Probabilities
Chapitre 5 : Corollaire IV ~ La loi des Solutions
6585 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 09/11/2016 17:43
Corollaire IV ~ La loi des Solutions
« Lorsqu'une seule solution peut être trouvée pour un problème de terrain, c'est une solution stupide. »
Mardi 20 mars XXXX 09:13 a.m. Tōkyō, quartier de Beika École élémentaire Teitan _
« Edogawa-kun. Cesse de rêvasser et récite-moi donc la table de six, ça te réveillera. Aurais-tu mal dormi cette nuit ? »
Il répondit tout naturellement, mais d’un ton perdu dans ses pensées, que tout allait bien ; puis il obéit avec lassitude, se levant et récitant d’un ton blasé, sans aucune erreur ni même la moindre hésitation, la liste des dix calculs simples qui lui était demandée.
Kobayashi Sumiko dévisagea ce jeune enfant avec un regard indéchiffrable. De tous les Detective Boys, celui-ci était de loin celui qui avait, dès le départ, attisé chez elle une grande curiosité ; cet élève était particulièrement brillant, et faisait constamment des va-et-vient entre des attitudes extrêmement matures et, comme par jeu, ou plutôt dès qu’il semblait remarquer que l’on prêtait attention à cette maturité incongrue, des mimiques au contraire tellement enfantines qu’elles en paraissaient exagérément innocentes. Elle l’avait vu, à plusieurs reprises, résoudre des affaires complexes. Certes, il agissait au sein du petit groupe dans son ensemble, mais… il était par moments indiscutable qu’il était le véritable cerveau de l’équipe.
Elle n’avait jamais réellement cherché à comprendre quoi que ce fût de particulier concernant ce petit écolier, qui était simplement un petit prodige à ses yeux ; mais lorsqu’elle le voyait, elle avait bien remarqué que, depuis récemment, quelque chose chez lui avait changé. Depuis quelques jours, au fur et à mesure que le temps passait, il semblait de plus en plus perdu dans ses pensées, comme si quelque chose l’inquiétait tout particulièrement. Elle ne pouvait pas réellement savoir s’il s’agissait d’un problème de famille ou avec ses amis, mais elle ne connaissait que trop bien ce regard. Quelque chose n’allait pas avec lui, et bien que cela n’intervînt nullement dans ses résultats scolaires, cela lui brisait le cœur que de le voir ainsi, sans pouvoir réagir.
Car elle avait déjà essayé d’agir. Elle l’avait vu en privé, le vendredi soir. C’était à partir de ce jour-là qu’elle avait commencé à remarquer quelque chose, et elle avait aussitôt tenté de lui en parler en privé, lui demandant ce qui n’allait pas et si elle pouvait aider. Mais il avait refusé de lui avouer quoi que ce fût, répliquant de sa voix exagérément innocente que tout allait bien. Et cela n’avait fait qu’attiser son inquiétude.
Au repas de midi, elle tenta même de demander conseil à ses collègues, leur demandant des conseils pour voir ce qu’ils feraient à sa place ; mais ses tentatives restèrent infructueuses.
L’après-midi se déroula de la même manière que la matinée, c’est-à-dire que le petit Conan-kun restait aussi renfermé dans sa petite bulle qu’auparavant, répondant à peine à ses amis, qui eux aussi avaient remarqué quelque chose. Comme s’il ne les entendait même plus, tant ses tourments semblaient l’envahir. Elle n’osait même plus le reprendre, et n’avait pas le cœur de punir ses amis pour ne cesser de discuter entre eux à son propos. Ils s’inquiétaient pour lui aussi. Elle n’avait pas à les gronder pour le fait de s’inquiéter pour l’attitude inquiétante de leur ami. C’était normal.
La fin des cours fut ponctuée par la sonnerie habituelle ; les élèves ne tardèrent pas à partir, laissant rapidement seule la jeune institutrice.
Elle resta légèrement béate à son bureau quelques instants, désorientée. Elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle n’avait même pas vu la journée passer…
Préparant ses affaires puis fermant la salle de classe derrière elle, elle se dirigea vers la sortie de l’établissement scolaire. Elle vit alors, au loin, un petit groupe de trois lycéens sortant de leur propre salle de cours et rejoignant les Detective Boys à la sortie.
