Si j'avais

Chapitre 9

3833 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2019 21:38


Quartier de Shinjuku, Tokyo,


La pluie tombait avec une férocité mal contenue sur la ville de Tokyo, abreuvant la terre séchée par un été trop caniculaire, d'une eau bienfaitrice. Le vent qui n'en était pas en reste, s'en donnait à cœur joie et s'engouffrait avec une aisance particulière dans chaque petite artère et chaque petite ruelle de cette immense cité.


Il était près de 22 h30 et les rues pratiquement désertes d'agitation humaine renforçaient l'atmosphère déjà oppressante de cette nuit sans lune.


Une jeune femme, indifférente à la colère de dame nature, traversa aussi vite qu'elle put cette rue mal éclairée, protégeant de ses mains le haut de sa tête, dans un geste plus automatique qu'efficace.


Arrivée à destination, elle s'arrêta doucement, levant naturellement les yeux vers les grandes fenêtres de cet immeuble à l'apparence austère. Insatisfaite de son champ de vision, elle fit un premier pas en arrière, puis un deuxième sans prendre garde aux flaques d'eau qui envahissaient petit à petit le trottoir. Elle ne voyait rien. Gênée par la pluie qui ruisselait sur son visage, elle cligna plusieurs fois des paupières et s'obstina à regarder vers le ciel, espérant découvrir une lumière, une faible lueur qui lui révèlerait la présence de vies dans ce grand bloc de béton froid et impersonnel.


Mais aucune fenêtre n'était illuminée et aucune ombre ne bougeait derrière les grands rideaux tirés. Elle sentit étrangement seule au monde.


Les bras serrés contre sa poitrine, elle ferma les yeux un petit instant, essayant de refouler ces pensées d'une intolérable tristesse qui accaparaient une à une son esprit. Une frisson glacial parcourut alors son corps de haut en bas, la plongeant dans une incompréhensible torpeur.


D'où venait cette sensation ? Ce sentiment étrange que cette nuit n'était pas tout à fait comme les autres et qu'elle allait jouer un rôle bouleversant dans le destin de personnes chères à son cœur.


Une rafale de vent plaqua violemment ses long cheveux bruns sur son visage, la ramenant de manière brutale sur terre.


Kaori ?


Grimaçante, la jeune femme sortit prestement de sa contemplation, se décidant finalement à pénétrer dans la bâtisse.


Ryô ?


Mais sur le point d'entrer dans le grand hall, elle se retourna une toute dernière fois et, d'un petit sourire et d'un signe de la main, rassura le conducteur du 4X4 qui était garé de l'autre côté de la rue.

La sonnette retentit une seule fois mais avec une virulence inhabituelle, déchirant le silence dans lequel l'immeuble était plongé.


Le cadran de sa montre affichait 22 h35.


La tranquillité de l'endroit n'avait de cesse d'accroître le malaise de la jeune femme, rendant son cœur de plus en plus sensible à chaque seconde qui s'écoulait.


Elle frissonna de froid sous cet imper trempé malgré le peu de temps qu'elle avait passé dehors. Ses longs cheveux bruns étaient mouillés et les quelques mèches affolées qui commençaient à onduler autour de son visage lui donnait un coté sauvageonne des plus attirants.


Un bruit se fit enfin entendre. Puis un deuxième. A travers la porte, la femme pouvait percevoir le parquet craquer sous le poids d'un pas lourd et pressé. Le grand panneau en bois s'ouvrit alors sur un homme brun au visage familier.


" Comment va-t-elle ? ", s'enquit-elle d'une voix qui trahissait une vive inquiétude. Tout en posant cette question, Miki chercha avidement les yeux de Ryô pour y trouver un semblant de réconfort mais ne rencontra que deux tâches sombres et inexpressives.


" Réponds-moi, Ryô ! Comment va Kaori ? ", réitéra Miki impatiente d'avoir des nouvelles de celle qu'elle considérait comme sa propre sœur et de faire taire cette angoisse qui lui nouait l'estomac.


