Ramène-moi ! (version 2.0)

Chapitre 13 : C'est dans la boîte

3814 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 13/06/2024 14:37

Le lendemain matin, Kaori avait fait semblant de dormir pour échapper à la randonnée vers la cascade. Ça aurait été parfaitement au-dessus de ses forces. Elle avait culpabilisé quelques minutes de laisser Ryo partir seul. Elle s'était même demandé si ce n'était pas une erreur quand elle l'avait entendu se mettre en route avec le propriétaire des lieux, se disant que ce dernier risquait de trouver étrange pour un jeune couple de se séparer comme ça. Et puis sa culpabilité s'était volatilisée quand elle était allée se glisser à nouveau dans les sources chaudes après un solide petit déjeuner avant de lézarder au soleil.


Ryo revint ravi en milieu d'après-midi. Il eut juste le temps de prendre une douche que Falcon et le Doc arrivaient comme prévu. Après des salutations un peu distantes, Ryo et le géant s'éloignèrent pour s'installer sur un rocher à flanc de montagne, au soleil, avec la vallée à leurs pieds.


Kaori et le Doc restèrent en retrait, observant de loin leurs silhouettes immobiles. La jeune femme était nerveuse et n'arrivait pas à fixer son attention sur autre chose que les deux hommes, tant et si bien que le Doc ne parvenait pas à lancer une quelconque conversation. À défaut, il alla lui choisir un livre sur l'étagère de la pièce commune. Elle voulait vraiment se changer les idées mais elle se rendit vite compte qu'elle ne se rappelait même plus des lignes qu'elle venait de lire. 


Elle soupira pour la millième fois. Elle aurait bien proposé au Doc d'aller profiter des sources chaudes mais elle se ravisa rapidement : le caractère grivois du vieux médecin aurait inévitablement refait surface... Ce fut à ce moment-là qu'elle nota que le Doc n'avait fait aucune remarque déplacée, n'avait jeté aucun regard libidineux, n'avait même pas essayé de lui pincer les fesses. 

“Serait-il nerveux, lui aussi ?” se demanda-t-elle, en l'observant à la dérobée derrière son livre.


Elle ne parvint cependant pas à déceler la moindre émotion sur son visage impassible. 


Quand soudain ...

— Non. Impossible !

La voix de Ryo avait claqué dans le silence, les faisant tous sursauter. Il se leva brusquement et s'éloigna de Falcon, qui lui, restait parfaitement immobile. 


À grands pas, Ryo se dirigea vers le ryokan, les poings serrés, les épaules rentrées, la tête baissée. Il passa à côté de Kaori et du Doc sans les regarder et se dirigea vers la chambre sans même retirer ses chaussures. 


La jeune femme se précipita derrière lui pour tenter de le rattraper, le Doc clopinant sur ses talons et faisant tinter sa canne à chaque nouvel appui. Mais Ryo revenait déjà en sens inverse, armé de son sac à dos.

— Attends, Ryo ! s'écria Kaori tentant de le retenir alors qu'il venait déjà de la dépasser. 


Il s'arrêta mais ne se retourna pas vers elle pour lui répondre : 

— Non, Kaori. Pas maintenant. J'ai besoin d'être seul. Vraiment seul. Je vais marcher.

Et il s'élança vers la sortie. 


Impuissants, Kaori et le Doc le regardèrent s'éloigner sur le sentier en direction du Mont Yaké. À cet instant, Falcon arriva de son pas tranquille. Tout en désignant Ryo du menton, le Doc confirma ce que tous les trois pensaient : 

— Je crois que tu as trouvé ce qui coinçait, non ?

— Tu lui as raconté quoi ? s'enquit Kaori, inquiète.


Falcon ne répondit pas tout de suite, prenant le temps de soupirer, ce qui n'était guère dans ses habitudes :

— Quand Kaïbara l'a forcé à prendre cette saloperie d'angel-dust... Et comment on s'est retrouvés sur le champ de bataille.



