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Chapitre 3 : Corollaire II ~ La loi du Plus Bas de Quach
6208 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 23:22
Corollaire II ~ La loi du Plus Bas de Quach
« La vie, c’est comme une balançoire : il y a des hauts et des bas, mais il y aura toujours un enculé pour te foutre le cul par terre. »
Corollaire de Blanchard :
« Et en plus la balançoire te revient en pleine tête. »
Vendredi 16 mars XXXX
06:41 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Résidence Kudō _
Un petit rayon de soleil matinal vint petit à petit éclairer doucement son visage, perçant timidement ses paupières. Conan poussa un petit grognement endormi, remuant dans ses couvertures, puis ouvrit lentement les yeux. Puis il les écarquilla et sursauta violemment, se relevant dans un soubresaut rapide et stupéfait.
Il n’était pas chez les Mōri. Il reconnaissait bien cet endroit… il était chez lui.
Mais pourquoi avait-il dormi chez lui, dans sa chambre ? Était-ce un rêve ?
Il vérifia en regardant sa main, puis la silhouette de son corps au travers des couvertures.
Finalement non, il était toujours Conan. C’aurait été trop beau.
Quelques minutes supplémentaires lui suffirent pour se réveiller complètement, et alors il se souvint de tous les évènements de la veille.
L’arrivée de son futur.
Son plan pour combattre l’Organisation.
Son attitude suspecte, et sa volonté de le garder en surveillance le plus possible.
Il regarda autour de lui, mais ne le vit pas ; il se rappela qu’il avait dormi dans la chambre de ses parents, le laissant dormir dans sa propre chambre.
Se faisant le plus discret possible, il sortit des couvertures et se dirigea sur la pointe des pieds vers la pièce en question, entrouvrant la porte sans faire le moindre bruit. Il remarqua qu’il dormait toujours, et poussa un soupir de soulagement.
Cela devait lui laisser au moins quelques minutes. C’était largement suffisant.
Retournant tout aussi silencieusement dans sa chambre, il s’empara de son téléphone portable et composa un numéro le plus rapidement et discrètement possible. Lorsque le concerné décrocha, ce fut en murmurant qu’il lui répondit.
« Oï, Kudō… Tu sais l’heure qu’il est ? Je viens à peine de me réveiller…
- Je sais, désolé. Mais justement, je devais t’appeler avant qu’il ne se réveille.
- De qui tu parles ? Et pourquoi tu parles tout doucement comme ça ? »
Il eut une légère hésitation, puis se décida à répondre :
« Tu vas probablement pas me croire si je te dis la vérité, mais… disons que quelqu’un qui en sait long sur nous tous comme sur l’Organisation est arrivé hier soir en se faisant passer pour moi. Je suis actuellement chez moi, et il dort encore à côté.
- Attends, c’est quoi ton histoire ?
- Je crois qu’il est de notre côté, mais ses méthodes ne me disent rien qui vaille. Alors je voulais te prévenir, si jamais tu passes par Tōkyō d’ici peu. »
Un léger marmonnement incompréhensible grésilla à travers le combiné, signe d’un certain acquiescement.
« Je vois. Donc si je passe par là et vois quelqu’un qui se fait passer pour toi, je dois faire comme si de rien n’était ?
- Prends-le comme tu veux, mais reste sur tes gardes. Ce type est potentiellement dangereux, et pire que ça… Bon, si tu veux la vérité, il est tellement proche de moi qu’il serait capable de prédire tous mes mouvements et de les anticiper sans aucun problème. C’est pour ça que—
- C’est vrai. Je te connais suffisamment bien pour te trouver plutôt… prévisible, Kudō. »
L’enfant sursauta violemment, jurant intérieurement. Il se retourna aussitôt vers la porte, et aperçut son alter-ego adossé contre cette dernière, les bras croisés et le regard semblant mélanger mépris, lassitude et, paradoxalement, compréhension.
