Code Alpha 2.0: Rainy Days

Chapitre 6 : Chapitre 6: Ombre et l'Autre

7664 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/07/2019 10:40

Melvin


Je passai le reste de la journée dans les vapes, perturbé par les événements qui s'étaient produits aux toilettes. Zoé, derrière ses airs de... de gothique agressive, était bien plus que ça. Elle savait certaines choses qui pourtant n'étaient connues que par Ambre, Antoine, Jean et moi. Et les défunts Ulrich et Mélissa. Ces derniers s'étaient peut-être confiés à d'autres personnes. Après tout, nous ne savions pratiquement rien d'eux. Et puis, nous n'avions pas été les seuls à avoir été impliqué dans cette affaire, j'avais oublié par exemple que c'était quelqu'un qui avait contrôlé XANA dans le but de nous tuer. Ce n'était pas possible de savoir combien de gens exactement étaient au courant. Mais le pire n'était pas là. Cette discussions avec la métaleuse n'était rien par rapport à l'autre choc que j'avais dû affronter : Ambre. Ma pauvre Ambre... La fille dont j'avais été tellement amoureux, réduite à un état sauvage semblable à de la folie. Elle avait été proche de me tuer. Je ne sais pas si elle en aurait été véritablement capable, et je préférai ne jamais le savoir. Parce que malgré ça, j'éprouvais quand même beaucoup de compassion pour elle. Alors peu importait que je n'avais absolument aucunement confiance en Zoé, j'allais tout faire pour sauver Ambre. Je lui devais bien ça. Cette après-midi j'allais prendre contact avec Jean pour prendre des nouvelles et essayer de comprendre comment mon ancienne amie avait pu en arriver là. Ça me semblait être un bon point de départ.


En attendant, il me restait deux heures d'anglais. Une matière dans laquelle j'avais toujours été extrêmement mauvais, comme dans beaucoup d'autres. Mais encore plus dans celle là. Parce qu'Antoine ne s'était jamais retrouvé dans le même groupe que moi, il n'avait jamais pu m'aider. C'était donc devenu ma séance de sieste favorite. Mais cette fois, si je pouvais me mettre à côté d'Augustin, ça pourrait changer. Je veux dire, ce gars là était l'intello parfait, il devait sans doute aussi maîtriser les langues étrangères ! Dans le doute, je lui demandais alors que nous rentrions pour la première fois dans la salle :

« Dis... t'es fort en anglais ?

Souriant comme à son habitude, il affirma :

- Je pense pouvoir dire sans mentir que je me débrouille ! »


J'étais rassuré. Quelle aubaine d'être tombé sur ce gars là le jour de la rentrée finalement ! Comme quoi, la chance, ça existait parfois. Mais la joie céda rapidement fasse à la déception lorsque l'enseignant nous plaça par ordre alphabétique. Je regardais mon nouvel ami avec des yeux de chien battu. Il haussa les épaules, comme pour me dire : « Tant pis ! » Alors dans cette matière, les choses n'allaient pas être différentes des années précédentes, j'allais dormir et me ramasser des caisses à chaque fois. J'installais mon agenda à la place qui m'était attitrée et posais lourdement ma tête dessus, prêt à m'assoupir. C'est alors qu'une voix féminine me tira hors du demi-sommeil dans lequel je m'étais déjà plongé.

« Eh ! T'as pas ton livre d'anglais ?

Moi qui n'étais pas habitué à ce que des filles m'adressent la parole, voilà qu'en deux jours c'était la quatrième à me porter attention ! J'observais ma nouvelle voisine et la jaugeais du regard. Elle avait une coupe au carré brune et des yeux de la même couleur. Ses vêtements étaient une veste en cuir et un pantalon gris. Son visage n'avait rien d'extraordinaire, mais pourtant il me semblait étrangement familier, comme si elle me rappelait quelqu'un sans que je puisse me rappeler de qui il s'agissait.

- Tu comptes me répondre à un moment ? dit-elle, agacée.

- Oh pardon. Ouais, je l'ai, dis-je aussitôt, me rendant compte de mon absence de réponse.

Je le sortais de mon sac, et la jeune fille s'en emparait immédiatement sans me demander mon avis, et commença à le feuilleter.

- Ralala... je comprends rien... dit-elle dans un gémissement énervé.

Ce n'était pas avec elle que j'allais améliorer ma moyenne... Bon, au moins je pouvais essayé d'engager une conversation avec elle. Après tout, à l'instar d'Augustin, j'allais passé toute une année à côté d'elle.

- Je m'appelle Melvin et toi ?

Elle me regarda, surprise et se mit à sourire.

- Melvin ! Je savais que je te connaissais !

De quoi ? On s'était déjà parlé auparavant ? C'était étrange, je n'en avais absolument aucun souvenir ! Pourtant je gardais à chaque fois en mémoire les rares moments où un membre du sexe opposé m'adressait la parole. Et il fallait admettre qu'elle n'était pas vraiment repoussante, si on avait véritablement déjà discuté, je m'en serais rappelé !

- Tu te souviens pas ? C'est moi, Sarah, on était ensemble en maternelle et en primaire ! »


Une vague de souvenirs remonta en moi d'un coup. Effectivement de la petite section au CE1, je traînais toujours avec Louis, un enfant en chaise roulante et avec une fille... nommée Sarah. On était littéralement inséparable, on avait fait les quatre cents coups. Vu que nos parents étaient amis, j'allais souvent jouer chez elle avec son frère aîné, Steven. C'était un peu brumeux dans ma tête, mais c'était toujours là. Notre groupe, c'était un peu le gang des reclus, de ceux qui étaient à l'écart. Nous avions tout les trois prit des chemins différent au milieu de l'école primaire, quand Louis dû partir à l'hôpital et quand Sarah fut envoyé en pension suite au décès de sa mère. C'était là qu'avais commencé ma solitude...

