ROPE AND ROGUE

Chapitre 8

1804 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/05/2020 02:38

Vanessa et Nico n’avaient pas vu Leonardo depuis une semaine. Les deux jeunes gens étaient restés en contact, car Leo les aimait bien. il les sentait proches et ils lui offraient en outre une passerelle précieuse vers le monde des étudiants. Il avait un projet qui lui tournait sans cesse en tête à un stade embryonnaire, pas encore assez précis pour le lancer, mais dans lequel des jeunes pourraient le guider.

Vers six heures trente, ce soir-là, ils frappèrent à la porte de l’appartement après que Tommaso eut assuré le gardien qu’ils étaient bel et bien les bienvenus.

Depuis ce matin, les ordres étaient plus stricts : aucun étranger. Car les journalistes avaient de multiples tours dans leur sac pour s’infiltrer partout, Tom le savait depuis longtemps.

Les photos de la « nouvelle conquête » de Leo les avaient mis en appétit.

Quant à lui, son humeur flottait entre le maussade et le furieux depuis la veille, depuis le vernissage. Que ce moins-que-rien se paye l’audace de se faire inviter dans un restaurant tel que le “Guelfi e Ghibellini“ avait planté un clou que Leonardo, en revenant tout chamboulé, avait enfoncé.

« Il ne devrait pas tarder, dit-il aux jeunes, sans un bonjour, asseyez-vous où vous voulez. »

Vanessa et Nico se regardèrent, hésitants, refroidis par cet accueil. D’ordinaire, Tom se montrait bienveillant et aimait à les taquiner, amical et drôle, mais là, ses épais sourcils se rejoignaient dans une expression que n’aurait pas reniée Barbe Bleue.

Pour vaincre son malaise, Vanessa se saisit d’un journal qui traînait sur la table basse devant laquelle ils s’étaient assis et c’est là qu’elle comprit. Elle le passa pourtant discrètement à Nico, mais Tom capta le mouvement du coin de l’oeil : « Vous l’avez déjà vu, ce gars-là ? demanda-t-il. Je veux dire… avec Leo.

Nico y regarda de plus près :

— N… Non. Et toi, Nessa ?

— Non plus, dit-elle.

— Je crois qu’il pourrait projeter de fait chanter Leo ou quelque chose dans le genre… Lui, il ne se méfie pas mais moi, je sens l’embrouille.

— Oh ! C’est honteux ! dit la jeune fille.

— Qu’est-ce qui est honteux, Nessa ? fit une voix, de derrière le sofa où ils étaient assis.

— Ah ! Leo ! dit Nico.

Pour ne pas mettre Tom dans l’embarras, elle mentit :

— Que des journalistes se revendent bien cher des photos volées. Je ne pensais pas qu’on en était arrivé là, tout de même !

Elle aurait pu convaincre n’importe qui, mais pas le peintre, qui avait vu l’ombre de la gêne dans le regard de son compagnon.

— Oui. Hélas, certains voient le scandale partout. On n’a même plus le droit de se faire de nouveaux amis, on leur appartient… Mais, vous savez quoi ? on ne va pas leur faire le plaisir de s’en inquiéter, dit-il en claquant des mains : je vous emmène écouter un petit groupe en ville. Ça vous tente ?

— Plutôt deux fois qu’une ! s’exclama Nico, déjà debout, heureux de sortir de cette impasse où il s’était senti piégé. Il tirait sur les pans de sa chemise cintrée, désireux de partir au plus vite.

— C’est un groupe que tu connais ? demanda la jeune fille en se levant elle aussi.

— Non, je vais les découvrir ce soir, en même temps que vous. Si j’ai bien compris, ils jouent du folk et un peu de rock.

— Je viens avec vous ! dit Tom.

(OK. Ça te promet encore de l’animation, Leo : il va péter un câble, c’est sûr !)

— OK. Autant se mettre en route tout de suite, avant le rush du souper… Le pub n’est pas loin de Piccadilly, il pourrait bien y avoir beaucoup de touristes…

— Oh ! C’est un petit groupe alors ! dit Tom.

— Oui, ils débutent, je crois.

— Et comment est-ce que tu en as entendu parler ?

— C’est Lady Clarice qui m’a dit hier que Jerome et un autre de leurs amis en faisaient partie..

Tom croisa les bras sur son torse généreux :

— Ah! Je vois : le fameux Jerome !

Nico et Nessa échangèrent un regard. Ils n’avaient peut-être pas encore évité la scène de ménage, après tout.

— Oui. Le fameux Jerome, dit Leo, avec un regard de défi. Alors, tu restes ?

— Alors, je viens. Pas de chance, dit Tom en saisissant sa veste.

Leo haussa les épaules et, tout emballé par la perspective de revoir Jem, fit une pirouette avant de leur tenir la porte ouverte :

— Mademoiselle et messieurs, passez les premiers ! »


***


Laura Cereta voyait bien que Jerome était distrait. Elle était venue soutenir Raoul et Jem avec deux autres Mouning Birds : Clarice et Nelly, la dame âgée qui était en passe de devenir la plus fervente groupie des Weirdos.

Comme tout le monde, ou presque, en Angleterre, elle avait vu les photos du journal — il suffisait de passer devant un kiosque à journaux pour les voir, étalées comme le scoop du siècle à côté des corps décharnés de la famine au Cambodge et des astronautes souriants de la première mission spatiale conjointe entre l’URSS et les USA.

