Code Alpha 1.0 : 25 ans plus tard

Chapitre 15 : Chapitre 14 - Les ténèbres qui nous guettent

6051 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/08/2017 21:57

Jean



Il n’y avait pratiquement aucun bruit. Uniquement celui du vieux balais qui se raclait contre le sol. Ce jour là, Jean était seul. Ambre et Antoine ne venaient plus en retenue depuis quelques temps. Il n’avait pas revu ni l’un ni l’autre depuis l’autre soir à l’usine. Il avait posé la question à Jim, pour savoir si c’était normal. Peut-être que quelque chose leur était arrivé. Peut-être que Melvin avait à nouveau pété un câble et les avait… Le vieux surveillant lui avait annoncé rapidement que la nouvelle CPE avait annulé la sanction pour eux. Mais pas pour lui.


Il se mit à penser. Il n’allait pas pouvoir continuer le lycée. Sa mère s’était encore fait virer, et était partie se bourrer la gueule. Léa avait besoin de lui. Léa avait besoin de manger. Léa. Léa. Léa. Parfois, il se surprenait à vouloir qu’elle ne soit jamais venue au monde. Tout serait plus simple, sans elle. Papa ne serait pas parti, sans elle. Car son père n’était pas mort. Il préférait donner cette explication plutôt que de rentrer dans les détails. Son père les avait tous laissé en plan le jour où il avait apprit que sa femme était enceinte d’un autre.


Léa représentait l’absence de son père. Léa représentait les erreurs de sa mère. Pourquoi n’avait-elle pas pu avorter ? Ou même juste prendre une putain de pilule du lendemain ? Et le pire dans cette histoire, c’était qu’il devait s’occuper d’elle. Je ne veux pas gâcher ma vie pour cette gosse, pensa t-il. Puis ses pensées se portèrent sur Ambre.


Il avait été amoureux. Amoureux comme jamais il ne l’avait été. Amoureux à en devenir fou. Alors qu’il enchaînait les relations éphémères, que bon nombre de ses ex le surnommé « connard » ou d’autres termes assez similaire, il ne se pensait pas capable d’un tel sentiment. Et d’ailleurs, quand il l’avait rencontré, il avait pensé que ça allait être comme les autres. Mais… Ambre n’était pas celle qu’il croyait. Elle était tellement, tellement plus ! Il ne savait même pas comment la décrire. Elle le fascinait. Elle l’obsédait. Mais elle l’avait repoussé. Il ne la comprenait pas. Lui avoir mit un râteau de la sorte la rendait deux, voir trois fois plus désirable à ses yeux. Elle était inaccessible, et c’était pour ça qu’il la voulait.


Cependant, il ne l’aurait pas. Elle lui avait bien fait comprendre. De toute façon, c’était qu’une conne. Une petite gamine pourrie gâtée qui avait tout ce qu’elle voulait. Qu’est-ce que je fais après ? Je dois rentrer chez moi, Léa m’attend. Putain, j’ai tellement pas envie… Et rien ne m’y oblige. Il vérifia que Jim n’était pas dans les parages et sortit son téléphone.


- Hey Steve, c’est Jean. Non, calme toi, j’suis pas là pour t’insulter. Tu dirais quoi si je me ramenai chez toi avec un pack de bières, comme au bon vieux temps ? 


Il était temps de s’amuser à nouveau.


Ambre



J’ouvrais les yeux. Allongée dans mon lit, toute habillée. J’avais fait un assez drôle de rêve… dont j’avais du mal à me rappeler. Alors que j’essayai de me redresser, plusieurs parties de mon corps devinrent douloureuses. Je m’étirai en baillant. Mon sommeil n’avait pas été réparateur.


Qu’est-ce que j’avais fait hier ? D’ailleurs, on était quel jour aujourd’hui ? J’étais un peu perdue depuis qu’Ombre nous prenait en charge la plupart du temps. Quand elle avait le contrôle, je sombrais dans une espèce de somnolence étrange. J’étais là… sans l’être. Je voyais ce qui se passait, mais d’une manière passive. Est-ce que c’était cette condition assez inhabituelle qui justifiait ma fatigue ? Et puis je me souvins.


