Crash Bandicoot : Le Berceau du Bien et du Mal

Chapitre 3 : Relations Interdites

6170 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 15/05/2024 12:03

Avant qu’ils deviennent les acteurs de la lutte ancestrale du Bien et du Mal, avant que le destin choisisse de les mettre au devant de la scène, ils étaient humains. Ils menaient une existence banale, baignée d’amour et de haine. Les liens qui les unissent ne se rompront jamais parce qu’ils s’aiment et se haïssent trop pour ça. La vie de deux jumeaux Aku Aku et Uka Uka ainsi que leur petite sœur dans son plus simple appareil.


CRASH BANDICOOT : L'EQUILIBRE

Seconde Partie : les préquelles


Crash Bandicoot : Le berceau du Bien et du Mal


Chapitre 3 : Relations interdites



Aku Aku regarda le ciel se déteindre et passer d’un bleu nuit à un bleu plus clair. Bientôt l’aube se lèverait et le village avec lui. Après avoir fait un tour d’horizon avec ses jumelles, il baissa pour la énième fois la tête afin de contempler Paro. La jeune fille n’avait pas résisté à la fatigue et s’était endormie dans la tour de guet. Il détailla la perfection des traits de son visage pâle, de ses longs cils noirs et de sa bouche rosée. Il fut prit de l’envie de goûter au parfum de ces dernières et en rougit subitement. Il détourna la tête et roula des yeux, exaspéré par sa timidité et sa pudeur. Il n’avait rien fait de mal, et il était temps qu’il arrête d’être gêné pour des broutilles.


     Il se retourna quand il entendit quelqu’un monter et s’approcha pour vérifier l’identité de l’inconnu. Il salua d’un signe de tête, son interlocuteur d’hier et s’étonna de sa visite.


- Vous êtes de nouveau de garde ?

- Non, Aku Aku. Je viens plutôt pour t’éviter des ennuis.

- Comment ça ?

- Tu risques d’avoir des problèmes si on apprend que tu as passé la nuit avec notre princesse. Notre chef ne t’en voudra pas, il t’enseigne la magie après tout, mais il est préférable d’éviter de faire circuler les rumeurs. Je viens chercher notre princesse.

- Bien entendu. Je vais la réveiller.

- Fais donc. Je l’attendrais en bas… Aku Aku ? Ca ne me regarde pas, mais… il est également préférable que tu ne t’attaches pas à notre princesse. Tu connais son avenir. Il ne pourra pas rejoindre le tien.

- Oui, je sais. Merci Arka…


     Aku Aku se retourna et se dirigea vers Paro. Il la secoua doucement en l’interpellant. Elle cligna des yeux et dirigea son regard chocolat sur le jeune homme. Elle sourit doucement et se redressa en étirant ses membres ankylosés par la position précaire dans laquelle elle avait dormi. Aku Aku ne put s’empêcher d’admirer sa belle silhouette pendant son étirement. Il sortit de sa brève rêverie et lui dit doucement :


- Il est préférable que tu rentres avant que le village ne se réveille.

- Oui, je suppose que tu as raison… Dis-moi Aku, est-ce qu’on se reverra ?

- Ce n’est pas correct. Tu es une princesse et…

- Est-ce pour cela que tu m’évites depuis des années ? Je me souviens que cela ne te posait nullement de problèmes quand nous étions enfants.

- Tu as ta réponse Paro, nous étions enfants, innocents…

- Alors je préférais quand tu étais innocent.

- Ecoutes Paro… Ce n’est pas contre toi, mais… enfin ton statut social.

- Alors je vais dire la même chose que j’ai dite à Oni Oni : « Avant notre statut, Aku Aku, il y a notre amitié ». Ne l’oublie pas. Peu importe que je sois princesse ou villageoise, mes sentiments pour toi ne sont pas différents.

- Paro…

- Cela dit Aku, apprécies-tu de te mentir à toi-même ?

- Comment cela ?

- Ta bouche dit ne pas vouloir me revoir, mais tes yeux me disent le contraire. Quoiqu’il en soit, je te remercie beaucoup pour la soirée. Je me suis bien amusée… Passe une bonne journée, Aku.

