Tribute to Claymore

Chapitre 3 : Chap 3. Nouvelle mission

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 15:48

            « Alice ? »

La jeune femme se retourna. L’homme en noir se tenait à l’entrée de la salle d’entraînement, enveloppé dans sa robe de bure, son visage enroulé dans une sorte de turban noir ne laissant voir que ses yeux. Alice se détourna du mannequin qu’elle venait de saccager à coups d’épée et raccrocha son arme dans son dos, dans le support situé entre les deux imposantes épaulières de métal. Puis elle se dirigea avec lassitude vers le nouvel arrivant.

            « Qu’est-ce que tu veux ? dit-elle avec un soupir.

- J’ai une nouvelle mission pour toi. »

Dans son visage comme toujours impassible, les yeux d’argent d’Alice se mirent à briller légèrement, son regard montrant soudain de l’intérêt. L’homme lui répondit avec nonchalance :

            « Quatre démons, à Tosh. C’est à trois jours de marche d’ici. Il semble que l’un ou plusieurs d’entre eux ait un appétit anormal ; tu rejoindras donc trois de tes camarades là-bas.

- Bien. »

Sans plus de cérémonies, elle se dirigea vers la porte, le visage toujours dépourvu d’expression.

            « Tu pars déjà ? demanda l’homme en noir, visiblement surpris. Tu avais le dos déchiqueté il y a encore trois jours à peine.

- Les démons ne vont pas disparaître comme par magie.

- Tu ne devrais pas être aussi imprudente… »

Elle haussa les épaules et sortit. Sous la cicatrice en forme d’étoile, la palpitation se fit un peu plus forte. Etait-ce un avertissement ?

Regagnant sa cellule pour y compléter sa tenue, accompagnée par le seul bruit de ses bottes en métal sur le sol dallé, elle refit mentalement le trajet pour aller à Tosh. Elle y était déjà allée étant petite ; mais quelque chose, un souvenir peut-être, semblait se dérober à sa pensée lorsqu’elle songeait à ce village. Quelque chose qu’elle avait elle-même enfoui pour se protéger, pour ne pas mourir de désespoir. Arrivée dans sa cellule, elle se força à chasser ces pensées. L’esprit ailleurs, elle passa autour de sa taille cette sorte de ceinture où étaient fixées les plaques de métal qui protégeaient son corps jusqu’à mi-cuisse environ, ainsi que ses habituels protège-poignets. Elle vérifia qu’elle n’oubliait rien – même si, ne possédant rien de plus que son épée, elle pouvait difficilement oublier quelque chose – et elle sortit.


            Trois jours plus tard, Alice arriva devant une grande arche de pierre : l’entrée de Tosh. C’était jour de marché ; la rue qui s’étendait devant elle était plutôt animée, de nombreux habitants étaient sortis faire leurs courses ou simplement bavarder avec les marchands. Elle s’avança dans la rue. Les cliquetis de métal de son armure attirèrent peu à peu les regards sur son passage et très vite le silence se fit. Tous la regardaient avec un mélange de crainte et de fascination. La jeune femme avait un corps fin et gracieux et semblait si fragile, comment pouvait-elle être vêtue d’une armure en métal et porter d’une seule main la claymore, épée géante que même les meilleurs hommes ne pouvaient manier qu’à deux mains ? On racontait qu’elles étaient mi-humaines, mi-démones. Qu’elles portaient dans leur corps, dans leur propre chair, le sang des démons… et qu’elles en avaient hérité la vitesse, la puissance, et des pouvoirs surpassant de très loin les capacités du commun des mortels. Et puis ces yeux d’argent qui leur permettaient de reconnaître les démons dissimulés… On racontait aussi que parfois, elles succombaient à leur part non-humaine, et que leur corps se changeait en démon – et plus précisément, en Eveillées.

            Alors qu’elle passait devant eux, Alice entendit parfaitement tout ce que les gens murmuraient. Avec de telles informations – qui au demeurant étaient vraies – la réaction des habitants n’était pas étonnante. Alice s’y était habituée et y était complètement indifférente. La rue débouchait sur une grande place au milieu de laquelle jaillissait une fontaine. La jeune femme s’arrêta et regarda autour d’elle. Les habitants s’étaient retranchés dans les embrasures de portes et derrière les vitrines des échoppes. Chaque fois que son regard se posait sur l’un d’eux, celui-ci donnait l’impression de vouloir rentrer sous terre pour lui échapper, comme s’il craignait qu’elle ne découvre en lui un démon et qu’elle ne l’abatte sur le champ.

            Alice sentait que la ville empestait l’énergie démoniaque – heureusement que les humains ne pouvaient la percevoir ; cela aurait été bien pire pour eux d’avoir affaire à une véritable odeur –, à tel point qu’elle n’arrivait même pas à déterminer où se situaient les camarades qu’elle était censée rejoindre et qu’elle aurait dû retrouver facilement en suivant le flux de leur énergie démoniaque. Elle demanda à la cantonade :

            « D’autres femmes comme moi sont déjà ici. J’ai besoin de savoir où elles sont. »

Pendant un moment personne n’osa répondre. Alice promena son regard tout autour de la place et enfin, un vieil homme sortit en tremblant de sous un étal et, la voix brisée et les yeux écarquillés par la peur, il mentionna une auberge près de la sortie de la ville, en en indiquant la direction. Alice fixa un instant son regard vide sur lui – sans doute sa façon de le remercier – et se mit en route.