Cela faisait plusieurs jours qu’Ombre et moi étions revenues à l’usine, afin d’aider Ulrich et Mélissa. Tous les soirs désormais, nous y allions pour nous entraîner. Le rythme scolaire, plus ça… Voilà sans doute pourquoi je me sentais si… faible physiquement. Et puis, il y avait eu cet étrange événement sur Lyoko. Le fait d’être séparé d’elle.


Au début, ça m’avait effrayé. Les gens allaient apprendre son existence, me prendre pour une folle, ou quelque chose d’encore pire. Mais ça n’était pas arrivé. Ombre avait eu l’intelligence de m’imiter, quasiment à la perfection, afin de faire passer ça pour une sorte de dédoublement. Elle avait de bonnes idées quand même.


Et puis ce fut un autre sentiment qui prit le relais. Une sensation de solitude et de manque. Quand j’allais sur Lyoko, j’étais seule. Véritablement, et pour la première fois. Même quand je l’avais chassée, elle était restée dans un coin de ma tête. Dans ce monde virtuel, elle était complètement séparée de moi. C’était désagréable, et j’aurai aimé ne plus jamais ressentir ce genre de choses. Mais tant que nous combattions XANA…


- On peut pas arrêter ? Sans reprendre notre vie d’avant, juste arrêter Lyoko et toutes ces conneries, fis-je soudainement à voix haute.

- Il me semble qu’on a déjà eu cette conversation. C’est pour notre sécurité, répondit-elle sans se faire attendre.


Oui. Exact. Cette chose qu’on affrontait avait déjà essayé de nous tuer. Rien que de repenser au visage de Melvin possédé me fit frémir.

- Toute cette histoire me paraît tout de même bien louche, continuai-je doucement.

- Tu te fais du soucis pour rien, enchaîna t-elle en soupirant.

Je commençais doucement à me remettre des différents chocs que j’avais subis. Et si Ombre m’avait bien aidée à remonter la pente, je trouvais désormais certaines de ces décisions un peu contestables. Il est vrai que sur le moment, je n’avais pas été en état de faire quoi que ce soit, et elle avait bien prit les choses en mains. Et maintenant que je reprenais peu à peu mes esprits, j’avais la nette impression que nous allions bientôt avoir à discuter d’un compromis quand à notre corps commun.

- Dis, j’aimerai bien avoir le contrôle aujourd’hui. Ça fait longtemps.

- Tu es sûre ? Ça va aller ?

- Oui, ne t’inquiète pas.

- Si tu as besoin, je peux prendre ta place à tout moment. 

- Merci.


Je me dirigeais alors vers la cuisine, pour prendre mon petit déjeuner. Il était l’heure à laquelle je devais partir pour être à l’heure à Kadik. Maman était dans sa chambre, tant que j’étais à l’intérieur, elle refusait de sortir pour ne pas me croiser. Elle n’était donc pas là pour me faire la morale. Tant pis, je n’allais pas me rendre à l’école aujourd’hui. Je devais récupérer. J’allais peut-être me balader dans un parc. Être tranquille, loin de Lyoko et le sentiment que ce lieu provoquait chez moi, loin de Melvin et de ses yeux qui furent un jour remplis de haine et loin de Jean.

La sonnette de la porte d’entrée retentit. Je me levais pour me rendre au visiophone. C’était…


- Bonjour, excusez-moi de vous déranger mais… euh… est-ce que Ambre est déjà partie en cours ?

Antoine ? De toutes les personnes qui auraient pu venir devant chez moi, il n’était même pas sur la liste. Qu’est-ce qu’il voulait ? Je ne l’avais pas revu depuis l’attaque à l’usine. Et d’ailleurs il n’y était jamais revenu, alors que ça avait été lui le premier concerné.

- Hum… Salut Antoine ! Répondis-je en activant le microphone uniquement (j’étais pas franchement présentable avec mes vêtements de la veille et mes cheveux en batailles).

- Oh… euh… salut, Ambre. Tu vas bien depuis… euh… Tu vas bien ?

- Plutôt oui.

- Ahem. Ça fait plaisir à entendre. T’avais pas l’air. Donc bon.

- Ouais. Mais je m’en suis remise !

- Ah bah c’est très bien.

Un grand silence s’en suivit. C’était plutôt gênant.

- Et toi, ça va ? Lui demandai-je.

- Oui ! Oui, oui. Toujours.

Deuxième grand silence.