- Toi aussi, Paro…


     Elle se leva et descendit de l’échelle sous l’œil bienveillant d’Aku Aku qui accompagna sa descente en lui tenant la main. Arka la salua avec respect et ensembles partirent vers le village. Aku Aku lâcha un soupir à fendre l’âme et continua sa tâche sans grande motivation jusqu’à ce qu’un homme vienne le remplacer.


     Là, il put rentrer chez lui avec les premières lueurs de l’aube. Il étouffa un bâillement et salua son père qui sortait de chez eux pour travailler. Il entra dans la hutte, l’air morose, et ne trouva trace que de sa génitrice. Les paillasses de sa sœur et de son frère étaient vides et il en fut étonné. Mais très vite le sommeil le rattrapa et il décida de se questionner plus tard. Il se dirigea vers sa couche et s’y allongea, soulagé de plonger dans un sommeil où il oublierait tout, y compris sa tristesse.


***


     Ce fut un bruit répétitif et agaçant qui sortit Aku Aku de son sommeil réparateur et réconfortant. Il émit un son proche du grognement et ouvrit ses yeux ambres en grimaçant, avant de parcourir la pièce d’un regard inquisiteur.


- J’espère pour toi, mon cher frère, que tu as fait de beaux rêves parce que la réalité est loin d’en être un.

- Je dois interpréter cela comment Uka Uka ? rétorqua Aku Aku de mauvaise humeur.


     Les regards des deux jumeaux se croisèrent. Aku Aku fronça les sourcils en voyant son frère esquisser un sourire énigmatique avant de retourner à son occupation, qui était d’affuter la lame de sa lance. Non seulement il était réveillé par une activité qui aurait pu se faire à l’extérieur mais en plus son frère jouait avec lui dès son réveil. De quoi mettre d’humeur exécrable n’importe qui !


- Interprète-le comme tu veux.

- Et par hasard, tu n’aurais pas pu affuter ta lance dehors ?

- Tu as assez dormi comme ça.

- Mon quota de sommeil n’est pas du même avis que toi. Où est Oni Oni ?

- En quoi cela t’intéresse-t-il ?

- Sans doute parce qu’elle est ma sœur.

- Notre sœur, corrigea-t-il sur un ton autoritaire.

- Comme si tu te souciais du lien qui t’unit à elle !

- Oh mais je m’en soucis bien plus que toi.

- Balivernes !

- Tu sais Aku Aku, avec le temps j’ai pu remarquer une chose à ton sujet…

- Il me tarde de l’entendre, ironisa Aku Aku en se levant de sa paillasse.

- Tu n’es pas si différent de moi dans le fond. Sauf que moi j’assume ma personnalité.

- Question humour noir tu fais des progrès. Mais j’aimerais bien savoir ce qui t’a conduit à faire cette charmante blague.

- C’est loin d’être une farce ! C’est la triste réalité, j’en ai peur. Enfin pour toi.

- Cesses de tourner autour du pot et dis-moi ce qui te passe par la tête !

- Prenons l’exemple de notre sœur : combien de fois lui as-tu répété que ma compagnie n’était pas bonne pour elle ? Combien de fois m’as-tu dit que je ne savais pas l’aimer et être un frère responsable ? Et pourtant, ironie du sort, c’est au moment où elle a le plus besoin d’un frère que tu es étrangement absent.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?

- Où étais-tu cette nuit quand Oni Oni a failli être souillée par le déshonneur ? En train de t’enticher de notre princesse ? J’espère que tu as pris du bon temps au moins !

- Surveilles tes mots, Uka ! Notre princesse est loin d’être une catin !!

- Quel lapsus révélateur, cher frère. Je te parle de l’agression de notre sœur tout en injuriant Paro en même temps, et tu te soucis plus de notre princesse. Ca en dit long sur ton amour fraternel et ta responsabilité de grand frère.

- Oni a été agressée ?! Que lui est-il arrivé ?

- Je viens de te le dire : elle a failli être déshonorée !

- Il y a tellement de façon d’être déshonoré !

- De la seule façon dont une femme peut le ressentir.