« Raccroche. Dis-lui de venir et raccroche. Autant qu’on s’explique tous en face à face, à trois. Ce n’est pas bien de parler dans le dos des gens. »
Silence. Le concerné fronça les sourcils, mais finit par se tourner de nouveau vers son téléphone.
« Hattori.
- J’ai entendu. J’arrive demain, on sera samedi. Je prendrai l’avion à la première heure.
- Parfait. »
L’écolier appuya sur le bouton rouge de son appareil, puis rangea son téléphone et se tourna vers son “futur”.
« Tu faisais semblant de dormir juste pour me piéger, hein. T’es déjà habillé.
- Tu ne sais que trop bien pourquoi je te connais, et pourquoi tu es aussi prévisible. Et je comprends aussi pourquoi, même en étant certain de mon identité, tu resteras méfiant à mon égard. »
Silence. L’enfant maintint son regard ombrageux.
Le lycéen finit par pousser un profond soupir lassé.
« Enfin, passons. Habille-toi vite, je m’occupe du petit-déjeuner. Je te rappelle qu’on a cours dans un peu plus d’une heure et demie, et je compte passer chez Agasa pour lui expliquer plus en détail la situation, vu qu’on l’a quand même laissé sous le choc hier soir. Ça ne nous laisse plus beaucoup de temps, alors je te conseillerais de te dépêcher. On a une grosse journée aujourd’hui. »
Il ouvrit alors la porte et sortit sans rien ajouter. Son petit alter-ego entendit des bruits de pas caractéristiques de la marche de quelqu’un descendant les escaliers.
Une fois certain qu’il ne pourrait plus l’entendre, l’enfant ragea et laissa s’échapper un grommellement avant d’enfoncer violemment son poing dans son matelas.
Mais les draps amortirent complètement le choc.
Vendredi 16 mars XXXX
06:58 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Résidence d’Hiroshi Agasa _
« Je vois… Je ne te cacherai pas que votre passage avait été assez rapide hier soir et que vous n’aviez pas été très clairs dans vos explications, donc je pense que tu imagines bien la surprise que j’ai eue en remarquant que vos empreintes digitales étaient identiques.
- Désolé Hakase, s’excusa Conan en passant sa main derrière la tête. Il faut avouer que j’étais plutôt pressé d’en savoir moi-même un peu plus en privé, donc on a dû vous quitter assez tôt… »
Haibara se contenta, de loin, de boire une gorgée de thé supplémentaire tout en regardant la discussion d’un œil lointain et en apparence distrait.
Ainsi, il y aurait désormais deux véritables Kudō Shinichi… Fascinant.
Quand elle y réfléchissait, ce nouveau venu semblait plutôt sûr de lui et de son plan. Bien qu’il semblât étrange qu’il fût aussi réticent à parler avec plus de détails de ce qu’il avait vécu et ce qu’il comptait faire, elle ne doutait pas tant que cela de lui ; toutes les preuves rassemblées étaient suffisantes et prouvaient bien qu’aucune imposture n’était possible. Donc elle le trouvait digne de confiance. Ce Kudō-san – car oui, elle ne pouvait plus réellement l’appeler “Kudō-kun” s’il avait réellement dix ans de plus qu’elle – disait donc probablement la vérité, bien que demeurant réticent à parler. Mais elle gardait malgré tout confiance en lui.
Après tout, elle-même conservait de nombreux secrets concernant l’Organisation. Lui aussi pouvait bien avoir les siens, du moment que son plan fonctionnait et qu’il parvenait en effet à régler le problème auquel il avait décidé de s’attaquer. Donc finalement, qu’il fût volubile à ce propos ou non lui était complètement égal, puisque cela ne changerait en rien le résultat.
« Cette situation n’a pas l’air de te surprendre plus que ça, on dirait. »
La jeune métisse sursauta légèrement avant de se retourner vers l’origine de cette voix. Tiens donc, comme par hasard. Quand on parle du loup…
« Bah. As-tu seulement été surprise par quoi que ce soit un jour ? reprit le lycéen d’un ton amusé. Enfin, pour être exact, c’est plutôt que tu sais cacher ta surprise. J’admire ton sang-froid. Je ne l’avais pas à ton âge, ironisa-t-il en jetant un regard à son petit alter-ego.
