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Chapitre 5 : Chapitre 4 : Avatars numériques
6051 mots, Catégorie: T
Dernière mise à jour 20/05/2015 21:10
Chapitre Quatre : Avatars Numériques
*Ambre*
Les quelques secondes de voyage dans cet ascenseur passèrent comme des heures. Jean et Antoine se jaugeaient mutuellement du regard, un peu comme chien et chat. Je m’étais vite rendu compte qu’ils n’étaient pas vraiment les meilleurs amis du monde, loin de là. C'était dommage qu'ils se détestent autant, car je trouvais que par leurs différences ils se complétaient plutôt bien. Peut-être qu’avec un peu de temps, ça allait évoluer. Je l'espérais de tout coeur. Je ne les connaissais que depuis aujourd'hui, mais je les aimais bien. Ils étaient tous les deux beaucoup plus gentils que les deux garçons de ce matin, ou encore de Steve. Ombre avait eu raison de me dire de garder espoir. D'ailleurs, Ombre…
Elle était juste à côté de moi, restant silencieuse. Je n'avais plus entendu le son de sa voix depuis qu'elle avait fait fuir Steve en classe. Elle avait bien repris possession de mon corps pour les mêmes raisons par la suite, mais cela ne signifiait pas qu'elle m'adressait à nouveau la parole. D'ailleurs… ça m'inquiétait un peu qu'elle puisse comme ça me diriger sans que j'aie mon mot à dire… La première fois, j'avais été consentante et cela avait été une sensation très particulière, mais extrêmement douce. Un peu comme penser toucher un miroir, se rendre compte qu'il était en réalité composé d'eau et le traverser. En revanche, la seconde fois avait été très désagréable. J'avais eu l'impression d'être expulsée de mon propre corps. Je savais qu'elle avait fait ça car la situation avait été urgente mais… si à l'avenir elle pouvait éviter, ça ne me dérangerait pas vraiment.
Et puis elle était devenu étrange, ne me parlant que très peu, alors que j’avais pourtant atteint son objectif ! Notre objectif ! Aller dans un collège normal avait été notre vœu le plus cher, que pouvait-elle vouloir maintenant ? Elle était comme ma sœur… la voir comme ça me faisait souffrir… Et en même temps, si elle n’avait pas pris le contrôle quand Steve nous avait attaquées, le pire aurait pu arriver… Je ne voulais même pas y penser.
Heureusement, la double porte s’ouvrit enfin. Un spectacle assez inattendu nous attendait. Une salle sphérique avec un ordinateur proche du centre, et un seul siège. Antoine fut le premier à sortir du monte-charge, pour s’approcher de l’écran. Personne n’avait dû venir ici depuis une bonne dizaine d’années, tant la poussière recouvrant le sol et le clavier était en quantité. Mais quel était donc cet endroit ? La journée allait être plus riche en péripéties que prévu !
« On est où là, dans le laboratoire d'un savant fou ? » fit Jean pour détendre l'atmosphère.
On était tous les trois un peu tenu. Sa blague tomba à plat, ni Antoine, ni moi ne réagirent.
Toujours sans rien dire, le génie aux cheveux blonds appuya sur une touche au hasard. L’écran s’alluma, avec un message d’erreur « Erreur N332 : Impossible de charger l’holomap, veuillez réessayer ultérieurement». L’ordinateur semblait à la fois futuriste et rétro, totalement en avance sur son temps, et sans doute très compliqué. La perspective de tenter de comprendre cette machine inconnue m’excitait beaucoup, l’informatique étant un de mes domaines de prédilection avec le dessin.
« Sérieusement Antoine, on est où ? » demanda Jean, cette fois beaucoup plus sérieusement.
« J’en sais rien. Mon père a dû venir ici… C’était peut-être là-dessus qu’il travaillait, un genre de projet ultra secret… » répondit le blondinet, pensif. Il ne nous regardait plus, et ses yeux allaient d'un endroit de la pièce à un autre, ne sachant vraiment où porter son attention.
