Jade, l'apprentie humaine

Chapitre 17 : Âmes perdues

3898 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/07/2018 12:08

Chapitre 17 : Âmes perdues 



Ariane se réveilla brusquement, comme tirée violemment de son rêve par une main invisible, ses yeux écarquillés de stupeur fixant le plafond. Elle venait de sortir d'un rêve, ou plutôt d'un cauchemar d'une horreur absolue. Elle était de retour chez elle, auprès de sa famille, quand tout à coup, ils avaient été de nouveau séparés par l'attaque surprise de ces troupes... Cela faisait des années qu'elle n'avait plus fait de songe de la sorte.  

La jeune femme sortit de son lit avec difficulté, les blessures encore douloureuses, mais fermés, et se rendit compte du même coup que sa sœur n'était plus là. Elle était partie, avec l'archère Jade, exécuter le plan qui les libérerait du joug du terrible Malphas, leur père adoptif. Son plan commençait donc dès maintenant. Pour s'échapper de cette maison, son travail était non seulement d'endormir son père adoptif, Malphas, mais aussi de libérer les troupes qu'il avait enfermé au sous-sol.  


La maison était silencieuse, comme à chaque fois qu'elle se réveillait. L'horloge indiquait dix heures. Étrange que l'une de ses sœurs ne l'ait pas réveillé avec un seau d'eau froide... ! Ne voulant pas pousser sa chance trop loin, elle redressa en position assise non sans peine. Elle ignora ses blessures qui la lançait vivement en serrant des dents, et se fit une toilette avec une serviette imbibé d'eau tiède. Elle s'habilla ensuite avec une salopette, et attacha ses cheveux en une queue de cheval. 

Apparemment, la famille Lisidious a décidé de faire une grasse mat', pensa-t-elle. Son père adoptif, Malphas avait comme ambition de libérer le plus de troupes, comme des Barbares ou des Archers, après s'être rendu compte qu'ils pouvaient être dotés de conscience après quelques heures de vie. Pourquoi ? Dans le seul et unique but de les libérer ? Ariane ne pouvait pas croire qu'il n'était animé que par de candides sentiments. Pas en sachant l'homme détestable qu'il était. Etant donné que la cérémonie était dans une petite heure, sûrement allaient-ils se réveiller dans peu de temps.  

 

Elle sortit dans donc dans le couloir et se dirigea vers le bureau de son père : Jade lui avait dit qu'il détenait une étrange et petite fiole verte qui avait le pouvoir d'endormir quiconque en buvait. La jeune femme pénétra dans la pièce et ouvrit tout de suite maints tiroirs. Elle savait déjà que son père concoctait de nombreuses potions aux mystérieux effets, restait donc à trouver la bonne fiole. Elle en trouva deux qui se ressemblaient fortement, et les mit dans la poche centrale de sa salopette, avant d'aller à la cuisine pour commencer à faire le petit-déjeuner de toute la grande famille. 

En effet, Malphas avait six femmes et quinze filles. Ces dernières étaient toutes redoutables en art martial de toutes sortes, que ce soit à mains nues ou avec une arme. Leurs mères aussi étaient craintes dans le voisinage. Malgré cela, son père regrettait de ne pas avoir eu de garçons. Une poignée de minutes plus tard, la porte de la cuisine s'ouvrit sur une grande femme au regard et au chignon sévère, qui se tenait plus droite qu'un poteau. 


— Petit-déj ? lança-t-elle d'un ton sec.  

— Il est prêt, tante Maria, s'empressa de répondre Ariane. Vous pouvez vous installer... 


Tante Maria était une femme grande et athlétique, au sérieux et à la forme olympique, malgré sa quarantaine bien entamée. Derrière elle marchait sa jeune fille, Eléonore, avec son regard noir et sa frange si caractéristique. Elle avait à la main un seau d'eau plein : sûrement elle était-elle passée par la chambre de sa sœur en voulant la réveiller en vain. Elle le laissa brutalement tomber au sol en renversant un peu d'eau. Encore derrière suivait Hermine. On pouvait voir à son physique qu'elle n'était pas la fille de Tante Maria; grande, certes, mais maigre et comme recroquevillée sur elle-même, avec des airs de souris craintive.  

Ariane leur servit le petit-déjeuner : un mélange de pain, d'herbes sauvages et aromatiques, de sève orange et fluorescente d’Arbres du Nord, un arbre commun dans la forêt qui encerclait Thyrène, ainsi qu'une poudre qu'on retrouvait dans des fleurs violettes autour du village, du nom d'endrine, au goût sucré.  