Je regardais la fille assise à côté de moi avec stupéfaction. Ça pouvait-être elle, oui !

« Non... Sérieux ? furent les seuls mots qui sortirent de ma bouche.

Elle eut un soupir, ma réaction semblait l'avoir rassuré.

- J'ai eu peur à un instant de m'être trompée. J'aurais eu l'air totalement conne !

J'essayais de rassembler toutes mes pensées pour me rappeler un maximum de choses à son sujet. Je l'avais jamais revu depuis son départ il y a longtemps. Je n'aurais jamais cru qu'on se retrouverait un jour. La preuve, je l'avais carrément zappée de ma mémoire.

- T'as vachement changée ! dis-je en l'examinant. T'étais beaucoup plus...

... comme moi. Oui, elle avait été beaucoup plus ronde à l'époque, on était devenu amis à cause de ça principalement.

- Ouais... je sais. Qu'est-ce que tu deviens sinon ?

Je me rendais compte à cet instant qu'une importante partie de ma vie était secrète. Il y avait certaines choses qui m'avait marqué que je ne pourrais jamais dire à Sarah ou même Augustin. Et si j'essayais, on me prendrait pour un fou, une sorte d'illuminé, voir même juste quelqu'un de triste qui s'invente une vie imaginaire. Tout ça, j'allais devoir le garder pour moi. Les seuls personnes à pouvoir me comprendre étaient Antoine, Ambre, Jean et de toute évidence Zoé. Pour le reste de l'humanité toute entière, je devais rester motus et bouche cousue.

- Pas grand chose. Et toi ? répondis-je rapidement.

Elle eut un petit soupir. J'avais l'impression qu'elle était beaucoup plus détendue depuis qu'elle connaissait mon identité. C'était le genre de personne à être très distant avec les gens qu'elle ne connaissait pas, et à ne se révéler uniquement qu'à ses amis. Amis. Après tout ce temps, me voyait elle encore comme un ami ?

- C'est... compliqué ! » fit-elle avec un petit rire.

Et puis elle se plongea dans la lecture de mon cahier d'anglais, comme pour changer de sujet.


C'était étrange de revoir quelqu'un aussi longtemps après. J'avais l'impression de la connaître, mais en même temps, c'était une parfaite inconnue. Franchement, le fait d'avoir été très proche d'elle alors que nous n'avions que 3 à 6 ans ne voulait rien dire. Nous avions tout les deux beaucoup changé depuis. Surtout elle. Elle n'avait plus le physique d'une fille qu'on mettrait à l'écart, contrairement à moi qui avait toujours la même morphologie...


Mon portable vibra dans ma poche. C'était curieux: n'ayant que peu (voir pas) d'amis, il n'y avait que ma mère qui me contactait par message et jamais elle ne le ferai pendant mes horaires de cours. Je regardai rapidement mon téléphone pour remarquer que je m'étais trompé. Ce n'était pas elle. C'était Antoine. Le message disait « J'ai besoin de toi dès que possible à l'usine, c'est important. On doit parler d'Ambre. » Antoine avait peut-être des informations au sujet de la jeune fille que ni Zoé ni moi ne possédait. Malgré son comportement étrange, peut-être avait-il remarqué celui d'Ambre ? Ça valait le coup d'échanger des informations. Zoé m'avait fait promettre de ne rien dire à personne quand aux événements qui s'étaient déroulés dans les toilettes ce matin, mais en qui avais-je le plus confiance ? Un vieil ami que j'avais certes perdu de vue ou bien une métaleuse bizarre et particulièrement flippante ? La décision à prendre était plus ardue que je ne l'aurais imaginé, mais finalement, j'optais pour la première option. Après tout, c'était sa sœur, il avait le droit de savoir ce qui lui arrivait.


Je levai la main et déclarait avoir mal au crâne. Le professeur accepta que je me rende à l'infirmerie à condition que je sois accompagné. Sarah se porta aussitôt volontaire. Ça ne m'arrangeait pas trop... comment lui expliquer que je comptais en réalité faire le mur ? Au détour d'un couloir, je commençai à prendre le chemin opposé à l'endroit où nous étions censé nous rendre.

« Euh Melvin... Tu vas où exactement ? » demanda la jeune fille, un brin surprise.

Je me tournai vers elle. Je ne pouvais pas tout lui dire, mais je pouvais lui faire comprendre que tout ça c'était sérieux. Très sérieux.

- Écoute... tu ne me croirais jamais si je te racontais toute cette histoire, mais j'ai une amie qui est en grave danger. Et d'une certaine manière... moi seul peut l'aider !

Elle se gratta la tête, l'air décontenancé. J'avais essayé d'avoir l'air épique en lui annonçant ça, mais je me rendais compte qu'il aurait peut-être mieux valu que je me contente de trouver une excuse bidon, plutôt que de donner des bribes de vérité. Je devais paraître totalement ridicule.

- Je viens avec toi, dit-elle.

Ça c'était surprenant. Et inattendu. Ça devait être une blague. Pourtant Sarah avait l'air très sérieuse. Je ne comprenais pas sa démarche : ce que je venais de lui avouer n'avait strictement aucun sens !

- Je sais pas ce qui t'arrive, mais ça a pas l'air d'être facile à porter. On sera pas trop de deux pour aider ton amie, non ? Et puis je m'ennuie ces derniers temps, alors si ça peut m'occuper...