Elle hésita un instant, mais finit par se diriger vers eux ; elle songea d’abord à s’adresser directement au jeune garçon, mais elle rejeta rapidement cette idée : cela ne serait certainement pas plus fructueux que la dernière fois. Elle se décida alors à s’approcher non pas de lui, mais de la jeune adolescente avec qui il vivait ; elle devait bien le connaître, et serait certainement apte à lui apporter plus de réponses, ainsi probablement qu’un moyen de savoir ce qu’elle pourrait faire pour redonner le sourire à son petit élève.
« Excusez-moi, Mōri-san ? tenta-t-elle calmement. Pourrais-je vous parler un instant en privé, si cela ne vous dérange pas ? »
La concernée parut d’abord surprise, mais accepta, affirmant à ses amis qu’ils pouvaient partir sans elle pour ne pas les retenir trop longtemps inutilement. Après un rapide geste d’au-revoir général, le groupe partit en discutant, visiblement curieux de la raison de ce petit imprévu.
« Je suis désolée de vous déranger, Mōri-san, mais c’est à propos d’Edogawa-kun. C’est bien vous qui vous occupez de lui, n’est-ce pas ? »
À ce mot, Ran sursauta brusquement, mais sans un bruit.
« Vous avez l’air de savoir ce qui le tourmente… Je me trompe ?
- Eh bien, je… »
Elle paraissait embarrassée, ne sachant comment répondre. Mais elle savait parfaitement de quoi elle parlait. Elle savait ce qui rendait l’enfant dans un tel état.
« Est-ce un problème dans votre famille ?
- Non… non, pas exactement. Je… je ne saurais pas comment vous l’expliquer. C’est beaucoup plus compliqué que ça. »
L’enseignante lui lança un regard interrogateur. Toutefois, la jeune fille, au comble de l’embarras, baissa un regard désorienté.
« Je sais que cette réponse ne vous conviendra pas, mais… C’est hors de votre portée. Tout ce que nous pouvons faire est ne pas montrer que nous nous inquiétons pour lui… Cela ne ferait que lui ajouter de la pression. »
Elle retourna sa tête vers elle, lui lançant un regard insistant et désolé de ses deux yeux tremblants et perdus.
« Je suis désolée, Kobayashi-sensei, mais il n’y a rien à faire. Je ne pourrais pas vous éclaircir plus. J’ai donné ma parole… et cela ne ferait que vous apporter des ennuis que de vous en parler.
- Que voulez-vous dire ?
- C’est une affaire… très particulière. C’est tout ce que je peux vous dire. Je vous demanderai juste de ne pas vous en mêler… J’espère que ça va se régler très vite. Mais d’après lui, ce sera bientôt terminé. Ne vous inquiétez pas pour lui, c’est tout ce que vous pouvez faire pour l’aider. »
Silence. Elle semblait à court d’arguments, ne sachant quoi ajouter ni comment reprendre la conversation.
« Je… Bonne soirée, Kobayashi-sensei. Ne vous inquiétez pas pour lui, tout ira bien. »
Et elle partit.
Mardi 20 mars XXXX 04:42 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence d’Hiroshi Agasa _
« Baïkal. »
Haibara se retourna avec curiosité vers le lycéen, qui venait de murmurer ce simple mot sans même lui adresser le moindre regard, ayant aussitôt bu une gorgée de thé comme s’il voulait montrer qu’il n’avait jamais parlé.
« C’est donc ça, ton nom de code… Baïkal.
- Mmh. Ironique, hein ? »
La jeune métisse esquissa un sourire amusé.
« C’est drôle, quand même. J’ai été dans l’Organisation pendant près de dix ans, et pourtant, tu n’avais même pas réagi dès le départ, comme si ça ne t’avait pas gênée. “L’odeur” n’est pas assez forte, ou tu voulais juste éviter de paraître suspecte toi-même ?
