Life note
Le soleil d’hiver traversait les vitraux colorés, projetant des éclats rouges et dorés sur le bois ancien du confessionnal. Le pasteur, les mains jointes, écoutait attentivement. Face à lui, la jeune femme s’exprimait d’une voix tremblante, entrecoupée de soupirs, comme si chaque mot la brûlait intérieurement.
Elle était d’une beauté troublante, presque irréelle, avec sa chevelure soyeuse d’un noir d’ébène qui tombait en cascade sur ses épaules. Son visage, finement dessiné, semblait avoir été sculpté avec une précision divine. Elle portait un manteau long en cachemire d’un bleu nuit, parfaitement ajusté, et une écharpe en soie crème qui soulignait la délicatesse de son cou. À ses doigts fins scintillaient des bagues discrètes mais visiblement coûteuses, et ses talons, presque silencieux sur le sol de pierre, dégageaient une aura de sophistication.
« Vous savez, j’ai essayé. Encore et encore. Mais il ne m’écoute pas, il ne me voit même plus. J’ai l’impression de parler à un mur, ou à un fantôme. »
Le pasteur hocha la tête, son regard pesant de gravité, mais au fond de ses prunelles brillait une ombre indéfinissable. Il attendit qu’elle termine avant de prendre la parole, avec une douceur presque inquiétante.
« Aiko… » murmura-t-il enfin, son ton teinté d’une familiarité troublante.
La jeune femme sursauta légèrement. Ce n’était pas la première fois qu’il prononçait son nom, mais cette fois, il y avait quelque chose de différent. Comme une corde qui résonnait dans l’air, tendue à l’extrême.
Elle croisa les bras, son regard se durcissant légèrement. Sa voix, auparavant vulnérable, semblait chargée d’un éclat froid.
« Il ne se contente pas de me blesser, Oga. Il raconte tout. Nos disputes, mes faiblesses… Il se confie à ce vieux couple qui tient le restaurant familial au coin de la rue. Vous les connaissez, n’est-ce pas ? Des gens qui se mêlent de tout. »
Le pasteur fronça les sourcils. Elle continua, et cette fois, quelque chose avait changé. Son ton était devenu plus incisif, presque menaçant, et un éclat dérangeant brillait dans ses yeux.
« Je ne tolérerai pas qu’il me fasse passer pour la fautive. Pas lui. Pas à eux. » Elle marqua une pause, le silence s’étirant comme une lame prête à couper. « Vous savez ce que c’est, Oga, n’est-ce pas ? De vouloir que quelqu’un se taise… pour de bon. »
Aiko fixa un instant la grille entre elle et le pasteur, son regard se durcissant encore. Elle inspira profondément avant de reprendre, sa voix plus basse, comme si elle s’adressait autant à elle-même qu’à lui.
« Vous savez, Oga, vous me rappelez tellement Ichiro. »
Le pasteur releva légèrement la tête à l’évocation du nom, mais il ne répondit rien, attendant qu’elle développe.
« Lui aussi avait ce côté rassurant, presque paternel. Toujours prêt à écouter, à apaiser. » Elle eut un rire bref, sans joie. « Mais vous savez quelle est la différence entre vous deux ? »
Elle marqua une pause, un sourire aiguisé se dessinant sur ses lèvres.
« Lui, il avait de l’ambition. Une vraie. Pas ce genre de rêves fades et intangibles que les gens utilisent pour masquer leur lâcheté. Non, Ichiro savait ce qu’il voulait, et il faisait tout pour l’obtenir. »
Son ton devint plus acéré, presque provocateur.
« Il était prêt à marcher sur les autres s’il le fallait. À prendre des risques. Et malgré tout, il n’avait jamais ce regard… vide. »
Elle fixa Oga avec insistance, comme si elle cherchait une réaction dans son expression, mais le pasteur resta impassible, ses mains toujours jointes.
« Vous, Oga… » Elle haussa légèrement les épaules, son regard se faisant presque méprisant. « Vous avez choisi d’être un spectateur. Vous vous cachez derrière votre foi, vos sermons. Mais au fond, vous n’êtes qu’un homme comme Ichiro… sauf que lui, au moins, il avait du courage. »
Le silence pesant qui suivit les paroles d’Aiko fut soudain troublé par un mouvement presque imperceptible. Une ombre se glissa dans le confessionnal, se faufilant avec une légèreté dérangeante. Oga sentit immédiatement sa présence avant même de la voir.
