Ramène-moi ! (version 2.0)
Chapitre 14 : Salido de la caja (Libéré de la boîte)
3730 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 20/06/2024 14:24
Falcon et le Doc la laissèrent reprendre son souffle. Elle avait besoin de temps, pour intégrer ce qu'elle venait de découvrir, pour se reprendre, pour réaliser ensuite qu'il était nécessaire d'agir maintenant. Elle devait être forte, assez forte pour ramener Ryo. Son vrai Ryo. Ils avaient encore tant à se dire et à vivre ensemble. Lui aussi devrait être assez fort pour revivre ce passé qui le paralysait. Et elle serait là pour lui. Il lui avait demandé son aide et jamais elle ne le laisserait tomber. Jamais.
Elle prit une grande inspiration mais son cœur continuait de pulser très fort dans sa poitrine. Elle n'eut pas besoin de regarder le Doc et Falcon pour se sentir soutenue ; elle percevait leurs énergies, amicales et chaleureuses. Elle se pencha vers Ryo et murmura, la gorge encore serrée :
— Comment es-tu arrivé dans cette boîte, Ryo ?
Les yeux toujours clos, Ryo répondit :
— Mon père m'y a fait enfermer.
Kaori retint son souffle. Le Doc devint blême et même Falcon accusa le coup : son aura se troubla, sa moustache frémit et ses mâchoires se crispèrent. Tous les trois savaient bien que Shin Kaïbara était fou, qu'il ne s'était pas forgé une réputation de chef impitoyable et violent sur de simples rumeurs mais à ce point ? Comment était-ce possible ?
— Pourquoi ? osa-t-elle demander.
— J'ai désobéi. J'ai trompé sa confiance.
— Comment ça ?
— J'ai aidé Moon et sa fille à s'échapper... Rosemary était tellement malade.
— Rosemary ? Tu parles de Mary Moon ?
— Oui, c'est elle. Beaucoup de fièvre... Elle... Moon voulait partir pour rejoindre un camp de réfugiés, de l'autre côté de la rivière. Il paraît qu'il y a des médecins là-bas.
Le Doc confirma :
— C'est moi qui lui ai conseillé d'y aller. Au Pueblo, je n'étais pas assez équipé. Ça ressemblait à une fièvre de Sabia. C'est une fièvre hémorragique transmise par les excréments d'animaux. On l'attrape généralement en dormant à même le sol dans des grottes ou des villages agricoles. Si la petite était prise en charge rapidement, avec un bon antiviral, elle pouvait encore s'en sortir mais il fallait faire vite.
— Kaïbara refuse que Moon parte, reprit Ryo. Il dit qu'il était son lieutenant et qu'un bon lieutenant reste fidèle à son chef en toutes circonstances. Mon père a fini par péter un plomb. Plus personne ne quitte le camp sans son autorisation. Il a même confisqué les clés de tous les véhicules... mais j'en ai volé une pour la donner à Moon... Pour qu'il aille sauver Rosemary... Elle est si malade...
— OK... murmura Kaori. Bon, maintenant qu'on a trouvé de quelle boîte il s'agissait et pourquoi tu es dedans, c'est bon. C'est fini, tu peux sortir.
— Non, j'veux pas.
— Quoi ? Comment ça, tu ne veux pas ?
— No.
— Allez ! Les blagues les plus courtes sont les meilleures. Là, c'est fini, tu sors !
— No.
La voix de Kaori se mit à trembler :
— Tu ne resteras plus jamais dans cette cage, je te le promets. On ira sur le toit, chez nous et tu verras le ciel... Mais pour ça, tu dois sortir de là !
— No.
— Ryo ! Tu m'as demandé de te ramener mais comment veux-tu que je te ramène si tu ne sors pas de là ! Tu dois sortir ! Moi, je ne peux rien faire de plus ! J'ai fait ce que tu m'as demandé !
Kaori empoigna Ryo par les épaules et le secoua mais il gardait toujours les yeux fermés, balançant vigoureusement la tête de gauche à droite et de droite à gauche. Il répétait :
— No. Me niego. No, no, no... (Non. Je refuse. Non, non, non...)
Réalisant son impuissance, la jeune femme se leva d'un bond, les poings serrés, les joues rouges et se dirigea d'un pas vif vers la porte. Elle devait sortir pour ne pas exploser.
— Attends, Kaori, l'interpella le Doc.
Elle se figea, tournant le dos au futon de Ryo, les épaules basses. Le Doc se pencha vers le malade pour lui demander :
— ¿Por qué quieres quedarte, Baby Face ? (Pourquoi veux-tu rester, Baby Face ?)