« Ou alors c’est juste l’interface de gestion de l’usine. » rajouta l'autre jeune homme d'un ton blasé.
J’exclus mentalement l’idée du jeune homme, non pas qu’elle était peu crédible, mais juste parce que se serait extrêmement décevant ! Je décidais donc de rajouter mon petit grain de sel.
« Je ne pense pas. » commençai-je. « Ça a l’air trop… complexe. »
Antoine avait l'air d'être dans un état second, à tout vouloir toucher, observer et sûrement comprendre. Il finit par décider de descendre l’échelle du coin de la pièce, sans nous dire un mot. Il voulait sans doute être seul. Je m’assis sur le fauteuil, bien décidée à décortiquer cet engin. Un autre message apparut brusquement : « Date de dernière utilisation 22/03/2019 ». Cela faisait donc treize ans que personne n’était venu ici. Jean avait sa tête par dessus mon épaule et regardait ce que je faisais.
« Tu y comprends quelque chose ? »
« Il est un peu trop tôt pour le dire. J'ai quelques connaissances dans le domaine, mais ça ne ressemble à rien que j'ai déjà vu. »
Je me mis à parler en termes très techniques et mit un bon bout de temps à remarquer qu'il ne m'écoutait plus et se contentait de me regarder en souriant.
« Qu'est-ce qu'il y a ? » lui demandais-je timidement. Je devais à nouveau être rouge comme une pivoine…
« Rien. Je me disais que t'étais vraiment spéciale comme fille. » Puis il rajouta comme pour se rattraper, il rajouta rapidement : « Dans le bon sens du terme hein ! »
Se pouvait-il que… je l'intimidais ? J'étais tellement habituée à être gênée par les autres que je ne pensais pas que ça pouvait être réciproque. C'était… étrange, ça aussi comme sensation. Il y eut quelques secondes de silence avant que je finisse par changer de sujet.
« Tu sais, j’avais vraiment peur de ce premier jour de cours, mais si c’est tout les jours comme ça, ce n’est pas si mal. »
Il s’assit sur le sol, toujours souriant.
« Aujourd’hui est plutôt exceptionnel parce qu'on on s’ennuie pas mal normalement. Moi non plus ça ne me dérangerait pas de faire plus d’exploration comme ça. »
« Vous connaissez depuis longtemps, Antoine et toi ? »
« On a fait tout le collège ensemble. Et en fait, on se connaît pas vraiment. »
« Je suis sûr que si vous passiez plus de temps ensemble, vous deviendriez amis ! D'ailleurs, on devrait faire plus de sortie tout les trois ! » déclarai-je.
« Peut-être. Mais bon, j’ai pas beaucoup de temps. Il faut que je commence à chercher un job pour quand j’aurais 16 ans, et je dois m’occuper de ma petite sœur. »
Finalement, sous ses allures de « mec populaire et cool » il était quelqu’un d’assez responsable. C’était surprenant comment beaucoup de personne cachaient leur véritable caractère. Étais-ce aussi le cas d'Antoine ? Et dans ce cas, sous son masque d'antipathie, que se cachait-il ? Quelque chose me disait que c’était quelqu’un de sensible. C'est à ce moment que je remarquai la façon dont Ombre me regardait. C'était un regard effrayant, rempli d'une colère que je ne connaissais pas. Elle semblait bouillonner de me voir discuter avec mon nouvel ami. Mais qu'est-ce qui pouvait bien lui arriver ? Pourquoi était-elle aussi énervée ? Pourquoi allait-elle aussi mal ?
« Jean ! Viens voir ! »
C'était la voix d'Antoine, elle venait de l'étage du bas. L’adolescent se tourna vers moi et me fis signe de le suivre.
« Il ne m’a pas appelé, ça veut dire que je dois rester ici. » fis-je simplement pour lui faire comprendre que c'était à mon tour d'être seule.