Dans la pénombre, juste derrière lui, Sidoh s’accroupit, ses yeux jaunes luisant doucement dans l’obscurité. Ses ailes repliées semblaient presque toucher les parois étroites, et son sourire carnassier s’élargit alors qu’il se penchait pour murmurer à l’oreille du pasteur.
« Le dévolu des femmes, Oga… » chuchota-t-il, sa voix rauque résonnant comme une menace voilée.
Oga resta immobile, les mains toujours jointes, mais son expression trahissait une tension croissante.
« L’humain est vraiment complexe, n’est-ce pas ? Même ceux qui prétendent s’opposer aux désirs des autres finissent toujours par être balayés par eux. »
Sidoh tourna la tête légèrement vers Aiko, qui continuait de parler, inconsciente de la présence du shinigami.
« Regarde-la. Elle parle d’ambition, de contrôle, d’un homme qu’elle méprise et d’un autre qu’elle admire. Mais au fond, elle est comme les autres. Prisonnière de ses envies, de sa colère, de ce besoin désespéré d’exister. »
Un sourire moqueur se dessina sur son visage osseux. Il se rapprocha encore d’Oga, sa voix devenant plus insistante.
« Et toi, tu es là, à l’écouter, à prétendre que ça ne te concerne pas. Mais crois-moi, son feu finira par te toucher aussi. Personne n’y échappe. Pas même toi, pasteur. »
Oga ferma les yeux un instant, cherchant à ignorer les mots de la créature, mais ils semblaient résonner en lui avec une clarté troublante. Pendant ce temps, Aiko poursuivait son discours, sa voix traversant la fine grille, son ton oscillant entre mépris et détresse.
Au même moment, dans la maison d’Ishiro :
Ichiro regardait Light, toujours un peu perplexe, tout en buvant son café. Il se leva lentement de la table, les coudes appuyés dessus, les mains enroulées autour de sa tasse. Il jeta un coup d’œil au jeune garçon qui semblait se fondre dans l’atmosphère simple de la petite maison. La pièce était modeste, au décor discret, avec des étagères en bois vieilli, un tapis usé par le temps et un vieux radiateur qui ronronnait doucement dans le coin. La lumière du matin filtrait à travers des rideaux légèrement transparents, illuminant la pièce avec une clarté douce et tamisée.
Sur la table, une tartine grillée, encore légèrement chaude, accompagnée d’un bol de café noir bien serré, fumaient tranquillement. Ichiro observa Light, assis là, absorbé dans sa routine matinale, sa façon calme de manger, un contraste frappant avec son âge apparent. Le garçon déchirait lentement son pain, les yeux presque figés sur le vide, comme s’il réfléchissait à quelque chose de profond.
Ichiro se permit un sourire en coin, amusé par la situation. “Alors, tu as quel âge, petit ? Je parie que t’as 13, 14 ans. À cet âge, tu bois déjà du café noir… Sacré bonhomme, tu es. J’aurais bien aimé avoir un fils comme toi, tu sais.” Sa voix était chaude, un peu moqueuse, mais on y sentait une certaine tendresse. Son regard, doux et curieux, se posa sur Light, attendant une réponse.
Light, sans se presser, leva les yeux vers lui. Un léger sourire s’esquissa sur ses lèvres, mais il n’y avait rien de particulièrement enfantin dans son expression. Ses gestes étaient maîtrisés, comme s’il agissait de manière instinctive, sans trop se laisser perturber par la conversation ou l’ambiance. Le silence régnait pendant quelques secondes, seulement brisé par le bruit de la cuillère qui cliquetait contre le bord du bol de café.
Ichiro attendait toujours une réaction. Finalement, il se remit à manger lentement, plongé dans ses pensées, tout en observant Light. Le garçon ne disait rien, mais il semblait réfléchir à tout, comme si chaque mot prononcé avait un poids plus lourd que la moyenne.
L’air de la maison, saturé de l’odeur du café, de la tartine grillée, et du calme matinal, donnait un aspect presque irréel à cet instant suspendu. Et tandis que Light continuait de manger en silence, Ichiro, lui, semblait attendre quelque chose qui, peut-être, n’arriverait jamais.