 

Au-dehors, elle pouvait entendait les bruits de discussions des voisins qui étaient descendus dans la rue pour accueillir le passage du Roi. La cérémonie allait bientôt débuter.  

 

Puis, ce fut au tour de Malphas d'entrer dans la pièce, seulement vêtue son habituel peignoir violet fluo avec des tâches de oranges ("mais où avait-il donc acheter cette horreur ?" se demandait-elle toujours en le voyant), et de s'asseoir à la table, la mine mi excitée, mi brouillée. Suivait une grande et forte femme aux muscles saillants, habillée comme une gladiatrice, avec une épée dans le dos. Elle aussi était une fille de Tante Maria, et la grande sœur d'Eléonore : Béatrix. C'était un titan, et la plus grande brute de tout le voisinage. Elle avait une chevelure brune et épaisse aux mèches sauvages qui descendait jusque dans le bas de son dos. Quitte à neutraliser Malphas, autant la mettre hors d'état de nuire elle aussi...  ! 

Ariane versa quelques gouttes de la fameuse fiole dans les deux bols de sève qui leur étaient réservés, avant de mélanger le tout. 

 

— Dis donc Ariane, je te trouve bien silencieuse sur l'absence de ta sœur... marmonna Malphas. Saurais-tu déjà où elle se trouve ? 

 

La jeune femme se raidit : savait-il quelque chose ? Son ton avait quelque chose de suspicieux, mais après tout, peut-être voulait-il la faire craquer. 

 

— Elle... elle m'a dit où elle partait hier soir, mentit-elle sans se retourner. Savez-vous quand est-ce qu'elle reviendra ? demanda-t-elle alors, prise d'un doute soudain. 

—Elle ne reviendra pas. Je l'ai vendue au Roi, avec cette archère. 

 

Ariane en fut si surprise qu'elle fut prise d'une brève cataplexie. Elle sentit une fraction de seconde ses jambes se dérober sous elle, et sa tête se pencher légèrement, avant de reprendre instantanément ses esprits. Elle se sentit alors seule, monstrueusement seule malgré les occupants derrière elle, et la liesse dans la rue, et se mit à trembler comme si elle avait froid. Ce n'était pas possible...  

 

— Alors Ariane ? Il vient ce petit-déjeuner ? 

— Vous mentez ! hurla-t-elle en se retournant. 

 

C'est la première fois depuis une dizaine d'années qu'elle haussa la voix contre son père adoptif. Elle tremblait encore si fort qu'elle se tenait debout contre le plan de travail derrière elle. Béatrix, une fois le choc passé par son haussement de voix, plongea son bras vers son épée. Malphas l'arrêta d'un petit geste de la main  

 

— Bien sûr que non, sourit-il narquoisement. Pourquoi mentirai-je à ma précieuse petit fille ? 

— Vous ne connaissez pas le Roi ! 

— Qu'en sais-tu ? rétorqua-t-il en haussant les épaules. Bien sûr que je le connais ! J'ai vécu avant ta venue, tu sais... ! 

— Comment auriez-vous pu discuter avec lui ! Vous n'êtes jamais sorti de cette maison ces dernières semaines !  

— Ariane, calme-toi ! trancha Tante Maria d'un ton aussi sec que son intervention. Cela ne te réjouis donc pas de savoir que ta sœur est entre des mains royales ? Elle vivra la belle vie ! Ou bien es-tu jalouse ? 

— Jalouse ?!  

 

Ils vivent hors de la réalité, pensa-t-elle. Hors de ma réalité. La jeune femme se retourna de nouveau les poings et les lèvres serrés, les larmes aux yeux. Il ne fallait pas qu'elle pleure devant ce troupeau de... de phacochère qui se voulait être sa famille...!  

 

— Pathétique... soupira Eléonore. Je ne penserais pas qu'une crise de jalousie te mettrait dans cet état ! 

— Vous aviez promis... vous aviez promis de ne jamais nous séparer... ! 

— C'était il y a des années, il y a prescription... marmonna mollement Malphas en se curant le nez d’un air indifférent. Tu aurais préféré que je te choisisse ? Je pensais que tu étais plus attachée à la famille ! 

— Je préfèrerais mourir plutôt que d'être séparée de Diane ! Et c'est pareil pour elle ! Vous le saviez, et pourtant... ! 