 Bien plus tard, la nuit était tombée depuis plus d'une heure et Ryo n'était toujours pas rentré. Kaori ne tenait plus en place. Elle tournait en rond comme un fauve en cage dans la pièce commune, rendant même Falcon nerveux. Le Doc, lui, restait assis dans un fauteuil, immobile, les mains posées sur sa canne. S'il n'avait pas les yeux ouverts, on aurait pu croire qu'il dormait ainsi.


Soudain, la voix de Falcon les fit sursauter tous les deux :

— O.K. La P'tite, prends tes affaires et ta lampe frontale, on part le chercher.


Ils le retrouvèrent inconscient au bord du chemin, face contre terre, brûlant de fièvre. Comme quelques jours auparavant après la bagarre, Falcon le chargea sur son dos et ils redescendirent aussi rapidement que possible.

 

Kaori resta silencieuse, éperdument inquiète pour Ryo tout en se demandant comment Falcon arrivait à se débrouiller aussi bien malgré sa cécité. Elle qui n'arrêtait pas de trébucher sur ce satané chemin la veille, alors qu'elle y voyait clair ! Comment cela pouvait être possible ? Cet homme restait un grand mystère sur bien des points, elle devait bien le reconnaître.


Ils arrivèrent enfin au ryokan où Monsieur Hojo et le Doc les attendaient : 

— J'appelle les secours ? demanda le propriétaire des lieux en découvrant le chargement de Falcon, visiblement inquiet.

— Pas la peine. Je suis médecin, précisa le Doc

— On va le coucher dans notre chambre, indiqua Kaori avant de se tourner vers leur hôte : Vous avez quelque chose pour faire baisser la fièvre ?

— Je vous apporte ça tout de suite… Et il disparut vers la partie privée de la maison à grande enjambées pressées.


Ryo fut donc installé sur son futon, dans la chambre nuptiale. Le Doc l’ausculta rapidement et conclut, visiblement troublé :

— On dirait qu'il fait une crise de manque...

— Quoi ? Mais comment ?

— Je n'en sais rien. Après, je peux me tromper... mais les signes cliniques sont là.

— Il a pris quelque chose ? demanda Falcon à Kaori.


La jeune femme secoua la tête, incrédule. 

— Quoi ? Où ? Comment l'aurait-il trouvé ? Non, c'est impossible.

— Pourtant, il était dans le même état quand le l'ai ... quand je l'ai... quand je l'ai trouvé dans la jungle, il y a presque vingt ans, murmura le Doc.

— Hummm. C'est-à-dire juste après notre... affrontement... grommela Falcon à voix basse.


Kaori les observa tour à tour avant de murmurer, la gorge serrée :

— Il pourrait être en train de revivre ses souvenirs tellement fort qu'il créerait lui-même ses symptômes ?

— Inconsciemment, ça serait possible, en effet. Après tout, la crise de manque est d'origine neurologique. C'est le cerveau qui réclame sa drogue et crée des sensations douloureuses pour en obtenir.


Kaori sentit ses jambes devenir molles et cotonneuses. Elle se laissa glisser à genoux devant le futon de Ryo et l'observa tristement :

— Il serait en train de retrouver la mémoire ? Ça y est ? Il est de retour ? 

— Peut-être. Je l'espère... Je savais que l'esprit humain était puissant mais je n'imaginais pas que la réactivation de la mémoire pouvait avoir ce genre d'effets, murmura le Doc. J'avoue que je ne peux qu'émettre des théories, je ne suis sûr de rien...


Monsieur Hojo arriva sur ces entrefaites avec un tube d'aspirine et une théière fumante sur un plateau à pieds qu'il déposa au sol :

— Tenez, laissez infuser encore une dizaine de minutes et donnez-lui un bol toutes les demi-heures. Remède maison... Vous êtes sûrs que vous ne voulez pas que je contacte une ambulance ?

— Ne vous inquiétez pas, le rassura le Doc. Ça va aller...

— Très bien.