Ichiro se leva après un moment, son regard toujours posé sur Light. Il sembla réfléchir un instant avant de prendre une décision. Le jeune garçon ne disait toujours rien, mais Ichiro savait que quelque chose en lui, cette tranquillité étrange et cette maturité prématurée, nécessitait une attention particulière.
Ce n’était pas le genre de garçon à se laisser perdre dans les rues, et Ichiro ressentait qu’il avait un rôle à jouer, même si ce n’était qu’une aide temporaire.
“Écoute, petit,” commença Ichiro, sa voix devenant plus sérieuse. “Je vais m’absenter un moment. Je vais me renseigner auprès d’un orphelinat pour voir si on peut t’aider. Peut-être qu’ils pourront t’offrir un endroit où rester… un endroit plus sûr.” Il marqua une pause, observant Light qui, pour la première fois, leva légèrement la tête. “Tant que je suis pas là, tu peux rester chez moi. Si tu veux sortir ou si tu as besoin de quoi que ce soit, la clé est là.” Il s’approcha d’un petit meuble près de la porte et en sortit une clé simple, usée par le temps.
Il lui tendit la clé. “Si tu veux sortir, assure-toi de fermer le gaz, d’accord ? Et n’oublie pas de verrouiller la porte. Si tu as besoin de quelque chose, tu peux aller chez un vieux couple qui gère le petit restaurant de nouilles du coin. Ils m’ont toujours aidé quand j’avais besoin de quelques services. Leurs noms sont Sato et Keiko. Ils t’aideront si tu leur demandes.”
Ichiro se tourna vers la porte et laissa un moment de silence. Il ne savait pas si ce jeune garçon serait encore là à son retour, mais il voulait au moins lui donner une chance. Peut-être que quelqu’un pourrait le prendre en charge, ou peut-être qu’il finirait par s’en sortir seul. Mais, pour l’instant, Light avait un toit sous lequel dormir, même si cet instant de répit n’était que temporaire. Il s’arrêta un instant à la porte, se tournant une dernière fois vers lui.
“Je reviendrai dans quelques heures. Reste calme et ne fais pas de bêtises.” Un dernier regard vers Light, puis Ichiro sortit, laissant derrière lui une pièce silencieuse, emplie du doux parfum du café et de l’odeur du pain frais.
Light, qui avait observé l’homme se préparer à partir, prit un moment avant de se lever, regardant la clé dans sa main. Un sentiment d’incertitude traversa son esprit, mais il ne montra rien. Il savait que son destin était déjà en mouvement, peu importe où il allait ou ce qu’il ferait
Ichiro réouvrit doucement la porte, sa tête apparaissant à moitié, un sourire léger aux lèvres. Il sembla tout à coup se rappeler quelque chose d’important, comme un détail qu’il avait omis.
“Eh, au fait, c’est quoi ton nom déjà ?” demanda-t-il, une pointe de curiosité dans sa voix, mais toujours avec cette chaleur qui le rendait presque paternel.
Light, pris au dépourvu par cette question, s’arrêta un instant. Il savait que donner son vrai nom n’était pas une option. Alors, sans trop réfléchir, il se décida pour une réponse qui ne pourrait éveiller trop de suspicions.
“Tenshiko,” répondit-il calmement, tout en maintenant un air impassible. “Tenshiko Hayashi.”
Ichiro sembla satisfait, hochant la tête tout en souriant. “D’accord, Tenshiko. Fais comme chez toi. Je reviendrai dans quelques heures.” Puis, sans ajouter un mot de plus, il referma doucement la porte, laissant Light seul dans l’appartement. Le silence qui suivit sembla presque pesant, mais il avait la tranquillité d’un espace temporairement à l’abri du monde extérieur.
Ryuk, avec son sourire en coin et son regard impénétrable, observa la scène en silence. Du haut de sa silhouette imposante, il se tenait là, invisible aux yeux des humains, mais parfaitement à l’aise dans l’ombre. Tout ceci l’amusait, bien sûr. Un jeu, un test, une danse macabre entre deux êtres, chacun manœuvrant ses cartes de manière silencieuse, cachée derrière des masques soigneusement conçus.
Il laissa la porte se refermer sur Ichiro, s’assurant que le petit humain ne verrait pas les détails que l’ombre, lui, était prêt à observer.