- Et sinon… Une raison particulière pour que tu me rendes visite ? Non pas que ça me déplaise !

- Euh… Oui ! Je voulais te parler. Mais euh… En fait… On pourrait pas plutôt se parler en face à face ?

- Si tu veux oui.


En lui ouvrant la porte, je réalisais (trop tard) que j’étais encore en piteux état. Mais bon, après tout, Antoine m’avait déjà vu comme ça après la nuit qu’on avait passé ensemble chez Jean, à essayer d’en apprendre plus sur Alpha.

- J’allais prendre mon petit déjeuner. Tu as faim ?

- Mmh, fit-il en regardant la saleté sur la table. Bon, pourquoi pas.


Je lui proposai alors des tartines de confitures ou des céréales. Il opta pour la deuxième option. Quant à moi, je me contentai d’un verre de jus d’orange. Cette visite intrigante m’avait coupée l’appétit. Personne ne parla pendant plusieurs longues

- Alors, ça se passe bien avec Ulrich et l’autre blondasse ?

- Hum oui. On s’entraîne pour pouvoir contrer une attaque.

- Tsss, quelle mauvaise stratégie. En plus sans moi vous pouvez pas désactiver les tours.

Je devais me concentrer pour le comprendre, il parlait en mangeant et à toute vitesse.

- Ulrich a dit que je pouvais le faire.

Il s’arrêta et me fixa quelques instants.

- Ah bon ? Il a dit pourquoi ?

- Peut-être. J’étais pas très… Pas très concentrée à ce moment là.

- Il t’a dit d’autres choses ? m’interrogea t-il.

- Euh… Comme quoi ?

- Rien. Heureusement, je suis là pour préparer l’offensive. Je ne sais pas ce que vous feriez sans moi.

- Parfait. Tu es l’épée et nous sommes le bouclier !


Je lui souris. Il se tut. Nouveau silence gêné.

- Donc, tu voulais me parler ?

- Ah. Oui.

- Je t’écoute ?

- Tu as des frères et sœurs, Ambre ?

Il tournait autour du pot. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Déjà, c’était la première fois qu’il s’intéressait à moi. Il était tout rouge, mais me regardait dans les yeux. Intimidé et intimidant.

- Non. Fille unique. Enfin, en quelque sorte.

- C’est à dire ?

- J’ai été adopté.

- Tu sais quoi de tes parents d’origines ?

- Pas grand-chose. En fait, rien du tout.

Les rares fois où j’avais interrogé Maman, elle avait refusé de répondre dans les meilleurs des cas. Dans les pires, elle avait piqué une crise, si bien que je n’avais jamais cherché à en savoir davantage. J’avais de très vagues souvenirs de ma petite enfance, mais rien de concret.

- Tu es née le combien, Ambre ?

- Le 23 août.

- Moi aussi, marmonna t-il.

Ses yeux devinrent rouges. Il farfouilla dans son sac.

- Regarde.


Il tira de sa poche une photographie. Elle représentait un jeune couple. Le garçon était blond, avec des lunettes. La fille avait des cheveux roses. Tous les deux souriaient. Ils tenaient chacun dans leur bras un bébé. Cette image fut comme un choc. Ces gens m’étaient familiers. Je ne les connaissais pas, mais pourtant…

- Ça, c’est Jérémie Belpois, et ça c’est Aelita Stones. Mes parents. Ils sont morts quand j’étais petit, je les ai presque pas connu.

- Je vois. Et là, qui est-ce ?

- Ça, c’est ma sœur jumelle. Elle a disparu avec mes parents.

- C’est triste. Je suis désolée.

- Tu sais, je ne me souvenais même pas de son existence jusqu’à il y a peu.

- Comment elle s’appelait ?

- Ambre. Elle s’appelait Ambre.


Mes yeux se posèrent sur la photo, sur le bébé, puis sur la fille aux cheveux roses, roses comme les miens. Puis mes yeux remontèrent jusqu’à ceux d’Antoine.

- Où est-ce que tu veux en venir, Antoine ? Pourquoi tu viens m’agiter cette photo sous le nez ?

Il prit à nouveau son ton condescendant, et répliqua immédiatement :

- Si tu n’avais pas compris, j’étais en train d’essayer de te faire comprendre qu’on était potentiellement frères et sœurs.

- Je l’avais très bien compris ! Fis-je, devenant presque hystérique.