— Porque cuando salgo, es peor... (Parce que, quand je sors, c'est pire...)
Kaori se retourna :
— Je ne comprends rien. C'est un vrai cauchemar...
— Oui, confirma Falcon. Tu as raison. C'est son cauchemar. Certainement son pire cauchemar d'ailleurs.
Le géant tapota le coussin plat posé au sol à ses côtés :
— À toi de jouer. Canalise pour pouvoir analyser... Et agir en conséquence.
La jeune femme fixa le géant quelques secondes. Il avait été son formateur par le passé et elle lui faisait une confiance absolue. Elle soupira. Après tout, elle pouvait bien essayer encore. Oui, elle arriverait à ne pas craquer maintenant. Il le fallait. Pour Ryo... Elle revint s'agenouiller devant le futon et s'empara à nouveau des doigts de Ryo :
— Pour que je puisse te ramener, Ryo, tu dois sortir de cette boîte, tu m'entends.
— J'veux pas…
Sa voix était devenue faible :
— J'ai peur. J'veux pas être tout seul.
— Tu ne l'es pas. Je suis là. On y va. On sort ensemble. Que s'est-il passé ensuite ?
Kaori grimaça de douleur : ses doigts étaient littéralement écrasés par la poigne de Ryo quand il prononça, les paupières closes :
— Je suis tellement faible quand on me sort de la cage que je n'arrive plus à me défendre...
Et les souvenirs revinrent d'un coup : les images, les émotions, les mots, les regards, les blessures. Il en eut le souffle coupé. Il s'agrippa encore plus à la main de Kaori, il cria de toutes ses forces mais cela n'arrêta pas la déferlante du passé : la peur, la colère, la haine, le désespoir, la douleur. La puissance de la vague le plaqua dans l'immobilité et l'obscurité. Il se rappela qu'il n'avait plus été capable de bouger, qu'il arrivait à peine à respirer. Le nœud dans son ventre, celui qui le retenait prisonnier des ombres, se resserra encore, l'attacha fermement et le tira de plus en plus vers le néant. Son esprit vacilla et se laissa recouvrir par le raz-de-marée de la mémoire.
Il avait crié. Il s'était débattu. Il avait tenté de frapper droit devant lui mais il n'avait touché que du vide. Il avait tenté de se dégager mais les trois hommes qui l'avaient attrapé par les épaules et le cou le tenaient fermement. Aveuglé par la lumière après tout ce temps dans le noir, il avait beau viser, ses poings n'atteignaient jamais leur cible. Son corps, meurtri, avait semblé ne plus lui obéir.
À travers un brouillard éblouissant et laiteux, il avait distingué son père qui boitait vers lui, faisant grincer sa prothèse. Et soudain, il avait vu ses yeux. Oh, non... Ses yeux froids et durs l'avaient mesuré, jugé et tailladé comme s'il n'était qu'un inconnu. Ça avait été la pire des tortures. Ryo avait compris à ce moment-là. Son père était en train de l'abandonner. Il allait le laisser seul au monde. Orphelin. À nouveau.
— Tu m'as trahi, avait annoncé Kaïbara.
Ryo avait répondu que c'était pour sauver Rosemary, qu'elle était innocente.
— Innocente ? Innocente ? Qui est innocent ici, dans ce monde et sur cette terre ? Personne... et tu le sais. Je te l'ai toujours dit : il y a des Faibles et des Forts. Et les Forts décident Quand et Comment les Faibles doivent mourir. C'est aussi simple que ça.
— La guerre sera bientôt finie ici, alors pourquoi t'acharner ?
— Parce qu'il y aura toujours une guerre quelque part. Cite-moi une période dans l'histoire de l'humanité qui n'a pas connu de guerre ! La vie est un combat permanent. Seuls les Forts s'en sortent. L'attaque restera toujours la meilleure défense et j'aurai bientôt une armée invincible. Elle fera notre fortune.
— Non, j'veux pas.
— Peut-être maintenant... Mais tu finiras par accepter. Il ne peut en être autrement... parce que tu as besoin de moi et moi de toi. Tu seras mon lieutenant, tu remplaceras Moon, avait-il affirmé en sortant une seringue d'une petite boîte en métal.
Ryo avait frémi. Cette seringue contenait de l'Angel Dust, il le savait. Kaïbara avait testé sa drogue sur plusieurs de ses hommes et ils étaient tous morts, les uns après les autres. Parfois, leur cœur n'avait pas été assez solide pour encaisser le shoot, parfois le manque avait eu raison de ce qui leur restait d'humanité . Ryo avait vu les effets des crises provoquées par ce dérivé du PCP. Il avait entendu les hurlements de souffrance qui s'échappaient des tentes des drogués. La seule voie vers la libération était la mort et elle venait d'une balle dans la tête au risque de subir de longues heures d'agonie.