Ah, Tenshiko, hein ? pensa-t-il, amusé par ce choix de nom. Pas mal. Une petite touche divine, peut-être pour se donner une certaine grandeur, mais Ryuk savait qu’au fond, ce nom ne changerait rien. Peu importe qui il prétendait être, ou qui il avait été. Tout finirait par redevenir un simple jeu de pouvoirs et de règles, une fois que les dés seraient jetés.
Ryuk s’avança doucement dans la pièce, observant le jeune homme qu’il suivait depuis un moment. Le regard de Light, ou plutôt de Tenshiko, trahissait une concentration étrange, comme s’il savait déjà que sa chance ne durerait pas éternellement.
Ce n’est qu’une question de temps…
Il regarda les gestes d’Ichiro à travers la porte entrebâillée, ce vieux type qui ne savait rien du fardeau qu’il venait de laisser entrer dans sa maison. Il ne savait pas que cet enfant, ce jeune homme, pouvait changer le monde avec un simple carnet. C’était fascinant, à quel point les humains pouvaient être naïfs parfois. Même ceux qui croyaient tout comprendre, qui pensaient maîtriser la situation.
“Ce pauvre Ichiro”, murmura Ryuk à lui-même avec un éclat dans la voix. “Il va bientôt comprendre que laisser entrer le Mal chez soi, c’est comme inviter un tsunami à prendre place dans son salon.”
Mais pour l’instant, Ryuk se contenta de regarder, un sourire carnassier sur les lèvres.
Light, assis dans le calme de la petite maison d’Ichiro, observa ses mains, les doigts entrelacés. Il n’avait pas parlé à haute voix, mais dans son esprit, le nom venait tout juste de surgir. Tenshiko. Un nom qui semblait simple, presque modeste, mais en réalité porteur d’un poids immense. Une décision consciente, mais aussi une sorte de déclaration.
Il se pencha légèrement en arrière, laissant ses pensées vagabonder.
“Pourquoi ce nom ?” pensa-t-il.
“Tenshiko,” murmura-t-il intérieurement. “C’est la justice divine, après tout. Un pouvoir transcendant, au-delà des simples hommes. C’est exactement ce que je suis devenu. Un juge, une force qui peut annihiler l’injustice, mais aussi imposer la sienne. Il y a quelque chose de divin, de supérieur dans cette capacité. La justice que je vais instaurer…”
Light tourna son regard vers la fenêtre, où les derniers rayons du soleil couchaient doucement sur le paysage. Il s’imaginait, lui, en tant que divinité, traçant son propre chemin, établissant de nouvelles règles pour un monde qu’il jugeait corrompu.
“Tenshiko”… Il comprenait la signification du nom. Pas seulement un simple choix. Pas juste un masque à porter. Il incarnait désormais ce nom. Une divinité bienveillante, mais impitoyable dans sa quête de purification. Il était celui qui déciderait qui vivrait, qui mourrait, selon ses critères de justice.
“Je suis plus que ce que les autres peuvent voir,” pensa Light, un léger sourire sur les lèvres. “Ce nom… c’est ma signature. Mon pouvoir. Ma mission.”
Il se leva lentement, se dirigeant vers la porte d’entrée, son regard fixé sur l’horizon. Il n’y a pas de retour en arrière.
Light s’installa confortablement dans un coin du restaurant des vieux gérants. L’endroit était chaleureux, une petite échappatoire de la réalité extérieure qui semblait de plus en plus pesante. Il prit une gorgée de café noir, le goût amer le frappant à chaque gorgée. Pendant ce temps, la télévision continuait à diffuser en boucle des informations sur l’affaire Kira, un sujet qui revenait sans cesse.
Un flash spécial attira son attention. La voix du présentateur, calme et posée, brisa le silence.
“Un triste événement a secoué le Japon ce matin. Le ministre de la santé, Takeshi Sato, est décédé des suites d’une maladie violente, incurable et mystérieuse. Son décès survient dans un contexte où la politique de santé publique est remise en question en raison des réductions des allocations de soins pour les personnes âgées. Bien que les autorités n’aient pas encore déterminé la cause exacte de cette maladie, certains experts suggèrent une forme de maladie extrêmement agressive, mais non identifiée.”
Light frissonna un instant, mais il resta implacable. La mort du ministre semblait être une pure coïncidence, mais à l’instant où il entendit le nom de Takeshi Sato, il savait ce qu’il avait à faire. C’était une victime de plus qu’il avait éliminée de la manière la plus propre et la plus discrète possible, sans jamais laisser de traces. Son nom s’ajoutait à la liste des injustices corrigées.