— Oh la la, ricana Malphas. En tout cas, ce qui est fait est fait. Alors, il vient ce petit-déj ou je dois me lever pour venir le chercher ? 

 

Tandis que le reste de la famille rigolait, une sorte de flash passa dans le cerveau d'Ariane. Elle se saisit instinctivement du couteau, le souffle court. Son cœur battait de plus en plus vite.  

Mais le Roi est toujours en ville, s'écria-t-elle intérieurement. Donc Diane et Jade devait être avec lui ! Tout n'était pas encore perdu, à moins qu'elle ne fasse l'attaque suicidaire qu'elle avait prévu de faire sur son père. Elle posa doucement le couteau, en respirant profondément pour se calmer. Mais son cœur était toujours animé par la haine, une émotion qu'elle n'avait bizarrement jamais eue à son encontre. Elle ouvrit alors le deuxième flacon de potion, et en versa de nouveau quelques gouttes dans le bol de Malphas et Béatrix. Qu'est-ce que ce mélange donnerait... ? Quelque chose d'horrible, je l'espère... ! 

 

— Non, Père, finit-elle par dire, la voix encore un peu tremblante. J'arrive.  

 

Lorsqu'elle se retourna, vers le visage ravi de son père, suspicieux de Béatrix, et insondable de Tante Maria, elle pria pour que plus jamais elle n'ait à remettre les pieds ici. Le plan devait fonctionner. Et tout dépendrait de son aptitude à rester calme.  

 

— J'ai préparé le petit-déjeuner pour tous les autres. Ils pourront se servir. Je vais ranger un peu. Bon petit-déjeuner ! 

 

Elle sortit après s'être courbé devant eux, et saisit un balai dans le placard du salon. Il lui servirait d'alibi, au cas où quelqu'un apparaîtrait derrière elle. Parce qu'elle ne s'apprêtait à faire le ménage, loin de là. Désormais, c'était la seconde partie du plan qu'elle suivait. Elle descendit quatre à quatre les escaliers qui menait à l'étage en-dessous, et traversa le couloir qui menait aux différentes chambres jusqu'à une petite pièce circulaire. Au fond, il y avait une double porte métallique avec un bouton rouge à côté. Elle cliqua dessus, et les portes s'ouvrirent su une cabine sombre et sale. C'était l'ascenseur qui menait au souterrain.  

 

Le mécanisme descend brusquement en lui donnant un haut-le-cœur. Elle ne pouvait pas croire que les différents bruits de mécanique et de chaînes de l'appareil en mouvement n'étaient pas audibles pas Malphas et les autres, mais c'était le cas. Et pourtant, elle ne se serait pas entendu parler avec tout ce tintamarre. Les portes se rouvrirent rapidement sur deux chemins dans un tunnel en terre : un à droite, un tour droit.  

 

Elle fila tout droit, foulant le sol sec et froid de ses pieds nus, sentant quelques blessures à la cuisse se réveiller. C'est alors qu'elle se rappela avec horreur qu'elle se dirigeait vers celui qui l'avait battu à mort il y a quelques jours, sur les ordres de Malphas. C'est pourquoi elle était aussi blessée. C'était d'ailleurs un miracle qu'elle ait pu se lever aujourd'hui. Jade lui avait dit de ne pas s'inquiéter, mais Ariane ne pouvait retourner en tête les pires scénarios. Elle était prête à fuir à tout moment en cas de problème. Au pire, elle se débrouillerait toute seule... !  

Après quelques virages, elle arrive devant une grosse poubelle noire. Elle l'ouvrit, et tomba sur un trou qui semblait sans fin, avec des escaliers menant au bout. Son cœur se remit à battre la chamade, mais ce n'était plus le moment d'hésiter. La cérémonie avait déjà commencé ! Elle descendit l'échelle après avoir fermé la "poubelle", qui était en fait un passage secret, derrière elle, restant dans la pénombre la plus totale. 

 

Au fur et à mesure de sa descente, une lueur violette apparut sur les parois autour d'elle, de plus en plus vive, jusqu'à ce qu'elle pose de nouveau le pied à terre. La lumière venait d'une énorme boule remplie d'élixirs. C'était la seule source de lumière, et elle illuminait faiblement la cellule qui lui faisait face. C'est alors qu'elle vit les détenus : un gobelin, doté d'une lance qui gisait au sol, inerte, et un barbare adossé contre le mur, celui qui l'avait tabassé. Ils étaient tous deux plus petits, mais plus fort, et particulièrement le barbare, en raison de l'élixir qui régnaient dans leurs veines.  

