Jade, l'apprentie humaine
Chapitre 16 : Mutinerie
Diane était à plusieurs dizaines de mètres du vide, suspendue à une corde faite de draps auquel elle était arrivée à appliquer un mouvement balancier. Pour cela, elle s'était aidée du mur de briques. Bien heureusement pour, elle, les patrouilles ne pensaient pas à surveiller les parois de la tour. Il ne lui restait plus qu'un ou deux balancements pour arriver à la vitre. Elle arriva finalement à mettre son pied sur le rebord d'une fenêtre, se figeant en l'air, les mains entourant fermement la corde. De la lumière s'échappait de la vitre ouverte, et elle espérait que personne n'y était. C'était à cet exact moment qu'une petite main sortit au-dehors de la vitre et toucha son pied du doigt. La jeune femme eut un petit cri de peur et recula de quelques centimètres. C'est alors la personne sortit sa tête aussi, piqué par la curiosité.
C'était un petit garçon roux aux cheveux ébouriffés au regard espiègle. Il avait l'autre main dans des bandages, et un pansement à la joue.
— Oh ! s'écria-t-il, bouche bée.
— Désolée de vous importuner, se précipita de dire Diane. Pourriez-vous m'aider ?
— Pourquoi tu me tutoie ? demanda-t-il alors. Tu es plus grande que moi !
"Une vieille habitude d'esclave obtenue depuis plus de dix ans, peut-être", pensa-t-elle sarcastiquement. "Ou bien une marque de respect... ou bien les deux"
— Tu ne me demandes pas ce que je fais là ?
— Non, répondit le petit garçon d'un ton implacable. Je te demande pourquoi...
— Aide-moi, je t'en supplie, sinon je n'aurai jamais l'occasion de répondre... !
Il attrapa sa main tendue. Il n'était sûrement pas très fort, et il faudrait donc que cela ne dure que quelques secondes.
— Colle-toi au mur, lui conseilla-t-elle.
— Vas-y, je ne te lâcherai pas ! lui dit-il en s'exécutant.
Elle tira brusquement sur son bras, et d'emblée, se mit debout sur le rebord.
— Et voilà ! s'écria-t-il joyeusement.
— Chut... ! ordonna-t-elle, le doigt devant la bouche.
Diane s'accroupit doucement avant de tomber dans la pièce. Elle était grande et circulaire, aux murs et à la lumière jaune, avec un tapis comportant des arcs-en-ciel circulaires. Ici et là, elle pouvait voir de plus ou moins grands cartons, certains dont le contenu était renversé par terre. Le contenu en question n'était que des jouets en bois. C'était une salle de jeu. Et lui était...
— Tu es le fils du Roi ?
— Ah, tu me tutoie, maintenant !
Diane sourit. Il lui rappelait son petit frère. Mais son souvenir lui rappela sa mort, et sa mort enleva le sourire de son visage aussi vite qu'il était apparu.
— C'est bien ça ?
— Oui. Qu'est-ce que tu fais ici ?
— Je... Je nettoyai les murs, et j'ai failli tomber.
— Et où est ton matériel de nettoyage ? questionna-t-il de sa voix claironnante.
— Heu... Il est tombé.
— Et c'est comme ça que tu nettoyais les murs, hein ?
— Heu...
Elle avait encore sa robe déchirée de tout à l'heure.
— Je le savais ! chantonna-t-il. Tu mens ! Qu'est-ce qu'il t'est vraiment arrivé ?
— Ce ne te regarde pas, dit-elle sèchement. Il faut que je me change.
Lancelot avait fait cette robe avec un drap blanc qui avait coup et enroule de toute part, mais tout était en train de tomber, maintenant que le vêtement n'était plus serré à son corps, mais lâche.
— Tu n'as pas des vêtements de grand, j'imagine ?
— Tu imagines mal... !
Lorsqu'il revint, quelques minutes plus tard, Diane était recroquevillée contre le mur, le visage dans les mains.
— En fait, tu imaginais bien. C'est trop grand pour moi, mais bien trop petit pour moi... Du coup, je suis allé piquer dans l'armoire de mon majordome... Ca va pas ?
— Si si, tout va bien...
— Mon père a essayé de te faire du mal, hein ?
Diane releva la tête vers lui, médusée. Il était au courant ?!
— Elles sont toute dans ton état quand il en a fini. Il dit qu'il essaye de prendre leur virilité...
Tandis qu'il déposait les habits aux pieds de l'esclave, cette dernière réfléchit deux secondes, avant de soupirer.
— Virginité. Pas virilité. Et merci, pour les vêtements. Mais, il me l'a pas prise, à moi !
— Tu as réussi à t'échapper ?
Elle acquiesça avec un maigre sourire. Le regard d'admiration la réconforta d'une certaine manière.