« Si tu veux. »
Il haussa les épaules et descendit par l’échelle. J’arrivais peu à peu à mieux cerner ce drôle de personnage. Il était franc dans sa façon d’être et de voir les choses. Le simple fait qu’il n’insiste pas pour que je l’accompagne et qu’il respecte mon choix de rester à l’arrière était agréable. J’attendais d’être sûre qu’il soit bien loin pour faire face à celle que seule moi pouvais voir. Celle qui n’existait qu’à mes yeux
Une fois qu'il était bien descendu, je faisais face à ma conscience. Depuis toujours, nous nous disions tout. Il était temps de rétablir cette tradition. Je voulais que nous soyons heureuse toutes les deux.
« Qu'est-ce qui se passe Ombre ? »
« Qu'est-ce qui se passe ? Je réfléchis. J'en ai pas le droit ? » me répondit-elle avec une immense agressivité qui me fit sursauter.
Jamais elle ne m’avait parlé comme ça. Elle avait toujours été comme un ange gardien, à veiller sur moi, me conseiller et même depuis aujourd’hui me protéger. Quand j’étais triste, elle me rassurait. Quand j’allais mal, elle me réconfortait. Mais qu’étais-je censée faire maintenant que c’était elle qui souffrait ?
« Je m'inquiète pour toi. » dis-je d'une toute petite voix.
« J'ai pas besoin de ta pitié ! » rugit-elle.
Et dans son accès de rage, elle prit le contrôle de mon bras et envoya valser une pile de composant électronique sur le sol. Cette fois elle allait trop loin !
« Tu… tu vas tout de suite te c-calmer !» m’écriais-je en bafouillant.
Je m’étais levée et je transpirais. Je ne m’étais jamais autant énervée de ma vie. Et jamais je n’aurais cru un jour me disputer avec celle qui m’avais guidée jusque là. Cependant, c’était une magnifique journée et je ne voulais pas que sa tête de blasée gâche tout.
« J'ai compris. Je m’en vais. »
Et sans rajouter un mot, elle disparut. C’était comme si elle n’avait jamais été là. Aussitôt, un immense sentiment de culpabilité m’envahissait. Elle avait toujours été là pour moi… et alors que c’était à son tour d’avoir besoin d’aide, je la repoussais. Ce n’était pas juste.
« Ombre ? » demandais-je doucement.
Pas de réponse. Elle allait revenir. Peut-être. Je l’espérais. Je me tournai vers l'écran, une étincelle de défi dans les yeux. Bon, à nous deux l’ordinateur ! On allait voir ce que tu avais dans le microprocesseur ! J’essayais plusieurs manipulations et plein de données totalement incompréhensibles firent apparition sur l’écran. Je m’arrêtais de pianoter sur le clavier pour observer cet étrange phénomène, et sans que je retouche à quoi que ce soit, un étrange programme se mit en route. Il était intitulé : “virtualisation”.
*Antoine*
Jean mit du temps à me rejoindre à l’étage du dessous. La blondasse ne l’avait pas suivi, c’était parfait. Je l’avais appelé car j’avais besoin que quelqu’un d’autre observe cet étage encore plus surprenant que le précédent et me livre ses réflexions. Je n’avais pas choisi l’autre niaise car je doutais qu’elle soit en capacité de faire le moindre commentaire intéressant. Ceci dit, Jean non plus, mais un seul abruti était amplement suffisant. Deux, c’était un peu trop. Les bêtises qu’il allait sortir allait mettre en valeur les formidables théories que mon cerveau n’allait pas tarder à élaborer. Il fut tout aussi surpris que moi quand il vit ces trois cylindres jaunes. Je ne savais pas du tout ce que c’était. Mais qu’était donc venu faire mon père ici ? Je commençai à me croire dans un film de science-fiction…
« Ouah c’est quoi tout ça ? »
« Non, absolument aucune. » déclarais-je froidement.
Je pénétrai dans l’un de ses sarcophages de fer. Jean en fit de même avec un autre, tentant comme moi de comprendre l’utilité de ces engins.
« C’est p’têtre une plate-forme de téléportation. » s’écria mon rival.