            Un instant plus tard, elle entrait dans l’auberge. A son arrivée, le tenancier eut comme un haut-le-cœur et, livide, il se réfugia en tremblant derrière son comptoir. Avant même qu’elle ait pu poser une question, il indiqua l’escalier en balbutiant « Première… à droite… ».

 

            « Et voilà la dernière ! s’exclama une jeune femme lorsque Alice poussa la porte de la chambre. Tu es en retard, nota-t-elle aussitôt, on t’attend depuis hier ! »

Alice ne prit pas la peine de réagir. La femme qui venait de lui parler se tenait debout au centre de la pièce, les poings sur les hanches, et arborait un air de défi mêlé de dédain. La seconde était assise sur un lit et la troisième, debout près de la fenêtre, regardait la rue en contrebas. Alice avait à peine refermé la porte que la première reprenait la parole :

            « Maintenant que nous sommes toutes là, il va falloir que nous discutions de la mission. Ermite vous a bien dit qu’il y avait quatre démons, dont un ou plusieurs à l’appétit anormal ? »

Les trois autres hochèrent la tête.

            « Je suis ici pour vous servir de capitaine, reprit la jeune femme. Je suis le numéro 9 dans l’organisation. Je me fiche pas mal de vos prénoms, donnez moi seulement vos rangs. »

            La jeune femme assise portait le n°13, celle près de la fenêtre le n°22.

            On dirait bien une vraie chasse à l’Eveillé… avec cette fille du top 10…

            Tout le monde savait que les femmes du top 10 étaient puissantes au point d’être redoutées aussi bien par les démons que par leurs camarades. Mais une telle puissance ne pouvait s’acquérir que par l’expérience et, bien souvent, par des usages répétés de l’énergie démoniaque… Alice avait beaucoup de mal à leur faire confiance ; de plus, elles étaient souvent d’une arrogance exaspérante.

            D’accord… toutes celles des rangs supérieurs n’étaient pas comme ça… Alice en avait connu quelques unes qui étaient restées « normales », des années auparavant… mais c’étaient d’ex-soldates, elles n’avaient donc plus, depuis longtemps, le cerveau lavé par l’Organisation…

Tandis qu’elle pensait à cela, Alice eut une furieuse impression de déjà-vu, comme si elle vivait la vie de quelqu’un d’autre. Comme elle tardait à répondre, les trois guerrières se tournèrent vers elle :

            « Alors ? s’impatienta la numéro 9.

- 47. »

Les yeux des trois autres s’écarquillèrent de surprise, et toutes, en particulier numéro 9, éclatèrent d’un rire mauvais. Alice ne baissa pas les yeux pour autant, le visage et le regard toujours inexpressifs.

            Dans la hiérarchie de l’organisation, il y avait 47 rangs, et Alice n’avait besoin de personne pour s’en rappeler.

            « M*rde alors, qu’est-ce qu’on va faire de toi ? » dit 9 après un dernier gloussement.

Elle semblait sérieusement contrariée.

            « Comment l’Organisation peut penser que tu es assez forte pour une chasse à l’Eveillé ? »

            Alice aurait pu répondre qu’elle n’en était plus à sa première chasse, mais si son expérience sur le terrain avait compté pour 9, celle-ci les aurait toutes interrogées à ce sujet. Or, elle ne voulait même pas connaître leurs noms, donc elle se fichait probablement tout autant de leur expérience…

            Si elle croit quelque chose d’aussi stupide qu’un n°, laissons-la croire ce qu’elle veut…

« Quel boulet... – 9 n’avait pas fini de râler sur son compte – Qu’est-ce que j’ai fait à Ermite pour mériter ça ! »

Elle avait ajouté ces mots comme pour elle-même, les yeux vers le plafond. Numéro 13 et numéro 22 avaient cessé de rire. On les sentait partagées entre le mépris et la curiosité : Alice n’avait pas bougé d’un pouce ni manifesté aucune émotion. Soudain Alice eut de nouveau ce sentiment de déjà-vu ; elle espéra intérieurement que les choses ne tourneraient pas comme elles avaient déjà tourné dans ce passé… cette perspective l’ennuyait déjà. 9 s’approcha d’Alice, tout près, le regard encore plus méprisant que celui qu’elle avait à son entrée. Elle l’étudia attentivement. Aucune particularité physique – pas même le fait qu’elle soit un peu petite – ne lui permettant de justifier l’infériorité de la jeune femme, elle dit entre ses dents :

            « Viens à minuit dans le champ de blé à la sortie de la ville. Je veux savoir ce que tu vaux. »

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