Je me mis à sourire. Je commençai réellement à être de nouveau entouré cette année. Elle allait venir avec moi et on allait régler toute cette histoire ensemble, comme au bon vieux temps ! Mais... Mais c'est alors que le souvenir du corps sanglant d'Ulrich me revint en tête. C'est alors que le souvenir de la fois où je ne pouvais plus contrôler mon corps et où j'avais failli tuer Ambre refirent surface. C'est alors que le souvenir du visage de cette dernière, déformé par une agonie monstrueuse, me fit baisser la tête. Tout ça était dangereux. Véritablement dangereux. Nous avions tous failli perdre la vie, et Ambre était dans un état très critique, prenant des risques pour les autres mais aussi pour elle même. Sarah n'avait rien demandé. Est-ce que ça valait vraiment le coup de lui imposer ça ? La réponse était non. Zoé m'avait confié cette mission, à moi et je me la serai confié de toute manière. Ça ne concernait personne d'autre.

- C'est gentil... mais non. Tu ne peux pas. »

Et je quittai les lieux en courant, sans me retourner.


C'était un peu rude comme comportement, mais on était trop nombreux à avoir déjà souffert. Bien sûr, il n'y avait pas eu que de la souffrance : on avait passé quelques bons moments avec Jean, Antoine et Ambre. Comme je me le disais souvent, les quelques jours où nous avions affronté XANA avait été ceux où je m'étais sentis le plus vivant. Sans doute parce que j'avais failli justement y perdre la vie, comme nous tous. Mais là, c'était différent. Ce n'était pas une machine détraquée qui posait problème, mais une adolescente, comme nous, au bord du gouffre. Cette lueur de désespoir dans ses yeux était inoubliable. Et si ce qu'elle avait vécu l'avait mise dans cet état, ça pouvait le faire à n'importe qui. Alors non, il ne fallait pas impliquer qui que ce soit d'autre. Vu ma conversation avec Zoé, il était évident que c'était lié à l'usine et au supercalculateur. Antoine allait sans doute pouvoir apporter des réponses.


Jean

Jean était dans le bus, avec Mathilde. Il ne parlait pas. Elle avait essayé de commencer une conversation, mais il ne lui avait pas répondu. Quand il était rentré chez lui la veille, Ambre n'était pas là. Léa était allongée par terre en larmes. Il n'avait rien comprit à ce qu'elle lui avait raconté, Ambre l'aurait menacé semblerait-il... mais il refusait de croire qu'elle ait pu agir de cette manière, ça n'était pas logique ! Elle et Léa s'adoraient comme deux soeurs ! Et maintenant elle avait disparu... Jean dormit seul dans son lit pour la première fois depuis un an. Quand il se réveilla, il avait le moral dans les baskets. Il se surprit à hurler sur des enfants, en bouillonnant de rage. Mathilde avait dû intervenir, lui faisant comprendre qu'il ferait mieux d'aller se calmer. Les enfants qu'il avait reprit à l'ordre étaient en larmes, ils le regardaient avec une immense crainte dans les yeux. Il s'en foutait, une seule chose comptait à ses yeux.

Ambre... S'il te plaît, fais pas de conneries...


« Jean, si tu as besoin, tu peux m'en parler, lui dit doucement Mathilde, sa voix à moitié couverte par les conversations des autres passagers.

- J'ai... j'ai des problèmes avec ma copine... Elle est partie et je sais pas où elle est...

Elle hocha la tête avec un air grave.

- Tu veux qu'on essaye de la chercher ? Je peux peut-être t'aider. »

C'est à ce moment là que Jean reçu le message d'Antoine. Il hurla au conducteur d'arrêter le bus et en descendit immédiatement.

Antoine... J'aurai dû m'en douter...


Mathilde


Mathilde resta encore quelques instants dans le bus avant d'en descendre à son tour. Il pleuvait encore dehors. L'averse devenait même de plus en plus violente. Allait-il y avoir de l'orage ? Elle était seule dans la rue, les rares passants qu'elle croisait courraient pour se mettre à l'abri. Mathilde avançait sereinement, sans se presser. Elle arriva finalement à un kiosque. Les autres l'y attendaient.


« Et bien c'est pas trop tôt Mathilde ! On adore attendre dans le froid, tu aurais pu prendre encore plus de temps ! fit la voix sarcastique de Judith.

- Maintenant on est tous là et c'est tout ce qui compte, temporisa Augustin.

- Zoé n'est pas là ? Demanda la rouquine.

- Nan, pour ne pas changer, répondit Judith en levant les yeux au ciel.

Mathilde contempla ses frères et sœurs. Augustin accepterait. Chaque fois qu'elle proposait quelque chose, Augustin acceptait. Mais Judith... C'était l'exact opposé, elle mettait un veto sur tout, sans raisons. Elle donnait l'impression de juste vouloir les ralentir. Pourtant, on travaille tous ensemble désormais. Même avec Zoé. Pour le meilleur et pour le pire... pensa t-elle.

- Il se passe quelque chose avec Ambre. Elle a disparu de chez Jean depuis hier et il vient de recevoir un message d'Antoine. J'ai pas pu en savoir plus.

- Pareil pour Melvin, il a fait le mur cette après-midi en classe, compléta Augustin.

Il regarda ses sœurs avec un air grave. Il y eut un instant de silence, qui fut brisé par la fausse infirmière du groupe.

- Et vous étiez pas capable de vous renseigner pour savoir exactement ce qu'il se passe ?

Mathilde baissa les yeux. Tout c'était passé trop vite. Si elle avait eu plus de temps, elle aurait vraiment pu s'attirer la sympathie de Jean. Et sa confiance. Dès lors, il lui aurait tout raconté.

- Non... mais clairement, c'est important. Il faut intervenir.

- Et plomber notre couverture dès le début ? Déjà que la façon dont Augustin s'est démerdé pour que Violette vienne à l'infirmerie était tellement discrète, je suis sûr qu'Antoine ne se doute de rien. Et c'était vraiment nécessaire de faire venir ce gros tas avec toi ?