- Bah. Je sais que je n’ai rien à craindre de toi. Même si ça m’avait énormément surprise la première fois que je t’ai vu et que j’ai cru que tu étais un simple imposteur, tous mes doutes se sont évanouis lorsque Hakase a vérifié les empreintes digitales. Et puis, ton “odeur” est différente de celle de Gin ou de Vermouth, par exemple, je ne saurais comment la décrire… De toute manière, dans le doute, je ne devais rien montrer et n’en parler qu’en privé, pour éviter de montrer que je t’aurais démasqué tout de suite… Mais je te l’ai déjà dit : maintenant que j’ai la preuve concrète que tu es bien Kudō Shinichi, je ne vois pas pourquoi je devrais me sentir mal à l’aise avec toi comme si tu avais vraiment fait partie de l’Organisation. »
Silence.
« En tout cas, je comprends mieux comment tu as pu en apprendre autant sur eux. C’était un vrai coup de génie que de t’engager pour rassembler des informations sur eux, puis de revenir dans le passé pour utiliser ces informations contre eux. C’était une idée complètement stupide, mais j’ai l’habitude avec toi…
- Ohe, qu’est-ce que tu veux dire ? Ils ne m’avaient même pas demandé mon avis…
- Comment ça ? »
Le lycéen se mordit aussitôt la lèvre, comme s’il avait dit quelque chose qu’il ne voulait surtout pas dire.
« Oh, euh, ce n’est rien… Je veux dire que j’ai eu du mal à jouer le jeu durant tout ce temps, mais j’ai réussi à me débrouiller… »
L’enfant ne paraissait pas convaincue, mais jugea bon de ne pas revenir dessus. De toute manière, elle n’en eut pas l’occasion : son interlocuteur s’était relevé, faisant face aux deux autres personnes présentes, plus loin.
« Au fait, je tenais à vous dire une toute dernière chose à vous tous, annonça-t-il en haussant soudainement le ton, sans prévenir. Si tout se passe bien, j’agirai demain, et tout sera terminé dans la soirée. »
Il y eut un court silence. Agasa et Conan, bien qu’interrompus dans leur conversation, ne parurent pas gênés par cela le moins du monde.
« Donc, tu veux dire que tout est prêt ? » demanda Haibara d’un ton curieux.
Shinichi alla s’appuyer contre le côté du petit bureau près de l’entrée, tourné vers le reste du groupe, continuant de prendre part dans la discussion comme si de rien n’était ; aussi personne n’y prêta réellement attention.
Un sourire assuré se profila sur son visage, sa tête légèrement baissée lui donnant un air confiant et particulièrement sûr de lui.
« Quasiment. En tout cas, mon plan commencera demain, quoiqu’il arrive. J’ai suffisamment attendu ; si je tarde trop, des imprévus de plus en plus importants pourraient finir par intervenir, et ce serait plutôt embêtant. »
Silencieusement, de sa main droite cachée dans son dos, il tira habilement le tiroir le plus proche, y introduisant sa main et commençant de le fouiller discrètement, à l’aveuglette.
Il esquissa un sourire indéchiffrable, semblant mêler satisfaction et regret.
« Vous verrez. Après-demain, l’Organisation sera de l’histoire ancienne.
- Tu as l’air plutôt sûr de toi, Shinichi. Tu es vraiment sûr que tout se passera comme tu l’as prévu ? »
Son expression devint sourire en coin, semblant amusé par la naïveté d’une telle question.
Sa main s’arrêta brusquement, tâtonna rapidement et discrètement sous tous ses angles ce qu’elle venait de toucher par hasard, puis s’empara de la petite boîte de plastique.
« Absolument sûr. Probabilité de cent pour cent. C’est un plan totalement infaillible. Il n’y a aucune raison que ça échoue. Même si les membres de l’Organisation sont suffisamment prudents pour que cela vous laisse sceptiques, je sais très bien qu’ils ne vont pas se méfier cette fois-ci. Parce que j’ai des atouts dont ils ignorent l’existence. On ne se méfie pas de ce dont on ne soupçonne même pas l’existence, n’est-ce pas ? »
Ayant coincé la petite boîte dans le creux de sa main, désormais entourée de trois doigts qui la tenaient fermement, il fit jouer son pouce et son index autour de son bouchon, le dévissant lentement puis le tenant suffisamment loin de l’ouverture de la boîte, sans pour autant le lâcher.