     Aku Aku ouvrit la bouche, interloqué. Il la referma et baissa ses yeux encore écarquillés en digérant difficilement la nouvelle. Il avait toujours veillé sur sa cadette depuis leur plus tendre enfance. Il avait baissé sa garde une nuit et voilà qu’elle a failli subir l’un des plus terribles tourments : le viol. Il avait toujours pensé que la menace la plus imminente pour elle était Uka Uka. Quel danger n’avait-il pas vu venir ? Quel odieux personnage en avait voulu à la vertu de sa sœur ?


- Que s’est-il passé ?

- Tu m’excuseras mais j’ai promis à notre précieuse sœur de ne rien te dire sur les événements de cette nuit.

- Comme si cette promesse avait de l’importance à tes yeux ! Tu as commencé à me dire la vérité pourquoi ne pas la terminer ?

- Tu te trompes, mon frère. Je t’ai dit ta vérité : celle du menteur que tu es.


     Aku Aku accusa le coup difficilement. Il serra les poings de rage et essaya de se raisonner. Uka Uka le provoquait ouvertement, il n’attendait que ça de se battre et il ne pouvait pas lui faire cette faveur.


- Où est-elle ? demanda Aku d’une voix éteinte.

- A la cueillette.


     Uka Uka jeta un regard en coin à son jumeau qui sortit d’une démarche rapide hors de la hutte. Il finit par lâcher un rire sadique, trop satisfait de la victoire morale qu’il avait eu sur son frère. Avec un coup pareil, Aku Aku mettrait du temps à se relever. Et c’était loin d’être terminé…


***


     Aku Aku inspecta tous les endroits où Oni Oni était susceptible de mener à bien son activité. Il la trouva avec Paro au bout du troisième lieu de cueillette. Elles menaient activement une conversation tout en ramassant divers fruits. Le jeune homme inspira une bonne goulée d’air et s’avança vers elles. Oni Oni fut la première à l’apercevoir et son visage se ferma. En voyant son changement d’attitude, Paro se tourna pour suivre son regard et vit alors le frère de son amie. Elle détourna le visage en affichant une mine triste. Etait-elle au courant elle aussi ? Pourquoi Oni Oni le mettait-il autant à l’écart de ce drame ?

     Les lèvres de Paro bougèrent sans qu’il puisse entendre ce qu’elle dit, et Oni Oni vint vers lui quelques secondes après.

     Ils s’arrêtèrent l’un en face de l’autre, et se dévisagèrent ne sachant quoi se dire pour entamer une conversation, qu’ils savaient loin d’être joyeuse.


- A te voir, j’en conclus qu’Uka n’a pas tenu sa langue.

- En effet, répondit-il d’une voix rauque.

- J’espère que tu seras le seul à qui il en parle.

- Il m’a juste dit qu’on a voulu te faire du mal. Que s’est-il passé, petite sœur ?

- J’ai été insolente avec le Seigneur Py-Ro.

- Oni…

- Je discutais avec Paro et j’ai dit que leur bénédiction ne servait à rien. Je ne savais pas mais il était là et il a tout entendu. Alors… alors pour me punir… il a voulu…


     Elle ne put terminer sa phrase qu’elle éclata en sanglot. Aku Aku tout aussi touché par sa détresse, l’enlaça pour partager sa peine et l’apaiser.


- J’ai refusé… Je ne voulais pas ! Mais il m’a menacée moi et ma famille. Je ne pouvais pas vous impliquer là-dedans, tu comprends ? Alors j’ai fini par accepter mon châtiment. J’ai fait en sorte que tu restes avec Paro, et j’ai faussé compagnie à Uka Uka. S’il n’était pas arrivé à temps, Seigneur Py-Ro m’aurait…


     Sa voix se perdit dans un nouveau sanglot plus violent que les précédents. Les images de l’acte infâme qui aurait pu se produire sans l’intervention de son frère tournoyèrent dans sa tête.


- Qu’a fait Uka ?

- Je ne sais pas… Il m’a juste dit que je n’avais plus rien à craindre.

- Il n’a pas enfreint la loi et tué un Seigneur Elémentaire ?

- Je ne pense pas…

- Il faut que tu te méfies, Oni.