L'homme se leva tout en observant le malade et ajouta, la mine préoccupée : 

— J'espère que ce n'est pas sa baignade de ce matin qui l'a rendu malade...  Je suis navré, si j'avais su, je l'aurais  empêché de faire cette folie.

— Je suis sûr que ce n'est pas de votre faute.

— C'est qu'il y tenait tellement. Il a dit que ça lui rappelait un truc et avant que j'ai pu le retenir, il a sauté dans l'eau. Même en cette période, elle est glacée...

— Il a dit que ça lui rappelait quelque chose ? s'enquit Kaori, tentant bien maladroitement de dissimuler sa nervosité.

— Oui, je crois qu'il a dit "le point d'eau" mais je n'ai pas bien entendu, je suis un peu sourd de l'oreille droite.

— Quel point d'eau ? Ça vous dit quelque chose ?


Du regard, Kaori interrogea le Doc, puis Falcon, mais les deux hommes restèrent muets. Elle soupira et murmura pensivement tout en repoussant les cheveux du front de Ryo du bout des doigts :

— Le point d'eau ? Ça n'a aucun sens, voyons....

— Sur le coup, je me suis dit qu'il avait peut-être grandi près d'une rivière et d'une cascade. Je suis navré, je n'ai pas pensé à demander des précisions, s'excusa la propriétaire des lieux, visiblement inquiet et désolé.

— Oh non, Monsieur, ce n'est vraiment pas votre faute. Je me pose juste la ques...


Avant qu'elle n'en dise plus, le Doc prit gentiment le maître des lieux par le bras : 

— Ne vous tourmentez pas, Monsieur Hojo, l'eau froide de la cascade n'a rien à voir avec son état. Et cette histoire de point d'eau est sans importance, soyez rassuré. Ce jeune homme a été un grand voyageur et il a attrapé le palu lors d'un précédent séjour en Afrique. Sa jeune épouse l'aura oublié quelques instants, il faut dire que ça remonte à sa jeunesse ! mentit-il en le dirigeant vers la porte. Je vous remercie infiniment pour votre gentillesse. Il s'agit sans aucun doute d'une simple crise. Avec ce que vous nous avez donné, il devrait s'en sortir d'ici quelques jours. Je vous remercie infiniment pour votre gentillesse. Au fait, avez-vous encore des chambres libres ?

— Oui, prenez les deux d'à côté. Nous réglerons l'administratif demain matin.

— Merci beaucoup. Bonne nuit.

— Bonne nuit, répondit Monsieur Hojo tout en jetant un regard intrigué à ce groupe étrange.


Une fois la porte refermée, les trois amis se mirent à la tâche : il fallait lui faire avaler l'aspirine, le déshabiller, car ses habits étaient imbibés de transpiration, l'obliger à boire... Ils ne furent pas trop de trois pour ça.


Quand ils eurent fini, Kaori s'agenouilla près de Ryo pour tamponner son front avec un linge humide. Allongé sur le futon de sa chambre, il semblait si pâle, aussi blanc que le tissu de son oreiller. Sa respiration était devenue régulière mais ses yeux demeuraient fermés.


N'y tenant plus, Kaori posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis que monsieur Hojo en avait parlé :

— Vous pensez qu'il parlait de quoi quand il a dit se rappeler du point d'eau ?

— Hmmm... grogna Falcon en haussant les épaules.

— Ça doit quand même être quelque chose d'important et qui l'a rendu heureux à un moment de sa vie. Je ne sais pas moi... La seule cascade que je connaisse, moi, c'est celle du Spa du Royal Palace Hotel mais je ne vois comment il aurait pu se payer...

— Ce n'était pas le point d'eau, Kaori, l'interrompit le Doc. À mon avis, Ryo parlait du Pueblo.

— Le quoi ?

— Le Pueblo. Le village en espagnol, expliqua Falcon. C'était le nom que les guérilleros donnaient à son dispensaire dans la jungle, en Amérique du Sud.