— J'ai seulement réussi parce qu'on m'avait déjà fait le coup. Les autres n'ont vraiment pas eu de chances.
Elle enfila le pantalon, puis fit se retourner le garçon pour mettre la veste qu'l lui avait donné. Elle était habillée dans un costume noir de soirée, ou de travail, vêtement que portaient beaucoup plus les hommes. Cela la troubla un peu, mais c'était confortable. Quoiqu'un peu trop large.
— Comment t'appelle-tu ? s'enquit-elle en lui tendant la main. Moi, c'est Diane.
— Néo ! répondit-il fièrement
— Tu ne devrais pas dormir à cette heure-ci, Néo ?
— Je n'y arrive pas les nuits où mon père planifie de prendre la... virginilité de quelqu'un..;
— Il t'en parle ? s'étonna-t-elle, dégoûté.
— Oui. Il me dit que c'est comme ça qu'on fait, et il essaye de m'apprendre. Mais maman m'a dit que mon père n'était qu'un vaurien, et qu'il avait tort sur toute la ligne !
— Est-elle dans ce château ?
— Non. Elle est partie il y a bien longtemps. En fait, c'est plutôt mon père qui l'a banni, parce qu'elle avait une mauvaise influence sur moi, qu'il disait. Elle m'a fait promettre de ne jamais l'écouter.
— Et elle avait raison !
Néo poussa soudain un soupir qui choqua complètement Diane, de ceux qu'on entend normalement dans la bouche d'un adulte, et certainement pas d'un enfant dont les seules préoccupations doivent être "à quel jeu je jouerai demain ?".
— Peut-être bien... Mais voilà que je suis bloqué avec lui...et... et...
Elle lui lança un regard triste. La jeune femme ne comprenait que trop bien sa peine. Ses propres parents biologiques étaient morts lors d'une attaque des troupes de Thyrène. Elle le prit dans ses bras, sans même le sonder, mais il s'avéra que c'est ce dont il avait besoin.
— Il faut que je retrouve mes amis... ! murmura alors Diane.
— Tu veux sortir ? C'est impossible ! C'est le couvre-feu. Après la réunion de papa, la moindre personne qui traîne dans les couloirs est enfermée aux cachots.
Cela voulait dire qu'il lui faudrait attendre jusqu'à la cérémonie... Elle n'était plus très loin. Et après tout, un peu de pause ne lui ferait pas de mal.
— Pourquoi veux-tu sortir ?
— Parce que je prévois de partir, répondit-elle avec sincérité. De m'échapper. Je vais profiter de la cérémonie, moi et mes amis, pour filer en douce.
— J'peux venir ?!
— Hein... mais enfin... Je... je ne sais pas...
Néo ne répondit rien, et regarda le sol en poussant un nouveau soupir. Elle ne pouvait quand même pas enlever un enfant comme ça. Ou en tout cas, pas elle. "Je suis la dernière personne à pouvoir prendre soin correctement d'un enfant", se répétait-elle pour se convaincre. La vérité, c'est que des années de dénigrement l'avait poussé à le faire quelques soit le domaine ou l'activité qu'elle entreprenait.
— Quels sont ces blessures sur ton visage ? s'enquit-t-elle maladroitement.
— Mon père. Il me bat pour que j'assimile mieux.
— Quelle horreur...
Elle s'occuperait toujours mieux de Néo que ne le ferait son père, après tout... !
— Tu veux retrouver ta mère ? demanda-t-elle alors en s'agenouillant pour être à son niveau.
— Oh oui, alors !
— Moi aussi. Et mon père aussi. Ce n'est pas quelqu'un comme le Roi. Il est bon, calme et toujours souriant. Tu l'aimeras beaucoup j'en suis sûre. Tu vas partir avec nous, demain !
— Oh, chouette alors ! Chouette chouette chouette... !
—Chuuuut !
Trop tard... ! Diane entendit des bruits de pas derrière la porte. Elle balaya rapidement la pièce du regard et choisi de se recroqueviller sous une caisse de carton.
— C'est mon majordome, marmonna le petit garçon en se précipitant dehors.
Les deux voix lui parvinrent alors sous sa cachette. Néo semblait protester face au ton sec du majordome. La porte s'ouvrit peu après, puis la lumière s'éteint. C'était l'heure de dormir, à priori... Mais pas pour elle, se disait-elle. Si elle s'assoupissait maintenant, elle n'aurait jamais la force de se réveiller dans deux heures. Et pourtant, que ses paupières étaient lourdes. Le tapis rigide lui semblait si confortable sous son dos... Elle décida alors de sortir de sa cachette et de dormir assise contre le mur. Dans cette position, elle savait qu'il lui était impossible d'enchaîner plus d'une heure de sommeil, comme pour tout autre être humain. Ainsi, elle était sûre de se réveiller à temps pour gâcher la cérémonie de départ...