- Du Seigneur Py-Ro ?

- Oui, mais d’Uka Uka aussi.

- Mais pourquoi ? demanda-t-elle en se décollant de lui et en le regardant avec incompréhension.

- Uka Uka ne fait jamais quelque chose sans que ça lui apporte du bénéfice.

- Quoi ? Il… il m’a sauvé et c’est tout ce que tu trouves à dire ? Le blâmer ? Ta jalousie et ta rivalité ont-elles altérés ton sens de la justice et de l’honneur ?

- Oni Oni… ce matin, Uka Uka m’a nargué en me disant que je n’ai pas fait attention à toi !

- Est-ce un changement qui devrait m’inquiéter ? Il a toujours été comme ça à ce que je sache. Surtout avec toi !

- Tu ne comprends pas Oni ! C’est… c’est un sentiment que j’ai. Il ne veut pas ton bien. Il veut te perdre !

- Comment peux-tu dire une telle chose ? C’est vrai qu’Uka Uka n’a pas toujours été doux et gentil avec moi, mais jamais il n’a levé la main sur moi ! Tu me déçois beaucoup Aku !

- Je te déçois ?!

- Oui… Je ne peux pas t’en vouloir de ne pas avoir vu ma détresse hier alors que tu devines tout de moi… Mais ça me fait mal ! Et maintenant, tu dénigres la bonne action de notre frère ? Où étais-tu quand le Seigneur Elémentaire me tourmentait ? Que faisais-tu quand il posait ses mains sales sur moi ? Tu n’étais pas là… Tu ne m’as pas protégée comme tu l’avais promis. Et tu veux que je me détourne de celui qui a défendu ma vertu ? Je ne te reconnais plus Aku Aku, et il est hors de question que je fasse du mal à Uka Uka !!

- Oni Oni !


     Mais elle fit volte face après avoir foudroyé son frère du regard. Aku Aku ne chercha pas à la rattraper. Il savait que ça ne servirait à rien d’insister, car sa sœur était trop aveuglée par la colère et le chagrin. Il ne lui en voulait pas. Il s’en voulait à lui. Comment avait-il pu ne pas voir la peine de sa cadette ? Lui qui voyait, qui lisait en elle comme dans un livre ouvert. Il était jaloux d’Uka Uka : qui avait tout vu, tout compris et qui avait eu le courage de s’opposer à un Elémentaire. Est-ce qu’il aurait pu en faire de même ? L’idée d’abandonner Oni Oni, de la laisser se salir par Py-Ro le répugnait, lui était insoutenable, mais est-ce que ce sentiment aurait été suffisant pour le pousser à la sauver ? Il ne savait pas… Il se sentait si faible, si incapable…

     Une main se posa sur son bras. Il détourna ses yeux embués de larmes et rencontra le regard chocolat de Paro qui le dévisageait avec inquiétude. Elle posa son panier de fruit sur la tête à côté d’un autre qui jonchait le sol. Sûrement celui de sa sœur.


- Tu n’as pas à te sentir coupable.

- Même si j’avais été là, je n’aurais pas eu la force de la sortir des griffes de ce sorcier.

- Ne sous-estime pas la puissance de ton amour pour tes proches. Il y a des sentiments qui donnent des forces insoupçonnées.

- Qu’en sais-tu ?

- Parce que je le vis. Tu t’es disputé avec Oni ? demanda-t-elle sans lui laisser le temps de l’interroger.

- Elle m’en veut de ne pas avoir vu son tourment et de ne pas l’avoir protégée.

- C’est un sentiment compréhensible qui s’effacera avec le temps.

- Elle me reproche de ne pas juger Uka Uka comme il se doit.

- Quel est ton jugement ?

- Uka Uka a sauvé Oni Oni pour une raison particulière qui n’a rien à voir avec l’amour. C’est purement égoïste et son action le servira tôt ou tard. Elle lui apportera quelque chose qui l’intéresse. C’est un puissant sentiment que j’ai au fond de moi.

- Je ne connais pas vraiment Uka Uka alors je ne pourrais pas te dire si tu as tort ou raison. Mais n’oublies pas que toi et ton frère vivaient quelque chose de plus fort que les autres fratries.