- Je n'y peux rien... Guidon a improvisé sur ce point là.

- Ouais, bien sûr... En tout cas, je refuse qu'on brise le peu de stratégie qu'il nous reste pour réparer vos conneries. On intervient pas.

- Judith, je sais que tu t'es toujours opposée à cette alliance entre nous. Mais maintenant, il faut qu'on avance tous ensemble et...

- Mais justement Mathilde, je pense à nous tous en vous empêchant d'agir d'une manière précipitée. Écoutez mes conseils pour une fois: on laisse faire et on avise. Qui sait, on aura peut-être moins de travail à partir de demain, si vous voyez ce que je veux dire.


Mathilde voyait exactement ce qu'elle voulait dire. Ils s'étaient repartis les tâches de façon à ce que chacun d'entre eux ait une personne à surveiller ou à approcher. Mathilde s'occupait de Jean, Augustin de Melvin, Zoé d'Ambre et Judith d'Antoine. La seule manière pour qu'ils aient moins de travail, c'était qu'une de ces personnes disparaissent.


Melvin


J'arrivai face à ce lieu qui avait hanté mes songes pendant de nombreuses nuits au sommeil agité. L'usine. Toujours aussi imposante, toujours aussi vide. Majestueuse d'un côté, triste de l'autre ; prête à tomber en ruine au moindre instant mais semblant défier par son immensité les nuages gris qui s'étaient rassemblés dans le ciel. Je restai quelques instants à l'observer, immobile au milieu du pont. Un sentiment mélangé à de l'excitation et à une profonde angoisse m'envahit. Je n'avais jamais cru que j'y reviendrais un jour. Pourtant, ma route me menait de nouveau dans cet endroit habité par des fantômes du passé, dont certains que je n'avais même pas connu. Je me décidai à avancer, et commençai à marcher doucement, toujours ébahi, ne sachant plus si j'étais encore en train de rêver où si j'étais bel et bien de retour ici. J'empruntai le monte-charge, mais chose curieuse, il ne semblait plus fonctionner. J'appuyai encore et encore sur le bouton, mais rien à faire. C'est alors qu'une voix familière sorti de l'interphone.


« Bonjour Melvin, ravi de voir que tu as pu venir aussi vite.

C'était bien évidemment Antoine, de sa voix désormais enroué. Avant que je n'eus le temps de répondre quoi que ce soit, l'ascenseur s'activa brutalement.

- Jean est déjà là. Nous allons pouvoir commencer, continua la voix de mon ancien ami.

Je serrai les dents. J'avais un très mauvais pressentiment quand à toute cette histoire. J'arrivai enfin au «labo» qui avait bien changé. Le sol était jonché de câbles en tout genre, reliant l'ordinateur central à dizaines d'autres écrans installés un peu partout. D'autres appareils dont l'utilité m'était inconnue étaient également présent, ainsi qu'un matelat et une sorte de mini-frigo. Le blondinet avait carrément emménagé ici ! L'ambiance de la salle était oppressante, toute cette mécanique incompréhensible me mettait mal à l'aise.


- Bon maintenant qu'il est là, tu vas me dire ce que tu sais au sujet d'Ambre ? demanda Jean, impatient.

Il avait lui aussi dû la voir dans un état pas possible, réalisai-je. Je comprenais qu'il voulait vite savoir pourquoi Antoine nous avait fait venir ici, et à vrai dire, j'étais dans le même cas. C'est alors que je remarquai dans un coin de la pièce, droite et immobile comme une vraie poupée de porcelaine, Violette, l'intrigante fille aux cheveux bleus. Qu'est-ce qu'elle foutait là ?

- Je crois que vous êtes conscient que je ne vous ai demandé de venir simplement pour le plaisir de vous revoir, commença l'intello depuis son siège, au centre du laboratoire.

Ça c'était sûr... vu son immense côté asocial...

- Écoutez moi bien, car je ne compte pas me répéter. Ambre, n'est pas Ambre. Enfin, elle ne l'est plus.

Il prit une grande inspiration avant de continuer.

- Il est temps que je vous apprenne quelque chose sur Ambre. Ma sœur n'a jamais été quelqu'un de vraiment normal. Après tout, elle a passé la plus grande partie de son existence enfermée. Cela a eu un impact sur sa personnalité. On pourrait dire qu'elle s'est... scindée. D'une part, il y a Ambre que nous connaissons et que nous aimons et de l'autre... une créature uniquement faite d'instinct et de pulsions, qui s'est auto-nommée Ombre. D'où les deux avatars qu'elle possédait sur Lyoko. Lors de la dernière attaque de XANA, lorsqu'Ambre a été dévirtualisée, elle était incomplète.

Sa voix devint nerveuse. Il commençait à s'énerver tout seul, rien qu'en parlant.

- Cela signifie que depuis presque douze mois, ma sœur est bloquée toute seule sur Lyoko tandis que ce... monstre a pris sa place !


Il y eut un grand silence. Mon cerveau était comme en mode « bug ». Cette affirmation était absurde et insensée... enfin, l'était-elle ? En tout cas, Ambre elle même supportait cette théorie en affirmant qu'elle était « Ombre ». Ce n'était pas ridicule du tout au final, c'était même très probable. Cela expliquait son immense changement de comportement. Après tout, j'avais déjà été témoin de choses beaucoup plus incroyable que ça, alors il valait mieux sauter directement la partie où je doutais de ses explications, pour passer à l'essentiel.

- Qu'est ce que c'est que ces conneries ? demanda Jean.

