ROPE AND ROGUE

Chapitre 7 : Chapitre 7 "M" pour le vocabulaire et les sous-entendus uniquement.

1748 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 24/05/2020 17:48

J’ai passé une excellente soirée. Je n’osais l’espérer. J’étais très curieux, oui, mais je n’en attendais pas autant.

Leonardo Vinci n’est pas l’être creux que j’avais cru au premier abord. Dans la conversation, il n’est jamais le héros de ses récits, tous les personnages et événements ne tendent pas à démonter combien il est génial. Bien sûr, li peut se montrer arrogant et très désinvolte, mais certaines causes lui tiennent à coeur et il cherche de quelle manière il pourrait dévoyer la course effrénée de la société vers le tout paraître et le tout acheter. 

Son enfance n’a pas été des plus heureuses, elle a été marquée, comme la mienne, par l’absence d’une mère. La sienne a disparu quand il était très petit, la mienne est morte sans que j’aie jamais eu la chance de la connaître — l’un des premiers coups tordus de mon père.

S’il s’est accroché à l’amitié d’un Tommaso Masini, qui pourrait le lui reprocher ? Pas moi, qui ai fait de même avec Caterina dès l’instant où nous nous sommes rencontrés pour nos fiançailles diplomatiques. Nous avions douze ans, notre mariage était déjà scellé.

Leonardo, à défaut de clairvoyance en ce qui concerne les réalités du quotidien, est très ouvert aux opinions des autres. Il ne semble rejeter d’emblée que la bêtise, mais veut bien écouter tout le reste. C’est quelque chose que je respecte, moi qui ai mes préjugés et mes blocages.

Quant à son comportement déplorable du premier jour où je l’ai vu, il l’explique un peu par le manque de respect de soi dont font preuve les garçons et les filles que Tommaso et lui vont "pêcher" en boîte, pour reprendre son expression.

Il trouve, et il peut-être raison, que je tombe dans l’excès inverse en idéalisant les gens. À ses yeux, j’accorde trop d’attention à l’honneur, à ce que les gens pourraient voir comme une insulte : « Ils ont de quoi se défendre, bon sang, Jerome, autant que vous et moi. Inutile de les traiter comme des princesses au petit pois. » dit-il.

Pour évoquer des choses plus prosaïques, le restaurant était bien tel que je me le rappelais : doucement luxueux, intime et accueillant. La nourriture et les vins au maximum de la qualité : des produits naturels, des épices et huiles importées d’Italie. C’était comme un rêve devenu réalité et Leonardo a confirmé cette évaluation.

Il voudrait que nous recommencions l’expérience, mais pour moi, une deuxième fois ressemblerait trop à un rendez-vous galant. Je ne veux pas de ce genre de relation entre nous. Malgré la beauté de son rire et de ses yeux émeraude, malgré l’énergie qu’il transmet, je ne suis pas prêt pour cela. Je ne veux aimer personne d’amour pour l’instant. Peut-être plus jamais d’ailleurs.

Nos devons nous revoir cette semaine encore pour la découverte personnalisée de son exposition et il viendra au Golden Cross un de ces soirs pour écouter ma bande de Weirdos.

Je suis heureux d’avoir lancé ce défi-restaurant. Je peux dire que nous sommes à présent pleinement réconciliés.

J’aimerais même que nous devenions amis.


***



Il faut que je note un max de choses, pour me rappeler cette soirée du quinze juillet.

Ce gars est un mystère sur pattes, Leo… Peut-être que tu oublieras ça, quand tu te reliras, mais je te jure, c’est ton impression aujourd’hui. C’est ça que je me suis dit, ébloui, à la fin de la soirée.

Tu l’imagines mal à l’aise dans un restaurant tel que le Guelfi ?

T’as tout faux, mon pote.

La classe et les bonnes manières semblent cousues sur lui, mais sans éclabousser tout le monde, en toute retenue.

Il m’a rappelé quels couverts utiliser, a choisi les vins sans l’ombre d’une hésitation en tenant compte de nos menus respectifs et le sommelier l’en a même félicité. Et tu sais sûrement que les sommeliers des restaurants de cet acabit n’ont pas la louange facile, loin s’en faut.

Cet homme n’est pas issu du monde dans lequel il vit maintenant, c’est certain. D’ailleurs, il l’a plus ou moins confirmé en laissant échapper quelque chose sur la villa de son père, à Rome. Les plombiers n’ont pas de villa à Rome, Leo, rappelle-toi ça, si jamais tu t’es laissé endormir par ta fortune au moment où tu te relis.

Mais au-delà, bien au-delà, de son élégance naturelle et des yeux dans lesquels j’aimerais me perdre pour du bon — merde, il est tout entier attirant à crever ! — au-delà de sa voix hypnotisante, que je me prendrais bien à vénérer même s’il ne l’utilisait que pour m’insulter, au-delà de tout ça, il y a la réflexion posée et clairvoyante d’un homme que la vie malmène, mais encore doté de suffisamment d’empathie pour enfiler la peau des autres.