Je soupirai devant tant de bêtise. Après il allait me sortir quoi, une machine a voyager dans le temps ? Non mais franchement des fois… Ça ressemblait plus à… Les portes des cylindres se refermèrent soudainement, nous enfermant à l’intérieur.
« Eh ! Mais qu’est ce qui se passe ? » hurla Jean.
Nous avions été stupides… rentrer a l’intérieur sans tenir en compte du danger que cela pouvait représenter… J’essayais d’ouvrir les portes de force, mais impossible ! Je tentai tout de même de trouver une solution, et de garder mon calme.
« Ambre à dû accidentellement déclencher ça… on n’a vraiment pas de chance que ça tombe pile au moment ou on était a l’intérieur… » commentais-je.
Je tremblais. Et je pleurais. Mais quelle idiote ! Quelle idiote ! Je savais que j’aurais dû venir ici seul ! Une lumière s’illumina sous mes pieds. Je me mis à crier, le plus fort que je pouvais. Bordel, je ne voulais pas mourir ! C’était trop tôt ! Je n’avais rien accomplis, rien fait… j’étais comme mon père, même pire ! Je me sentais comme aspiré par le plafond… Ce n’était pas douloureux, mais surprenant. Tout devint blanc et…
Je tombai sur le sol moussu. Ma vue était partiellement flou. Lorsqu’elle revint totalement, je me rendis compte que j’étais dans une forêt… mais elle ne semblait pas réelle, sans doute par le fait qu’elle était composée de plateformes volantes dans le ciel. Les couleurs aussi semblaient… trop vives, trop saturées… Je ne saurais comment décrire précisément.
« On est où ? »
La voix venait de derrière moi. Un être ayant un visage proche de celui de Jean, mais portant une armure digne du Moyen-âge se tenait devant moi. Dans sa main droite, il tenait une sorte de lance.
« Jean ? C’est toi ? Tu t’es cru dans Excalibur ou quoi ? »
« Et toi, tu t’es cru dans Avatar ? »
« Comment ça ? »
En regardant mes mains, je découvrais qu’elles étaient bleues ! Totalement bleues ! Je portais aussi un casque vraiment étrange, le genre qu’on portait quand on faisait de la moto au début du XXIème siècle. Le plus surprenant devait être l’épée avec un halo lui aussi bleu et à l’allure surnaturel, accrochée à ma ceinture. Mes cheveux blonds semblaient être désormais blanc et assez long… Mais qu’est ce qui se passait ici ?
« Antoine ? Jean ? Vous m’entendez ? »
C’était la voix d’Ambre, toujours aussi agaçante. Mais elle venait de partout et nulle part à la fois.
« Ambre ! Qu’est ce qui nous est arrivé ? » l’interrogea l’autre idiot.
« Je ne sais pas… tout à commencé à s’activer tout seul… On dirait que vous êtes dans une sorte de jeu vidéo. »
Le chevalier commença à faire tourner sa lance devant lui avec sa main.
« C’est plutôt cool en fait ! »
Pour moi, c’était la douche froide, et je m’écroulais sur le sol. Un jeu vidéo ? Le secret de mes parents, c’était ça ?! La conception d’un jeu vidéo ?!! Je crois qu’aucun mot n’aurait pu décrire ma déception. Si c’était bien la vérité (et une immense part de moi refusait de le croire), c’était pire que lamentable. Le mépris que j’éprouvais à l’égard de Papa était donc entièrement justifié.
« Eh le geek, ça va pas ? »
Je lui lançai un regard noir rempli de haine, mais il ne le releva pas. Il fallait que je me défoule sur quelqu’un, et ce macaque était la personne parfaite.
« Ne bougez pas, je vais essayer de vous sortir de la ! » fit la blondasse, d’un ton inquiet.
« Prend ton temps Ambre, il n'y a pas l'air d'avoir le moindre danger. » la rassura son chevalier servant.
Sans écouter leur conversation stupide, je dégainai mon épée et chargeai sur Jean en hurlant. Il s’en rendit compte et évita au dernier moment, avant de demander avec surprise :
« Qu’est ce qui te prend ? »
« Si c’est un jeu vidéo, on ne peut pas mourir, et en plus on a des armes. Tu ne peux pas savoir à quel point j’ai toujours rêvé de te casser la gueule ! »
Je pointai ma lame dans sa direction, et m’apprêtai à attaquer à nouveau.