- Parce qu’on est jumeau ?

- Je pense que vous partagez plus qu’un physique commun. Peut-être pas le même caractère mais vous êtes… reliés par une sorte de symbiose unique. Tu es le seul dans ce village qui connait vraiment Uka Uka.

- Peut-être que tu as raison mais ce que tu dis ne me plait pas beaucoup.

- Tu aimes ton frère ?

- C’est si contradictoire… je l’aime et le haïs à la fois.

- L’amour et la haine sont deux passions dont on peut très vite passer de l’une à l’autre en peu de temps, et parfois les ressentir en même temps.

- Tu sais dire les mots pour réconforter. C’est une belle qualité que tu as héritée de notre chef.

- Et je suis contente que mon père m’ait fait un tel cadeau à ma naissance s’il peut t’aider dans tes doutes.

- Merci sincèrement, Paro.

- Mais de rien mon bon Aku ! Il faut maintenant que je me sauve.

- Veux-tu que je te raccompagne ?

- Avec plaisir ! Ta compagnie est toujours agréable.


     Aku Aku esquissa un petit sourire devant la bonne humeur que Paro démontrait pour lui remonter le moral. Il la sentait fausse, sans doute parce que la jeune fille s’inquiétait pour lui et Oni Oni. Il attrapa le panier laissé par sa sœur et entama le chemin du retour. Il se laissa entrainer dans une conversation avec celle qu’il aimait mais ses pensées étaient tournées ailleurs. Vers les deux femmes qu’il aimait le plus au monde. Ces deux femmes qu’il était sur le point de perdre…


***


     Oni Oni essuya pour la énième fois les larmes qui troublaient sa vue et continua sa marche à travers la forêt. Elle se rattrapa de justesse quand son pied se prit dans une branche et accéléra le pas une fois encore. A la sortie du lieu forestier, elle inspira à plusieurs reprises et gagna la plage, ainsi que par la même occasion une partie de son village. Là, elle prit le chemin pour retourner dans sa hutte. Elle fut surprise d’y retrouver son père qui était attablé. Dès qu’il la vit entrer, il s’empressa de lui dire :


- Il faut que je te parle, Oni Oni.

- Je suis désolée ! Je m’étais absentée pour la cueillette et j’ai négligé mère. Ca ne se reproduira plus, je vous l’assu-

- Ce n’est pas pour cela que je veux te parler.

- Ah bon ?


     Elle vint s’assoir près de son père qui la fixait de manière énigmatique. Elle ne savait pas ce qu’il allait lui dire, mais ça avait l’air grave, et elle se sentait mal à l’aise.


- Ta mère est très malade et il y a beaucoup de chance pour qu’elle n’y survive pas.

- Oui, j’ai remarqué que le mal la ronge de plus en plus…

- Et quand son heure sera venue, tu n’auras plus à t’occuper d’elle. Le temps viendra alors pour toi de trouver un nouveau foyer.

- Que voulez-vous dire, père ?

- Cela fait un moment que tu es en âge de te marier. Il faut que tu sois bien consciente que si tu es encore ici, c’était uniquement pour t’occuper de ta mère.

- Père ! Je ne veux pas me marier ! Laissez-moi rester vivre auprès de vous pour m’occuper de notre foyer.

- Non, ma fille. Un jour viendra où tes frères bâtiront leurs foyers, et où moi je viendrais à m’éteindre. Je dois trouver un homme qui saura prendre soin de toi comme il convient.

- Laissez-moi rester auprès de vous aussi longtemps qu’il vous sera possible !

- Oni Oni, regarde-toi. Tu n’es plus une enfant, tu es une merveilleuse jeune fille et il est temps pour toi de devenir une femme.

- Je ne suis pas prête, avoua-t-elle en larme.

- Bien sur que si tu l’es. Tu n’es pas la première qui se marie à ton âge.

- Je ne veux pas me marier !

- Allons ma fille, tu fais honneur à ta famille en te mariant.

- Je refuse !