Il ne semblait pas être aussi facile à convaincre que moi... Antoine soupira, avec ce que je perçus être une once de mépris. Il pris une vieille télécommande en main et l'actionna. Tout les écrans s'allumèrent, nous repassant en boucle une scène s'étant déroulée sur Lyoko. On y voyait les avatars d'Ambre sur Lyoko avant la dernière attaque, puis après. Il n'en restait plus qu'un.

- Dois je présenter plus de preuves ? Je sais que cela doit être humiliant pour toi, de savoir que tu t'es fait roulé dans la farine depuis maintenant un an... A ta place, j'aurais réagis pareil. Enfin, sans doute pas, à cause de mon intellect largement supérieur au tiens mais tu vois où je veux en venir, non ? déclara calmement avec une pointe d'amusement le blondinet.

Ces paroles n'avaient qu'un seul but : être blessante. Antoine avait toujours eu la grosse tête et il n'avait jamais vraiment apprécie Jean, mais jamais il n'avait atteint un tel degrés d'arrogance. Son isolement avait eu de sacrés effet sur lui : il était définitivement encore pire qu'avant !

- Est-ce que vous continuez à douter ? Melvin, je n'ai pas encore entendu le son de ta voix agaçante. Pas de réaction stupide à faire ? De commentaire dégoulinant de débilité ?

C'était à moi qu'il s'adressait. Je ne comprenais pas son but. Nous avait-il demandé de venir ici juste pour fanfaronner en nous montrant sa découverte ?

- Je... je te crois. Ambre... enfin... celle qui lui ressemble m'a agressé ce matin au lycée... bredouillais-je.

Antoine eut un petit rictus, comme déçu que je n'essaie pas de contredire plus que ça sa théorie.

- Mmh... Intéressant. Alpha, note bien ça dans ta mémoire : dernière position d'Ombre : lycée Kadic !

- Mais juste... comment tu sais tout ça ? Ne puis-je m'empêcher de lui demander.

Il eut un immense sourire malaisant avant de déclarer en s'inclinant :

- Un magicien ne révèle jamais ses secrets.

Il appuya de nouveau sur son clavier, et la partie manquante de l'avatar virtuel d'Ambre réapparut sur les écrans. Il était entouré de nombreux chiffres en langage binaire et plusieurs points d'interrogations la décoraient.

- Ambre n'est pas morte. Je pense qu'il est possible de la récupérer, mais pour cela nous avons besoin de cette... chose qui habite son corps. Il est évident que je suis le seul à être capable d'effectuer de telles calculs, et à nous la ramener.

Le ton de sa voix changea, montrant clairement les efforts qu'il devait faire pour admettre avoir besoin de nous.

- Il y a une chose dont je ne peux me charger. Capturer la dénommée Ombre. Je vais avoir besoin de vous pour me la ramener.

- Et qu'est ce qui lui arrivera ? A Ombre... ? demandais-je soudainement.

Il se tourna vers moi, un mépris haineux brûlait dans ses les yeux qui me transperçaient de leur regard percent.

- Elle disparaîtra. Que veux tu qui lui arrive d'autre ? Ce n'est qu'une anomalie. Un bug dans l'esprit torturé de ma cher sœur.

Ça semblait... tellement injuste. De ce que j'en savais, cette Ombre était juste une... personne extrêmement perdue, mais une personne tout de même. Avec des émotions. Elle avait été capable de ressentir de la tristesse, de la colère même. L'état dans lequel elle était actuellement ne prouvait qu'une seule chose : elle ne vivait pas sans regrets. Ce n'était pas un être maléfique qui s'était débarrassé d'Ambre en ricanant d'une manière sardonique. Elle s'en voulait, j'en étais sûr. Avions nous le droit de la condamner ainsi ? Pour qui nous prenions-nous pour la juger ?

- Vous servirez d'appâts pour me la ramener ici. Votre utilité s'arrêtera là.


Le silence réapparut. Jean ne disait rien mais je pouvais voir qu'il bouillonnait. Il serrait tellement fort ses poings qu'ils étaient devenus tout rouge. Il allait parler quand un des ordinateurs produisit un "bip". Antoine retourna immédiatement sur le poste central. Son visage se referma aussitôt. Il fonça sur moi et me m'interrogea violemment :

- Est-ce qu'elle t'a suivi ?

Après avoir tenté de me tuer, elle était partie en courant et je ne l'avais pas revu. Mais vu que j'étais resté longtemps sous le choc... il était possible que je n'avais pas fait attention, et qu'elle m'avait tenu discrètement compagnie dans l'ombre. Je n'avais aucun moyen d'en être sûr !

- Que se passe t-il Antoine ? fit Violette depuis son coin de la salle. Elle avait été tellement silencieuse que j'en avais oublié sa présence.

Le blondinet posa sa main sur son menton, en pleine réflexion.

- Je voulais que ces deux là me la servent sur un plateau... commenca t-il, en oubliant notre présence. Mais là c'est beaucoup trop tôt ! Je ne suis pas prêt !

Jean sembla comprendre. J'avais compris moi aussi. Elle était là. Ambre, ou Ombre, ou qui que ce soit. Et si elle était dans le même état que ce matin, ça allait mal se passer. Jean se précipita soudainement dans le monte-charge et l'actionna à toute vitesse. Il se mit à crier :

- Vous êtes tous complètement fou ! Je vais... J'vais la ramener à la maison et tout va s'arranger !

Avant que les portes ne se referment, il ajouta à l'attention d'Antoine :

- Mais toi, tu t'approches pas d'elle !

Toutes ces révélations ne l'avaient pas convaincu, il voulait simplement tout redevienne comme avant. Dans un sens je le comprenais, mais la situation était risquée ! La fille aux cheveux bleus se tourna vers Antoine.

- Non Violette, laissons le. La suite des événements va se montre... intéressante !

Le monte-charge se referma derrière lui et commença sa descente. Nous étions tous rester immobile, sous le choc pour ma part.