« Je vois. Tu comptes utiliser ton savoir sur eux et leurs actions futures pour les retourner contre eux, c’est ça ? résuma la jeune métisse.
- Le fruit de mes observations sur eux, et quelques moyens technologiques divers, oui. L’Organisation n’a plus aucun secret pour moi, et je dirais même que je la trouve très… prévisible. J’ai tout calculé.
- Et qu’est-ce qui te dit qu’ils vont se contenter d’agir comme tu l’as prévu malgré tes actions contre eux ? Tu ne penses pas qu’ils vont changer de plan, si tu commences à les attaquer ? Tu crois sérieusement qu’ils vont te voir agir et te laisser faire sans broncher ? »
Il haussa les épaules en rétorquant que, prévisible comme il n’avait cessé de l’être jusqu’alors, il était mal placé pour remettre en cause un tel fait ; tandis que sa main gauche venait rejoindre l’autre dans son dos, venant s’emparer avec précision et minutie d’une petite partie du contenu de la petite boîte, ne prenant qu’une seule petite pilule qu’il tint fermement entre son pouce et son index avant de l’enfouir précieusement dans la paume entière de sa main gauche. D’un geste naturel et innocent, il vint alors aussitôt placer cette main dans la poche de son pantalon, tandis que le pouce et l’index de son autre main replaçaient habilement le bouchon de la petite boîte, commençant de la refermer silencieusement.
« De toute façon, je vais agir beaucoup trop vite pour qu’ils aient le temps de se rendre compte de quoi que ce soit. Je compte à la fois miser sur la rapidité et sur l’effet de surprise, d’où le fait que tout se passera forcément comme prévu. »
Il rangea la petite boîte au même endroit qu’au départ, puis referma le tiroir dans un geste silencieux et invisible. Il gardait sa main gauche dans sa poche, bien refermée sur le minuscule trésor qu’il avait dérobé, comme s’il craignait de perdre une si petite chose. Mais rien sur son visage n’avait jamais trahi la moindre émotion particulière, le moindre indice concernant le méfait qu’il venait d’accomplir.
« Donc tu veux dire que maintenant, tout est prêt ? Il te suffit de décider de l’heure à laquelle tu commences, et le compte à rebours du démantèlement de l’Organisation est enclenché ? » conclut finalement Conan d’un ton encore sceptique et, malgré tout, légèrement inquiet.
Son alter-ego retint de justesse un sourire sarcastique.
« Oui. Maintenant, tout est prêt. Il ne me reste plus qu’à passer à l’action. »
Mardi 20 mars XXXX 05:34 p.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence Kudō _
Vraiment, il ne voyait pas.
Il avait beau se torturer l’esprit nuit et jour désormais pour tenter de percer les intentions véritables de son futur et les raisons pour lesquelles il refusait d’en parler à qui que ce fût, il ne voyait pas.
Ou plutôt, il refusait de voir.
Parce qu’il avait trouvé une explication. Une seule.
Mais il ne voulait pas y croire. Il se disait toujours qu’il y en avait forcément une autre.
Car il ne pouvait pas avoir eu ces idées-là.
C’était Kudō Shinichi, après tout… Kudō Shinichi ne ferait pas cela… N’est-ce pas ?
Il avait beau être suspect, il avait beau se méfier de lui, il fallait relativiser. Il n’allait pas mettre en œuvre ce type de plan. C’était insensé. Même s’il montrait bien qu’il était méfiant envers son futur, ce n’était que par jalousie et parce qu’il avait le réflexe de plus en plus aberrant de voir du danger partout. C’était lui qui était dans le tort, forcément. Tout le monde était de son côté, et lui reprochait de se méfier de lui pour rien. Même Ran, bien qu’ayant avoué qu’elle le trouvait différent, lui affirmait qu’elle ne pouvait pas imaginer ce genre de choses. Quand il lui avait parlé de la possibilité qu’il se fût procuré des bombes, elle l’avait aussitôt rembarré en le traitant de baka.
Et elle avait raison. C’était totalement stupide. Kudō Shinichi ne ferait jamais ça.
Alors il continuait de chercher. Car comme c’était impossible, alors la vérité était forcément autre chose.
“Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité.” Il ne le savait que trop bien, pour l’avoir lu nombres de fois, ne serait-ce que dans Le Signe des Quatre.
Mais justement.
C’était impossible.
Alors il devait éliminer cette possibilité, et en chercher une autre.
Les mains dans les poches, l’air grave, la tête baissée montrant bien son air plongé dans ses réflexions, il parcourait d’un pas muet et lent le couloir sombre, à travers lequel quelques rayons de soleil rampaient le long du parquet sur quelques centimètres, se glissant sous les portes closes.
Il était dans la chambre de ses parents, comme d’habitude. Toujours à faire quelque chose d’inconnu, qu’il ne pourrait aller vérifier. Il passa devant sa porte sans y faire réellement attention, s’apprêtant à rejoindre la sienne pour pouvoir s’y allonger et se mettre dans de meilleures conditions pour une réflexion aussi efficace que possible. Il y avait forcément une explication logique, et il était bien déterminé à la trouver…
Si.
Il s’arrêta, sursautant légèrement. C’était une petite détonation produite par le clavier numérique d’un téléphone portable.
La.
Cela venait de la chambre de ses parents. Apparemment, son futur voulait contacter quelqu’un.
Sol.
Il tressaillit, écarquillant les yeux.
Ne fais pas un la. Ne fais surtout pas un la.
La.
Incrédule, il colla aussitôt son oreille contre la porte, comme pour tenter d’avoir la preuve qu’il s’était trompé. Mais la suite lui confirma qu’il n’avait pas rêvé : le numéro composé était bien #969#6261.
Il avait mal entendu. Il avait forcément mal entendu. Nana tsu no Ko… Son futur pouvait bien être particulièrement suspect par moments, mais il ne pouvait quand même pas jouer le suicidaire à ce point… N’est-ce pas ?
Après un interminable moment baigné dans un silence rythmé par les battements effrénés de son cœur terrifié, il entendit le son d’autres touches, correspondant à un numéro de téléphone qu’il ne connaissait pas. Puis les détonations qui suivirent lui confirmèrent que son alter-ego comptait envoyer un mail depuis son téléphone portable à ce mystérieux destinataire. Le téléphone portable de Kudō Shinichi, qu’il lui avait confié depuis qu’il était arrivé puisque désormais chacun pouvait jouer son rôle séparément et qu’il n’avait plus à s’en servir, allait cette fois servir à contacter Ano Kata.
Cet inconscient était en train d’écrire un mail à Ano Kata. Il était en train d’ouvrir la Boîte de Pandore, comme disait Haibara… Et il ne pouvait rien y faire. Il ne devait rien y faire. Il voulait savoir ce qu’il comptait faire exactement. Et pour cela, il devait le laisser faire jusqu’au bout.
Au fur et à mesure que les touches étaient déclenchées, il parvint petit à petit à reconstituer le message d’origine.
Mi-Mi—Sol-Sol—Fa-Fa — Sol-Sol—Sol-Sol-Sol—Mi-Mi—Mi-Mi-Mi…
88-66-33 — 66-666-88-888-33-555-555-33 — 222…
UNE NOUVELLE CIBLE PARTICULIEREMENT DANGEREUSE S EST PRESENTEE — NOUS RISQUONS D ETRE DECOUVERTS — RENTRE AU NID — TU AURAS LES DETAILS SUR PLACE DEMAIN A DIX HEURES
Conan était désormais totalement vautré contre la porte, tentant de taire au mieux sa respiration pour être certain de ne pas rater la moindre note, comme si le moindre son pouvait être susceptible de changer radicalement le sens véritable du message.
Mais apparemment, ses pires craintes se confirmèrent.
Il s’adressait réellement à quelqu’un de l’Organisation.
Il lui donnait même des ordres. Cela voulait-il dire que…? Mais enfin, c’était absurde ! Il avait été démontré de façon certaine qu’il était bien Kudō Shinichi, et de plus qu’il avait réellement voyagé dans le temps. Il ne pouvait pas être Ano Kata lui-même. Cela n’avait strictement aucun sens.
Comme pour s’en assurer, il se rappela qu’il avait commencé par composer l’adresse mail d’Ano Kata, indice qui l’avait poussé à se coller contre la porte de sa chambre.