- Il en fallait pour survivre au sein de l’Organisation, se contenta-t-elle de répondre avec un petit sourire nerveux.
- J’imagine bien. »
Elle eut comme un silence gêné. Lorsqu’elle reprit, ce fut pour changer de sujet :
« Hakase et ton copain ont l’air de parler de toi avec beaucoup d’intérêt, constata-t-elle sur un ton moqueur, presque sournois.
- Je vois ça. Contrairement aux autres, je suis certain que ce gamin ne s’en remettra pas de sitôt. Et je crois que, paradoxalement, ce sera de loin le plus suspicieux à mon égard… Quoique, je m’attendais à un peu plus de méfiance de ta part, au vu de… quelque chose. »
Silence.
« Tu parles de “ça” ?
- Je savais bien que tu l’aurais remarqué tout de suite. Alors ça n’a vraiment éveillé aucun soupçon chez toi ? »
La jeune métisse étouffa un petit rire amusé.
« Du moment que j’ai la preuve irréfutable que tu es bien Kudō Shinichi, je n’aurai aucun soupçon contre toi. Même si j’ai été particulièrement étonnée en le découvrant, c’est vrai.
- Heureusement que ce gamin, lui, ne peut pas le voir… »
L’enfant retint un léger rire narquois.
« J’aime bien comment tu l’appelles. Le “gamin”. C’est toi il y a dix ans, je te rappelle.
- Plus vraiment, puisque nous sommes devenus deux personnes distinctes depuis que je suis ici. Mais d’un certain côté… si, on peut dire ça. C’est possible. »
Il appuya sa tête contre son poing, le coude reposant sur la table. Il regarda son alter-ego avec une expression indéchiffrable.
« C’est dingue comment les gens changent en dix ans, continua-t-il, comme s’il semblait réellement étonné par cette remarque.
- C’est vrai. Comparé à toi, on dirait vraiment un gamin immature qui joue aux détectives et ne se rend vraiment pas compte de l’épaisseur du filet dans lequel il s’est empêtré.
- Ohe, ohe, n’exagère pas non plus… C’est juste qu’il manque encore d’informations pour bien s’en rendre compte. »
Elle lui lança un regard moqueur.
« Mine de rien, ce genre de remarques t’affecte toujours on dirait. T’es plutôt versatile, quand on y réfléchit. »
Il allait répliquer, mais ne trouva pas les mots ; légèrement vexé sans pour autant le montrer explicitement, il se contenta de croiser les bras et de détourner discrètement le regard.
« Mais plus sérieusement, je sens que tu as vraiment saisi tout ce qui t’échappait il y a dix ans ; c’est grâce à ça, n’est-ce pas ? En tout cas, c’est pour ça que je te fais confiance. Je sais que tu vas vraiment nous débarrasser de cette organisation une bonne fois pour toutes.
- Alors tu ne leur en parleras pas, hein ? Je n’ai pas envie d’avoir d’ennuis à cause de ça.
- Tu peux compter sur moi. »
L’autre conversation qui avait lieu à quelques mètres d’eux, se tenant entre le vieux professeur et le petit écolier, prenait un ton beaucoup plus dramatique. Une fois de plus, Conan faisait part de sa méfiance et de son inquiétude, sans toutefois avoir de réels fondements à ses propos. Agasa tentait de calmer ses ardeurs, voyant surtout dans le voyageur temporel le Shinichi qu’il avait toujours connu et ne comprenant pas l’origine de tels soupçons ; il n’en restait toutefois pas dupe, admettant que l’éternel maintien des secrets du lycéen était étrange. Mais il ne le voyait que comme la preuve d’un certain traumatisme dont il voulait éviter de parler, ce qui était compréhensible et permettait d’évacuer tout soupçon à son égard.