Le visage tendu, Ryô glissa doucement sur le côté pour laisser entrer la jeune femme. Miki le regarda d'abord avec une certaine méfiance. Mais contre toute attente, il ne fit aucun geste déplacé. Il n'eut aucun regard salace et ne prononça aucune parole scabreuse. Il attendait simplement qu'elle veuille bien entrer dans l'appartement.


Mais pourquoi ne répondait-il pas ?


Déroutée par l'attitude de Ryô, Miki hésita quelques instants sur le palier et pénétra d'un pas mal assuré dans le hall de l'appartement. L'esprit en proie à une totale confusion, elle essuya machinalement ses chaussures sur le paillasson de bienvenue que Kaori avait disposé à l'entrée. Puis de ses mains glacées, elle se débarrassa prestement de son vêtement de pluie qu'elle accrocha maladroitement au porte-manteau, ne prenant pas garde à l'eau qui ruissela sur le sol.


Cinq minutes qu'elle était là et Ryô n'avait pas desserré une seule fois la mâchoire.


Qu'était-il arrivé à Kaori ? Où était-elle ? Pour la dixième fois en l'espace d'une heure, Miki se repassa dans la tête le coup de téléphone de Ryô qui lui intimait de venir immédiatement. " Miki, c'est Ryô. Il faut que tu viennes immédiatement . " Il n'avait rien dit de plus. Juste ces trois mots.


Mais elle se souvenait de sa voix froide et tourmentée. Un voix sombre qui l'avait glacée au plus profond de son être. Alors sans attendre une minute de plus, la jeune femme s'était jetée sous la pluie, persuadée qu'il était arrivé quelque chose de grave à Kaori.


" Que s'est-il passé, Ryô ? Où est Kaori ? Comment va-t-elle ? ", sans qu'elle s'en rende vraiment compte, sa voix avait monté d'un cran. Le manque de réaction de l'homme attisait une colère qui ne demandait qu'à être réveillée. "Réponds-moi Ryô ! Qu'est-il arrivé à Kaori ?", répéta-t-elle vivement.


Mais Ryô ne bougea pas. Il semblait être dans un état second. A des milliers d'années lumières d'ici.


Alors, déterminée à faire sortir cet homme de sa léthargie, la jeune femme le saisit par le col de sa chemise, le forçant à la regarder droit dans les yeux. "Ryôooo ! "


L'effet fut immédiat. Avec toute son habilité, l'homme agrippa fermement les poignets de la jeune femme, l'obligeant à lâcher prise, et les maintint jalousement dans ses mains robustes.


"Ryô ?!", souffla-t-elle." Ryô ?! Qu'est-ce que... ? " Les lèvres de l'homme se tordirent en un sourire attristé même si ses prunelles sombres se mirent à briller, pour quelques secondes seulement, d'une lueur coutumière.


"Calme-toi, Miki... Kaori va très bien. Elle dort dans sa chambre ". Tout en prononçant ses paroles, Ryô libéra Miki de son emprise et fit un pas en arrière pour observer sa réaction. "Je suis désolé que tu te sois inquiétée pour rien. Mais.. mais j'avais besoin de te parler ", ajouta-t-il d'une voix ennuyée.


" C'est vrai ? " Rassurée par les paroles de Ryô, Miki posa instinctivement sa main sur son cœur et, en fermant les yeux, esquissa un sourire de soulagement. " Merci mon dieu !" souffla-t-elle d'une voix faible. Puis les mots sortirent involontairement, la jetant toute entière dans un mal-être encore jamais égalé. " Oh merci mon dieu... Si tu savais Ryô, comme j'étais inquiète... Kaori est si vulnérable en ce moment. Elle est tellement fragile depuis... "


Miki ne finit pas sa phrase. Elle ouvrit de grands yeux effrayés, incapable d'articuler un mot de plus.