La voix du présentateur continua, et un autre fait fit surface, capturant l’attention de Light.
“Les forces de l’ordre, déjà ébranlées par la série de meurtres mystérieux, ont trouvé un lien entre le ministre de la santé et les enquêtes sur Kira. Certains experts estiment que Kira, qui a tué des policiers importants, aurait eu une implication indirecte avec le ministre, en raison de ses compétences en matière de gestion des crises sanitaires. Les deux figures auraient pu partager des liens professionnels, mais les détails restent flous. Quoi qu’il en soit, les réseaux sociaux, notamment TikTok, sont en effervescence, débattant si Kira est réellement un justicier, comme certains le prétendent, ou s’il s’agit d’un tueur en série sans scrupules.”
Light leva les yeux, écoutant attentivement. Les jeunes de ce monde commençaient à l’identifier comme un justicier, une figure de rédemption. Et cela l’amusait. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’était que la justice ne se résumait pas à une simple idée. Il la redéfinissait à sa manière. Ces réseaux sociaux étaient de simples échos de ce qu’il avait déjà mis en place.
Au moment où ses pensées s’attardaient sur cette vision de son propre rôle, la vieille dame, qui venait de déposer un encas devant lui, lui adressa un sourire.
“Tu dois être ce jeune garçon dont Ichiro m’a parlé. Il m’a dit qu’il t’a logé chez lui pendant quelques instants. Tu sais, tu peux rester autant que tu veux.”
Light la remercia d’un hochement de tête, mais avant qu’il ne puisse répondre, la vieille dame, un peu plus curieuse, lui lança une question.
“Dis-moi, jeune homme, tu crois que Kira est vraiment un justicier comme ils le disent à la télévision ?”
Light se figea, ses yeux s’écarquillant un instant. Personne n’avait jamais ouvertement remis en question sa vision des choses, à part les policiers et ceux qui étaient trop proches de l’enquête. Mais là, cette question perça la carapace de certitude dans laquelle il se sentait emprisonné. Il sentit une onde violente se répandre dans son corps. Comment osait-elle ? Ce n’était qu’une vieille dame, et pourtant, sa question le frappait plus fort que toutes les enquêtes policières qu’il avait défiées. Il se retrouva presque à s’étouffer dans sa réponse.
L’époux de la vieille dame remarqua sa gêne et se précipita pour lui apporter un verre d’eau. Light but avidement, reprenant son souffle, tout en se demandant pourquoi cette question, posée d’une manière aussi innocente, avait réussi à le perturber à ce point. Une critique, une remise en question de ce qu’il pensait être un fait inébranlable : la légitimité de sa justice.
Après quelques instants de silence, Light se redressa, son regard encore perturbé par ce qu’il venait de vivre. Puis, avec un calme feint, il murmura :
“Pourquoi Kira ne serait-il pas la justice, après tout ?”
La vieille dame, sans se douter de la véritable réponse que Light cherchait, répondit doucement, presque comme une réflexion.
“Eh bien, mon garçon, la justice, ce n’est pas seulement de punir ceux qui ne respectent pas les règles. Ce n’est pas juste de tuer ceux qui ne nous plaisent pas. La justice, c’est aussi de donner une chance à ceux qui veulent changer, à ceux qui peuvent encore se racheter. C’est plus complexe que ce que l’on veut nous faire croire. Kira, peut-être qu’il veut bien faire, mais parfois, il faut savoir regarder au-delà de ce qu’on voit en face de nous.”
Light fixa la vieille dame, déstabilisé par ses mots. Elle ne savait pas qui il était réellement. Elle ne savait pas ce qu’il avait accompli. Mais ces mots le perturbaient. Peut-être qu’il y avait une part de vérité dans ce qu’elle disait. Peut-être qu’il était trop près de son idéal pour voir ce qu’il avait fait.
Mais il garda son calme et répondit simplement :
“Je comprends.”
Il savait bien que cette conversation ne changerait rien à ce qu’il faisait. Mais quelque chose, dans la simplicité de cette vieille dame, l’avait fait réfléchir pour un instant.
La vieille dame fixa longuement une photo accrochée au mur, la main tremblante, avant de briser le silence qui s’était installé entre eux. Ses yeux se remplissaient de larmes, mais sa voix restait ferme, presque défiante face au destin qu’elle n’avait jamais pu accepter.