Je me levai d’un bond. En réalité, je ne comprenais pas. Tout fusait à toute vitesse dans ma tête.

- Mais c’est n’importe quoi ! Je te connais à peine !

- Tu vas te calmer et me laisser en aligner une, oui ?

Il tendit le bras vers moi. Je reculai. Je ne pouvais pas y croire. Le choc était trop grand, j’en avais assez, je voulais juste qu’on me laisse tranquille. Alors je partais en courant. Je me mis à remonter dans ma chambre. Il me suivit, mais je ne me retournai pas. Je claquai la porte derrière moi, la verrouillai et allai me cacher dans le seul lieu de paix qu’il me restait : mon lit.

- Ambre, ouvre moi !

- Je ne t’entend pas !

Il allait bien partir à un moment, non ? Je pouvais attendre, aussi longtemps qu’il le fallait.




Antoine



Pourquoi est-ce qu’elle me repoussait ainsi ? Pourquoi est-ce qu’elle réagissait ainsi ? Est-ce que… La perspective d’avoir un lien de parenté avec moi était-elle si terrifiante ? N’étais-je pas quelqu’un de brillant, dont elle pouvait être fier d’être la sœur ? Ou peut-être me voyait-elle comme Amélie le faisait. Comme un… Comme un… Bref. Mais moi, j’avais besoin d’elle. Moi, je voulais qu’on rattrape le temps perdu. Moi, je voulais…


- Ouvre moi, s’il te paît…

Mais elle ne me répondit pas. Pas de réponse, c’était une réponse. Je toquai une dernière fois avant d’être interrompu par une voix stridente.

- Jeune homme ! Que faites vous devant la porte de ma fille ! J’appelle la police !

C’était une dame d’âge mur. Elle hurlait à un tel point que mes oreilles devinrent douloureuses.

- Je… Je suis Antoine Belpois, j’étais venu voir votre fille.

Si Ambre n’avait pas voulu me parler, sa mère adoptive allait peut-être le faire à sa place.

- Comment ? Comment vous appelez-vous ?

- Belpois.

Elle resta figée un instant, puis devint rouge pivoine.

- Partez de chez moi immédiatement ! Et ne vous approchez pas de ma fille !

Pour éviter de me prendre des coups de sa part, je dû partir à toute vitesse. Je marchais désormais dans les rues presque déserte, en ruminant. Je n’avais pas besoin d’elle de toute façon. Je m’en étais très bien sorti tout seul jusque là. Et puis, je n’étais plus tout seul : j’avais Alpha. Je m’en fichais complètement d’Ambre ! Complètement !


Je rentrais chez moi. Amélie me demanda si je n’allais pas en cours, mais je ne lui répondais pas. Je m’enfermais dans ma chambre.

A : Tout va bien ?

- Oui. Non ! J’en sais rien…

A : Je suis à ton écoute, Antoine.

- Ambre… Ambre m’a repoussé. Et je ne sais même pas si c’est vraiment ma sœur.

A : J’ai effectué des recherches à son sujet. Elisabeth Delmas, sa mère adoptive a été au lycée avec tes parents. De plus, personne du nom de Ambre Delmas n’est pas enregistré à l’état civil.

- D’accord, il y a de fortes chances pour qu’on ait un lien de parenté… Ça ne change rien au fait qu’elle m’ait repoussé ! J’ai besoin de changer d’air, on peut se remettre au travail ?


Je passais alors la matinée, puis l’après-midi sur mon ordinateur. Je ne touchais pas au repas qu’Amélie m’emmenait. J’étais si proche du but, mais mes pensées divaguaient, c’était dur de se concentrer. Alpha dû le remarquer, mais ne fit aucune réflexion à ce sujet. Finalement, ma tante interrompit une nouvelle fois mon travail en rentrant dans ma chambre.

- Antoine, il y a quelqu’un pour toi à la porte !

J’allais lui hurler de me laisser tranquille, mais ma curiosité était piquée à vif. Et si c’était… ? Je ne devais pas placer mes espoirs trop hauts pour éviter une nouvelle chute, mais après tout, il se pouvait très bien que ce soit elle ! J’allai immédiatement à l’entrée, et c’était bien Ambre qui m’y attendais. Elle regardait le sol et n’osait défier mon regard.