Mon dieu qu'avait-elle dit ?


Son cœur sursauta violemment dans sa poitrine.


Mais dieu que s'apprêtait-elle à dire et à faire ?


Atterrée par sa propre bêtise, Miki se mordit la lèvre inférieure et détourna vivement la tête lorsque son regard s'accrocha à celui de Ryô.


Le silence se fit étrangement pesant. Comme si chacun attendait que l'autre se décide à prendre la parole.


Mais Ryô ne dit rien. Planté au milieu du couloir, il dévisageait la femme de Falcon avec une attention extrême, comme s'il cherchait à sonder les profondeurs de son âme et à connaître ses pensées les plus secrètes.


Et au bout de quelques minutes aussi longue que l'éternité, il soupira bruyamment, une grimace tordant ses lèvres sensuelles. Sans un mot, il se dirigea vers le salon et lâcha d'une voix sans timbre " J'ai envie d'une grande tasse de café noir, Miki. Tu me suis ? "


La pendule du salon s'était arrêtée sur 22h45.


La tempête semblait se calmer peu à peu, la pluie cessant momentanément d'inonder la ville de Tôkyô.


Et seul dans son tout-terrain, Falcon attendait patiemment le retour de sa femme.


Immobile et face à la porte fenêtre, Ryô observait d'un regard absent ces grands arbres verts qui ployaient sous la force d'un vent infatigable. Les traits tirés, il but lentement une gorgée de ce café noir et sucré qu'il appréciait tant. " J'espère que Falcon a pensé à prendre un thermos de café chaud avec lui. Il serait capable de me tuer s'il attrapait un rhume ", commença Ryô sur un ton trop sérieux.


La remarque arracha pourtant un sourire naturel à Miki. " Ne t'inquiète pas pour lui, Ryô. Il est aussi robuste qu'un éléphant ! ", la voix de la jeune femme se voulait délibérément légère comme pour dissiper cette tension qui alourdissait cruellement l'atmosphère.


L'homme ne répondit pas. Il était perdu quelque part dans ses pensées.


Étrangement, Miki n'osait parler ni même bouger. Elle avait l'impression que chacun de ses gestes pouvaient trahir le trouble qui la gagnait insidieusement. Son regard s'égara, ici et là, sur des points imaginaires avant de se poser sur les dizaines de documents qui traînaient sur la table basse. Elle aperçut alors un rapport de police et plusieurs articles de journaux. " Vous avez un nouveau travail ? ", questionna-t-elle non contente de savoir Kaori prête à retravailler et à reprendre pied dans sa vie.


Mais sa joie fut de courte durée et son sourire se transforma rapidement en un grimace amère. " Non ", répondit simplement Ryô. " Kaori a refusé l'affaire et ... Enfin bref, nous nous sommes un peu disputés ".

La mâchoire tendue à l'extrême, Ryô serra violemment les poings, les jointures de ses mains blanchissant sous la rudesse de ce geste. Il ne comprenait pas que Kaori ait pu dire non. Il ne comprenait pas qu'elle ait refusé cette affaire. Il se souvenait encore de la brusquerie avec laquelle elle s'était exprimée. Le mot était sorti brutalement de sa bouche et Ryô l'avait ressenti comme un cri du cœur. Comme un appel au secours.


" Comment ça, Kaori a refusé l'affaire ? " Fronçant des sourcils, Miki parcourut rapidement les quelques feuillets qui faisaient office de rapport de police. C'était un peu léger mais elle se fit rapidement une idée de leur nouveau travail. L'affaire était somme toute très banale pour City Hunter et se résumait à protéger un génie de la bourse dont la carrière risquait fort bien de s'arrêter net depuis qu'il avait découvert les malversations financières auxquelles se prêtait le PDG de son entreprise. Témoin principal de ce scandale financier, Ryô et Kaori devaient simplement assurer la protection de cette tête de la finance le temps que le procès débute. C'était une histoire d'une semaine, tout au plus.