L’enfant, en se tournant vers son alter-ego, songea à cette possibilité comme quelque chose d’en effet envisageable.
Oui. Peut-être devrait-il éviter de voir du danger partout, après tout. S’il ne pouvait même plus faire confiance à lui-même, jusqu’où irait-il donc dans la paranoïa ?
Mais il n’empêche qu’il ne parvenait pas à trouver une quelconque explication potable au fait qu’il tînt à agir seul dans son plan. Si même le FBI ou la CIA ne devaient pas être impliqués d’après lui… Même la veille, il avait bien mis l’accent sur le fait qu’Okiya Subaru, en venant s’installer avec eux, ne ferait que leur mettre des bâtons dans les roues, alors qu’il savait pertinemment de qui il parlait en réalité. Et de même, jamais il n’avait tenté de contacter quiconque pour parler de ses plans, répétant encore et toujours qu’il agirait seul.
Tenait-il tant que cela à agir dans la discrétion et la simplicité ? Comment comptait-il démanteler l’Organisation à lui seul, au juste ?
Non. Il voulait bien lui accorder un peu de confiance, mais ces points d’ombre le torturaient et lui prouvaient que quelque chose n’allait pas avec lui.
Ce fut Haibara qui fit remarquer au bout de quelques minutes supplémentaires que l’heure était déjà plutôt avancée et qu’ils n’avaient pas de temps à perdre s’ils voulaient éviter d’arriver en retard à Teitan ; se dépêchant de préparer leurs affaires, les trois étudiants partirent sans tarder après avoir salué le professeur.
Tandis que l’adolescent marchait devant sans rien dire, semblant totalement perdu dans ses pensées, les deux écoliers le suivaient à quelques mètres de distance, se mettant à parler entre eux.
« Tu sais, j’ai l’impression que ton “futur” me ressemble un peu selon certains points… avoua la jeune métisse dans un petit sourire mystérieux. J’aime bien son nouveau mode de raisonnement. Tu devrais en prendre de la graine, Kudō-kun. »
Le concerné, les mains dans les poches, se contenta de lorgner vers le lycéen qui marchait juste devant, fronçant les sourcils d’un air grave et soupçonneux.
« Justement. Il est un peu trop “toi”, c’est ça le problème. »
Samedi 17 mars XXXX
10:42 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Agence Mōri _
Ce fut avec un mélange de surprise et de gaîté que Ran découvrit le lycéen au teint mat qui se trouvait sur le pas de sa porte d’entrée. Elle l’invita naturellement à rentrer, se précipitant dans la cuisine pour aller chercher quelques rafraichissements.
« Tu es seule ? fit remarquer avec étonnement l’adolescent lorsqu’elle revint avec une bouteille de jus de fruits, tandis qu’il sondait minutieusement la pièce.
- Oui, Otō-san est encore parti je-ne-sais-où…
- Et Ku— Conan-kun ? »
Elle marqua un léger mouvement de recul évasif, mais se reprit aussitôt, comme si elle tenait à faire comme si ce geste qui n’avait pas lieu d’être n’avait jamais été réalisé.
« Ça va faire deux jours qu’il est chez Shinichi… Je n’ai plus trop de nouvelles de lui, d’ailleurs. Il ne passe quasiment plus par ici depuis que Shinichi est rentré. »
Après avoir marqué un instant de surprise, le détective reprit une expression neutre et se contenta d’acquiescer d’un simple hochement de tête suivi d’un marmonnement.
S’il en était au point de le surveiller nuit et jour et allait jusqu’à en oublier de retourner voir Ran, voire de simplement lui donner de ses nouvelles, ce devait assurément être un cas sérieux.
« Mais tu vois Kudō au lycée, non ? Il ne te donne pas de nouvelles de lui ?
- Il reste très vague, il se contente de me dire qu’il va bien… Il ne parle pas beaucoup en ce moment. Il me dit toujours que c’est parce qu’il est très concentré sur son affaire. »
Elle semblait se douter de quelque chose, apparemment.