     Elle se leva prestement et s’enfuie hors de la hutte. Son père la regarda faire et lâcha un profond soupir de tristesse. Il ne chercha pas à la rattraper. Il fallait que sa fille accepte la nouvelle, car de toute évidence, il ne pouvait en être autrement.


***


     Aku Aku ne broncha pas quand son père lui ordonna d’aider sa mère à manger. Il avait dans un premier temps trouvé étrange que sa petite sœur n’apparaisse pas à la nuit tombée. Il avait même voulu partir la chercher mais son géniteur s’y était opposé en affirmant qu’Oni Oni reviendrait par elle-même, et qu’il fallait qu’elle reste seule. Un seul regard échangé avec son jumeau lui confirma que lui non plus n’en savait pas plus sur la situation.


     Si Aku Aku était soucieux des règles et comptait respecter la demande de son père afin de laisser Oni Oni, Uka Uka n’était pas de cet avis. Si il avait bien un point commun avec sa cadette, c’était la curiosité. Uka Uka n’aimait pas certaines qualités de sa petite sœur : sa droiture, son sens des responsabilités, sont des exemples parmi tant d’autres. Alors pourquoi sa sœur si droite et responsable avait fui son devoir d’aider sa mère, et la préparation du repas ?

     Aussi discrètement qu’un prédateur pouvait l’être, Uka Uka déserta sa paillasse, une fois les membres de sa famille assoupis, pour partir à la recherche de sa proie. Mais comme tout prédateur qui se respecte, ce n’était pas pour l’aider…

     

     Il la trouva endormie contre la paroi rocheuse d’une grotte. Son visage était tiré par la fatigue, ses yeux rougis par les larmes et ses joues étaient creusées par les sillons que ces dernières avaient laissés. Sa robe était tachée de terre, et Uka Uka se dit qu’à tous les coups, elle était tombée. Ce qui ne l’étonna pas le moins du monde connaissant la maladresse de sa cadette.


     Il se laissa reprendre son souffle. S’il excellait dans l’art du pistage, il avait tout de même mis deux bonnes heures à la trouver, et il s’en sentait vexé. Deux heures pour mettre la main sur sa sœur complètement ignorante des lois pour réussir à échapper aux chasseurs ou aux guerriers. Cela avait quelque chose d’humiliant.

     Avec le feu qu’elle avait fait, Uka Uka fit un tour des environs de ses yeux, histoire de se calmer. Il devait être la personne de confiance qu’Oni Oni recherchait, ce qui déjà n’était pas dans sa nature, mais en plus elle allait sûrement se mettre à pleurnicher, et ce genre de comportement l’exaspérait. Il valait donc mieux apaiser la colère due à son humiliation, ne serait-ce que pour limiter les dégâts.

     Ses yeux sombres finirent par regarder la liasse de végétation qui tombait à l’entrée de la caverne. C’était une piètre excuse, mais s’il avait mis tant de temps à trouver Oni Oni c’était parce qu’il ne connaissait pas l’existence de cet endroit, et ne pensait pas que c’était le genre d’endroit qu’elle fréquentait. Il aurait même pensé le contraire.

     Un petit cri attira son attention et il tourna la tête vers sa sœur.


- Alors, on a décidé de faire une petite fugue ? l’accosta-t-il avec un sourire narquois.


     Ses yeux verts se rétrécirent et se refermèrent. Elle poussa un soupir de soulagement en posant la main sur son cœur pour faire taire les battements de son cœur affolé, qui s’étaient déclenchés quand elle avait vu un homme accroupi devant elle en train de regarder l’entrée de la grotte. Heureusement, elle avait reconnu le regard glacial et unique d’Uka Uka ainsi que sa voix grave. Sous le coup de la peur, elle n’avait pas pu bien le reconnaitre, et ce même avec la faible luminosité qu’apportait le feu.


- Tu m’as fait peur, Uka !

- J’ai vu ça, répondit-il avec une voix des plus moqueuses.

- Mais il fait encore nuit ! Qu’est-ce que tu fais ici ?

- Je m’inquiétais pour toi, mentit-il. Et je voulais savoir pourquoi tu avais disparu.

- Tu avais peur qu’il m’arrive quelque chose ?