Lorsque Diane se réveilla, ce n'était pas dans la salle de jeu d'un prince, dans le village de Thyrène, mais assise sur les genoux de sa mère, qui lui confectionnait un pull en laine pour l'hiver à venir. Elle avait bien dix ans de moins. Son père jouait aux échecs avec sa sœur jumelle, un peu plus loin dans le salon, et leur petit frère avait invité son meilleur ami à jouer aux figurines en bois. Elle était de retour chez elle... Était-ce un rêve ? Cela lui paraissait... si réel !
Elle se retourna et regarda sa mère dans les yeux.
— Maman... !
— Oui, c'est bien moi, répondit cette dernière, amusée.
Diane la serra dans ses bras, le cœur empli de joie et de réconfort. De nouveau lui parvinrent aux narines les douces senteurs de sa mère, son parfum si frais et particulier. Elle s'agrippa à son cou comme à une bouée de sauvetage, plongeant la main dans ses cheveux aux pointes grises.
— Eh bien, Diane ! On dirait qu'on ne s'est pas vu depuis dix ans ! Tu n'as pas dormi tant que ça pourtant !
— Je pensais que vous étiez tous mort, gémit Diane, au bord des larmes. Des barbares... des archers, des sorciers, des géants... Toute une armée avait attaqué notre village... !
Elle entendit son père doucement rigoler.
— Mais enfin, Diane, tu sais que c'est impossible. Notre village n'est pas géographiquement localisable ! Seuls ceux qui en font partie peuvent le voir !
— Je sais bien, mais... non, tu as raison ! En tout cas, le plus important, c'est que...
Son regard s'était arrêté sur son frère et son ami. Ils gisaient au sol, le cou tranché, les yeux grands ouvert et vide d'éclat. Elle hurla, à la fois d'horreur ou de terreur en appelant sa mère au secours. Lorsqu'elle tourna le regard vers cette dernière, elle avait du sang qui s'échappait en filet de sa bouche, et un œil en moins. Ses vêtements étaient tachés de sang, et elle avait une énorme blessure au ventre qui en venait à tâcher les habits de sa fille.
Diane en tomba à ses pieds de surprise le visage déformé par la peur. Lorsqu'elle se retourna, elle vit son père et sa sœur, morts aussi, la tête posée paisiblement sur l'échiquier dont les pièces gisaient au sol, à côté de flaques de sang. Et tout autour d'elle, une horde de barbares, épées en mains, hurlaient de rage tel des dégénérés, prêt à lui sauter dessus.
Elle se réveilla avec l'explosivité d'une bombe en agitant ses bras en l'air, la respiration haletante, trempée de sueur. Devant elle, un petit garçon aux cheveux roux la regardait avec des yeux ronds, bouche bée par le spectacle qui lui avait été donné de voir.
— Un cauchemar... murmura Diane pour elle-même.
Cela faisait des années qu'elle n'en avait pas eu. Au début, c'est n'était pas le cas, étant donné qu'elle se ressassait les évènements sans cesse pendant la journée. Mais quand la dureté du quotidien avec Malphas lui fit peu à peu oublier ces scènes, ses cauchemars le firent pour elle, avec une cruauté difficilement inimaginable. Elle avait l'impression que son cerveau se servait de tous ses atouts les plus pervers pour la rendre folle.
— Ca va ? s'enquit Néo, incertain.
— Oui, oui... oui, répondit précipitamment Diane. Je... tu... Quelle heure est-il ?
— Heu... Il est heure... Heu... Je sais pas. Mais mon père est parti !
— Parti ?! s'écria-t-elle horrifié. Depuis quand ?
Le petit garçon se mit à compter avec ses doigts, les sourcils froncés par la concentration. De toute évidence, il n'avait pas encore une conscience du temps optimale.
— Il y a pas longtemps, je crois bien, lui assura-t-il d'un sourire qui se voulait conscient.
— Ce n'est pas grave, répondit Diane qui s'était déjà relevée. On va y aller. Immédiatement !
— Mais... les gardes ne me laisseront jamais sortir du château !
La jeune femme se mordit les lèvres, la mine de plus en plus anxieuse. Il devait bien avoir un moyen... !
— Ok, j'ai une idée !
#######
Jade, quant à elle, se trouvait toujours dans une petite cage où elle ne pouvait même pas se mettre debout. Mais cette fois, ce n'était pas dans une pièce sombre : elle était en train de déambuler dans les rues de Thyrène, dans le carrosse du Roi Richard qui saluait joyeusement la foule juste devant elle. Il y avait deux Valkyries à côtés d'elle, et à la droite du Roi se tenait quelqu'un qui décidemment était un traître : Reford. Ce goujat s'était-il associé au Roi pour ses intérêts personnels ? Si oui, c'était forcément la raison pour laquelle il n'était pas lui aussi dans une cage. En effet, il avait fis de son déguisement pour remettre ses vêtements de sorcier : Une grande veste bleue à capuches, des bottes en cuir foncé et un pantalon noire.