Sentant que s’il éternisait cette conversation, il ne ferait qu’augmenter le risque d’éveiller des soupçons par mégarde, l’Ōsakien finit par juger qu’il était préférable de ne pas tarder beaucoup plus longtemps. À trop parler de Kudō, elle serait capable de commencer à se poser plus de questions que celles qu’elle semblait déjà se poser… aussi préféra-t-il aller droit au but, annonçant qu’il ne voulait pas abuser de son hospitalité alors qu’il recherchait en réalité à voir le petit Tokyoïte.
Quoique… S’il lui clamait aussitôt qu’il voulait clairement éviter de prolonger cette discussion, elle eut été capable de trouver cela suspect. C’eut été aussi impoli que maladroit de la quitter tout de suite… Il lui fallait plutôt changer de sujet.
« Au fait, comment va ton père alors ? »
Ran parut surprise par cette question, puisqu’elle montra un semblant d’étonnement tout en sursautant très légèrement. Mais elle se ravisa aussitôt, prenant un air étrangement… anxieux.
« Eh bien… Il s’est vu confier une affaire hier soir, mais il a eu beaucoup de difficultés à la résoudre. Megure-keibu-san a été très déçu… et je n’ai pas réussi à l’empêcher de passer sa nuit à boire. »
Il afficha une expression semblant mêler lassitude, compréhension et, paradoxalement, tristesse. Comme s’il n’était même pas surpris de ce résultat et qu’il connaissait la raison véritable de cet échec, sans vouloir la donner.
Il demeura ainsi un instant, hésitant, ne sachant comment relancer la conversation. Heureusement, elle lui offrit rapidement une porte de sortie qu’il n’osait espérer :
« Tu avais dit tout à l’heure que tu voulais voir Conan-kun… C’est pour ça que tu es venu ici, hein ?
- Oh, c’est vrai…
- Si tu veux aller le voir, alors je ne vais pas te retenir, ne t’en fais pas. Tu sais où habite Shinichi, n’est-ce pas ? »
Il acquiesça avec vivacité avant de se lever et de la remercier pour son hospitalité, bien que semblant troublé.
Elle constata bien qu’il semblait lui cacher quelque chose. Mais elle se contenta de lui adresser un petit sourire indéchiffrable, le reconduisant dans l’entrée.
« Au fait, Hattori-kun … »
Le concerné se stoppa alors qu’il allait partir pour de bon, se retournant vers elle avec un regard interrogateur.
« Surtout, ne le dis à personne, mais… J’ai l’impression que Shinichi est un peu bizarre en ce moment. Je ne sais pas pourquoi. »
Il resta un instant immobile, l’air évasif, ne sachant comment réagir. Mais il finit par rajuster sa casquette d’un air assuré et à demi naturel, acquiesçant d’un rapide mouvement de tête.
« Okay. C’est noté. Je verrai bien. »
Samedi 17 mars XXXX
11:08 a.m.
Tōkyō, quartier de Beika
Résidence Kudō _
Hattori reposa son verre à moitié plein sur la table, dévisageant celui qui lui faisait face avec deux yeux inquisiteurs.
« Bon. Pour commencer, serait-il trop indiscret de vous demander qui vous êtes en réalité ? »
Le Tokyoïte commença par prendre un air surpris, puis éclata de rire nerveusement.
« Je crois que tu n’as pas compris. Je suis Kudō Shinichi. J’ai vingt-sept ans et je viens de dix ans dans le futur, je suis ici parce que j’ai mis en place un moyen de nous débarrasser de l’Organisation. Pas plus compliqué que ça. »
Il y eut un silence consterné.
« Et vous croyez sérieusement que je vais avaler ça ?
- Il va bien le falloir, on a les mêmes empreintes digitales. Si ça ce n’est pas une preuve concrète… »
C’était sorti de la bouche du petit Kudō, cette fois. Adossé contre un mur légèrement en retrait, il donna une petite impulsion pour se relever et venir rejoindre les adolescents d’un pas lent et grave, servant son propre verre d’un peu de jus de fruit.
