elle avait bien senti que quelque chose n’allait pas.
Elle l’invita à rentrer et à s’installer sur le canapé d’un air troublé, tandis qu’elle s’agenouilla de l’autre côté de la table, le regardant et lui demandant d’un signe de tête de continuer.
« Cela fait des mois que je te cache quelque chose, Ran. Tu vas sûrement m’en vouloir, mais sache que c’était pour te protéger que je ne te disais rien… Mais là, c’est pour te protéger que je dois te le dire et que tu dois me faire confiance. Si ce n’est déjà pas trop te demander…
- Que se passe-t-il ? Qu’est-ce que tu entends par “me protéger” ?
- Kudō Shinichi a disparu il y a environ six mois. Edogawa Conan est apparu le soir-même de sa première disparition. Je te laisse deviner la suite, puisque tu m’as déjà prouvé que tu en étais largement capable. »
Silence. Elle eut comme un vertige, sa tête ayant un lent et imperceptible mouvement de recul.
L’enfant put lire la terreur qui émanait de ses deux yeux tremblants. Lui-même fronça les sourcils d’un air coupable.
« Mais… Ce n’est pas possible… Tu es avec Shinichi depuis des jours, maintenant…
- Oui. Et c’est justement pour ça que je veux t’avouer la vérité. Parce que ce Shinichi-là est dangereux. Je ne sais pas encore ce qu’il veut exactement, mais il est suspect plus qu’autre chose pour le moment. Alors je voulais juste te demander… d’être prudente. S’il arrivait quoi que ce soit à cause de lui, je ne me le pardonnerais jamais. »
Elle baissa la tête, le regard vide.
Conan s’avança au-dessus de la petite table basse, approchant en hésitant une main timide et enfantine qu’il posa doucement sur son épaule.
Elle releva subitement ses deux yeux effrayés vers lui, esquissant une expression indéchiffrable. Il avait des traits durs et graves, mais une extrême tendresse se laissait deviner au plus profond de son regard.
« Je suis désolé, Ran. Si tu ne m’en veux pas trop, je vais tout t’expliquer… J’espère que tu comprendras pourquoi je ne t’ai rien dit même si je te voyais t’inquiéter pour moi… »
Il était sincère. Il tremblait légèrement. C’était une preuve d’une extrême culpabilité, ainsi que de nombreux autres sentiments qu’il s’efforçait de cacher, mais qu’elle parvenait aisément à reconnaître.
Elle hésita. Il aurait pu ne faire cela que par plaisanterie, si cela n’avait duré que quelques jours ; Hakase aurait pu l’aider à mettre en place ce petit plan dans son dos, pour une raison ou une autre. Dans ce cas, elle devrait lui en vouloir d’avoir abusé de sa confiance.
Mais la plaisanterie avait duré six mois.
Il était donc certainement vrai que s’il lui avait caché cela pendant aussi longtemps, il devait vraiment avoir une bonne raison. Cela ne pouvait plus n’être qu’une plaisanterie. Il l’avait vue souffrir de sa disparition, encore et encore… Donc s’il avait continué de ne rien dire, il devait y avoir une raison vraiment particulière.
Elle baissa le regard et prit une expression particulièrement grave.
« Explique-moi ce qui se passe. On verra le reste après. »
Sa voix éteinte montrait qu’elle paraissait masquer du mieux qu’elle pouvait qu’elle lui en voulait malgré tout. Elle ne voulait pas montrer qu’elle lui en voulait avant d’avoir toutes les informations à disposition.
Car elle ne pourrait lui en vouloir si le secret en valait vraiment la peine.
Elle constata que son ami semblait réticent à parler, regardant toujours à droite et à gauche comme si ce secret devait réellement être gardé à tout prix.
« Si ça peut te rassurer, nous sommes seuls dans la maison. Otō-san est encore parti je-ne-sais-où.
- Bien. Je compte sur toi pour ne rien lui dire, hein ? J’imagine mal comment il réagirait s’il apprenait qui il a réellement hébergé pendant six mois… »
Le “Je compte sur toi” était plutôt maladroit, et il le remarqua après coup puisqu’il voulut se reprendre aussitôt, d’une manière plus maladroite et embarrassée encore.
Mais lorsqu’il eut fini ses explications quelques longues minutes plus tard, le grand silence qui s’ensuivit sembla prouver qu’en effet, elle avait bien compris l’ampleur du problème, et voyait bien pourquoi il n’avait pas eu le choix en agissant ainsi.
« Tu as vraiment un don pour t’empêtrer dans des histoires pas croyables… déjà pour l’organisation, c’était beaucoup ; mais avec les voyages temporels… »
Elle ne termina jamais sa phrase. Elle le regarda tristement, sans un mot. Lui non plus n’osa pas réagir.
« Ça explique pourquoi il avait l’air bizarre, ces derniers temps… vu que ce n’était pas la même personne qui m’appelait régulièrement, et qui est revenue ici depuis quelques jours…
- Ne, Ran… Tu ne m’en veux pas trop pour ça ? »
Il sentit une violente douleur contre sa joue gauche, qui se perpétua en douloureux échos.
Elle n’y était vraiment pas allée de main morte, mais il s’était parfois attendu à pire.
Après tout, c’était de sa faute. C’était un franc manque de tact que de lui poser cette question à ce moment.
« Tu as de la chance que j’en reste là, Shinichi. Pour le moment, je veux bien dire qu’on est quittes. Mais c’est vraiment parce que “l’heure est grave”, comme tu dis. »
Il tenta de s’excuser une fois de plus, mais elle lui répliqua que ce n’était pas le moment. Qu’elle voulait d’abord entendre toute l’histoire.
Reprenant son sérieux, il reprit alors ses explications :
« Ran. Ce type nous cache vraiment quelque chose de gros. Il a emprunté plusieurs milliers de yens à mes parents sans que je ne puisse savoir ce qu’il en a fait, donc il faut vraiment se montrer prudent avec lui. Surtout, ne lui dis pas que tu connais toute l’histoire, mais… méfie-toi de lui. C’est tout ce que je peux te demander. »
Elle acquiesça gravement.
« C’est bizarre que tu m’avoues tout juste à cause de ça, quand même, marmonna-t-elle. Tu n’en as pas parlé à Hattori-kun ou à Agasa Hakase ?
Il plissa les yeux et détourna le regard, lui répliquant que ce n’était pas la peine.
« Au point où on en est, ils seraient capables de ne pas me croire… Ils ont beaucoup plus confiance en lui qu’en moi, depuis quelques jours. Tu étais la dernière personne que je pouvais encore convaincre, Ran.
- Je… je vois. Alors c’est vraiment aussi grave que ça. »
Toutefois, l’adolescente lui fit remarquer qu’elle ne voyait pas réellement en quoi cela faisait de lui un homme particulièrement dangereux, au point qu’il vînt tout lui avouer rien que pour cette unique raison.
Le regard de l’enfant s’assombrit alors bien plus encore qu’auparavant.
« Ran. Il a acheté quelque chose qui coûte plusieurs milliers de yens. Je me fais sûrement des idées vu qu’il s’agit quand même de “moi”, mais… Est-ce que, comme ça, tu as une idée de ce que ça peut être ? »
Elle eut l’air de comprendre. Mais elle hocha négativement la tête.
Probablement parce qu’elle le savait, mais qu’elle ne voulait pas y croire.
Et lui aussi refusait d’y croire.