- Rebonjour Antoine… Ça… Ça te dit de te balader un peu ?

Tant pis pour cette après-midi, j’avais bien le droit à une pause. J’acceptai et l’accompagnai dans un petit parc. Aucun de nous deux n’osa briser la glace du silence sur le trajet. Je cherchais quelque chose à dire, mais rien de cohérent ou d’intelligent ne venait. Finalement, nous nous assîmes sur un banc en face d’une mare au canard.


-J’ai… comment dire… Réfléchis à ce que tu as dit… Et… euh… Je ne sais pas trop quoi en penser pour être honnête. D’ailleurs je suis sincèrement désolée pour ma réaction tout à l’heure, mais c’était trop sur le moment.

J’aurai dû m’en douter. On allait pas se tomber l’un sur l’autre comme ça en un claquement de doigts. Ce genre de choses prenait du temps.

- Ca va te prendre combien de temps pour l’accepter ? Demandai-je brutalement.

- Je ne saurai pas te donner une date. Je… oui. J’ai du mal.


Nous restâmes sans parler pendant une bonne dizaine de minutes. Elle évitait généralement mon regard, mais je la surprenais parfois à m’observer. Est-ce que cette personne était bien ma sœur ? Elle s’était montrée parfois un peu idiote, et je ne pouvais pas oublier la période où elle flirtait avec Jean. Malgré cela, elle avait des connaissances en informatique qui était assez impressionnante pour quelqu’un de son âge et surtout pour une fille. Bien évidemment, cela ne dépassait pas les miennes.

- Juste… tu crois qu’Ulrich est au courant ? me demanda t-elle.

- C’est évident. Je compte bien lui tirer les vers du nez une fois cette affaire terminée.

- Parce que ça va s’arrêter un jour ? J’en peux plus d’aller me battre à l’usine, de devoir être prête à m’y rendre à n’importe quel moment en cas d’attaque… Cette paranoïa ambiante, c’est insupportable !

Elle était courageuse en plus. Une autre qualité notable qui ne pouvait que renforcer l’hypothèse de notre lien de parenté.

- Je t’assure que ça va s’arrêter. Alpha et moi on va…

- Et Alpha, c’est qui exactement ? Enfin, c’est quoi ?

- Je sais pas trop. Une invention de mon… notre père je crois. Il m’expliquera tout après, m’a t-il dit.

- J’ai l’impression que tout le monde se sert de nous et nous cache des choses.

- C’est pour ça que j’ai refusé de rester avec Ulrich, j’avais deviné qu’il était pas fiable, et que…

- Pourtant c’est plus d’Alpha dont je me méfie.

J’étais un peu vexé. Entre l’intelligence artificielle et Alpha, le choix était, selon moi, vite fait.

- Alpha a été programmé par mon… par notre père.

- Selon lui, oui.


Un silence s’installa à nouveau. Première véritable conversation avec elle, et premier désaccord.

- Dis, ils étaient comment nos parents ?

- Tu sais, je les ai pas plus connu que toi. Juste mon idiote de tante. Vraiment pas quelqu’un de recommandable celle là.

- Ma mère adoptive non plus.

Et j’eus envie de lui dire qu’en fait, nous n’avions que l’un et l’autre. Que depuis toujours, je n’avais jamais eu personne. Qu’en rien qu’une petite conversation, elle me comprenait plus que n’importe qui d’autre. Mais quelque chose au fond de moi m’en empêcha. Si seulement on s’était rencontré plus tôt.

- On sait ce qui a fait qu’on a été séparé ? M’interrogea t-elle.

- Encore une question à poser à Ulrich.

- Ou à Alpha… Mais t’as raison sur Ulrich. C’est bizarre en fait comment il se comporte. Il évite tout le temps certaines de mes questions.

- Tu te renseignes de son côté, je me charge d’Alpha.

- D’accord. Je suis désolée, mais je crois que je vais rentrer. Je suis un peu fatiguée, et apprendre tout ça m’a un peu chamboulée. En plus je dois aller encore une fois à l’usine pour me préparer en cas d’attaque. En tout cas, j’étais ravi de faire ta connaissance, Antoine Belpois.