- Naturellement, répondit-il en un mensonge diablement convaincant.

- C’est très gentil de ta part… murmura Oni Oni, émue de l’attention et la protection que lui voua son frère.

- Tu m’expliques ? enchaina-t-il sur un ton calme qui contrastait avec l’impatience de son émoi intérieur.

- Je… j’ai appris une mauvaise nouvelle : père veut me marier quand mère ne sera plus…


     Cela, Uka Uka ne l’avait pas prévu et ne savait pas comment agir en conséquence. Mine de rien, cela ruinait complètement ses plans. Il avait oublié qu’Oni Oni était en âge de se marier.


- Il a trouvé un promis ? demanda-t-il, la gorge sèche.

- Je ne sais pas… Je ne crois pas…


     Bon cela lui laissait le temps de trouver une parade pour remédier au problème. L’ennui était qu’il ne pourrait pas annuler le destin de sa sœur, juste le reculer…

     Alors que son cerveau s’activait à la recherche d’une réponse à son dilemme, il se figea devant une perspective audacieuse, si osée que personne ne l’avait mise en pratique. Tellement interdite que cela lui plaisait !


- Et si je t’épousais ?

- Quoi ?!

- Tu m’as bien entendu, ne joue pas les innocentes.

- Mais c’est impossible… tu es mon frère !

- Qu’est-ce que ça change ? Un lien en plus. Ca nous en fera deux.

- C’est… malsain.

- Au contraire ! Je t’aimerais comme un frère, et tu n’auras pas à épouser un inconnu. La seule différence est qu’on vivra ensemble tout le temps, Oni. A moins que tu en préfères un autre ?

- Non, ce n’est pas ça…

- Pas même Aku Aku ?

- Pas même notre frère, dit-elle après quelques secondes d’hésitation.


Tout fonctionnait comme prévu ! Uka Uka savait que son jumeau n’allait pas voir d’un très bon œil son sauvetage. Dans un sens, il n’aurait pas tort de penser comme cela. Même Uka Uka ne savait pas s’il avait eu besoin d’une raison pour défendre l’honneur de sa cadette. Si Aku Aku voyait plus de chose que la plupart des personnes à son sujet, il se trompait sur un point : son attachement pour leur sœur. Car Uka Uka affectionnait Oni Oni. C’était sans doute la seule personne qu’il aimait d’ailleurs. Il ne savait pas exactement pourquoi… Il exécrait et adorait à la fois sa naïveté et sa joie de vivre. Par moment ça l’exaspérait au plus haut point et par d’autres ça le détendait, l’amusait…

Et il ne voulait pas partager Oni Oni avec un autre… surtout pas avec son jumeau. Il n’avait jamais pu s’entendre avec lui. Ceux qui pensaient qu’ils partageaient plus qu’un physique commun se trompaient lourdement. Il n’avait rien d’autre de semblable avec Aku Aku que leur apparence extérieure car tout les distinguait l’un de l’autre. Uka Uka haïssait la nature de son frère. Elle le révulsait. Sa gentillesse, sa naïveté, sa droiture, son sens de la justice, des responsabilités, tout, absolument tout chez son frère le répugnait. Oni Oni était pourtant semblable à Aku Aku, mais elle était aussi différente. Elle avait ce quelque chose qui désarmait Uka Uka. Peut-être son côté fragile et innocent…


     Quoiqu’il en soit, il devait tout d’abord se faire apprécier de sa sœur. Ce qu’il avait réussi. Il savait qu’ensuite, Aku Aku ne verrait pas d’un bon œil leur rapprochement et il avait tout fait pour lui faire croire que c’était le cas. Son jumeau aurait tant fait pour mettre en garde leur sœur. Elle l’aurait écouté et suivit son conseil, mais elle n’avait pas les yeux pour voir sa malveillance. Son sauvetage contre Py-Ro avait achevé de convaincre Oni Oni sur l’amour qu’il lui portait et non sur les mauvaises intentions que son frère voyait de lui. Aku Aku allait, alors, se montrer plus insistant dans ses mises en gardes, ce qui irriterait leur sœur qui ne voyait pas le danger. Que sa sœur le préfère à son jumeau achevait son plan, il avait séparé Oni Oni et Aku Aku. Maintenant, il suffisait juste qu’il ait plus de droits sur elle qu’aucun autre homme. Le mariage lui offrait cette opportunité. 