Intriguée par la réaction de son amie, Miki plissa les yeux dans un geste d'intense réflexion. Il n'y avait vraiment rien de bien dérangeant, ni de vraiment surprenant dans cette histoire si ce n'est que la personne, que Ryô devait surveiller, répondait au nom de Ren Komatsu, mesurait plus d'un mètre quatre-vingt et pratiquait le karaté trois fois par semaine et un week-end sur deux.


En plus, d'après la photo, leur futur client était très séduisant avec ses cheveux couleur jais et ses yeux clairs, brillant de malice et de vitalité non contenue. Impeccable dans son costume deux pièces, il donnait l'image du cadre dynamique ayant réussi aussi bien dans sa vie professionnelle que personnelle. Bref, c'était un beau spécimen de la gente masculine qui devait faire tourner la tête à de nombreuses femmes.


Un homme ?


Un sourire contrit sur les lèvres, la jeune femme observa Ryô à la dérobée. Une fois n'était pas coutume, il avait accepté de travailler pour un homme. Exit les blondes plantureuses, les brunes piquantes et les rousses coquines. City Hunter avait décidé de mettre à mal sa propre légende et avait toléré répondre à l'appel de détresse d'un homme. C'était touchant.


Brun aux yeux clairs ?


Miki devinait qu'il l'avait fait pour Kaori. Il n'y avait aucun doute possible. Il l'avait fait par amour et par respect pour elle. Peut-être même pour lui montrer qu'il avait changé et qu'il pouvait être autre chose qu'un obsédé lubrique dont la rare intelligence se dévoilait dans les moments les plus tragiques et les plus dangereux de leur vie. C'était une magnifique preuve d'amour et Miki aurait voulu le remercier pour ça.


S'installant une dizaine de jours dans cet appartement ?


Au fur et à mesure que les mots résonnaient dans sa tête, le cœur de Miki s'emballa. Cet homme ! Cette situation ! Comme frappée par l'évidence, elle ferma les yeux et retint son souffle.


En fait, si Kaori avait refusé cette affaire ce n'était ni par caprice, ni par mauvaise tête. Non. C'était, tout simplement, parce qu'elle ne se sentait par assez forte pour surmonter cette nouvelle épreuve. Si Kaori avait refusé le client, c'était parce qu'elle continuait, malgré toute sa volonté et de tous ses efforts, à vivre dans une certaine peur. Une peur qui n'oublierait pas de se réveiller dès qu'elle affronterait le visage et les traits de cet homme. Une peur qui la paralyserait dès qu'elle se retrouverait seul avec cet inconnu alors qu'elle n'acceptait, pour le moment, que la présence de Ryô près d'elle.


" Sais-tu seulement comment elle a justifié sa décision ? Elle m'a simplement dit qu'elle en avait marre que Saeko se serve de moi pour assouvir ses ambitions de femme-flic et qu'il était temps qu'elle cesse de compter sur City Hunter pour faire le sale boulot! ", expliqua-t-il d'un ton d'une dureté difficilement égalée.


Le ciel pleurait de nouveau sur la ville, redoublant d'intensité et de détermination face à la violence des bourrasques.


Miki ne répliqua pas. Préoccupée par l'état psychologique dans lequel devait se trouvait Kaori à cet instant précis, la jeune femme prêtait une oreille plus que distraite aux lamentations de Ryô. Elle éprouva un besoin de voir son amie, de la serrer tendrement dans ses bras et de lui insuffler courage et réconfort.


Elle se promit de la voir dès demain et de passer la journée avec elle.


"Je ne la crois pas, Miki " , continua-t-il de plus en plus énervé. Miki se servit un peu de café chaud. " Kaori n'arrête pas de me mentir. Elle me cache quelque chose d'important et je reste persuadé que tu es au courant de ce qui la tourmente", énonça-t-il si soudainement que la jeune femme faillit lâcher la mug qu'elle s'apprêtait à porter à ses lèvres sèches.