Le Doc hocha la tête. Sa voix, légèrement éraillée, se chargea alors de nostalgie :

— Il y avait une cascade à moins d'un kilomètre. Les gamins adoraient y jouer et piquer des têtes. Après son sevrage, Ryo y a passé un peu de temps. Je suppose que...


Le Doc n'acheva pas sa phrase. Il soupira et se dirigea d'un pas las vers la sortie, s'appuyant lourdement sur sa canne.

— Je dois me reposer. Venez me chercher en cas de besoin.


Avant qu'il n'ait atteint le panneau de bois et de papier, un murmure s'éleva du futon : 

— Kaori... 


Les trois amis se tournèrent vers Ryo.

— Kaori... Sors-moi de là.


La voix était rauque, éraillée comme s'il avait trop crié.

— Ryo ! Ryo c'est toi ?!? s'exclama alors la jeune femme en s'emparant des doigts du malade d'un geste impulsif.


Pendant quelques secondes, cette position lui rappela de mauvais souvenirs : elle, lui tenant la main, à l'arrière de la voiture de Falcon, lui, le crâne ensanglanté pesant de tout son poids sur ses genoux. Elle secoua la tête pour chasser ces horribles images et ces sensations qui lui donnaient la nausée. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine, résonnant dans ses oreilles, pulsant dans tout son corps, à tel point qu'elle en avait les mains tremblantes et la gorge serrée. 

— Ryo ! Ryyyooo! Réponds-moi !

— Doucement, doucement, Kaori, intervint le Doc en revenant sur ses pas. Vas-y doucement.... et essaie de le faire parler. Il a dit que tu devais le sortir d'un endroit. Essaie de savoir ce que c'est.


Elle leva des yeux interrogateurs vers le vieil homme qui lui fit un petit signe de la main pour l'encourager. Elle respira un bon coup et demanda :

— Où es-tu, Ryo ?

— Je... Je ne sais pas... Je... je suis... C'est noir. Tout est noir.


Soudain, Ryo se mit à trembler. Ses bras, ses doigts, sa tête, ses jambes, ses pieds... tout son corps s'agita, comme s'il était parcouru d'un courant électrique puissant. Seuls ses yeux demeuraient immobiles, toujours parfaitement clos.  Quand il commença à claquer des dents, Kaori sentit la panique l'envahir : 

— Ryo ? Ryo ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Est-ce que... Est-ce que tu m'entends, Ryo ? Ryo !!!



Non. Il ne l'entendait malheureusement plus. Son esprit dérivait entre rêve et réalité, entre ombre et lumière. Ses émotions, sa colère, sa peur et sa haine se liaient dans son ventre en un nœud qui l'empêchait de s'échapper. Et il restait là, attendant sa libération, transis de désespoir dans le noir, le froid et le silence. 

— Non, Ryo, ne pars pas. Ne m'abandonne pas.  Je... Je suis là, tu vois. Tu sens ma main... là, dans la tienne ?


Oui. Il la sentait cette main, douce, chaude, pressante. Rassurante. Et cette voix... La connaissait-il ? Oui, il l'avait déjà entendue : ces intonations agacées, cette émotion non dissimulée, cette résonance cristalline... Il  y avait quelque chose de doux dans cette voix teintée d'autorité, quelque chose d'agréable, de familier et réconfortant.... Cette voix... Comme une mélodie... 


Il n'était plus seul car cette voix l'enveloppait de bienveillance. Elle sonnait comme un fou rire, elle rappelait la sérénité, le pardon... et peut-être même le bonheur ? Mais y avait-t-il encore droit ? 

— D'où dois-je te sortir ? Dis-moi... Allez, dis-moi... demanda la voix si douce.


C'était Elle, évidemment. Qui cela pouvait-il être sinon ? Tout en glissant, tiraillé d'un côté par la voix qui l'entraînait vers la lumière et de l'autre par le néant qui le tétanisait, il parvint à articuler :

— Sors-moi de là... Kaori... Ra... mène... moi !