“Mon fils, Kaido…” dit-elle en désignant la photo du bout du doigt. “Il a été injustement condamné à mort par la justice japonaise. Ils l’ont fait souffrir, et au final, il est mort dans sa cellule d’une crise cardiaque. Mais je suis persuadée de son innocence. Il n’avait rien fait de mal, mais on l’a traité comme un monstre, comme tous ces criminels qu’ils veulent éliminer sans autre forme de procès.”
Son époux, bien que visiblement peiné, posa une main réconfortante sur son épaule. Il lui murmura des mots apaisants, mais la vieille dame resta figée, ses yeux fixés sur la photo de son fils. Les larmes coulaient doucement sur ses joues, mais elle n’essayait même pas de les essuyer.
Light, de son côté, n’avait jamais ressenti une telle intensité d’émotion à l’égard de quelqu’un d’autre. Bien sûr, il avait tué, il avait éliminé des obstacles pour instaurer sa vision de la justice. Mais face à cette mère qui pleurait son fils, il ressentit quelque chose de plus complexe, quelque chose qui n’avait rien à voir avec la soif de victoire ou de domination qui l’animait habituellement.
Il se rappela soudainement un souvenir, une image qui le fit frissonner. Le jour où L l’avait contraint à essuyer ses pieds avec une serviette, ce geste de soumission. Ce n’était pas quelque chose que Light avait fait de bon cœur. Il l’avait fait par défi, par calcul, mais à ce moment-là, il n’avait pas réalisé la profondeur de ce geste. Ce n’était pas un simple acte de soumission ; c’était une humiliation silencieuse. L, l’homme qui représentait l’opposé de sa vision, qui l’avait défié sans relâche, un véritable miroir de ce qu’il n’était pas.
Cette scène s’imposa à lui dans un tourbillon de pensées. Pourquoi cette image lui revenait-elle maintenant, alors qu’il était confronté à une douleur aussi brute, aussi humaine ? Il se revit, essuyant ses pieds avec une dignité brisée, un acte forcé par un homme qu’il considérait comme son ennemi. L n’avait pas seulement été un détective, il était un symbole d’un monde opposé à celui que Light cherchait à créer. Et pourtant, il avait essuyé ses pieds.
La vieille dame, toujours les yeux pleins de tristesse, se tourna vers lui, comme si elle attendait une réponse, un signe de compassion. Light garda le silence, ses pensées tourbillonnant dans sa tête. La vérité de ce qu’il faisait semblait se flouter sous la chaleur de cette douleur humaine qu’il n’avait jamais envisagée.
“Tu sais, mon garçon,” dit-elle d’une voix faible mais déterminée, “parfois, ceux que l’on considère comme innocents sont traités comme des criminels, et ceux qui font réellement le mal sont protégés par les systèmes que l’on met en place. La justice… Ce n’est pas aussi simple que de tuer ceux qu’on juge responsables. La vraie justice, c’est de chercher la vérité, même quand elle est cachée sous des couches d’apparences.”
Ses paroles résonnèrent dans l’esprit de Light comme un écho lointain, mais percutant. Il avait toujours agi dans le but de “purifier” le monde de ce qu’il jugeait mauvais. Mais il n’avait jamais pris le temps de considérer les ombres de cette justice. Il n’avait jamais vu les victimes collatérales des décisions qu’il prenait. Le regard de cette vieille dame, ses mots empreints de douleur et de foi, le firent vaciller, même si ce n’était que brièvement.
Il se leva silencieusement, ses pensées perturbées, et marcha jusqu’à la fenêtre pour observer l’extérieur, la ville qui continuait de tourner, implacable. Il ne pouvait pas se permettre de douter, mais l’idée d’une injustice comme celle qu’elle décrivait résonnait dans son esprit.
Il murmura, presque pour lui-même : “La justice… n’est peut-être pas aussi simple qu’on le croit.”
La vieille dame, sans savoir ce qui traversait l’esprit du jeune garçon, soupira profondément, comme si cette simple phrase avait fait écho à quelque chose de plus grand qu’elle-même.
“Je suis heureuse que tu comprennes, même un peu.”
Light tourna lentement la tête, mais son regard restait figé sur le monde extérieur. Il n’avait toujours pas trouvé de réponse, mais pour la première fois, il sentait que ses certitudes vacillaient.