« Oï, Kudō… Qu’est-ce que tu m’avais dit hier ?
- Je n’avais pas le temps de te dire la vérité totale parce que tu ne m’aurais pas cru tout de suite, alors je me suis contenté de dire que quelqu’un de très proche de nous avait temporairement pris mon identité. Maintenant, voilà les détails. Cette personne très proche de nous s’appelle Kudō Shinichi et a vingt-sept ans.
- Attends, c’est n’importe quoi… »
L’enfant haussa les épaules avant de jeter un regard indéchiffrable à son alter-ego.
« En tout cas, quoiqu’on en dise, c’est la vérité. On a largement eu l’occasion de vérifier qu’il n’y avait aucune autre explication possible. »
Un long silence s’imposa dans la salle, personne ne sachant comment reprendre la conversation. Shinichi se leva et s’éloigna un peu, laissant les deux amis assis à table autour de leur verre, mais il restait non loin d’eux, se contentant de leur tourner le dos et de regarder dans le vide, son verre presque vide à la main, plongé dans ses pensées.
Finalement, le détective de l’ouest tenta de briser le silence :
« Bon. Alors qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
- C’est à lui qu’il faut poser la question, rétorqua Conan en pointant le concerné du doigt. À condition qu’il veuille bien te répondre, vu qu’il ne m’a encore rien dit de spécial, pour ma part.
- Comment ça ? Qu’est-ce que ça veut dire, Kudō ?
- Va savoir. »
L’enfant s’interrompit, remarquant que le ton avait été légèrement haussé lorsqu’il avait posé cette question. En ajoutant cette constatation à l’expression légèrement embarrassée que l’adolescent arborait depuis qu’il avait répondu, il marmonna finalement :
« Ah, euh, désolé… c’est à lui que tu parlais…?
- Oui… oui, c’est ça. »
De son côté, l’aîné se prit à faire résonner un petit rire semblant moqueur, mais étant en réalité bien plus nerveux qu’autre chose ; bien qu’il parût réellement amusé par ce genre de quiproquos, ajoutant de l’embarras à celui déjà produit naturellement par une situation aussi insolite.
« C’est sûr que si tu nous appelles tous les deux “Kudō”, ça va pas le faire… ironisa-t-il.
- Mais comment tu veux que je fasse, moi, hein ? Pour vous appeler entre vous, vous faites comment ?
- Pour ma part, je l’appelle “Kudō”, tout simplement. » lança innocemment Shinichi en esquissant un sourire sarcastique.
Hattori enfonça sa tête dans sa main droite, se massant durement les sinus en soupirant.
« O-Okay, laissez tomber tout de suite. Toi, quel est le plan ? » annonça-t-il en tournant démesurément la tête vers l’aîné pour bien montrer qu’il était celui à qui il parlait.
Conan s’effondra contre le dossier de sa chaise, poussant un long soupir et marmonnant ce qui s’apparentait à quelque chose comme “Tout ça pour ça…” ; et en effet, comme il s’y était attendu, son ami ne put obtenir aucune information de plus que ce qu’il avait obtenu. Lorsque le lycéen avait voulu lui poser quelques questions concernant la raison pour laquelle le plan entier devait demeurer secret, l’enfant trouva que ses réponses étaient très évasives. Mais cette fois-ci, il avait répondu tout de même :
« J’ai plusieurs raisons de m’en charger seul. Premièrement (il leva sa main droite et pointa l’index), si jamais mon plan rate, je me suis arrangé de manière à ce que cela n’ait absolument aucune répercussion sur vous, et dans ce cas je vous aurai laissé toutes mes notes concernant l’Organisation, si jamais vous voudrez toujours vous y frotter vous-mêmes par la suite. Vous serez libres d’en faire ce que vous voudrez, il n’y aura aucun problème.
