Tribute to Claymore

Chapitre 2 : Chap 2. Le départ

Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 04:44

                Etendue sur le dos, Claire attendait que la clarté lunaire tombe à l’endroit précis du dortoir qu’elle avait pris soin de noter la nuit précédente. Cela indiquerait minuit, et il serait temps de partir. A vue d’œil, elle n’avait plus longtemps à patienter…

                Comme souvent lorsqu’elle ne dormait pas, elle se laissa envahir par ses souvenirs. Une femme rencontrée au hasard des pérégrinations de son enfance avec le terrible démon… une femme sublime, au regard si triste, avec tant de souffrance derrière le léger sourire qui se baladait sans cesse sur ses lèvres. Les ondulations de ses cheveux, son odeur, sa voix, la façon – pleine de douceur – qu’elle avait de prononcer son prénom, et de la prendre dans ses bras les soirs où même la quiétude des étoiles et du clair de lune n’empêchait pas les cauchemars de la saisir. Elle se souvenait de tout, des moindres détails, cet intense bonheur et cette paix tranquille qui régnaient sur leur univers… Ce soir-là, comme tant d’autres – non, peut-être plus fort encore ce soir-là – elle pensait à cette déesse de l’amour. Cet ange, cette femme à la beauté tragique, gravée dans son être à tout jamais.

                Claire poussa un soupir. Elle n’aimait pas se laisser aller à la nostalgie ; cela finissait toujours par lui faire mal, meurtrissant chaque fibre de son corps. La lumière de la lune avait à présent atteint le point qu’elle s’était fixé : c’était le moment. Elle repoussa tout doucement le bras frêle et blanc passé autour de sa taille et se leva avec toutes les précautions du monde pour ne pas réveiller l’enfant endormie à ses côtés. La laisser ici lui faisait mal au cœur, mais c’était mieux ainsi…

                En silence elle se dirigea vers la porte du dortoir et, avant de sortir, elle y promena une dernière fois son regard. Elles étaient là, les six autres survivantes de la bataille nordique… Un lit en revanche restait vide.

                Elle sortit enfin dans le couloir, passa devant plusieurs portes qui sur sa gauche donnaient sur d’autres dortoirs – ceux des soldats de Ravona - et quelques mètres plus loin elle ouvrit une porte sur la droite, qui donnait sur une petite pièce. Elle entra et referma derrière elle pour étouffer d’éventuels bruits qu’elle pourrait faire ; elle ouvrit une malle, en retira sa tenue et, après avoir ôté la chemise longue dans laquelle elle dormait d’habitude, elle s’habilla rapidement. Puis elle prit son épée posée contre un mur et l’accrocha dans son dos.

                Elle ressortit, alla au bout du corridor où elle prit un escalier en colimaçon interminable qui s’élevait vers la salle commune, qu’elles partageaient avec les soldats quand elles n’étaient pas occupées à s’entraîner dans les sous-sols ou à patrouiller de nuit sur les remparts. Galatée y était, vêtue de son habit de religieuse, tranquillement assise vers une fenêtre, semblant contempler la ville silencieuse et vide en contrebas. Elle accueillit Claire avec un sourire. Elle était aveugle désormais mais sa lecture de l’énergie démoniaque lui suffisait amplement ; elle était développée et précise au point de pouvoir percevoir les énergies effacées de chacune des ex-Claymores qui logeaient ici.

                « Alors, c’est le grand soir ? dit-elle à voix basse.

- Tu veux m’empêcher de partir ?

- Pas du tout. Il y a en toi certaines choses dont tu dois te débarrasser avant d’entreprendre quoi que ce soit contre l’Organisation...

- Tu prendras soin de… commença-t-elle, évitant délibérément la dernière remarque.

- Ne t’inquiète pas. Entourée de neuf guerrières accomplies, ta petite protégée ne craint rien du tout.

- Merci. »

Claire se dirigea vers une porte à l’opposé de celle par laquelle elle était entrée. La main sur la poignée, elle dit :

                « Au revoir, Galatée.

- Fais attention. »

Claire répondit par un silence évocateur. Et puis elle sortit. Elle descendit un nouvel escalier interminable et, passant par une petite porte secrète, elle se retrouva dans une ruelle derrière la caserne. Les soldats, seuls à être au courant de la présence en ville des guerrières, avaient accepté de mettre à leur disposition l’un de leurs dortoirs, et elles participaient en échange à la surveillance de la ville, la nuit, quand elles ne risquaient pas d’être remarquées. Cette nuit-là justement, aucune d’elles n’étant de garde, Claire profitait du sommeil de ses camarades pour partir – elle ne s’était pas attendue à croiser Galatée – parce qu’elle détestait devoir faire ses adieux. Vérifiant qu’il n’y avait personne, elle s’approcha des remparts de la ville, à quelques mètres devant elle, et toujours attentive à une éventuelle présence elle les longea pendant un moment. Arrivée à un pan de muraille recouvert d’imposantes feuilles de lierre, elle tâtonna un instant et dégagea une ouverture minuscule dont seules les ex-claymores, ainsi que Gark et Sid, avaient connaissance.

                L’instant suivant, Claire était dehors. Une petite brise que les hauts murs de la caserne et des remparts l’empêchaient jusqu’alors de sentir se faufila dans ses cheveux et sa nuque fut parcourue d’un frisson. Elle prit une profonde inspiration, resserrant sa longue cape noire autour de son corps, et masqua la partie supérieure de son visage dans l’ombre de sa capuche. Ses yeux d’argent étaient encore plus visibles dans la nuit – les survivantes n’avaient plus de drogue anti-énergie démoniaque depuis bien longtemps – et il fallait quand même prendre certaines précautions. C’était le moment… enfin.