- Attendez, vous allez le laisser tout seul ? Elle est armée ! Il est en danger ! m'insurgeai-je.

Antoine s'approcha de moi, un sourire étrange au visage.

- Mmh... très bien. Nous prendrons le prochain ascenseur. »

Le temps que le monte-charge revienne, quelque chose de terrible aurait le temps de se produire !


Ombre


Il pleuvait de nouveau. Encore cette foutue pluie, cette putain de pluie qui ne me quittait pas. Où que j'aille, elle me suivait, faisant disparaître le moindre rayon de lumière à l'horizon. J'étais ruisselante. Je ne savais pas si c'était justement le résultat de l'averse, de la sueur ou des larmes. Peut-être les trois. Sans doute les trois. Je faisais face à cet endroit horrible où je m'étais juré de ne plus jamais me rendre. Mais je n'avais pas le choix. Je devais assumer mes actes. Si j'avais pu aller jusqu'au bout dans les toilettes de Kadic... Non, je n'aurais jamais pu comprendre la vérité. Au final, heureusement que ça s'était passé comme ça. Après ma «confrontation» avec le répugnant rouquin, je n'étais pas partie bien loin. En réalité... je l'avais suivi, toute la journée, guettant dans l'Ombre. Ah... quelle ironie... Il avait parlé quelques temps avec une une fille au look assez spécial. J'ignorais autour de quoi avait tourné leur conversation, peut-être que je devenais parano mais j'étais persuadé que j'avais été le principal sujet de conversation. Combien étaient-ils contre moi ? Ce n'était pas bien grave. J'étais résolue à en découdre, même si je devais passer sur le corps d'une vingtaine de personnes. Plus rien ne me semblait avoir la moindre importance, si ce n'était une chose : la survie.


Alors j'avais espionné celui contre qui toute ma rage s'était dirigée, et je m'étais retrouvé là. C'était une surprise sans en être une. Au fond de moi, je savais que tout cela allait me ramener à ce lieu maudit qui avait été celui de ma libération : l'usine. Qui disait usine disait Antoine, peut-être même Jean. Ils étaient tous contre moi.


« J'ai hâte de voir jusqu'où ta folie va te conduire ! dit une voix moqueuse à côté de moi.

C'était l'Autre. Ce reflet d'Ambre, née de ma culpabilité. Elle flottait à côté de moi, son sourire monstrueux plus vif que jamais. Dans un sens, elle avait raison. C'était maintenant que tout se jouait. C'était maintenant que l'avenir d'Ombre allait prendre une tournure radicale. Laquelle ? Je ne le savais pas encore.

- Tu comptes rester longtemps à admirer le paysage ? » continua t-elle.


Mais je ne l'écoutais plus. Je réfléchissais. Mes pensées étaient brumeuses, je ne comprenais même plus mes propres choix. Je m'avançais. Il était tant d'en finir, une bonne fois pour toute.

Quelqu'un retint ma main. Ce n'était pas quelqu'un de réel, mais ce n'était pas l'Autre non plus. C'était Ambre. La jeune fille que j'avais tué qui revenait pour me hanter. Non, pas vraiment, ça c'était le rôle de l'Autre. Elle, était là pour me supplier. Elle avait les yeux rougies, comme si elle avait beaucoup pleuré. Je savais qu'elle aussi n'était qu'une illusion de mon esprit, mais c'était tout de même un choc. Jusque là, je n'avais eu le droit qu'à des démons venu me tourmenter, me rappeler mon crime. Pour la première fois... ce n'était pas le cas. Bien évidemment, ce n'était pas la vrai Ambre non plus. Juste une réminiscence de ce qu'elle avait été, une trace de sa présence dans ce corps.


« Ombre... il n'est pas encore trop tard... Arrête toi là, je t'en supplie !

Mes mains se mirent à trembler. Je ne savais quoi répondre. Je ne savais quoi penser.

- Pauvre petite sotte ! Tu ne vois pas que tu ne parles pas à un être vivant ! Tu parles à un monstre, une créature cachée sous le lit d'une petite fille mais qui a prit la grosse tête ! répliqua l'Autre.

Et aussitôt elle attrapa « Ambre » par derrière, dans ce qui semblait être une étreinte morbide. De ses griffes s'allongeant rapidement, elle écorchais la peau de mon ancienne moitié.

- Ça te ferait plaisir, hein ? Qu'Ambre revienne et te pardonne comme ça ! MAIS CElA N'ARRIVERA PAS !

Et elle transperça la jeune fille de part en pars, en partant dans un rire sinistre.

- Ça n'arrivera pas, car tu l'as tué ! Tout comme tu as tué Ambre ! TOUT COMME TU VAS TUER TOUS LES AUTRES !

Et le rire s'intensifia. Devenant une plainte que seule moi pouvait entendre. J'étais au sol, trempée et désormais boueuse, en larmes. Je ne devais pas me laisser abattre de la sorte ! Je me relevai d'un bond.

- Tu sais quoi ? Tu as raison !

Elle s'arrêta et me regarda surprise. Elle n'avait pas du s'y attendre, elle n'allait pas s'attendre à la suite non plus !

- J'ai tué Ambre. Et si c'était à refaire, je le referais ! Et aujourd'hui, tout ceux qui mettrons mon existence en péril iront rejoindre cette petite conne !

L'Autre me dévisagea. Son sourire de carnassier revint d'un coup, ce qui me fit sursauter mais je tentai de ne rien laisser paraître.