« Très bien. Si tu veux jouer à ça. » me lança t-il,.
Il fit tournoyer son arme une nouvelle fois avec un air de défi, puis se mit lui aussi à charger. Avec sa lance, il avait une plus grande allonge et il était plus rapide, malgré l’encombrement de son armure. Avec mon épée, je ne pouvais pas parer un tel coup ! Il allait me toucher en plein ventre avant que je ne puisse lever le petit doigt... ! Je fermais les yeux au moment de l’impact… et lorsque je les rouvris, j’étais deux mètre derrière lui. J’avais un don de téléportation ! Je commençai a me plaire ici !
« Antoine ? » demanda t-il dans le vide, tout à coup beaucoup moins sûr de lui.
« Derrière toi ! »
Lorsqu’il se retourna, il était trop tard. Et pam ! Un coup dans le dos ! Il recula et trébucha, et tomba dans le vide, non sans rattraper le bord de la plateforme de justesse avec sa main gauche. Avec un grand sourire, je m’approchai doucement pour le faire tomber. Ce moment était juste jouissif. L'avoir à ma merci de la sorte ! Je comptais bien lui écraser la main et le regarder tomber.
« Arrêtez s’il vous plaît ! Antoine, je viens de trouver des informations, et si Jean tombe dans la mer en dessous, il restera ici à jamais ! Ce serait… ce serait c-comme le tuer ! » s'écria soudainement la jeune fille du groupe depuis son ordinateur.
Je tressaillis et faillis chuter à mon tour. Ce n’était pas normal qu’un jeu vidéo puisse être aussi dangereux ! Je regardais Jean, lui aussi me regardais, droit dans les yeux. Je ne l’aimais pas. Je le détestais même. Mais de là à le tuer ? L’idée me passa par la tête, je ne pouvais pas me le cacher. Mais il y avait une différence entre avoir l’idée et la réaliser. Même si c’était un abruti, je ne pouvais pas… je ne devais pas…
« Antoine, qu’est-ce que tu attends pour le remonter ? »
Mon ancien adversaire me fixait toujours, d’un regard qui disait : “peu importe ce que tu comptes faire, fais le.” Alors je… je...j’attrapai sa main et l’aidai à revenir sur terre.
« Je suis désolé, vraiment. » dis-je en baissant les yeux.
Pourquoi avais-je autant hésité ?
Pourquoi ne l’avais-je pas directement remonté ?
Pourquoi est-ce que j’avais le sentiment que ça ne m’aurait pas tant que ça dérangé qu’il tombe et disparaisse à jamais ?
Il eut un petit sourire. Apparemment il ne m'en voulait pas. Tant mieux !
« Oh c’est pas grave. »
Ça cachait quelque chose. Je devais sans doute m’en faire pour rien. Dès que je lui tournai le dos, sa lance me transperça violemment le ventre. Je me voyais disparaître petit à petit.
« Sans rancune ! » fit il avec un petit clin d’oeil.
Avant de totalement quitter ce monde, j’eus le temps de lui planter mon épée dans la tête. Et ce ne fut pas vraiment désagréable. Tout mon corps avait définitivement disparu.
Encore une lumière blanche… cette fois, j’étais de retour dans le cylindre, qui s’ouvrit lentement. Celui de Jean en fit de même, et il sortit avec un grand sourire.
« C’était énorme. Un peu effrayant, mais énorme. Il devait être sympa ton paternel pour faire des trucs aussi dingues ! »
Je ne lui répondais pas. Premièrement, parce que je considérais ce qu’il disait au sujet de mon père comme une insulte. J’insultais souvent mentalement l’homme qui s’était appelé Jérémie Belpois, mais moi… j’avais le droit, j’étais son fils. Deuxièmement… je culpabilisais un peu de ce qui s’était passé dans le jeu vidéo. Enfin non, pour être précis, je culpabilisais de ne pas culpabiliser. Je ne comprenais pas pourquoi je devais faire un effort mental pour m’en vouloir.