Dans un temple japonais abandonné, enveloppé dans un silence presque surnaturel, un shinigami se tenait dans une pièce sombre, à l’abri des regards. La lumière perçait par les fissures du toit, projetant des ombres étranges sur les murs usés et l’effritement des statues qui reposaient là, témoins d’un passé révolu. Le shinigami, une silhouette élancée et inquiétante, tenait dans ses mains le Life Note volé.
Ce n’était pas un Death Note. Ce carnet était d’un blanc éclatant, mais il était tacheté de sang sec, les traces sombres et figées du précédent carnage. Le shinigami avait subtilisé le livre après l’enlèvement de Lucie et de son père adoptif Kollet. La violence de cet acte semblait maintenant se refléter sur ce carnet, marquant son passage dans le monde des humains.
Il s’assit sur le sol poussiéreux et, d’un geste soigneux, déplia les pages du Life Note. Ses yeux perçants observèrent le carnet avec un intérêt grandissant. Il savait que ce n’était pas un simple objet. Ce livre avait un pouvoir mystique, au-delà de tout ce qu’il avait connu jusqu’ici. Le shinigami prit une profonde inspiration et se mit à lire les règles inscrites au début du Life Note, imprimées en caractères presque irréels, comme gravées par une entité supérieure :
LIFE NOTE :
1. Dès lors que le LIFE NOTE tombe dans le monde des humains, celui qui s’en saisit devient capable de voir et d’entendre le dieu de la vie qui en est l’ancien propriétaire.
2. Celui qui fait usage de ce cahier ne va ni en enfer ni au paradis.
3. Il faut avoir en tête le visage de la personne dont on écrit le nom, sinon cela ne fonctionnera pas. Le nom écrit sera ressuscité. Cela se réalise.
4. Ressusciter une personne venant de mourir dans un délai ne dépassant pas 5 minutes après sa mort. L’esprit regagne le corps qu’il détenait dans son état original, cinq minutes avant sa mort.
5. Ressusciter une personne morte pendant plus de 5 minutes, l’âme du défunt hantera le possesseur du cahier jusqu’à ce que ce dernier prenne possession d’un corps récemment mort, dans un délai ne dépassant pas 5
minutes. L’entité doit être présente avec le possesseur du cahier lors de la mort de l’hôte dans le délai mentionné pour que la résurrection soit possible.
6. Même si une personne est arrivée à la fin de son espérance normale de vie, tant que son nom est écrit dans le Life Note, il vivra dans un délai limité donné par le possesseur du Life Note. À la suite du nom écrit à l’envers, si l’on écrit la cause de la mort dans un délai de 40 secondes dans le monde des humains, cela se réalise.
7. Si l’on n’écrit pas la cause de la mort, c’est systématiquement due à une crise cardiaque. Si l’on écrit la cause de la mort, on obtient alors un délai supplémentaire de 6 minutes et 40 secondes pour décrire précisément le déroulement de la mort.
Le shinigami fixa les règles un moment, son regard se durcissant. Il comprit alors que le Life Note possédait des pouvoirs bien plus grands que ceux du Death Note. Il n’était pas juste un outil de mort, il semblait pouvoir manipuler la vie elle-même. La possibilité de ressusciter des êtres morts, de rallonger la vie des autres, de tordre les destins. Ce carnet était bien plus qu’un simple instrument de justice ou de châtiment.
Un sourire froid apparut sur son visage alors qu’une idée germait dans son esprit. Si ce Life Note possédait un tel pouvoir, pourquoi ne pas s’en servir pour ses propres fins ? Pourquoi ne pas effacer Ryuk, le dieu de la mort, et s’emparer de ce pouvoir mystique pour lui seul ? Après tout, Ryuk n’était qu’une entité, un être tout à fait remplaçable. Le shinigami savait que dans ce temple abandonné, il pourrait éliminer le dieu et ainsi prendre possession de ce carnet inestimable, un artefact que personne d’autre n’avait jamais possédé.
Il se leva, son regard se durcissant, déterminé. Il saisit le Life Note d’une main ferme, ouvrit une nouvelle page, et écrivit un seul nom à l’envers: Ryuk.
“Je vais devenir celui qui détient véritablement la vie et la mort,” murmura-t-il, ses yeux s’illuminant d’une lueur perverse. “Ce pouvoir ne doit pas échapper à mes mains.”