Il est timide, mais sa fierté peut le rendre arrogant, j’en ai fait l’expérience. Il cite — oh, oui ! Encore. Encore ! s'il vous plaît ! — il cite Dante comme si c’était un pote à lui et je parie qu’il connaît tous les foutus numéros des sonates et des concertos de Mozart. Bon, d’accord, il aime le groupe Queen, mais nul ne viendra se plaindre d’une petite faille dans un chef-d’oeuvre colossal, hein ?

Co-los-sal !

Je suis fou de cet homme et Tom s’en est rendu compte cette nuit. Ça m’a valu un furieux : « va baiser ton charbonnier, la prochaine fois ! » Ben oui, hein, j’étais chaud comme la braise après avoir cassé la croûte avec un dieu !

Mais mon beau prince caché restera à jamais distant, je ne me fais pas d’illusion là-dessus.

Si nous pouvions au moins rester amis !

Je m’aime plus, depuis hier, il me semble que j’ai gagné en matière, en profondeur. Je me sens vraiment très différent du nous d’avant-hier, Leo. Tu ne peux pas savoir à quel point je me sens privilégié de pouvoir apprendre à le connaître… À moins que tu ne t’en souviennes, espèce de vieille baderne ?

Prochaine rencontre dès ce soir. Je ne peux pas attendre. Je lui ai dit que j’irais écouter les Weirdos au Golden Cross et ce sera ce soir. Peut-être même le soir d’après encore…

J’espère de tout coeur que tu sais encore ce que ça fait d’être amoureux.


***


Jerome avait été appelé au bureau du chef du personnel et se tenait là, dans la puanteur du cigare, devant son bureau hyper-moderne et luxueux en se demandant comment diable les nouvelles pouvaient circuler aussi vite dans une ville comme Londres.

L’homme l’avait invité à entrer d’un « Entrez, Riario ! » de caporal chef, rageur et glacial et, sans prendre la peine de répondre à son bonjour, avait attaqué : « Notre personnel et nos ouvriers ne sont censés se faire remarquer d’aucune manière. Vous avez signé ce contrat d’embauche, oui ou non ?

— Je ne comprends pas… en quoi me suis-je fait remarquer ? demanda Jem.

L’homme déplia son journal et lui mit une photo sous le nez : 

— Dites-moi que ce n’est pas vous, là, dans ce restaurant luxueux, avec l’artiste du moment.

(Ce n’est pas vrai ! Enfin, quel intérêt peut-on voir à publier une chose aussi banale ?)

— Oui, c’est bien moi, mais je ne vois pas…

— Avez-vous perdu le sens des réalités, imbécile ? Vous connaissez les moeurs de Vinci, vous savez dans quel monde il vit — le luxe, la banque, les arts… Dites-moi ce qu’un type comme vous, qui manutentionne des putains de sacs de charbon, ferait à la table d’un Vinci, sinon… enfin, vous n’êtes pas con au point de ne pas vous douter des conclusions que tout le monde en tire.

Jerome rougit, serra les poings :

— Je me fous de ce que tout le monde en déduit. C’était un souper amical, entre personnes qui avaient un problème à régler dans la discrétion supposée d’un lieu tel que celui-là. 

— Ouais, ben, pour la discrétion, avouez que vous vous êtes gouré, hein ! Et n’essayez pas de me faire prendre des vessies pour des lanternes : on sait pourquoi les gens fortunés sortent des gars tels que vous.

— Pourriez-vous être plus clair, avant que je vous mette le poing dans la figure ? Je ne voudrais pas me tromper.

L’homme éclata de rire.

— Oh, mais oui, si ça peut vous aider ! Je présume que de passer par le lit d’un mec aussi fortuné doit vachement arrondir les fins de…

Il n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase. Jem bondit par-dessus le bureau et lui cassa le nez d’un coup de poing.

Puis, sans rien ajouter, il sortit du bureau… Pour se faire arrêter à l’entrée de l’immeuble par les gars de la sécurité. La police fut sur place en un rien de temps et Jem au commissariat en une demi-heure, tentant d’expliquer qu’à un certain degré, face à des abrutis, les mots ne suffisent plus à contrer l’insulte.

Il dut, pour sa défense, fournir les noms de témoins de moralité.

Il n’en avait pas envie, pas envie d’entrer dans ce jeu, mais il ne voulait pas non plus passer une seule heure en cellule et ainsi faire plaisir à ce salopard de manager. Il donna les noms de quelques-uns des Mourning Birds.

Il fut libéré deux heures plus tard et s’en tira avec une forte amende et, bien entendu, une confirmation de son licenciement.

Qu’à cela ne tienne. Il retrouverait un autre travail et adapterait son budget en fonction de l’amende à payer.

Mais il était libre.


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