— Comment ? Comment est-ce que je peux faire ça, moi ? Je te ramène de où ? De quoi tu parles, nom d'un chien ! répondit-elle alors que les sanglots entravaient sa gorge. Comment je te sors de là ?!?


Bonne question... Comment sortir ? La seule chose dont il était sûr, c'était que son esprit se trouvait dans un labyrinthe sombre. Il n'y avait aucune sortie, aucune, nulle part. Et le nœud dans son ventre ne cessait de se resserrer pour le tirer dans l'autre sens, vers l'obscurité, vers le vide, le froid et le... le quoi ? Vers le rien. Oui, s'il se laissait tout simplement glisser, il se retrouverait dans le Rien. Après tout, le néant pourrait être apaisant, au moins, il ne souffrirait plus. 


Car il avait mal, là. Mal partout. 


Aux mains, aux bras, aux épaules, dans la nuque, à la tête, aux pieds, aux jambes, partout... La douleur l'empêchait d'observer autour de lui pour comprendre où il se trouvait et pouvoir enfin répondre à cette voix qui voulait le tirer vers la lumière. Il avait mal... Il essaya bien de dire quelque chose mais n'y parvint pas. Il n'en avait plus la force.


Kaori, elle, ne put retenir ses larmes plus longtemps. Falcon vint alors s'agenouiller à ses côtés. Il posa une main sur son épaule :

— Respire, la P'tite. Rappelle-toi : canalise et analyse... La panique nous pousse toujours à commettre des erreurs.


Elle perçut alors clairement l'aura puissante et sereine de Falcon et se sentit soudain très forte. Elle prit une grande inspiration, s'éclaircit la voix et se pencha vers Ryo :

— Ryo ? Tu m'entends ? Si tu m'entends, je veux que tu te concentres sur ma voix, rien que sur ma voix. Tu te souviens du toit de notre immeuble ? Tu sais, avec les lumières de la ville qui dansent au loin, les gens qui vivent leurs vies à tes pieds, l'odeur de pollution et le ciel, le ciel immense au-dessus de ta tête... Ryo ? Tu y es ?

— Oui.

— Tu préfères le jour ou la nuit ?

— Jour...

— OK. Alors... Tu peux sentir le vent du matin et la chaleur du soleil sur ton visage. On entend les voitures qui démarrent au carrefour. Le ciel est bleu, quasiment pas de nuage, les cerisiers en bas de la rue sont en fleurs... Tu y es ?

Si


Ryo arrêta peu à peu de trembler, ses mains retrouvèrent leur calme entre celles de Kaori, sa respiration se fit plus régulière. La jeune femme poursuivit :

— Bien. Alors maintenant dis-moi comment je peux te sortir de là ?

No... no...

— Ok.... Bon... On va commencer par le début alors. Où es-tu ?

No... Je ne sais pas. C'est noir. Tout est noir...

— Pas besoin de lumière pour voir. Qu'est-ce que tu sens ? Avec tes mains, tes pieds ? Avec ton nez, ça sent quoi autour de toi ?

— Je ne sais pas, je ne sais pas...


Ryo s'agita à nouveau, secouant la tête, tout en gémissant d'une voix plus aiguë que d'habitude, une voix pleine de sanglots d'angoissés :

No lo se, donde estoy, no lo se... Todo es negro. Todo... Es frio... Quiero morir... Por favor...(Je ne sais pas où je suis, je ne sais pas... Tout est noir,.... Il fait froid... Je veux mourir.... s'il vous plaît...) Arrêtez ça, par pitié. Laissez-moi mourir...

Calmate, BabyFace, calmate. (calme-toi, BabyFace, calme-toi) intervint le Doc.


Il vint s'agenouiller en face de Kaori, la tête légèrement inclinée sur le côté, les yeux fixés sur Ryo. 

Todo va bien, calmate. Estoy aqui. Donde estas, Babyface ? (Tout va bien, calme-toi. Je suis là. Où es-tu, Babyface ?)

— Dans une boîte...

— À quoi ressemble cette boîte ?