- Alors n’hésites plus ! Tu seras heureuse avec moi. Et puis je suis capable de te protéger. Ne te l’ai-je pas prouvé ?

- Oui, c’est vrai…

- Accepte, chère sœur. Scelle ton destin au mien. Il est toujours préférable à l’inconnu, non ? Tu pourrais te retrouver avec un homme qui te malmènerait. Notre union garantie cela.

- Si tu demandes ma main à notre père, cela va t’attirer des ennuis aussi…

- Pour ton bonheur, Oni, je suis prêt à défier tous les ennuis. Et puis ne me devais-tu pas une dette ?

- J’accepte, Uka, répondit-elle avec un petit sourire, amusée de la dernière phrase de son frère.


     Elle s’avança et se blottit dans ses bras. Uka Uka esquissa un sourire victorieux. Il plongea son visage dans la chevelure ébène de sa sœur pour en humer l’odeur fruitée qui s’en exaltait en toute discrétion. Il savoura autant l’enivrante senteur que la jubilation de son triomphe qui criait dans tout son être. En épousant Oni Oni, il aurait plus de droits sur elle qu’aucun autre homme. Bien plus que leur chef de village, leur père et bien entendu que son jumeau. Il pourrait faire ce que bon lui semble de sa sœur. De part sa condition de femme, elle n’aurait d’autre choix que lui obéir. Elle participerait alors à tous ses futurs projets maléfiques. Il l’y obligerait et elle n’aurait d’autre option que de se soumettre.


     Si Uka Uka voulait disposer de sa sœur comme il le voulait et plus qu’un autre homme, il y avait une troisième raison. Plus secrète, plus perverse, qui s’était révélée à lui très récemment. Sa sœur était l’une des rares femmes qu’il ne pouvait pas toucher en raison des liens du sang. Et Oni Oni était l’une des plus belles femmes du village. Il s’en était seulement rendu compte en la voyant danser la Dorela. C’était à ce moment là qu’il l’avait vu autrement qu’une sœur. Et depuis cet instant-là, il la désirait.


- Uka Uka ?

- Hum ? répondit-il en sortant de ses pensées.

- Et… Et pour une descendance… tu n’en veux pas ?

- Nous en aurons une.

- Mais ce n’est pas contre nature ?

- Bien sur que non ! Tu ne veux pas de progéniture ?

- Si mais… pas pour le moment. Je ne me sens pas prête pour me marier alors être mère…

- Nous prendrons le temps qu’il nous faut, susurra Uka Uka.

- C’est vrai ?

- Evidemment, Oni ! Tu sais bien que je ne te forcerais jamais à faire quelque chose contre ton gré, murmura-t-il d’un ton extrêmement doux.

- Merci ! Je t’aime grand frère !!

- Moi aussi, Oni. Moi aussi…


A suivre dans le chapitre 4 : La destinée des femmes


Correction effectuée par Lénie.


Notes d’auteure :

- Encore une fois, c'est "Twinsanity" qui m'a inspiré la première scène.

- Première apparition d’Arka ! Il parait assez austère, mais il a juste le sens des responsabilités. J’aime bien sa droiture en tout cas, et il me permet de montrer qu’Aku Aku n’est pas aussi parfait que le masque de sorcier dans les jeux ! Après tout, il est encore jeune dans cette fanfic, et c’était important de le montrer par une comparaison.

- L'on m'a dit que la scène d'Aku/Uka est très Nothombienne... Mais ça s'arrête avec cette scène. Je ne me suis pas inspirée d'Amélie Nothomb (auteur belge très populaire mais au style très particulier), car je ne la connaissais pas à l'époque, et je suis loin d'avoir son talent pour une être dialoguiste/romancière de son envergure.

- Ne soyez pas choquée par la demande en mariage d'Uka Uka. L'inceste, à cette époque, était monnaie courante mais très tabou. Au moins, Uka Uka décide de le faire dans la lumière.

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