— Traître, hurlai-je, folle de rage. TRAAAITRE !
Reford se retourna avec le plus grand calme du monde, un léger sourire aux lèvres.
— Et toi, tu ne t'apprêtais pas à trahir Malphas ? Tu crois que je n'étais pas au courant de tes petits jeux ?
— Alors comme ça, tu as fouiné, hein ? Comme ton maître te l'a demandé !
— Je savais que tu deviendrais dangereuse à un moment ou à un autre, répliqua-t-il. Alors j'ai pris les devants. Finalement, je me rends compte que j'avais raison.
— Tu n'as pas encore gagné !
— Toi non plus ! Tu comptes t'en sortir sans tes flèches et avec deux valkyries à côté de toi ?
— Où est Diane ?
— Malphas vous as vendu, toi et elle, au Roi. Il aura besoin de vous...
— C'est une blague j'espère ?
— Non. Crois-tu vraiment que Malphas te faisait les yeux doux à cause "de tes agilités fantastiques qui nous servirait pour accomplir la mission ? Il a compris que tu serais un problème. C'est pour cela qu'il t'a mis dans la confidence... !
— Et toi... ? Tu savais ?
Il marqua un petit silence, le regard dans le vide.
— Non. Je ne l'ai appris qu'hier. Mais... cela n'aurait rien changé si je l'avais su... ! Maintenant, tais-toi. Je suis en train de discuter avec le Roi.
Je rugis de colère en essayant de me détacher de mes chaînes sans succès, tapant hystériquement du pied contre les barreaux de ma cage. Tout n'était pas perdu tant que je n'étais pas sorti du village. Je ne pouvais pas abandonner maintenant... !
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Pendant ce temps, la foule qui avait accueilli le Roi devant l'Hôtel de Ville s'éparpillait peu à peu dans les rues voisines, ou suivaient ce dernier jusqu'à ce qu'il traverse les portes du village. Deux gardes surveillaient paresseusement l'entrée de l'Hôtel, baillant toutes les trente secondes. A vrai dire, il ne semblait plus y avoir de danger potentiel.
— Bon, rentrons !
Soudain, les portes qu'ils s'apprêtaient à ouvrir furent défoncés et les écrasèrent, tandis qu'un char de course planait au-dessus d'eux, tirés par trois chevaux. Avec les deux énormes battants sur eux, ils ne virent pas le petit garçon et la jeune femme aux cheveux noirs et attachés.
Le char descendit cahin-cahan les grands escaliers de pierres, tremblant tellement qu'il semblait être sur le point de se disloquer à tout instant. Néo et Diane serraient la rambarde du char, sachant que leur vie en dépendait, tant les chevaux devant semblaient avoir perdu la raison. Alors que ces derniers sautaient et se réceptionnaient sur la place devant l'Hôtel de Ville, autour des passants alertes et surpris, elle tira sur leur corde pour les faire virer sur la gauche, vers la cérémonie. De loin, elle pouvait voir le char royal continuant son ascension vers la sortie.
Diane avait eu l'idée des chevaux, sachant que les nobles en organisaient les courses au bas de la colline sur laquelle s'élevait le village. Par contre, elle n'était pas arrivée à trouver son amie Jade : son instinct lui disait qu'elle était avec le Roi, mais elle n'avait pas intérêt à se tromper.... !
— Néo, tu sais ce que tu dois faire, n'est-ce-pas ?
Ce dernier hocha fermement la tête avec un sourire confiant.
— Alors, vas-y ! Tout notre plan dépend de toi ! Je reviendrai te chercher !
Il acquiesça de nouveau, avant de se retourner et de sauter du char sans cérémonie. Il fit quelques roulés boulés au milieu de l'allée, avant de se relever sous les regards éberlués des gens autour de lui. Il aurait été repéré directement s'il ne s'était pas couvert avec une cape à capuche. Il s'engouffra immédiatement dans une voie entre deux maisons, avançant de ruelles en ruelles vers une grosse tour épaisse et carré de cinq-six mètres au-dessus duquel trônait un canon.
Il allait distraire le garde qui gardait l'entrée de la tour, et trouver un moyen d'entrée. Ensuite, il prendrait le contrôle du canon. Il lui faudrait alors viser le char royal et tirer. Il avait déjà maintes fois tirer, mais cette fois, il fallait tirer juste. Il déglutit nerveusement en pensant aux conséquences de son possible échec...
— Je vais réussir... ! murmura-t-il. Je vais le faire !