Je ne sus quoi répondre. On échangea nos numéros de téléphones (chose qu’on avait pas fait jusque là), et on se dit au revoir. J’avais eu très peur de cette entrevue. Très peur de ce que j’allais apprendre. De comment ça allait se passer. Le résultat était fantastique. J’avais gagné une alliée de poids. Ma motivation était désormais décuplée, je n’avais plus qu’une seule envie, c’était de foutre rapidement sa raclée à XANA et de pouvoir reconstruire quelque chose avec Ambre.


C’était la personne qui m’avait toujours manqué. Certes, j’aurais largement pu m’en sortir sans elle (la preuve, je l’avais fait jusque là), mais ça allait être un avantage non négligeable. Rien que de parler avec elle me permettait de mettre en lumière des éléments que je n’avais pas prit en compte. En tout cas, le virus allait être terminé dans la nuit. Et demain, tout ça allait être terminé.


Ombre



J’aurai eu le contrôle, je crois que je me serai mit à vomir. Non mais sérieusement, et puis quoi encore ? Antoine était notre frère. Antoine, le petit con détestable qui me donnait envie de le baffer chaque fois que je le voyais. Et puis voilà qu’il se faisait des câlins, c’était répugnant. En plus, ça n’était qu’un détail. Lors d’une journée ordinaire, j’aurai trouvé ça plutôt drôle d’observer dans les ténèbres ces deux ratés se la jouer sentimentale. Sauf que ce n’était pas une journée ordinaire. Tout allait mal.


Ambre était censée s’affaiblir jour après jour. Plonger dans ce désespoir dont elle avait le secret, ce qui m’aurait permit de retenter le coup de la douche. Et c’était bien parti ! Elle prenait de moins en moins le contrôle, parlait peu. J’ai vraiment cru que j’étais à deux doigts de gagner. J’ai pu profiter de la vie longtemps, plus longtemps que je ne l’avais jamais fait ! J’étais tellement heureuse, tous mes problèmes allait se régler. Mais en réalité, si Ambre était si peu active, c’était parce qu’elle reprenait ses forces.


Ce matin, j’avais été éjecté de notre corps lors de son réveil. J’avais pas compris ce qui m’arrivait, et elle ne s’en rendit pas compte. Mais Ambre – la Ambre qui m’avait envoyé baladé la dernière fois que je l’avais confronté – était de retour. Et ça sentait vraiment pas bon. Elle avait beau être une petite conne, elle avait de la ressource ! Et puis ces retrouvailles abjectes avec Antoine n’allaient sans doute pas faire tourner la situation en ma faveur.


Quels étaient mes options ? Me laisser à nouveau marcher dessus, et tout allait redevenir comme avant. Ou bien, me battre. Et soyons honnête, je ne pouvais plus faire marche arrière. Après avoir goûté à la liberté, je ne pouvais pas retourner en cage. Alors cette fois c’était la guerre. La guerre totale, entre Ambre et moi. Un corps, deux personnalité, ça en faisait une en trop. Et si quelqu’un devait partir, ça n’allait pas être moi. J’avais déjà donné.


Maintenant, je ne suis plus la « gentille Ombre », qui va te donner de « bons conseils ».

Non, maintenant Ambre, c’est toi ou moi jusqu’à la fin.

Sauf que moi je n’ai déjà plus rien à perdre.


Mélissa



Mélissa fut dé-virtualisée. Une fois de nouveau dans le monde terrestre, elle s’écroula dans le scanner. Elle passait ses journées à s’entraîner ici. Désormais, Lyoko n’avait plus le moindre secret pour elle. Dès la prochaine attaque, elle allait être prête. Le problème était que… l’ennemi se faisait discret. Leur stratégie avait été complètement défensive, mais ne disions-nous pas que « la meilleure stratégie était l’attaque » ? Ulrich avait tenté de la rassurer, en affirmant que « tout était sous contrôle », qu’Alpha avait un plan mais que lui était incapable de le lui expliquer.


Nos mains sont entres les mains de cette I.A. et de cet ado insupportable. C’est vraiment rassurant. A quel moment est-ce qu’on a pu autant merder ? J’aurai du foutre une balle dans la tête du Directeur il y a longtemps de cela, ça aurait été plus rapide, pensa t-elle alors qu’elle se relevait. Mais elle se souvenait aussi de pourquoi elle avait joué les agents doubles pendant si longtemps. De pourquoi elle avait tant cherché à gagner la confiance du Directeur. Comme Camille le lui avait dit la dernière fois qu’ils s’étaient vus.