Ryo gémit et Kaori posa sa main libre sur son torse :

— Je suis là, moi aussi. Je vais trouver comment te ramener, ne t'inquiète pas. Tu es en sécurité maintenant. Tu te rappelles ? Tu es sur le toit de notre immeuble. Au soleil, dehors. Libre. Mais tu peux imaginer ta boîte. Juste imaginer. Souviens-toi bien que tu n'es pas dedans... Et maintenant que tu es sur le toit, tu peux y penser sans crainte. Décris-la-nous...

— C'est carré. Ou plutôt, c'est un cube. Un cube noir... Non c'est une pièce. Les murs sont recouverts de tissu... Je suis dans le noir. Il n'y a que du noir autour de moi même si j'ouvre grand les yeux. Le néant. Je suis dans le néant. Ou bien c'est ce que je suis devenu ?

— Tu entends quelque chose dans cette pièce ?

— Non. Il n'y a que le silence. Depuis que je suis coincé dedans, je n'entends que ma propre respiration. Je ne la supporte plus. Si seulement je pouvais arrêter de respirer. J'essaie de bouger mais je ne peux pas. J'ai mal partout...

— Oh mon Dieu...


Le Doc vacilla et pâlit brusquement. 

La Caja Oscura ... 

— La Caja Oscura ?

— Ça veut dire la boîte sombre, expliqua Falcon. On l'appelait aussi la jaula negra, la prison noire.

— Je croyais que ce n'était qu'une rumeur, des racontars... murmura le Doc en s'essuyant le front.

— Et c'est quoi, ça, la boîte noire ? s'impatienta Kaori, le cœur de plus en plus serré.

— Une punition utilisée par certains chefs mercenaires pour tenir leurs troupes et aussi pour châtier les déserteurs qui auraient été rattrapés, expliqua le Doc. L'idée, c'était de donner un exemple fort mais sans blesser. Enfin, à mon sens, ça ressemblait tellement à de la torture que je pensais pas que cela puisse être... et encore moins...

— Mon escadron en avait trouvé une dans un village abandonné, ajouta Falcon.

— Ah bon ? s'étonna le Doc qui devenait de plus en plus pâle. Je l'ignorais.

— C'est pas vraiment le genre de chose dont on aime papoter, Doc. 

— Et ? Il se passait quoi quand un homme était dans cette boîte ? demanda Kaori, sentant immédiatement qu'elle allait regretter d'avoir posé la question.


Falcon s'éclaircit la voix avant d'expliquer : 

— Imaginez un trou dans le sol, généralement dans le fond d'une cabane. Pas assez haut pour pouvoir se tenir debout. Pas assez long pour pouvoir s'allonger. Les bords de ce trou sont recouverts de planches et de tissus noirs. Le but est d'isoler parfaitement la personne qui est enfermée. Pas de lumière. Pas de bruit. Aucun moyen de se repérer dans le temps. On ne sait plus quand dormir. Quand manger. Aucun endroit pour se soulager. Rien pour occuper son esprit. Seulement l'espoir de sortir un jour. Aucun mauvais traitement, pas de violence physique, pas de douleur, même pas de privation de nourriture car certains ajoutaient des rations d'eau ou de maïs pour tenir quelques jours. Juste de l'humiliation et l'isolement total. De quoi devenir fou.


Ne pouvant ignorer la cruelle évidence qui se dessinait peu à peu, Kaori sentit la panique, la tristesse et le chagrin envahir son cœur et comprimer sa poitrine. 


Alors, c'était bien ça... Elle savait depuis longtemps que le passé de Ryo n'était pas doux et rose mais de là à imaginer qu'il avait été torturé de la sorte... Rompant le contact avec Ryo, elle plaqua fermement ses doigts tremblants sur sa bouche pour étouffer sa respiration erratique et nerveuse pendant qu'une main puissante et rassurante recouvrait entièrement son épaule.

— Respire, la P'tite, lui intima Falcon. Canalise et analyse. Tu peux le faire.


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