« Tu sais, c’est pas grave, hein. On rigolait. » me dit-il sur un ton sérieux. Je ne l’avais jamais entendu me parler comme ça. C’était comme s’il essayait de me rassurer… Mon mal-être devait être assez apparent.
On se contempla une nouvelle fois quelques secondes, sans rien dire. C’était un silence vraiment embarrassant. Ambre débarqua et eut un soupire de soulagement, brisant la glace par la même occasion.
« Ouf… vous êtes sain et sauf. »
« Ambre, quand tu as un ordinateur que tu ne comprends pas, tu évite de toucher à tout ! » la narguai-je. J’avais repris mon air habituel, et tâché de penser à autre chose.
« Je vous assure, je n’ai touché à rien ! Tout s’est fait automatiquement, comme les lumières et l’ascenseur ! » se défendit-elle.
M’ouais, c’est ça. Ses excuses, j’y croyais moyen. Et dire qu’elle m’avait proposé son aide pour mon problème informatique ! Tout le monde évitait de le dire à voix haute, mais il était bien connu que ce n’était pas un domaine où les filles dominaient. Par conséquent, je ne lui en voulais pas. Ça ne faisait que prouver que j’avais raison quant à son quotiant intellectuel.
« Bon, c’est pas tout ça mais il se fait tard et Léa va avoir faim, donc on peut dire que ça fait assez de découvertes pour aujourd’hui ? » demanda Jean.
La blondasse et moi-même hochèrent la tête. Je ne demandais pas qui était cette Léa, sans doute sa petite amie ou quelque chose du genre. Ambre et son chevalier servant partirent d’un côté et moi de l’autre. Je les saluais rapidement de la main avant de rapidement rentrer chez moi. Je devais digérer tout ce que j’avais appris aujourd’hui. Et surtout réfléchir à un moyen de refaire fonctionner le laptop de mon père, car j’étais désormais persuadé que la clé de toutes ces énigmes s’y trouvait.
*Ambre*
Jean me raccompagna jusqu’à chez moi. On ne parla pas beaucoup, je tombais de fatigue. Cette première journée à l’extérieur m’avait épuisée ! Mon nouvel ami essaya plusieurs fois d’engager la conversation, mais compris rapidement, que je n’étais plus en état. Il s’assura simplement que je rentrais bien chez moi. C’était vraiment gentil de sa part, mais j’avais cru comprendre que sa petite soeur l’attendait. Alors je m’arrêtais et lui dis en souriant :
« Merci beaucoup. Je pense que je peux rentrer toute seule désormais. »
« Tu es sûr ? Ça ira ? »
J’hochai la tête, essayant d’avoir l’air un minimum en forme. Je ne voulais pas qu’il manque à ses obligations par ma faute. Il se faisait tard, sa soeur devait s'inquiéter.
« Bon. A demain. »
Je le regardais s’éloigner. Aujourd’hui, j’avais fait la connaissance de Jean et d’Antoine. Et si j’appréciais leur compagnie à tous les deux, je devais admettre que quand j’étais avec Jean, c’était… différent. Je ne pouvais pas l’expliquer. Je ne devais pas connaître le vocabulaire adéquat pour ce genre de choses. Maman le savait peut-être, mais je ne pensais pas que lui raconter que j’avais passé la soirée
Soudainement, je sentis une violente impulsion dans mes pieds qui me força à avancer. C’était Ombre. Évidemment, qui d’autre ? Elle devait s’impatienter. Je me rappelai que c’était déjà quand je discutais avec Jean que sa “crise” était devenue plus critique. Est-ce qu’il y avait un rapport ?
Je rentrai chez moi. Maman avait laissé la lumière de l’entrée allumée, avec un post-it “on doit parler” collé sur la porte de ma chambre. Ça n’annonçait rien de bon, mais j’étais habituée aux conflits avec elle désormais et cela ne me faisait plus peur. J’allais aussitôt prendre une douche, comptant bien me mettre au lit une fois propre.