En outre, elle avait été de ceux qui avaient servi de témoins de moralité pour arracher Jem au bureau de police.

« Tu vas retrouver du travail, dit-elle en lui passant le cendrier qui était de son côté de la table.

— Je sais… Je me demande juste ce que ce sera cette fois.

— Pourquoi ne pas chercher quelque chose à ta hauteur, Jem ? Je ne méprise pas, loin de là, les jobs que tu as eus jusqu’à présent, ils sont très utiles et honorables, mais ils sont bien trop fatigants et bien peu enrichissants intellectuellement.

— Je n’ai aucun diplôme, Laura. Jusqu’à vingt-neuf ans, j’ai juste été membre d’une garde privée de mon père. Je sais me battre, ça, c’est sûr, mais c’est tout ce que j’ai comme formation reconnue. Ça pourrait valoir quelque chose à l’armée, mais je ne veux pas intégrer l’armée. Jamais. D’ailleurs, la question du travail ne m’inquiète pas vraiment, tu sais, je suis juste fâché contre ce salaud de manager de la E.C.C. et contre le journaliste qui a publié ces photos.

— Je peux comprendre que tu ne décolères pas, crois-moi.

Clarice revint du bar avec une pinte de cidre et s’assit face à Jem : 

— J’adore cette chanson qu’ils passent en ce moment, dit-elle.

— “I’m Not In Love“. 10 CC, dit Jem. Ce sera le slow de l’été, on l’entend partout.

— Je ne savais pas que vous connaissiez Leo, sourit-elle, j’ai été heureusement surprise de vous voir au vernissage.

— Je ne le connais pas vraiment. Nous avons discuté sérieusement pour la première fois hier.

— Il m’a raconté votre toute première rencontre ce matin. Je l’ai croisé au rez-de-chaussée de la tour Vinci en me rendant à la banque. Son père n’a guère apprécié la publicité faite dans le journal, mais Leo semble…. Je dirais emballé.

— Je pense qu’il l’est rapidement, je me trompe ? sourit Jem.

— On le serait à moins, jeune homme ! Elle posa une main sur son bras, il rougit. Ah ! voici notre Raoul et ses Weirdos !

— Temps de gagner notre petit espace… J’ai intérêt à prendre un citron pressé chaud, après toutes les cigarettes de cette journée ! dit-il en se levant.

— N’oublie pas ma chanson, Jem ! réclama Nelly.

— “The Boxer“ fait partie de celles qu’on interprète toujours maintenant, tu le sais bien ! » Il lui fit un clin d’oeil, elle l’embrassa du bout des doigts.


***


À la fin de leur première chanson, une création du groupe en l’honneur de Max, leur chanteur décédé, Vanessa, qui avait écouté bouche bée, ne put retenir son admiration : « Ce gars est une bombe nucléaire ! 

Ce qui lui valut deux regards meurtriers : de Tom et de Nico.

— Il n’a pas une laide voix, tempéra ce dernier, de très mauvaise foi.

— Tu rigoles, hein ? dit Leo.

— Non, il ne pourrait pas rivaliser avec d’autres : il a un grain intéressant, mais pas la puissance, pas le coffre.

— Tu n’en sais rien, et moi non plus, protesta Leo, c’était une ballade, ça ne se gueule pas comme un rock ou un jazz !

Raoul s’avança au micro :

— Pour rester dans le domaine de l’amitié, ce sera “With A Little Help From My Friends“, dédicacé à notre bande d’amis, annonça-t-il, avec un signe de la main à la table de Laura et des autres Mourning Birds. Hey ! Serena ! Alors tu as pu venir aussi ? »

Les synthés attaquèrent l’intro, puis “zang !“, Raoul entra dans la danse avec sa guitare. Les clients du pub crièrent et levèrent les bras… C’était le premier test à passer sur cette reprise : comme toujours, Jimmy Page avait placé la barre si haut à l’enregistrement en studio qu’on était aisément déçu de toute autre interprétation. Pas en l’occurence. Raoul y avait travaillé assez dur.

Le deuxième test était pour Jem. Il devait trouver la concentration requise pour trouver en lui-même la même intensité que Joe Cocker ressentait et communiquait dès les premières notes. Autant dire, une transe. Après les premières paroles — What would you do if I sang out of tune — on devait déjà être pris, emporté par la ferveur du chanteur.

Jem fermait les yeux, les mains autour du micro : "What would you do if I sang out of tune, would you stand up and walk out on me ?“…

Puis tout allait crescendo et il s’anima.

Au terme du deuxième refrain, les clients s’étaient levés pour chanter les choeurs. À la fin, ils étaient déchaînés.

« Pas de coffre, hein ? cria Leonardo à l’oreille de Nico, fou de joie, les yeux humides. Quelle victoire !

— Wow ! Juste, WOW ! » fit Nico.

Tom, debout sur sa chaise, sifflait avec les doigts et applaudissait tour à tour en criant.

« C’est comme ça tous les soirs, maintenant, dit le barman à un gars qui commandait deux Bitters, y’en a même qui écoutent du trottoir, regardez ! »

Et le concert ne faisait que commencer.


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