Ariane resta paralysée devant son agresseur. Sa bouche s'ouvrait, mais aucun ne son ne sortait, et son poing était toujours solidement fermé sur les poignées de métaux qui formait l'échelle, l'autre serrant le balai. Le barbare se tourna soudainement vers elle. Elle dut avoir un mouvement de fuite, étant donné qu'il s'écria : 

 

— Non ! N'aie pas peur !  

 

Elle resta abasourdie une seconde, avant de rétorquer : 

 

— Pas peur ? Mais vous plaisantez ! Vous... ! 

— Oui, je sais ! coupa-t-il. J'ai été berné, comme l'imbécile que je suis ! Ce vieil homme m'a dit que vous étiez celle qui m'a enfermé ici ! 

— Et au lieu de vous libérer, il me donne en pâture pour défouler votre rage... enchaina Ariane, qui avait retrouvé sa contenance. Vous ne trouvez pas ça idiot ? 

— A vrai dire, réfléchir n'est pas mon fort. Moi j'agis, m'voyez ? 

 

La jeune femme hocha la tête, dégoûtée. 

 

— Je mérite votre colère ! Je le suis, moi-même, d'avoir été si grossièrement trompée et... ! 

— Aucune importance ! Nous n'avons plus le temps pour ça. Je suis là de la part de Jade. Aujourd'hui est le jour de notre libération, à tous ! 

— Oh mon Dieu, je ne vous serais jamais assez reconnaissaient d'être venue me chercher ! haleta le barbare en se collant aux barreaux. Mais n'était-ce pas la semaine prochaine ? Ou alors aurai-je perdu la notion du temps à force de vivre dans le noir...  

— Les plans ont changé. Il faut trouver un moyen de vous sortir de là.... 

— Nous sommes devenus trop faibles, geignit le barbare en regardant son compagnon de cellule. Mais... si vous arriviez à vous procurer ce drôle de liquide derrière vous... ! 

 

L'éclat de l'élixir brillait dans ses yeux remplis d'avidité, comme si son corps savait d'instinct que c'est-ce dont il avait besoin. Et il n'avait pas tort ! N'est-ce-pas avec cette substance que ces troupes étaient créés ? Elle s'approcha de la boule et commença à tourner la vanne jaune qui lui apparut en bas, jusqu'à ce qu'un mince filet ne fuite.  

 

— Oui, c'est ça ! s'écria hystériquement le barbare, le visage collé contre les barreaux. Prenez-m'en un peu ! 

 

Elle accueillit le liquide dans ses mains jointes, puis s'approcha de lui. Elle pouvait ressentir l'excitation et l'impatience s'échapper par vagues par chaque pores de sa peau. 

 

— Allez-y doucement... marmonna-t-elle craintivement. D'accord ? 

 

Il s'empara alors soudainement de ses mains et plongea son visage dedans sous les yeux abasourdis d'Ariane. Elle opposa une petite résistance, histoire de, même si le barbare était monstrueusement plus fort, à la fois surprise et dégoûté de sentir sa langue épaisse et râpeuse lécher ses paumes. 

 

— Déjà fini ? grogna-t-il comme un animal en commençant à lui lécher allégrement les mains.  

— Hey ! Assez ! Arrêtez, je n'ai plus rien !  

 

Lorsqu'il la lâcha, elle tomba à cause de son élan, et le regarda. Son cors semblait s'être gonflé. Il était plus galbé, plus musclé, et Ariane pouvait voir ses veines parcourus par du liquide violet sur sa large poitrine, puis descendre comme des chutes d'eau dur ses abdos et s'enroulait autour des veines de ses cuisses puissantes. De la vapeur s'échappa de sa bouche, et il ricana légèrement en toussant. Puis il tordit les deux barreaux les plus proches comme des cure-dents. 

 

— Oh.... oui... ! Oui, oui, oui ! Ça, c'est le pouvoir !  

 

Ariane essaya ses mains pleines de baves sur sa salopette et regarda d'un air incertain le gobelin évanoui derrière.  

 

— Heu... hésita-t-elle en le montrant du doigt.  

— Oh, oui, mon ami le gobelin ! On peut lui en donner lui aussi, ce n'est pas un mauvais bougre comme les autres ! Il m'a sauvé lors de leur dernière attaque ! Mon compagnon le barbare, par contre, n'a pas eu cette chance[1]... ! 

