Tribute to Claymore

Chapitre 1 : Chap 1. Introduction

Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:48

                Voilà, c’était fini. Le monstre gisait au loin, énorme tas de chair visqueux, transpercé d’une gigantesque épée, encore auréolé du nuage de poussière soulevé par le combat. Dans l’ombre tombante, la lune entrait peu à peu dans le ciel bleu sombre. Dans la terre, au bord du précipice, Alice s’était écroulée, le visage contre le sol ; son dos atteint par les griffes de l’Eveillé n’était qu’une plaie béante, la peau était déchiquetée, laissant la chair et le sang à vif. Et pourtant, sa main gauche tenait toujours fermement son épée. Albane tomba à genoux à côté du corps disloqué. Prise dans le feu du combat, elle ne l’avait pas vue tomber… elle jeta un bref regard autour d’elle : un autre corps reposait, plus loin, dans la poussière. La tête arrachée la dispensa de vérifier si sa camarade était encore en vie. Et Alice ? Qu’en était-il ? Elle sentait bien une énergie émaner d’elle, mais faible, si faible… Albane n’osait pas la toucher, de peur que son corps meurtri ne se brise en mille morceaux à son simple contact…

                La pulsation de son énergie était infime, irrégulière, comme essoufflée, mais bien là. Albane soupira de soulagement, avant d’être de nouveau gagnée par l’angoisse : lui restait-il assez de force pour utiliser son énergie démoniaque sans risque et tenter de panser un peu la blessure d’Alice ? Elle prit une profonde bouffée d’air dans le vent qui remontait du gouffre et tenta de se concentrer. Elle posa sa main à plat, au-dessus de la plaie béante, tout près mais sans même l’effleurer cependant, et ferma les yeux. Affaiblie par la bataille, elle mit plus de temps à accéder à son pouvoir, mais elle finit par sentir le fluide jaillir de son point vital, circuler dans ses veines, les gonfler de vie, et se concentrer au creux de sa paume ; alors elle longea lentement, méticuleusement, la blessure d’un bout à l’autre, la baignant de la douce clarté nébuleuse que son pouvoir faisait naître dans sa main. Elle savait qu’elle ne tiendrait pas longtemps ; parant au plus pressé, elle fit en sorte d’endiguer le flux de sang qui ne cessait de couler du corps d’Alice. Un instant plus tard, l’énergie contenait le liquide rouge, mais Albane se sentait définitivement vidée. L’exercice l’avait même essoufflée, ce qui ne lui était plus arrivé depuis bien longtemps… Depuis la naissance de l’Organisation, elle était une des rares à savoir retourner son énergie démoniaque en une sorte de principe de vie, assez efficace pour soigner les blessures les plus profondes ; son pouvoir était si puissant qu’il devenait même visible, sous la forme de la clarté nébuleuse qui avait survolé le corps d’Alice un peu plus tôt.

                A présent certaine qu’Alice avait un peu de répit, elle put reprendre son souffle et, une fois calmée, elle se leva. Elle passa devant le monstre mort sans un regard vers lui pour se diriger vers sa camarade. Elle avait l’intention, comme le voulaient la coutume et l’amitié, de lui offrir une sépulture décente. Rudimentaire sans doute, mais décente. Elle s’immobilisa devant le corps recroquevillé et, après un instant où elle faillit se laisser gagner par le désespoir, elle prit doucement sa camarade dans ses bras et alla la déposer un peu plus loin, sur une portion de terre vierge de toute tache de sang monstrueux. Elle l’allongea sur le dos, les mains croisées sur la poitrine, cachant son symbole unique : un petit triangle, au milieu d’une croix où la branche horizontale, plus courte, croisait au tiers supérieur la branche verticale. Albane revint à l’endroit où elle avait trouvé la défunte et ramassa avec précautions sa tête qui était tombée à proximité. Elle repoussa en arrière les longs cheveux d’un blond presque blanc, couleur caractéristique chez elle-même comme chez toutes ses camarades guerrières ; elle les démêla comme elle put, puis essuya le sang et la poussière sur le beau visage. Elle alla ensuite la déposer à sa place, et elle fit pour la dernière fois se fermer les yeux d’argent. Enfin, elle chercha l’arme de sa camarade : une épée géante, la claymore, qui portait le symbole de la jeune femme. Elle avait été projetée à une bonne vingtaine de mètres de l’endroit où celle-ci était tombée ; de toute évidence, c’était la perte de son arme qui lui avait été fatale. Elle revint auprès du corps et planta l’épée au-dessus de la tête, l’enfonçant profondément dans le sol, comme un monument aux morts, comme un témoin inaltérable de la présence dans ce monde de la jeune femme.