Je laissais l’eau me couler sur la visage. Elle était froide, je n’aimais pas la chaleure. D’ici je pouvais me voir dans le miroir, et alors que je remarquais une mèche rose dans mes cheveux, une sensation horrible me saisit. Comme une envie de vomir, accompagné d’une douleur aiguë au ventre. Je tombais et me rattraper en attrapant le robinet. Puis ce fut un mal de crâne, horrible. Et d’un coup, je fus expulsée en arrière.
Pourtant...
Pourtant, je n’avais pas mal.
Mais je ne faisais pas attention à ce détail, j’étais plus préoccupée par le fait que je pouvais me voir, encore à l’intérieur de la douche. J’avais été chassée de mon propre corps ! La jeune fille… enfin, “je” me regarda avec un grand sourire, un sourire que je n’eus aucun soucis à reconnaître.
« Ombre ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »
Elle s’avança vers moi, toujours avec autant de jubilation.
« Une petite inversion des rôles, et c’est la fin du monde ! » fit-elle avec dédain.
« Rends moi mon corps tout de suite ! » paniquai-je.
Son sourire disparu aussitôt. Ses yeux pétillèrent d’une furie sans nom. Elle s’approcha de moi, enfin… de mon “fantôme” et rugit :
« Ton corps ? Ton corps ?! Je te demande pardon ? Tu as bien dit : ton corps ?! »
Je ne savais pas que je pouvais être aussi… effrayante ! J’essayais de partir, mais il m’était impossible de quitter la pièce. Je ne pouvais pas aller là où elle - enfin je - n’était pas…
« Parce qu’à part flirter d’une manière ridicule avec monsieur beau gosse, je n’ai pas le souvenir que tu es fait grand chose pour TON corps ! »
Elle continuait d’avancer vers moi. J’étais terrorisée.
« Qu’a tu fais pour éviter que Steve te tripote en classe ? Qu’a tu fais quand il s’est ramené avec ses amis pour nous VIOLER ? RIEN. »
Elle se remit à sourire, de toutes mes dents.
« Ce n’est pas ton corps. Tu ne le mérites pas. Tu n’as rien fait pour lui. »
« Tu n’existes pas.» lui dis-je d’une petite voix.
Elle fit un bond en arrière de surprise. Ses yeux s’étaient écarquillés.
« Pardon ? Qu’est… Qu’est-ce que tu as dit ? »
« J’ai dit que tu n’existais pas. Tu n’es rien de plus qu’une amie imaginaire que je me suis inventée pour fuir la solitude. »
Jamais je ne l’aurais cru, mais elle pleurait. Abondamment. C’était comme dire à quelqu’un qui était en surpoids qu’on le trouvait gros, c’était la vérité. Et la vérité blessait toujours énormément.
« Ce… Ce… Ce n’est pas vrai ! Je… Je suis réelle ! J’existe ! »
« Non. Tu n’as jamais existé ! »
Elle se laissa tomber à genoux. Désormais d’un calme proche de la déprime, elle me regarda tristement.
« Alors c’est tout ce que je suis ? Je vois. C’était si simple en réalité. Toutes ces questions que je me posais… pour que ce soit aussi simple. C’est bête. »
Je clignai des yeux et… j’étais de nouveau dans mon corps. Ombre n’était nul part. Mais après tout, avait-elle un jour été quelque part ? Non. Je n’avais même pas être triste. C’était normal en quittant l’enfance d’arrêter d’avoir des amis invisibles. Je grandissais voilà tout. Je pouvais peut-être me montrer un peu nostalgique, mais c’était tout. Pour être honnête, je me trouvais même ridicule pour avoir considérée quelqu’un d’irréel comme ma meilleure amie. Maintenant, j’avais Jean et Antoine.
En me regardant dans le miroir, je n’y voyais que mon reflet. En apercevant à nouveau les quelques cheveux roses, je me dis que je devais me faire une teinture le lendemain.