Miki tressaillit sous la rudesse du ton employé. Elle avait l'impression d'avoir reçu un coup sur la tête.


Le déluge reprit de plus belle et la pluie, malmenée par les rafales de vent, s'écrasaient avec hostilité sur les vitres de la grande porte-fenêtre.


Le cœur de Miki se mit à battre plus vite. Bouleversée par ce qu'elle venait d'entendre, la jeune femme se hâta de répondre." Tu te fais des idées, Ryô. Kaori ne te cache rien. Je te l'assure."


Comment pouvait-elle continuer à lui mentir avec autant d'aplomb ?


Ryô sembla agacé par cette réponse. D'un geste impatient, il se passa une main dans ses épais cheveux noir et lâcha un soupir énervé. Non, il ne pouvait pas se tromper. Il ne pouvait pas aller à l'encontre de ce trouble et de ce malaise qui l'étreignaient dès qu'il rencontrait son regard. Elle lui dissimulait quelque chose, c'était certain. Kaori n'avait jamais su mentir. Ses yeux parlaient pour elle et Ryô n'avait que trop souvent rencontré un regard triste et perdu durant ces trois dernières semaines.


En fait, depuis trois semaines, tout n'était que tromperie et apparence.


" Alors, c'est que tu ne sais pas regarder", lança-t-il d'une voix aussi dure que de l'acier. Il se retourna vers la jeune femme." Il ne faut jamais se fier aux apparences, Miki. Tu devrais le savoir, toi qui vit dans un monde fait de trahison et de faux-semblants. "


Assise sur le canapé, Miki ouvrit la bouche mais la referma aussi vite. Ne sachant que répondre, elle baissa la tête et regarda le fond de sa tasse de café comme si le plus merveilleux des trésors s'y cachait. Ses cheveux glissèrent doucement sur son visage, dissimulant momentanément sa morosité et sa peine à Ryô.


"Prend le temps de la regarder, Miki. Observe-la quelques instants et tu comprendras que ce n'est pas la Kaori que tu connais qui te sourit mais une jeune femme complètement perdue qui nous joue la comédie du bonheur. " Miki ferma les yeux, écrasée par les douloureux souvenirs de Kaori se battant jour après jour contre le désespoir qui la dévorait petit à petit." Son rire sonne faux. Son sourire est illusoire. Son comportement n'a rien de naturel. Kaori va mal et je veux savoir pourquoi ", Ryô articula chaque mot avec un ressentiment plus que visible.


L'atmosphère devint étouffante. A couper au couteau.


" Elle sursaute au moindre bruit. A la moindre porte qui claque. Au moindre verre qui se brise sur le sol... La nuit, elle est en proie à de terribles cauchemars quand elle n'est pas frappée d'insomnie..." Les mots sortaient rapidement, difficilement mais avec une telle véracité que les yeux de Miki se voilèrent de souffrance. " Elle est devenue si distante, Miki... Pas seulement avec moi. Mais avec Mick aussi. Et tous les autres..."


Ryô était de nouveau devant la porte-fenêtre, le regard englouti par la tristesse. Il semblait avoir baisser les bras et perdu le courage de se battre.


" J'ai l'impression que nous sommes en train de la perdre et que rien de ce que je pourrai faire ne la fera revenir ", avoua-t-il les épaules douloureusement voûtées.


Trois semaines qu'il s'appliquait à comprendre. Trois semaines qu'il cherchait dans la moindre petite parcelle de son cerveau une raison qui puisse expliquer le comportement si déroutant de Kaori. Mais rien. Il ne trouvait rien.


Et le temps passait. Toujours plus vite. Toujours en pure perte. Ryô éprouvait cet désagréable sensation qu'il lui filait entre les doigts, emportant avec lui la personne qu'il aimait le plus au monde sans qu'il puisse rien y faire.