                Elle se mit à marcher, droit devant elle, en direction du sud. Elle avait entendu dire que son objectif se trouvait actuellement dans cette région, ou en tout cas y était passé récemment. C’était l’endroit idéal pour commencer ses recherches…

 

                Ouah… j’ai un p’tit creux, moi.

Hélène songeait dans le noir à ce qu’elle pourrait bien manger. Elle tergiversa un peu et puis opta pour une pomme, son mets fétiche. Elle se détourna du mur pour sortir de son lit et, silencieuse, se leva. Elle se rappela soudain que c’était cette nuit, la nuit fatidique du départ de Claire… elle jeta un regard vers le lit de celle-ci et crut sentir son cœur rater un battement : Claire n’était pas là… mais sa protégée non plus !

                Pas de panique… elle a dû se réveiller, voir que Claire est partie et aller dans la salle commune pleurer un bon coup…

                Hélène, un peu nerveuse, grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier au bout du couloir et déboucha dans la grande salle. Contrairement à ce qu’elle espérait, la petite n’était pas là.

                « Il y a bien du passage ici cette nuit, dit doucement une voix un peu moqueuse.

- Quoi ? »

Hélène adapta sa vision à l’obscurité : Galatée était là.

                « Gala, on a un problème, la gosse a disparu ! murmura Hélène à cent à l’heure, en proie au stress.

- Hélène.

- Voilà, à peine Claire partie et hop ! sa gamine qui nous joue des tours…

- Hélène…

- On a intérêt à la retrouver vite fait, parce que si elle se perd quelque part, Claire va nous trucider à son retour !

- Hélène !!

- Quoi ?

- Réfléchis une seconde, veux-tu ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda Hélène, son stress cédant la place à sa curiosité.

- C’est ce soir que Claire est partie. Tu connais leur histoire… tu sais qu’il est impossible pour cette enfant de supporter la solitude.

- Et alors ? Elle reste avec nous, si avec neuf personnes elle se sent seule, je sais pas ce qu’il lui faut !

- Il lui faut juste Claire. C’est Claire et personne d’autre qu’elle veut.

- C’est du favoritisme, ironisa Hélène qui, commençant à comprendre où Galatée voulait en venir, retrouvait sa légèreté.

- Et tu sais qu’elle est têtue.

- Ouais… pour ça, elles se sont bien trouvées, toutes les deux. Quand elles ont une idée dans la tête… »

Hélène s’interrompit. Elle se traita intérieurement d’abrutie. Il était tellement logique, vu son caractère, que la protégée de Claire soit partie à sa poursuite ! Elle émit un petit rire :

                « Ha, c’est pour ça que tu m’as dit ‘il y en a du passage ici’ ! fit Hélène, comprenant soudain, en singeant la voix de Galatée. Tu les as vues partir…

- Je pense même que la petite avait préparé son coup. Elle a dû nous entendre quand Claire nous a annoncé son intention de partir cette nuit, et je suppose qu’elle a fait semblant de dormir pour ne pas rater son départ…

- Futée, la gosse. Mais bigrement têtue. Bon, ajouta-t-elle d’un ton beaucoup plus léger en regardant partout autour d’elle, j’étais pas venue chercher une pomme, moi ? »

 

Claire se laissa de nouveau happer par ses souvenirs, le cœur un peu moins lourd cette fois-ci : elle pouvait enfin agir contre le désespoir. Elle avança ainsi longtemps, dans une prairie qui s’étendait à perte de vue, pourvue çà et là de quelques buissons que la chaleur de la saison avait malmenés.

                Soudain il y eut derrière elle, quelque part, un craquement. Léger, mais dans le silence profond de la campagne, à peine troublé par les bruissements d’insectes nocturnes, il était parfaitement audible. Elle ralentit le pas, prêtant l’oreille. Etait-ce un animal ? Un humain ? A cette heure, on pouvait raisonnablement penser qu’il s’agissait de quelque chose d’inoffensif alors elle se retourna. D’abord elle ne vit rien, et puis une petite silhouette frêle émergea de derrière un buisson.

                Elle la reconnut aussitôt, et poussa un soupir alors que la silhouette s’approchait doucement.

                « Qu’est-ce que tu fais là…

- Je veux pas que tu me laisses…

- Il le faut pourtant. Je vais faire quelque chose de dangereux, tu pourrais mourir.

- Mais moi, je m’en fiche, de mourir. Je veux être avec toi.

- Mais… »

La petite silhouette fit un grand pas en avant, venant se planter juste devant Claire. Levant la tête, elle plongea son regard dans le sien. Elle était déterminée, obstinée ; et en même temps, ses grands yeux noisette débordaient d’amour et d’admiration. Claire eut furtivement – et cela l’adoucit – l’impression de se voir elle-même, à neuf ans, s’acharnant à suivre cette femme extraordinaire qui pourtant l’avait au début rejetée. Elle soupira à nouveau, et posa sa main sur les longs cheveux bruns de sa protégée :

                « Tu n’es qu’une tête de mule… Alice. »

La petite fille eut un immense sourire, et Claire se sentit soudain enveloppée d’une douce chaleur. Alors, ensemble, silencieuses, main dans la main, elles s’en allèrent vers le sud.

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