— Paix à son âme...  

— Pardon ? s'étonna le barbare qui récupérait déjà de l'élixir pour le gobelin. 

— On dit cela lorsque les personnes meurent. Lorsque le corps meurent, il se peut que l'âme ne soit pas au courant et devienne tourmenté. On dit donc cette phrase pour qu'ils reposent en paix. Sinon, ils restent en tant que fantômes dans ce monde, coincés entre deux réalités. 

 

Le barbare hocha la tête, insondable. Lorsqu'il eut fini de récupérer de l'élixir, il s'arrêta au niveau d'Ariane, alors qu'il se dirigeait vers le Gobelin.  

 

— Vous pensez qu'on a une âme, nous autres ? 

 

Ariane le dévisagea. Il semblait perdu lui aussi, comme une âme dans un corps qui venait de cesser de fonctionner. Sûrement devait-il se demander sa place dans le monde, sa nature, son statut par rapport aux "vrais" humains. Mais cela n'avait aucune importance.  

 

— Vous n'êtes peut-être pas très intelligent, mais... je suis convaincu que vous avez une âme. Plus grande que beaucoup d'humains que je connais. Vous vous en rendrez compte bien assez tôt. 

— Oh... si c'est pas meugnon, ça ! s'écria une voix traînante et arrogante 

 

Ariane tourna le regard vers l'échelle. Une fille plus jeune qu'elle aux cheveux noirs avec une frange venait d'entrer. 

 

— Eléonore ! 

— Je savais bien que tu mijotais quelque chose... ! C'est toi qu'on aurait dû vendre, pas ta sœur ! 

 

Pour la première fois depuis longtemps, Ariane eut un petit rire.  

 

— Faux. Cela n'aurait absolument rien changé. Et on se retrouvera de toute façon. Tout ce que vous entreprendrez toi et ta famille pour nous séparer mourra dans l'œuf ! 

 

Eléonore serra les lèvres de frustration, et se retourna vers l'échelle.  

 

— Elle va nous dénoncer ! s'écria Ariane. Vite, allez nourrir le gobelin !  

 

Elle se précipita alors vers sa sœur qui avait déjà quelques échelons d'avance et la suivit en grimpant quatre à quatre les barreaux de métal. Elle sortit de la poubelle quelque secondes après elle et se mit à courir après elle, mais elle se rappela alors que son corps était perclus de coourbatures et de blessures à peines fermés.  

 

— Tu penses pouvoir m'arrêter l'esclave ? cracha Eléonore en partant dans un rire hystérique. 

 

La façon dont elle l'appela lui donna en tout cas une rage suffisante pour continuer la course, et lui rappela à quel point elle avait envie de s'en aller. Alors que sa sœur était à quelques mètres de l'ascenseur, Ariane se servit de son balai pour la faire trébucher de tout son long sur le sol terreux et la dépassait.  

 

— Je ne te laisserais pas passer.... haleta Ariane.  

 

Eléonore eut un sourire désabusé, tandis qu'elle se relevait. Manifestement, sa sœur ne lui faisait pas peur du tout. Elle sauta alors sur elle avec la rapidité d'un lion, un poing fermé sur sa queue de cheval, l'autre enserrant sa nuque. Ariane répliqua en lui attrapant le visage, avant de lui mettre un violent coup de genou dans le ventre : elle n'était pas aussi forte que ses sœurs, mais des années de travail et de coup l'avait endurcie. A défaut d'être aussi forte qu'elles, elle était monstrueusement endurante, et sa sœur le savait. Cette dernière fit tomber Ariane au sol et lui envoya un coup de poing dans la mâchoire, lorsqu'un gros bruit sourd retentit depuis le plafond. Les deux filles restèrent immobiles, bouche bée par cette manifestation sonore qui avait fait vibrer les parois du tunnel.  

 

Quelques secondes plus tard, une seconde détonation suivit, et elles comprirent en même temps.  

 

— Un coup de canon en pleine cérémonie ? Ce n'est pas normal ! 

 

Ariane se rappela alors de sa conversation avec Jade, juste avant qu’elle ne parte pour l’Hôtel de Ville.  

“ — Quel sera le signal ?!  

— Tu le sauras ! “ 

 

— C'est le signal ! comprit Ariane, les yeux écarquillés de stupeur.  



[1] Après s'être échappé avec un frère d'armes Barbare des troupes armées du village, ce dernier est mort dans la confusion créée par une attaque surprise de Gobelins.

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