Oh nooon ! Ryo ne voulait pas finir comme ça, achevé tel une bête blessée, non, non, non !
Il s'était retenu pour ne pas se débattre, pour ne pas montrer sa peur, pour ne pas trahir sa détresse. Il avait soutenu le regard de son père en affirmant :
— J'veux pas prendre ce truc. Ça rend taré.
Ça avait été à cet instant, pendant qu'il sondait les yeux de Shin Kaïbara, que Ryo avait réalisé l'ampleur de la folie de son père. Depuis qu'il avait été amputé de sa jambe, Kaïbara n'avait plus été le même. Il avait beau dire que c'était peu cher payé pour l'avoir sauvé, Ryo savait... Il savait combien son père ne supportait pas d'être diminué ainsi. Il avait changé... Petit à petit...
Ryo avait bien remarqué que certaines choses n'étaient plus les mêmes. Ça faisait un moment que, dans le camp, les hommes murmuraient sur le passage de leur chef. Ryo avait vu : les regards échangés, lourds d'interrogations, qui trahissaient ceux qui, parfois, remettaient en cause la légitimité de ses ordres en secret. Mais, personne, non, personne, n'avait jamais encore osé lui tenir tête ostensiblement. À part Moon... mais il était parti. Oui, tous craignaient Shin Kaïbara, le Tigre d'Amazonie. Tous. Car rien ne faisait plus peur que la folie. Et aujourd'hui, la victoire de sa démence était totale.
Serrant les dents, Ryo avait soutenu le regard de son père en silence pendant un long moment, faisant tout son possible pour ignorer la seringue maintenue devant son visage. Il s'était concentré afin de ne pas montrer sa peur de mourir, son angoisse de se sentir à nouveau abandonné, surtout pas ! La peur, c'était pour les faibles. Il ne devait pas être faible. Jamais !
— Sois un bon fils et montre-moi que tu crois en notre cause, avait dit son père d'une voix horriblement douce. Et je te pardonnerai peut-être ta désobéissance.
Ryo s'était débattu frénétiquement mais les hommes qui le tenaient avaient de la force et ils n'allaient pas s'opposer à un ordre, ils savaient très bien ce qu'il pourrait leur en coûter.
Il avait supplié, essayé de l'interrompre, "Papa !" mais rien n'avait troublé Kaïbara alors qu'il avait soulevé la manche du treillis de Ryo et placé le garrot autour de son bras. Le père avait enfoncé lentement l'aiguille dans le creux du coude du fils. Ryo avait serré les dents malgré son envie de hurler à la mort. Et tout était devenu noir.
Dans la chambre du ryokan, allongé sur son futon, Ryo s'agita de plus en plus. Il gémit, cria, se cambra... jusqu'à ce qu'une main fraîche se pose sur son front pendant qu'une voix douce le tirait vers la lumière :
— Chut, Ryo, calme-toi, respire, c'est fini, c'est fini...
"Oh, Kaori, comme tu te trompes... pensa faiblement Ryo. Ça ne fait que commencer…"
Sa respiration s'accélèra. Il gronda, grogna, se cabra tant et si bien que Falcon lui-même dut le maintenir fermement. Kaori, affolée, tenta bien d'appeler Ryo mais en vain. Il ne l'entendait pas.
Le noir avait été rapidement remplacé par du rouge, du sang, partout. Il était couvert de sang : sur ses mains, ses bras, ses jambes, et autour de lui, au sol, sur les corps qui gisaient devant lui, sur les feuilles, sur les troncs d'arbres...
Rouge, son monde était devenu rouge. Rouge, comme la rage qui brûlait au fond de son cœur, consumant ses entrailles, troublant sa vue, peignant ses paupières, infestant son esprit. Rouges étaient ses mains couvertes de sang. Rouge était sa seule arme, son couteau de chasse. Quand sa lame n'avait plus réussi à satisfaire sa faim de combat, il avait utilisé ses poings et ses dents. Il avait répandu le rouge.
Couper. Trancher. Déchirer.
Plus rien d’autre n’avait compté. Alors il avait coupé. Il avait tranché. Il avait déchiré, cherchant désespérément à savoir si l'intérieur des autres hommes était aussi rouge que la rage qui l'habitait. Les cris qui étaient parvenus jusqu'à ses oreilles bourdonnantes n'avaient fait qu'attiser son désir de couper, de trancher, de déchirer. Son désir de tuer. Son désir d'anéantir.