Elle l’avait rencontré dans un café en plein jour, comme à chaque fois. Au début, elle avait été surprise, après tout n’était-ce pas dangereux pour lui de s’afficher ainsi ? Il avait eut une sorte de demi-sourire qui ressemblait davantage à une grimace et lui avait expliqué qu’il se sentait plus en sécurité à la lumière que caché dans un carton. Après tout, qui viendrait le chercher ici, autour d’un diabolo menthe ? Depuis, c’était une habitude.

- C’est probablement la dernière fois que nous nous rencontrons, avait-il dit en brisant le silence.

- Pourquoi donc ?

- L’étau se ressert autour de moi, Della Robbia. Je fais ce que je peux, mais je ne suis plus tout jeune.

Elle ressentit une petite piqûre en entendant ce nom de famille, ce n’était plus souvent qu’on l’appelait ainsi. Mais au-delà de ça, apprendre que l'une des rares personnes avec qui elle pouvait se comporter honnêtement allait disparaître de sa vie était un choc assez conséquent.

- Je vous rassure, je ne vais pas mourir. Je dois juste me faire plus discret.

- Mais rien ne nous assure que nous nous révérons, c’est ça ?

Il hocha silencieusement la tête.

- Quand Ulrich m’a parlé de vous, je ne m’attendais pas à ce que vous soyez tellement pleine de ressources. Depuis le début, c’est la vengeance qui vous motive, je l’ai bien compris. Mais il est peut-être temps que je vous explique les autres choses en jeu ici.

Il sortit un dossier de son sac. La lettre H était écrite en majuscule sur la première page.

- Je ne fais pas confiance à l’informatique. Un manuscrit est bien plus simple à garder en un seul exemplaire.

Il le posa sur la table et l’invita à le feuilleter. Alors elle comprit qu’effectivement, ça la dépassait. Ça dépassait Ulrich, ça dépassait aussi le vieil homme qu’elle avait en fasse d’elle. Elle s'était sentie toute petite face à l'immensité du monde. Comme une enfant qui essayait d'affronter une montagne. Une vague de désespoir se mit à l'envahir alors qu'elle comprenait la futilité de tout ce qu'elle avait essayé d'accomplir. 

- Est-ce qu’on peut… vraiment faire quelque chose ? Demanda t-elle timidement.

- Il faut le croire. Ulrich et moi même, nous sommes à la recherche d’Alpha, une intelligence artificielle qui nous permettrait de tirer notre épingle du jeu. Quant à vous… Gagner la confiance de l’assassin de votre père. Aussi difficile que ça puisse paraître, c’est tout ce que vous pouvez faire et cela pourra se montrer déterminant.

Elle avait hoché la tête, perturbée et songeuse.

Il lui avait promis de la recontacter lorsque «l’échiquier serait en place ». Elle n’avait plus jamais entendu parler de lui. Il était sans doute décédé, et c’était à ses pions de se débrouiller sans leur roi. Il y avait bien Alpha, mais elle ne pouvait se résoudre à lui faire confiance.


Mélissa fit quelques pas en avant et tomba sur le sol. Ses jambes lui paraissait bien trop lourdes. Et elle avait du mal à garder les yeux ouverts. Ambre et Melvin, qui venaient d’être dévirtualisés à leur tours vinrent l’aider à se relever.

- Madame Marple, tout va bien ? Demanda le rouquin.

- Oui… oui. Allez-dire à Ulrich de relancer une virtualisation.

- Euh… Il est déjà 21 heures, Melvin et moi pensions rentrer chez nous, répondit la lycéenne.

- Pas pour vous, pour moi.

Ils se regardèrent. La pionne avait passé la journée sur Lyoko et n’était définitivement pas en état d’y retourner. Elle n’était même plus capable de se relever toute seule. Mais qu’est-ce qu’elle pouvait faire d’autre ? Elle se sentait inutile au possible. En allant sur Lyoko, elle avait l’impression de faire quelque chose, au moins.

- Reste là avec elle, je vais le chercher ! S’exclama Melvin à l’attention d’Ambre.


La jeune fille l’aida à rester debout. Ulrich débarqua à toute vitesse en criant :

- Mais ça va pas de te mettre dans des états pareils ! Bon… les enfants, vous pouvez-y aller.

