Si j'avais

Chapitre 7

4000 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2019 21:29

Sunlight Cabaret,

Quartier de Shinjuku, Tokyo,



Une main se posa délicatement sur son épaule. Puis la voix se fit douce et rassurante. Elle parvint jusqu'à ses oreilles dans un souffle " Je sais que c'est difficile mais il est temps de rentrer maintenant... Le cabaret est sur le point de fermer. "


Toujours allongé sur cette même banquette rouge, le bras en travers de son front pour empêcher la lumière de lui brûler les yeux, Ryô émergea petit à petit du coma quasi éthylique dans lequel il était plongé depuis quelques heures déjà. La bouche pâteuse et l'esprit voilé, l'homme se passa machinalement la langue sur ses lèvres asséchées avant de tenter d'ouvrir les yeux. Peine perdue. Ses paupières étaient aussi lourdes que de la pierre et son cerveau, s'il en avait toujours un, aussi lent qu'un escargot.


" Allez debout !", la voix se fit plus vive, plus empressée. Empreinte d'une inquiétude et d'une sollicitude qui lui réchauffa doucement mais réellement le cœur.


Complètement à la ramasse, Ryô se passa longuement les mains sur son visage comme si ce geste avait le pouvoir d'effacer toute la fatigue et le stress qu'il avait accumulé ce dernier mois. Assommé, il entrouvrit les yeux, l'un après l'autre, doucement, prudemment et grimaça immédiatement sur sa vue troublée et brumeuse.


"Génial !" bougonna-t-il dans sa barbe naissante.


Ryô renouvela l'opération mais, cette fois-ci, la lumière du cabaret lui piqua instantanément les yeux, le forçant à cligner énergiquement des paupières pour faire passer la douleur. " Bon dieu, mais éteignez-moi ces lumières... C'est insupportable!", grogna-t-il alors qu'il s'asseyait sur la banquette.


Le regard de nouveau fermé, Ryô secoua vivement la tête et glissa une de ses mains dans ses cheveux décoiffés. Il inspira bruyamment, espérant ainsi faire taire le mal de tête qui lui martelait les tempes."J'ai préparé du café noir... très noir ", une fois encore la voix cristalline chatouilla les oreilles de l'homme.


Ryô posa alors ses yeux sur la personne à qui appartenait cette si jolie voix. La vue toujours un peu confuse, le cœur de l'homme s'emballa rapidement lorsqu'il remarqua ces cheveux noirs, ces joues un peu rougies ainsi que ces grands yeux brillants qui le fixaient avec une certaine curiosité mêlée d'appréhension. Sa bouche s'ouvrit lentement et sans qu'il s'en rende vraiment compte, le nom de sa partenaire résonna dans le silence du cabaret. " Kaori ? "


La jeune femme ne répondit rien sur l'instant. Elle bougea simplement la tête de gauche à droite en signe de réfutation. " Non. Kaori n'est pas là. "


Cette phrase lui fit l'effet d'une douche froide. Bien sûr qu'elle n'était pas là ! Mais qu'allait-il s'imaginer à la fin ? Qu'à chaque fois qu'il boirait un peu trop ou qu'il aurait besoin d'elle, Kaori apparaîtrait devant lui comme par enchantement ?


" Moi, c'est Kyoko ", informa-t-elle avec un détachement qu'elle était loin de ressentir.


Mais Ryô n'avait pas entendu. Il était perdu dans ses pensées. Il était perdu dans sa déception et sa rancœur. Agacé par sa méprise et sa propre bêtise, Ryô se frotta rageusement les yeux et découvrit la jeune hôtesse qui, quelques heures auparavant, avait souhaité passer un peu de temps avec lui." Monsieur Saeba ?... Vous êtes sûr que vous allez bien ?".


Ryô oscillait entre l'envie de rire ou de laisser exploser sa colère et sa frustration. Il glissa alors un rapide coup d'œil vers la jeune femme et se rendit compte qu'il ne serait pas juste de passer sa rage sur une étrangère. Surtout sur une jolie jeune femme. Il haussa imperceptiblement des épaules et fixa avec un certain dégoût le café qui refroidissait lentement dans sa tasse.


" Je peux vous raccompagner chez vous si vous le désirez ", lâcha timidement la jeune femme.