Oh oui ! Tuer, anéantir. Détruire. Casser... Tout casser et disparaître en même temps. Ne plus exister. Ne faire plus qu'un avec tout ce rouge. Se noyer dedans... Quel délice ! Devenir rouge comme la rage...
Il avait continué, encore et encore. Rien n'avait semblé assez puissant pour l'arrêter. Rien.
Et puis, soudain, il avait croisé des yeux. Il n'avait vu qu'eux, ces deux yeux de jais qui le jugeaient, le toisaient, le prévenaient silencieusement qu'il ne passerait pas. Posés sur un corps de géant en treillis, ces yeux ressemblaient tant à Ses yeux à Lui... la même forme en amande, le même noir profond, le même regard dur et sans pitié, la même haine froide et profonde.
Oh non ! Pas ça ! Pas encore !
Il fallait les couper, les trancher, les déchirer pour les anéantir, les détruire, les faire disparaître au plus vite !
Dans sa folie, Ryo avait frappé ces yeux en premier. C'était ce qui l'avait mis en position de faiblesse. Le géant avait réussi à l'attraper par le poignet et le cou et avait entrepris de serrer sa main autour de sa gorge. Il avait une force incroyable et il avait serré, serré… serré.
Ryo avait tenté de le toucher avec sa lame mais le géant avait raffermi sa poigne et avait plaqué le bras armé du jeune forcené contre le tronc d'un arbre à épines. Il s'était appuyé de tout son poids pour que les aiguilles venimeuses s'enfoncent dans la chair. Ryo n'avait pas senti la douleur mais peu à peu, ses doigts étaient devenus insensibles, anesthésiés par le poison et il avait fini par lâcher son couteau.
Il avait bien essayé de se libérer pendant un long moment, battant le vide de ses pieds et de ses poings. Il voulait se défaire de l'emprise autour de sa gorge pour retrouver de l'air. Mais le géant avait serré encore plus, toujours et toujours plus. La vue de Ryo s'était à nouveau troublée. Le rouge qui l'enveloppait s'était assombri, devenant noir comme le jais de Ses yeux, noir comme le néant, noir comme la mort... Et Ryo s'était laissé glisser dans ce noir absolu.
Une voix douce le tira des ombres :
— Ryo ? Tu m'entends ? Ryo ? Ryo ?
Au ton insistant de la voix, ça devait faire un moment qu'elle répétait la même chose. Ryo tenta de répondre mais les mots se mélangèrent dans sa bouche.
— Allez, un dernier petit effort, tu y es presque, entendit-il.
— No lo... Je... C'est... Duele demasiado... (ça fait trop mal)
La voix le rassura :
— Non, non, le plus dur est derrière toi, Ryo, je te le promets. Reviens.
Les yeux toujours clos, Ryo murmura d'une voix rauque, comme éraillée d'avoir trop crié.
— Cassé de partout... J'en peux plus, je veux que ça s'arrête ! Je veux mourir.
Kaori, agenouillée à sa place habituelle, plaqua sa main sur la bouche, les yeux écarquillés brillants de larmes alors que Ryo balbutiait encore :
— J'ai mal. Partout. Mal. Dehors. Dedans. Je veux que ça s'arrête... Je veux mourir...
— Non, non, non ...
Ce n'était qu'un murmure dans la gorge de Kaori mais dans le silence de la chambre à peine éclairée par une maigre lampe de chevet, il ressemblait à un hurlement de terreur.
— J'ai fait des choses horribles. Je ne mérite plus de vivre, chuchota Ryo.
— Noooooooon, ça suffit ! Ça suffit, Saeba Ryo ! hurla soudain Kaori. Maintenant tu vas m'écouter !
Elle le saisit par les épaules et le secoua comme un prunier.
— Tu mérites de vivre ! Tu as commis des crimes par le passé. Mais c'était la guerre et tu n'avais connu que ça. OK. C'est du passé ! Tu m'entends ? Du passé ! Tu as changé maintenant. Tu n'es pas un enfant de chœur, tu es même un sale type quand tu veux, un obsédé bordélique, un crétin fini, un dragueur invétéré, un mufle... On peut te trouver des tas de défauts ! Oh oui ! C'est franchement pas bien difficile de te trouver des défauts, espèce de tête à claques !
Elle se radoucit, cessant de le secouer pour lui soulever légèrement les épaules, pour ajouter :
— Mais tu es aussi un homme bien, Saeba Ryo, au fond, tout au fond de toi, tu es un homme bien... Tu défends et tu protèges ceux que tu aimes et qui ont besoin de toi. Tu es comme ça. C'est pour ça que tu ne travailles que pour les jolies femmes. Tu as besoin d'aimer pour protéger. J'ai mis du temps à le comprendre... et j'aurai toujours du mal à l'accepter mais c'est indissociable de ta personne. C’est ce qui fait qui tu es.