Ambre et Melvin s’exécutèrent, laissant les deux adultes ensemble.

- Qu’est-ce que tu as en tête ? Te tuer à la tâche ?

- Mais non… Je dois être prête. M’entraîner encore plus.

- Et tu l’es ! Tu as pas vu tes scores sur Lyoko, t’es devenue une véritable machine à tuer ! XANA n’a qu’à bien se tenir !

- C’est pas assez.

- Bon… écoute, je vais te raccompagner chez toi. Si jamais il y a une attaque pendant la nuit, je te contacterai.


Il l’accompagna jusqu’à l’entrée de l’usine. Il faisait déjà nuit, mais ce soir là, il n’y avait pas d’étoiles. Le ciel était semblable à des ténèbres et les nuages qui y étaient parsemés ressemblaient à des visages monstrueux.

- Dis… commença Mélissa, qu’est-ce qu’on fera après ?

- Après quoi ?

- Après tout ça.

C’était une question qui la torturait. Depuis son adolescence, elle ne désirait que de se venger. Plus qu’une simple obsession, c’était son but. Le seul chemin qui lui était jamais apparu. Mais une fois le Directeur mort et enterré, qu’est-ce qu’elle ferra ? Sa vie n’aurait plus aucun sens, ça avait un côté terrifiant. Je ne sais pas si je peux mettre les choses que j’ai faite pour ZETA sur un CV. Ça se trouve, je finirais caissière dans un vieux supermarché.

- Ben… j’pourrai peut-être t’inviter boire un verre.

Il lui fit un clin d'œil. Il lui tournait autour depuis qu'ils s'étaient réunis pour affronter XANA, avec autant de finesse qu'un éléphant. Il s'attendait à quoi, qu'elle lui tombe dans les bras ? Cela la fit rire intérieurement. Je lui ai jamais dit que j’étais pas attirée par les mecs. Ça lui fera une jolie surprise. Ça sera ma deuxième vengeance, celle contre celui qui me piquait mon père.

- Je crois que je vais réussir à rentrer toute seule, merci Ulrich.

- De rien Mélissa, à demain.

C’est ça pauvre con, à demain. Que tu me reluques encore en pensant que je ne te vois pas. Que tu sois encore aux petits soins avec moi en pensant que je ne puisse pas me démerder toute seule. Et que tu fasses encore semblant d’avoir un plan. D’ailleurs, qu’est-ce qu’on fera demain ? On ira encore sur Lyoko se battre entre nous parce qu’on sait pas quoi faire d’autre ? C’est ridicule. Si seulement Camille était là, tout serait beaucoup plus simple…


Elle arriva devant le petit studio qu’elle louait pendant son séjour ici. Elle s’était faite plus discrète qu’Ulrich avec son hôtel beaucoup trop simple à tracer. Première chose à faire : prendre un bon bain. Deuxième chose à faire : se faire à manger. Ou commander quelque chose. Combien de temps me reste t-il à tenir, comme ça ? A vivre cette parodie de vie ? 

Son portable vibra, mais elle ne prit pas le temps de le sortir de sa poche. Elle était trop surprise, car lorsqu’elle ouvrit la porte d’entrée, la lumière était déjà allumée. Quelqu’un était assit sur son lit.

- Bonsoir Mélissa.

- Bonsoir monsieur le Directeur, répondit-elle immédiatement.

Un frisson la parcourait intégralement. Il était là, face à elle, un pistolet dans la main et pointé dans sa direction.

- Nous sommes entre nous. Tu peux m’appeler William.

- Vous… Tu… Tu as reçu mon dernier rapport ?

- Ne jouons pas aux devinettes. Je sais pertinemment que tu travailles avec Ulrich. Je suis venu pour te tuer, pas pour parler.

Et il tira.

Mélissa Marple, alias Della Robia, n'essaya même pas d'éviter. Elle ne bougea pas, regardant son adversaire droit dans les yeux. 

Elle n’aurait pas à trouver une réponse à toute ses interrogations qui l'avaient pendant si longtemps torturé dans ses nuits sans sommeil. 

Désormais, elle allait pouvoir dormir. Et ne plus jamais avoir à se réveiller. Au final, c'était peut-être mieux comme ça.

- Je regrette, Mélissa. Dit doucement William Dunbar à son oreille.


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