                « Au moins, se dit Albane en se recueillant devant la dépouille, elle est morte en tant qu’humaine… »

                Puis elle inspira profondément, se dirigea droit vers le monstre d’où elle retira sa propre claymore et, sans plus s’attarder, retourna auprès d’Alice. Elle ficha son épée dans le sol et s’y adossa, s’asseyant en tailleur à côté de sa camarade. Elle-même avait la lèvre ouverte et du sang coulait lentement de son bras et de sa cuisse ; elle aurait pu puiser dans sa puissance démoniaque pour se soigner mais elle n’aimait pas s’en servir plus que nécessaire et jugeait ses blessures minimes. Alors, il ne restait plus qu’à attendre qu’un membre de l’Organisation les retrouve. Ce qui, elle le savait, arriverait assez vite : elle ignorait comment, mais les hommes en noir parvenaient toujours à localiser ces jeunes guerrières, et à les rejoindre en un temps record. Peut-être étaient-ils guidés par leur flux d’énergie démoniaque ? Pourtant, eux-mêmes n’en étaient pas dotés. Ce n’étaient que de simples humains. Contrairement aux guerrières, ils n’avaient pas eu à absorber de chair et sang démoniaques… ils n’avaient pas ces yeux d’argent qui permettaient de détecter les démons camouflés en humains, et leur corps n’avait subi aucun changement, aucune douleur…

                Albane jeta un regard vers Alice. La moitié de son visage qu’elle pouvait voir était maculée de sang et de bleus. Etant de type offensif et donc plus lente à récupérer, combien de temps lui faudrait-il pour s’en remettre ? Trois, quatre jours ? Peut-être plus, vu l’horrible déchirure dans son dos. Elle posa doucement sa main sur ses cheveux blonds, presque blancs, pleins de poussière et de sang. Se sentant coupable de n’avoir pas su la protéger, de ne pas l’avoir vue tomber, elle finit par s’endormir.


                Alice ouvrit lentement les yeux. Elle se sentait un peu faible, une douleur sourde l’habitait encore. Elle se rappelait vaguement le combat, les griffes du monstre lui lacérant le dos, la prenant par surprise… Où étaient ses camarades ? Etaient-elles encore en vie ? Elle regarda autour d’elle. Elle était dans une des cellules de la forteresse de Staff, où siégeait l’Organisation. Elle était seule, complètement nue dans des draps rêches grossièrement tissés. Avec précautions, elle se leva pour s’inspecter dans la glace. Se contorsionnant, elle vit qu’elle n’avait plus qu’une infime trace dans le dos, dans le prolongement de ses cheveux qui, soigneusement lavés et démêlés, lui descendaient jusque sous les omoplates ; elle se demanda depuis combien de temps elle était ici endormie pour avoir à ce point récupéré. Pour le reste, rien de nouveau : elle n’avait aucune autre marque de blessure, juste cette cicatrice en forme d’étoile sur la poitrine, au niveau du plexus. Elle y posa le bout de ses doigts. C’était comme si un deuxième cœur y palpitait, doucement, à peine audible et pourtant là… c’était peut-être en partie cela qui l’avait empêchée de mourir au cours de ce dernier combat. Cet amour pur…

                «  Alors, tu vas mieux ? »

Alice sursauta. Dans le miroir, elle vit qu’une jeune femme aux longs cheveux blonds – encore plus longs et plus clairs que les siens – et aux yeux en amande venait d’entrer, le sourire aux lèvres : Albane. Elle se tourna vers elle, acquiesça de la tête et esquissa un sourire.

                « Et toi ? demanda-t-elle.

- Ca va, je m’en suis bien sortie. Je n’avais pas grand-chose au final.

- Et Elina ?

- Eh bien… c’est fini, soupira Albane avec un profond regret dans la voix. Je n’ai pas pu la sauver, il n’y avait rien à faire… l’Eveillé l’a désarmée, et…

- Qu’as-tu fait de son corps ?

- Déposé dans un endroit neutre, avec son épée, comme de coutume. »

Alice hocha la tête et se tourna de nouveau vers le miroir. Albane sourit, comprenant que l’entrevue était terminée :

                « Toujours aussi prolixe, à ce que je vois… »

Pour toute réponse, Alice lui lança à travers le miroir un regard vide.

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