Les sourcils froncés, Ryô leva ses yeux vers une Kyoko visiblement étonnée par sa propre audace. Un silence gênant s'installa alors entre les deux jeunes gens. " J'ai une voiture et... personne ne m'attend à la maison... alors... " .


Personne n'attendait Ryô non plus. Il était seul. Définitivement seul.


" Je ne sais pas ", se surprit-il à répondre.


Pourtant, la proposition était attirante. Séduisante. Très tentante même.


Et il y a encore un mois, il aurait sauté sur cette même fille sans crier gare et sans aucun état d'âme. Il y a encore un mois, il lui aurait expliqué quelle chance elle avait d'avoir rencontré l'Étalon de Shinjuku en personne. Il y a encore un mois Kaori aurait été là pour le remettre dans le droit chemin. Il y a encore un mois, il ne se sentait pas aussi minable et détestable.


" Alors ? Qu'en pensez-vous ? ", demanda-elle dans un joli sourire. Ryô perçut dans cette requête tout l'espoir de la jeune femme et s'en voulut encore une fois de la décevoir. Mais son cœur et son corps n'appartenait qu'à une seule femme et il se savait incapable de lutter contre ce sentiment. " Que vous êtes bien trop jolie et bien trop généreuse pour perdre votre temps avec un pervers comme moi "


La petite phrase eut son effet. Kyoko ne souriait plus. Elle avait les larmes aux yeux et Ryô se maudit d'être la cause de son chagrin. Il ne méritait pas qu'on s'intéresse à lui. Il ne méritait pas qu'une femme pleure pour lui. Il ne méritait pas que Kaori souffre à cause de lui.


Se pourrait-il qu'il cesse un peu de penser à elle ?


" Très bien Monsieur Saeba... Je ne vous importunerais pas plus longtemps... Je vous laisse vous complaire dans votre peine et votre souffrance ! " répliqua-t-elle avec virulence. Ryô, sur le point de boire son café, laissa son geste en suspens et regarda le jeune femme, visiblement en colère, disparaître derrière une grande porte rouge. Elle la claqua violemment.


Seul sur sa banquette, Ryô soupira.


Le cabaret était plongé de nouveau dans un silence mortel et seul le bruit de l'horloge rendait cet endroit un peu plus convivial.


Pourtant, le tic tac de l'horloge était étourdissant. Énervant. Et il résonnait encore et encore dans sa tête comme un tambour. Ryô leva la tête. Il était 5h05 du matin mais Ryô continuait à ressentir la solitude et la tristesse de cette nuit sans chaleur et sans saveur.


Tout en touillant son café, Ryô balaya cette grande pièce abandonnée d'un regard froid et mélancolique.


Il y a quelques heures à peine, le cabaret était tellement bondé que le gérant avait du refuser du monde à l'entrée.


Il y a quelques heures à peine, une cinquantaine d'hommes buvaient, riaient, s'amusaient avec des femmes plus intéressées par la taille de leur compte en banque que par leur personnalité et leurs qualités humaines. Pourtant chacun d'entre eux prétendait avoir une bonne raison d'être là. Chacun d'entre eux avait une bonne raison de boire.


Et Ryô les avait vus partir aussi vite qu'ils étaient entrés. Tous. Et encore plus seuls et désespérés qu'à leur arrivée.


Cet homme de cinquante ans, avec ses mêmes rides, ses mêmes cheveux grisonnant et sa même bedaine, mais dont le portefeuille en cuir criait douloureusement famine.


Ce père de famille, avec pour seul cadeau, cet énorme sentiment de culpabilité à porter. Cette impression d'avoir trahi la confiance de sa femme et de ses trois enfants.


Et cet étudiant, peut-être encore plus traumatisé qu'avant, humilié et rejeté par ces jeunes hôtesses qui ne voyaient en lui qu'une victime facilement influençable et manipulable.


Affalé sur la même banquette rouge qu'il y a trois heures, Ryô les avait observés un à un passer la porte de ce cabaret. Avec une fascination presque effrayante. Et avec une sollicitude désarmante.