La tête de Ryo vacilla sur son torse alors qu'il gardait toujours les paupières désespérément fermées :
— J'ai fait tellement de mal ... Tu ne peux même pas imaginer...
Kaori le reposa sur son futon. Elle trancha alors d'une voix sévère et assurée :
— Je m'en fiche ! C'est vrai, Ryo, je m'en fiche complètement. Je ne m'imagine pas ce que tu as pu faire et je n'ai pas envie de le savoir et je ne veux pas que tu me le racontes. Je m'en fiche.
— Je veux que ça s'arrête...
Elle le secoua à nouveau mais ne parvint pas à lui faire ouvrir les yeux :
— Ce qui compte pour moi, c'est aujourd'hui... et demain. Qu'on soit ensemble, demain. City Hunter, c'est nous deux. Ensemble ! J'ai besoin de toi, Ryo.
Sa voix se brisa mais Ryo gardait les yeux fermés.
— Quiero que se detenga... reprit-il. (Je veux que ça s'arrête)
— J'ai besoin de toi. Je ne peux pas te laisser mourir.
— Si. Claro que puedes. (Si, bien sûr que tu peux)
— Reviens s'il te plaît, reviens, espèce de tête à claques.
— J'ai fait tellement de mal. Laisse-moi mourir.
Kaori sentit toute son énergie disparaître. D'un coup, elle n'avait plus aucune force. Elle s'était battue tout ce temps pour ce triste résultat. Le Vrai Ryo ne reviendrait pas. Il ne voulait pas revenir et ça resterait ainsi. Elle avait échoué. À genoux devant le futon, les épaules basses, elle restait immobile, pétrifiée par son échec, frigorifiée par le vide qu'allait laisser l'absence de Ryo dans sa vie. Elle baissa la tête, désespérée.
— Hey, BabyFace... Écoute-moi. Escúchame. ¿Me recuerdas? (écoute-moi. Tu te rappelles de moi ?)
Quand elle leva les yeux, elle découvrit le Doc penché vers Ryo, une main posée sur son épaule.
— Tu te rappelles de moi, Baby Face ?
Ryo hocha lentement la tête, les yeux toujours clos puis il murmura :
— Oui, tu es le Vieux. Celui qui a veillé sur moi quand j'ai eu tellement mal...
— Oui, c'est ça. Et ! Arrête de m'appeler le Vieux, tu veux bien Baby Face ? Sinon, gare à ton baby's ass ! (à tes fesses de bébé)
La boutade du Doc fit rire Ryo doucement.
— Comment tu te sens ?
— Cassé. Mal partout. Je veux mourir. S'il vous plaît, laissez-moi mourir.
— ¿Recuerdas lo que te dije cuando me preguntaste eso? (Tu te rappelles ce que je t'ai répondu quand tu m'as demandé ça ?)
— Mmmm... oui... Tu m'as répondu que cela t'était impossible. Car tu avais prêté serment et que tu étais médecin.
— Oui. Et que je soigne tout le monde. Sans distinction de sexe, de camp, de nationalité, de religion. Et encore moins de culpabilité. Ce n'est pas à moi de te juger, ni à Kaori, ni à Falcon. Je peux t'assurer que tu ne seras pas abandonné pour ça.
Ryo se raidit sur son futon mais resta muet.
— Tu n'étais qu'un gamin, Baby Face, un gosse complètement perdu. Jusqu'à aujourd'hui. Tu n'es plus un gamin et tu n'es plus perdu, Ryo.
La respiration de Ryo s'apaisa peu à peu. Le Doc se tourna alors vers Kaori pour lui confier :
— Il m'a demandé plusieurs fois de mettre fin à ses souffrances pendant son sevrage. Je lui ai toujours répondu plus ou moins la même chose...
Il passa la main dans ses cheveux blancs en soupirant. Kaori ne l'avait jamais vu aussi vieux. Au bout d'un instant, il tapota l'épaule de Ryo avant de se lever en soupirant :
— Prends ton temps, Baby Face, repose-toi. Vous aussi, vous avez besoin de repos, ajouta-t-il en se tournant vers Falcon et Kaori. Allez dormir un peu, je pense que la crise est passée. Vous n'avez qu'à vous relayer...
Kaori reprit la main de Ryo entre les siennes, signifiant ainsi qu'elle prenait le premier tour de garde.