Mais qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? était-il réellement en train de donner des ordres à Ano Kata, qui était logiquement au sommet de la hiérarchie de l’Organisation ?
Non. Il avait entendu qu’il avait ensuite composé d’autres numéros de téléphone, qu’il n’avait pas retenus ni attribués à qui que ce fût. Probablement le numéro de téléphone d’autres membres de l’Organisation. Donc il leur envoyait un message à tous. Un message leur donnant rendez-vous au “Nid”, c’est-à-dire probablement la manière selon laquelle était nommé leur quartier général principal.
Mais, désormais qu’il y pensait… Il avait utilisé le téléphone de Kudō Shinichi pour envoyer ce message ! Mais cela signifiait qu’ils… Qu’avait-il donc en tête ?!
La porte s’ouvrit brusquement, sans laisser le temps à l’enfant de s’en rendre compte réellement. Les lois de la gravité le poussèrent à s’étaler au sol de tout son long, le laissant maugréer de douleur dans un marmonnement discret.
Shinichi baissa le regard et le toisa d’un regard non surpris, paraissant plutôt lassé. Il poussa un long soupir tout en rangeant le téléphone portable dans sa poche.
« Je me demande ce qui est le plus désespérant, Kudō. Le fait que tu sois aussi prévisible, ou le fait que tu ne te rendes pas compte d’à quel point tu es prévisible. »
L’enfant se releva tant bien que mal, lui lançant un regard noir.
« T’as composé l’adresse mail du boss au départ dans la seule intention d’attirer mon attention, c’est ça ? Tu voulais que je sache que tu comptais faire ça ? »
L’aîné fut pris d’un rire qu’il interpréta comme sarcastique.
« Pas vraiment. J’avais vraiment besoin de ce numéro.
- Mais qu’est-ce que tu as fait, sérieux ?! »
Silence. Conan avait radicalement changé de figure, passant d’une expression lassée et dépitée à, brusquement, une terreur paranoïaque. Il avait saisi de ses deux mains la veste de son alter-ego, la tirant du mieux qu’il pouvait comme si cela pouvait l’aider à lui faire comprendre l’ampleur de ces actes.
Le lycéen, lui, se contenta de se baisser très légèrement vers lui avec un sourire innocent.
« Tu sais très bien ce que j’ai fait. J’ai ouvert la Boîte de Pandore. Sauf que là, je sais déjà ce qui s’y trouve, alors il n’y a plus aucun risque. »
Silence. L’écolier avait relâché son emprise, totalement abasourdi.
L’adolescent, lui, commençait de sortir du couloir, s’éloignant tranquillement vers le salon, les mains dans les poches.
« Pourquoi… »
Il n’acheva pas sa question. Il semblait par ailleurs avoir tenté d’y introduire une intonation interrogative, mais sa stupéfaction l’avait totalement pétrifié de terreur.
« Eh, du calme, c’est juste le début de mon plan. Tout sera terminé demain.
- C’était quoi ce rendez-vous que tu leur as donné ?! C’est quoi ton plan, au juste ?! Pourquoi tu leur as donné des ordres comme si tu étais leur boss ?! »
Shinichi se stoppa.
Il se retourna tranquillement, un sourire naturel aux lèvres.
« Mais tout simplement parce que j’ai utilisé l’adresse mail d’Ano Kata pour les contacter. », répliqua-t-il d’un ton totalement serein et innocent.
Il sortit de sa poche le téléphone portable et le mit bien en évidence entre son pouce et son index droits.
Conan distingua qu’un étrange appareillage était venu se fixer dessus.
« Je pense que c’est de loin le gadget le plus utile d’Agasa, même si nous ne parlons pas vraiment de celui d’ici. Ce genre de choses n’aurait pas pu être trouvé à ton époque, les moyens de cryptanalyse ne sont pas encore suffisamment avancés. Mais à la mienne, alors que le système téléphonique de ton époque est de l’histoire ancienne car beaucoup trop facile à pirater… »
L’enfant eut peur de comprendre.