- Très bien, Ombre. Prouve le. »


Je serrai bien fort mon couteau dans ma poche et repris ma route vers l'usine, plus déterminée que jamais. J'y étais attendu par un visage très familier : Jean. Alors j'avais eu raison ! Lui aussi il était dans le coup ! Mais quelle enflure ! Avec tout ce qu'on a pu vivre ensemble ? Ce n'était pas possible, pas lui ! Il était persuadé que j'étais Ambre depuis le début ! Comme quoi j'aurais du me méfier... Il semblait désespéré, je ne l'avais jamais vu dans cet état.

« Ambre... qu'est ce que c'est que toute cette histoire ?

La Colère remonta en moi. La même qui avait prit le contrôle de mon corps quand j'avais essayé de séduire Melvin. Mais cette fois elle était trop puissante, alors je ne tentais même pas de la combattre. Pourquoi devais-je être entourée par des abrutis ? Pourquoi malgré tout ça, il continuait de croire que j'étais la fille dont il était tombé amoureux ?

- Idiot. Je ne suis pas celle que tu crois, lui répondis-je, de marbre, alors que la Haine grandissait petit à petit en moi.

Il me prit dans ses bras. M'embrassa dans le cou. Me murmura à l'oreille.

- Viens... on va rentrer à la maison. On va te trouver de l'aide, tout ira bien...

Ce fut la phrase de trop. Je ne pouvais plus me contrôler. Un cri bestial sortit de ma bouche et je plaquais violemment Jean sur le sol. Il ne tenta pas de se débattre, prit par surprise. Je sorti le couteau de ma poche et le brandit au dessus de son ventre.

- Ambre ?! Qu'est ce que tu...

Il ne put jamais terminer cette phrase.


- JE. Le couteau s'enfonça. Sursaut de la part de mon adversaire.


- M'APPELLE. Nouveau coup, avec plus de violence. Plus de rage. Jean se mit à cracher du sang.


- OMBRE. » Hurlais-je à pleins poumons.



Le temps s'arrêta autour de moi. Les gouttes d'eau s'immobilisèrent. Une seule chose semblait encore capable de mouvement: mon corps qui continuait de s'acharner sur celui de Jean. En revanche, je n'en avais plus le contrôle. J'étais réduite au rang de spectatrice avec à mes côtés, deux filles que je connaissais bien. Toutes les deux le visage livide, si bien qu'il me fallu un moment pour les différencier. L'Autre avait perdu son assurance naturelle. Elle observait le sol, toute penaude. Elle releva les yeux un instant et croisa les miens, secouant alors la tête dans un signe négatif. « Ambre » ne pleurait pas, mais c'était tout comme. Elles avaient du déverser toutes les larmes de son corps, si bien qu'elle semblait désormais se dessécher. Elle voulu prendre la parole, mais s'arrêta au dernier moment.

« Il ne fait pas très beau quand même, dit l'Autre, calmement.

Ambre hocha la tête, doucement, sans émotions.

- Qu'est-ce qui se passe putain ? finis-je par demander.

- Vous vous souvenez toutes les deux quand on jouaient aux aventurières dans la maison ? Maman n'était pas très contente, mais on rigolait bien.

Si... je m'en souvenais. Vu de l'extérieur, on aurait dit une petite fille rigoler toute seule en courant dans les escaliers, mais dans les yeux d'Ambre, c'était tout un monde autour de nous. Déjà... j'étais là avec elle. Elle n'était pas seule. Elle n'était jamais seule. Moi non plus d'ailleurs. Les chambres devenaient des temples millénaires, le salon était une jungle et la cuisine une montagne. C'était ridicule, mais quand on y jouait, on avait véritablement l'impression d'être projetées dans un autre univers. Pourquoi me parlait elle de ça maintenant ? En face de nous, je n'arrêtai pas de poignarder Jean, encore et encore. C'était une vision effroyable. Je ne ressemblai à rien. On aurait dit une bête furieuse. Voilà ce que j'étais devenue ? C'était bien triste.

- C'est fini, Ombre, me dirent elles finalement toutes les deux, à l'unisson.

- Nous ne pouvons plus rester.

Je n'avais aucune idée de quoi elles pouvaient parler, mais je compris que c'était quelque chose de grave. Que tout cela allait être un tournant dans ma "vie" d'ombre. Le peu de choses qui me rattachait encore à un semblant d'humanité allait disparaître. Même ma conscience qui avait pris tant de plaisir à me torturer n'osait plus me regarder en face. Puis je saisis ce dont il était question : j'avais commis l'irréparable. Plus rien n'allait être comme avant. Aujourd'hui, Ombre était réellement devenue un monstre. J'étais devenue un monstre. Mais après tout... ne l'avais-je toujours pas été ? Je me voyais à l'horizon, défigurant celui qui avait été mon amant. Oui... j'avais été stupide... Tellement stupide. Le nom que je m'étais choisis ne me convenait même plus, je n'étais même pas digne d'être l'ombre de qui que ce soit. Pas digne de vivre. Pas digne d'exister. Tout ça pour ça...

Mes deux âmes sœurs, mes deux seules amies que j'avais tant ignorées se levèrent et se prirent par la main. Me tournant le dos, elles commencèrent à s'en aller, sans un mot. Je me levais à mon tour, tendait la main dans leur direction, en pleurant, en hurlant :

- Non... ! Je vous en supplie. Ne vous en allez pas... Ne me laissez pas toute seule...

Ambre s'arrêta un instant. Se retourna et eut un petit sourire. Elle voulut me tendre la main. Mais l'Autre l'entraîna de force. Je tombais sur le sol. Elles étaient désormais si loin, je n'arrivais plus à les distinguer.

- Pitié... revenez...» continuai-je à les appeler, en vain.