- Si dans ce cas on aurait accès à toutes ces informations, pourquoi ne pas nous les donner tout de suite ?
- J’allais y venir, Hattori : deuxièmement (un second doigt s’éleva, faisant bien le décompte), pour des raisons de discrétion, il est préférable que j’agisse seul et que je ne prévienne personne. L’Organisation peut être infiltrée n’importe où dans le FBI, la CIA ou la police, et qui sait même jusqu’où elle peut aller ; si ça se trouve, certains membres ont déjà remarqué que cette maison était de nouveau habitée et ont trouvé ça suspect, alors peut-être que nous avons été mis sous écoute à notre insu, voire qu’ils ont réussi à installer des micros pendant que nous étions à Teitan. Donc si jamais j’appelle qui que ce soit pour parler de mes plans, ou même que je vous en parlais ici, il serait possible que l’Organisation soit aussitôt mise au courant, et que donc tous mes plans tombent à l’eau vu que je compte énormément sur l’effet de surprise. »
Le silence s’installa pour quelques secondes, personne ne voyant quoi que ce fût à redire ; Conan constata pour la première fois que son alter-ego semblait doté d’une paranoïa bien plus grande encore que la sienne.
« Enfin, la troisième raison est purement personnelle, c’est seulement une affaire entre eux et moi, et personne d’autre n’a à s’en mêler. C’est bien compris ?
- Je suppose que oui… marmonna le lycéen au teint mat. Mais tu ne peux vraiment pas nous en dire plus, concernant cette “affaire personnelle” ? Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Shinichi lui lança aussitôt un regard glacial qui le paralysa momentanément de stupeur.
« Est-ce qu’il y a quelque chose que tu ne comprends pas dans “affaire personnelle”, Hattori ? Parce qu’il me semblait que cette expression parlait d’elle-même. »
Totalement décontenancé, l’Ōsakien ne répondit pas et se contenta de le dévisager avec surprise.
Pendant un instant, fugace mais bien présent, il avait vu un homme de vingt-sept ans comme interlocuteur, et non pas l’adolescent qu’il avait face à lui. Cette vision d’un ami qui paraissait avoir son âge mais qui était en réalité un adulte ayant dix ans de plus que lui le marqua profondément, pour la toute première fois depuis qu’il l’avait rencontré.
Ce qui lui avait fait réaliser cette vérité étrange était toutefois ce regard ombrageux qu’il avait vu. Ce petit éclat désespéré, perdu, infiniment triste… et qui pourtant reflétait ce qui ressemblait presque à une haine meurtrière. Ce regard, il n’aurait jamais imaginé pouvoir le voir en provenance de Kudō, et en être de plus la cible avait de quoi bouleverser profondément.
Dérouté, il finit par balbutier un semblant d’excuse dans un murmure perturbé. Mais il sembla troublé encore un moment, car même lorsqu’il se leva quelques minutes plus tard et affirma qu’il allait peut-être repartir et les laisser pour la journée, il semblait encore particulièrement affecté par ce regard.
« Au fait, Kudō… » marmonna-t-il alors qu’il ôtait ses patins, remettant ses chaussures.
Il obtint aussitôt en réponse deux “Oui ?” simultanés, ce qui étonna tout le monde et plongea soudainement l’entrée dans un silence gêné. Hattori regardait les deux alter-egos, qui eux se fixaient en chiens de faïence tout en rougissant légèrement. Détournant le regard pour le diriger vers l’Ōsakien, ils reprirent encore d’un ton unique, commençant de poser la même question : “C’est à lui que tu—?”. Ils s’arrêtèrent toutefois là, se rendant compte qu’ils n’avaient fait qu’agir exactement de la même manière une fois de plus.
Le lycéen au teint mat avait de plus en plus de mal à cacher sa déroute, dévisageant le duo avec un semblant de poker face, qui laissait toutefois bien deviner le fond réel de ses pensées.
« D’accord. Là, c’est carrément flippant votre truc. »