« Tu commences par taper le numéro de téléphone ou l’adresse mail avec laquelle tu veux écrire ton message. Après, tu tapes le numéro du destinataire, et tout est comme pour n’importe quel téléphone normal par la suite. Bref, je crois que j’ai été assez clair. »
Il tourna les talons, puis descendit les escaliers pour aller se préparer un café dans la cuisine, comme si de rien n’était.
Conan, le regard totalement plongé dans le vide et la tête prise de violents vertiges, dut s’adosser contre le mur le plus proche pour se remettre de ses émotions et tenter de reprendre son calme.
« Il s’est fait passer pour le boss… » marmonna-t-il d’une voix inaudible, incrédule, remuant à peine les lèvres.
Il se laissa glisser jusqu’au sol, regardant au plafond d’un air hagard.
« Ce type est complètement malade. »
Et il sentait bien que cela ne ferait que commencer. Désormais, il en était certain.
Le lendemain allait être une journée particulièrement agitée.
Mercredi 21 mars XXXX 06:57 a.m. Tōkyō, quartier de Beika Résidence Kudō _
En se levant ce matin-là, Conan s’empressa de descendre dans le salon. Mais comme il s’y attendait, il n’y vit personne ; en regardant bien dans la cuisine, il vit bien que quelqu’un – son futur – était déjà passé par là et était parti depuis au moins une heure.
Bah. Il le rattraperait bien, de toute manière. Il s’était attendu à ce qu’il s’arrangeât pour partir sans avoir à le croiser ce matin, alors il avait bien mis en place la veille, discrètement, quelques préparatifs pour pouvoir le suivre à la trace.
En s’approchant de la table de la cuisine toutefois, il aperçut un post-it qui lui était apparemment destiné :
Bien tenté, Kudō. Mais j’ai vu ton émetteur.Ne cherche pas à me suivre, ça ne nous causera que des ennuis à tous. Fais ce que tu veux aujourd’hui l’esprit tranquille, mais ne te mêle pas de ça.
L’enfant haussa les épaules et sourit sarcastiquement.
Oui. Il avait vu “son” émetteur. Mais il s’était bien attendu à ce que le lycéen sût qu’il tenterait de le suivre ainsi. Alors il était allé plus loin.
Il en avait mis dix, d’émetteurs. Juste au cas où. Alors s’il n’en avait vu qu’un, il en restait bien assez pour pouvoir le suivre à la trace malgré tout.
Pourtant, tandis qu’il préparait son petit déjeuner, il sentait que quelque chose était différent de d’habitude, bien qu’il ne parvînt pas à mettre le doigt dessus.
Puis finalement il comprit ce qui n’allait pas. L’idiot, il avait oublié de mettre ses lunettes. S’il voulait le suivre à la trace, cela risquerait de lui être légèrement utile. Et puis de toute manière, Edogawa Conan portait toujours des lunettes.
Retournant vers sa table de nuit, il constata toutefois avec étonnement qu’elles ne s’y trouvaient pas, et que c’était donc pour cela qu’il n’avait pas songé à les mettre dès son réveil.
Soudainement saisi d’un mauvais pressentiment, il se précipita hors de sa chambre, courant vers celle de ses parents.
Il les vit alors, écarquillant les yeux d’horreur.
Ses gadgets.
Éparpillés sur la table.
Réduits en pièces.
Tous.
Ce fut alors qu’il aperçut un autre papier, posé au milieu d’eux.
Tu m’excuseras, mais je n’ai franchement pas le temps de chercher les neuf autres. Et au passage, j’ai préféré prendre quelques précautions, j’ai peur de ton accueil ce soir.Bonne journée à Teitan, Kudō.
Comme pris d’un violent tournis, ses jambes perdirent la force de le soutenir et il dut s’adosser contre la porte qu’il avait refermée inconsciemment, ne pouvant dévier son regard de ce désastre. Il se laissa lentement glisser le long du portail de bois, totalement impuissant et perdu.
Il releva légèrement la tête, comme s’il ne croyait pas à ce qui venait de lui arriver. Puis finalement, il poussa un soupir qui se transforma petit à petit en un macabre rire nerveux, qui résonna de plus en plus fort dans sa demeure, dont il était désormais certain d’être le seul occupant.
C’est qu’il l’a vraiment fait, l’enfoiré.