Il n'avait pas raté une seule seconde de ce spectacle affligeant dont il lui aussi faisait irrémédiablement partie. Cette terrible scène qu'il jouait depuis des années mais avec une telle conviction et une telle vérité qu'il se faisait terriblement peur quelquefois. L'histoire navrante de cet homme seul et de ces quelques hôtesses entreprenantes. De ce bruit de verres qui s'entrechoquaient les uns contre les autres et du froissement des billets de banque. De ces rires désespérés et faussés par l'affligeante quantité d'alcool absorbée lors de ces soirées. Puis de cette solitude. Ce sentiment d'abandon qui revenait avec force dès que la réalité refaisait surface. Ryô connaissait tout ça. Depuis longtemps. Sauf lorsque sa douce Kaori venait le chercher dans les ruelles de Tôkyô dès les premiers rayons du soleil.

Dans ces moments là, il se sentait tellement vivant. Il ne se sentait plus seul.


A croire que Ryô ne fréquentait ces bars que pour avoir la chance de connaître ces merveilleux moments où Kaori apparaissait devant lui toujours plus inquiète, toujours plus rassurée, toujours plus tendre de le savoir sain et sauf.


A croire que Ryô ne savait que la faire souffrir.


Ryô se massa les tempes. Il avait un mal de tête démoniaque. Il était vraiment entamé cette fois-ci. Puis dans un ricanement, il s'aperçut qu'il n'avait pas bougé de cette banquette depuis que Mick était parti. Non. Il avait préféré attendre patiemment que la nuit passe et que le jour refasse surface.


Car il détestait la nuit.


Par la force du destin, Ryô avait appris à mépriser la nuit. Ce moment sombre et incontournable où chacun se retrouve irrémédiablement confronté à ses doutes, à ses craintes et à ses propres peurs. Cet instant mystérieux où les rêves prennent le pas sur la réalité et que les désirs revêtissent une force insoupçonnée et inimaginable.


Pour l'étalon de Shinjuku, la nuit avait toujours été synonyme de désir. De passion. De tentation. De plaisir.


Ces quelques heures où il pouvait se montrer tel qu'il était. Sauvage. Exalté. passionné et passionnant. Sans avoir honte d'être jugé ou d'être rejeté.


La nuit, Ryô éprouvait cette singulière sensation d'être libre. D'être affranchi du poids de ce destin hors du commun. D'être dégagé de cette étiquette de tueur et d'assassin. La nuit, City Hunter devenait Ryô Saeba. Fêtard invétéré et dragueur infatigable qui aimait l'alcool et les jolies femmes plus que sa vie. Clown de service et Casanova des temps modernes. Tout simplement.


Mais la donne avait changé et, aujourd'hui, les nuits n'avaient plus ce côté libérateur qu'il appréciait tant. Au contraire, il avait l'impression d'être en prison. Il le savait. Il était devenu le prisonnier d'une seule femme.


Toutes les nuits, il voyait la jeune femme en rêve.


Toutes les nuits, il espérait qu'elle revienne.


Il n'avait qu'à fermer les yeux pour imaginer sa douce Kaori venir à lui. S'offrir à lui. Se glisser amoureusement dans ses bras. D'un sourire à la fois tendre et innocent mais qui laissait deviner la femme passionnée et ardente qui se cachait derrière cette apparence froide et distante qu'elle se donnait.


Il rêvait de la serrer fiévreusement contre lui. De sentir l'odeur de sa peau. De goûter la saveur de ses lèvres. D'enfouir sa tête dans son cou délicat. De caresser chaque parcelle de son corps de déesse. Et de lui démontrer tout l'amour et tout la passion qu'elle éveillait en lui.


Oui. Il lui suffisait simplement de fermer les yeux pour lui faire l'amour. Passionnément. Amoureusement. Avec son corps et avec son âme.


Dieu qu'il pouvait l'aimer ! Sans elle, il avait l'impression de dépérir de l'intérieur.


Mais il était seul dorénavant et elle, elle ne voulait plus de lui.


Ryô secoua une nouvelle la tête pour chasser ses sombres pensées. Il avait bien essayé d'oublier sa partenaire dans les bras d'autres femmes. De ressentir autre chose que ce vide et ce malaise intérieur. De retrouver cette ardeur et cette flamme qui faisaient de lui l'étalon de Shinjuku. Mais rien n'y faisait.


Rien.


Il ne ressentait plus rien.


En vérité, l'Étalon de Shinjuku était à bout de souffle. A bout de course. Proche de l'abattoir.


C'était navrant. Angoissant. Difficilement croyable mais tellement vrai.