Et bientôt, la lumière qui les avait éclairé disparu à son tour, me laissant sans personne dans la pénombre qui m'entourait. Je fus alors de nouveau projetée dans mon corps, au dessus de celui de Jean, le couteau entre les mains. La colère était partie, laissant place à la réalisation. Qu'avais-je donc fait ? Celui avec qui j'avais partagé mon quotidien était maintenant immobile, une triste surprise dessinée sur les restes de son visage qui avait été si séduisant autrefois. Une triste surprise ; celle de s'être fait ainsi attaquer par celle qu'il pensait aimer. C'était injuste. J'avais été injuste avec lui. Je lui avais menti dès le début. Mentant à tout le monde, et à moi la première.


Un cri retentit. Trois personnes étaient arrivés, les yeux rivés sur mon carnage et moi. Il y avait Melvin, les mains aux visages. c'était lui qui avait crié. Il murmurait quelques chose mais c'était inaudible. Je crois qu'il pleurait. L'horreur pouvait se lire sur son visage. Ensuite, il y avait Antoine. Personne ne m'avait jamais regardé avec autant de mépris et de haine. Il avait les bras croisés, ne laissant paraître aucune émotion si ce n'était la colère. Et enfin une fille. La fille. Celle aux cheveux bleus, qui m'avait agressé la veille. Elle était insensible et immobile. C'était presque effrayant.

« Je te l'avais dit, Melvin. Ce n'est pas Ambre. C'est un démon. »

Il leva la main. La fille aux cheveux bleus hocha la tête et avança vers moi, lentement. J'ignorais ce qu'elle comptait me faire, mais de toute façon, je n'avais plus cœur à lutter. Et finalement, si ! J'avais tout perdu. J'avais réalisé que tout ce que j'avais cru avoir n'avaient été que des illusions insensées d'une gamine malade et même inexistante. Alors quitte à ne rien avoir, autant garder le peu de dignité que j'avais. Face à cette nana là, je n'avais aucune chance, j'en étais consciente et certainement pas dans mon état actuel. Je tentais le tout pour le tout et fonçais sur le plus proche et la cible la plus facile : Melvin.


Je le prenais dans mes bras, plaçait mon arme sous son cou. Dès qu'il sentit la lame froide toucher sa peau, il arrêta aussitôt de se débattre. Je me tournai à présent vers Antoine et sa nouvelle amie.

« Un pas de plus et je lui tranche la gorge ! m'écriai-je avec le plus de rage possible.

Celle aux cheveux colorés se tourna vers son maître, attendant des instructions. Ce dernier hésita. Il hésita vraiment. Ça se voyait dans ses yeux, la vie de Melvin était moins importante que de régler ses comptes avec moi. Et c'était moi le monstre ? Finalement...

- Arrête toi là, Violette. Tu t'en tires pour cette fois, Ombre. Mais tu ne m'échapperas pas pour toujours. » dit-il d'une voix sèche, en insistant bien sur le mot Ombre.

Je prenais le rouquin avec moi et commençais à courir aussi vite que je le pouvais. Des larmes ruisselaient à nouveaux sur mes joues. Où est-ce que j'allai ? Qu'allai-je donc faire avec mon "otage" ? Je n'en savais rien, je voulais juste me mettre dans un coin, qu'on m'oublie et me laisse tranquille... mais bien sûr ce n'était pas possible. La vérité avait éclaté. Pour tous, j'étais un démon, une créature sanguinaire... Mais c'était faux... Je... n'étais pas que ça ! Enfin... je l'espérais... Quand l'usine n'était plus dans mon champs de vision, je poussai Melvin sur le sol. Il me regardait, apeuré et tremblant.

« Am... Ombre... ne me fais pas de mal !

- Va t'en.

Il fut surpris. Il avait dû sans doute s'attendre à ce que je... fasse comme avec Jean.

- Va t'en, à moins que tu préfères que je ne m'occupe de ton cas !

J'avais pris l'air le plus menacent possible. Hurlant même, lui ordonnant de partir. Il ne bougea pas. La peur quitta son visage. Étais-je devenue si pitoyable que je ne pouvais même plus l'effrayer ?

- Qui que tu sois... il existe une autre solution... ! Et puis... Il suffit peut-être d'emmener Jean à l'hôpital !

C'était faux. Il le savait, et il savait que je le savais. Jean était... Jean était mort, il ne reviendrait pas. Ambre et l'Autre non plus. J'étais toute seule désormais, et c'était moi qui avait provoqué ma propre perte. Alors je giflai Melvin. De toutes mes forces, le plaquant à nouveau au sol.

- Tu ne peux rien pour moi. Personne ne peux plus rien pour moi. Maintenant pars.

- Ombre... je...

- PARS.»


Il se releva d'un bon et se mit à courir, sans se retourner. Je restai quelques instants là, à regarder le sol sous la pluie. Sans même bouger. Sans même penser. Puis, je me mis à avancer, sans vraiment y faire attention. Je voulais m'en aller. Disparaître sans doute. Je n'étais rien. Je n'étais personne. Je n'avais même pas le droit de ressentir de la douleur. Je m'arrêtai dans un parc et m'allongeai sur un banc ruisselant d'eau. Ce n'était pas important, j'étais déjà trempée. J'avais froid, mais ça aussi, ce n'était pas important. Il pleuvait toujours mais le son de la pluie n'arrivait même plus à mes oreilles. Je n'arrivai même plus à réfléchir. Réfléchir à quoi de toute façon ? J'étais un spectre, sans vie, déjà morte depuis longtemps mais errant sans but. J'avais été trop loin. Même l'Autre m'avait quitté. J'étais seule désormais. Il commençait à faire sombre. J'étais là depuis combien de temps déjà ? Secondes ? Minutes ? Heures ? Est-ce que ça avait une quelconque importance ?

Dormir. Oui. Quelle bonne idée. Dormir, pour toujours. Je fermai les yeux, essayant de m'assoupir malgré mes pensées torturées alors que le crépuscule commençait à apparaître.


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