Elle avait dit non mais il ne comprenait pas pourquoi.


Elle allait mal mais il ne savait pas pourquoi.


Elle était revenue mais il se demandait tous les jours pourquoi.


Ryô grogna. Il y avait beaucoup trop de pourquoi et pas assez de réponse à son goût. Pourquoi ne souriait-elle plus ? Pourquoi ne riait-elle plus ? Pourquoi n'avait-il pas droit de la toucher, de l'embrasser, de la caresser ? Pourquoi ce mur persistait entre eux deux ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas être enfin heureux ?


" Je ne comprends pas, Miki. Pourquoi est-elle revenue si elle était si malheureuse avec moi ? ", la voix de Ryô était d'une douceur effrayante et empreinte de lassitude. Il avait prononcé cette phrase tout bas, comme s'il s'adressait à son reflet dans la fenêtre.


Silencieuse, Miki resta assise, les yeux grands ouverts et le corps tétanisé par un profond sentiment de désarroi. Elle ne savait pas quoi faire. Elle se sentit prise entre deux feux. D'un côté, son cœur lui dictait de révéler la vérité à Ryô, si cruelle et bouleversante soit-elle, et de soulager Kaori de ce secret qui lui empoisonnait le corps et l'esprit. Et de l'autre, sa raison lui intimait de respecter la promesse faite à son amie et d'essayer de rassurer cet homme par de viles promesses et illusions.


"Mon dieu, aidez-moi !", implora d'une voix inaudible Miki, les yeux fermés pour ne pas se laisser aller à ce sentiment de rage et de tristesse mélangés. Machinalement, elle posa ses mains sur ses genoux et se mit à serrer convulsivement son jean. Que pouvait-elle répondre à tout ça ? Que devait-elle répondre à Ryô ? " Mais ne t'inquiète pas Ryô, ça va passer ! Je te jure que dans un ou deux mois et Kaori redeviendra comme avant et que tout ira bien !".


C'était de la connerie tout ça. Un abominable mensonge.


La vérité était bien plus difficile à dire et à accepter. Pour Kaori. Pour Ryô. Pour elle et tous les autres. La Kaori Makimura qu'ils connaissaient n'existait plus. La Kaori Makimura qu'ils adoraient ne reviendrait plus. Cette magnifique jeune femme dont l' innocence et la générosité n'avaient d'égale que sa force de caractère et sa volonté était morte le jour où ce monstre avait posé ses mains sur elle pour abuser de son corps et de son âme, sans aucune pitié.


Kaori était irrémédiablement différente maintenant et Ryô avait le droit de savoir.


Il devait savoir la vérité.


Miki essuya, d'un geste déterminé, la larme qui coulait doucement sur sa joue droite. Elle se leva maladroitement et regarda le dos douloureusement courbé de Ryô. Sa voix lui parut anormalement calme pour les circonstances.


" Ryô..."


Il fallait qu'elle le fasse. Il était vraiment temps de réagir. Sinon, ils allaient définitivement sombrer.


23H00


Les yeux encore ensommeillés, Kaori descendit lentement les escaliers, attirés par les voix qui murmuraient dans le salon de l'appartement.


Les sourcils froncés, elle remarqua tout de suite l'imper qui pendait sur le porte-manteau du hall et la flaque d'eau qui s'étendait sur le plancher en bois.


Piquée par la curiosité, elle se dirigea silencieusement vers le salon, ouvrit doucement la porte et trouva Miki et Ryô en pleine conversation

.

La tension que se lisait sur le visage de ses amis ne présageaient rien de bon. Inquiète, elle fit un premier pas dans le pièce mais s'arrêta en voyant Miki s'essuyer les yeux. Pourquoi son amie pleurait-elle ?


" Miki ?... Ryô ?... ", laissa-t-elle échapper dans un souffle alors que le regard de Ryô se posa brusquement sur elle, la plongeant aussitôt dans une détresse sans fin.


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