Il pensait Kaori. Il vivait Kaori. Il rêvait Kaori. Et Ryô avait l'impression d'en mourir. Petit à petit. Jour après jour. Nuit après nuit.


Et à présent, la nuit était semblable au jour. Avec la même solitude. La même souffrance. La même incertitude.


Ces mêmes sentiments revenaient. Le tourmentaient. Deux, trois fois plus fort. De plus en plus envahissant. De plus en plus déroutant. Et de plus en plus humiliant.


Une légère grimace se dessina sur ses lèvres gercées lorsque Ryô tenta de quitter cette maudite banquette rouge. Son mal de tête reprit de plus belle et lui mitraillait violemment les tempes. Ses yeux lui brûlaient tragiquement. Son corps n'était fait que de courbatures et de crampes en tout genre. " Bordel Ryô, c'est plus de ton âge tout ça !", pensa-t-il tout haut.


Il était vraiment dans un état lamentable. Désastreux. Une vraie loque humaine. Un vieux déchet de l'humanité qui squattait plus que nécessaire le cabaret d'un gentil gérant. Bizarrement, Ryô sentit le regard de l'homme glisser vers lui. Et ce qu'il y vit le mit dans une colère noire. Un regard désolé. Affligé. Rempli de pitié.


Pitié ? Ryô Saeba, le nettoyeur numéro un du Japon et du monde entier qui faisait pitié ? Bon sang ! Mais c'était le monde à l'envers !


Les coudes sur la table, il se prit la tête dans les mains et laissa échapper un soupir. Que devait-il faire ? Que pouvait-il faire ? Ryô savait qu'il ne pouvait plus continuer comme ça. Mick avait totalement raison. Ce n'est pas l'alcool qui lui ramènera Kaori. Ce n'est pas en se lamentant sur sa petite personne qu'il réussira à reprendre pied et à redonner un semblant de sens à sa minable petite vie de tueur professionnel.


Il crevait de l'intérieur. Soit. Mais à présent, il s'en foutait.


Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait se ressaisir. Réagir. Se secouer.


Retrouver son entrain et son enthousiasme. Sa force. Son énergie. Son moral d'acier.


C'était vital. Nécessaire. Sinon, il risquait de sombrer dans le folie.


Dans un sursaut d'orgueil, Ryô appuya ses deux mains sur la table afin de se mettre debout. L'opération fut difficile. Maladroite. Ses jambes, ankylosées et courbaturées, avaient du mal à soutenir son propre poids et son mal de tête mettait à rude épreuve son équilibre.


Il était près de 5h15 lorsque Ryô passa devant le comptoir et paya ses dettes. Il titubait plus qu'il ne marchait mais le gérant ne fit aucun commentaire. Ils échangèrent quelques politesses. " Attendez Monsieur Saeba, votre a..." Eiji Konami n'eut pas le temps de finir sa phrase que Ryô s'était déjà engouffré dans la fraîcheur de cette nuit printanière.


Quartier de Shinjuku, Tokyo,


De gros nuages commençaient à envahir le ciel dégagé de Tokyo. Un léger vent s'était levé et Kaori serra machinalement ses bras sur sa poitrine. Dans la précipitation, elle n'avait pas pensé à prendre de veste avec elle et elle le regretta amèrement.


Les yeux rivés sur le sol, la jeune femme marchait d'un pas rapide et nerveux. Droite comme la justice et attentive au moindre bruit bizarre et au moindre mouvement suspect, Kaori restait sur ses gardes. Elle sentit une bouffée d'angoisse l'envahir comme à chaque fois qu'elle se retrouvait seule et loin de la chaleur rassurante du café et de sa chambre.


Le Sunlight Cabaret était à présent au bout de la rue. A seulement quelques mètres.


Et c'est là qu'elle le vit. Cette silhouette lui était trop familière pour qu'elle puisse se tromper. Appuyé contre un mur et fumant une cigarette, Ryô tenait dans sa main son vieil imper tout élimé et qui avait essuyé les vives critiques de son amie Eriko.


Kaori se figea sur place. Son cœur se mit à battre brutalement. Douloureusement. Comme s'il voulait s'échapper de sa poitrine et rejoindre l'homme qui se trouvait non loin d'elle.


Ryô.


Pour ne pas être vue, Kaori se cacha dans l'ombre. Elle trouva ridicule d'avoir une telle attitude envers son partenaire mais s'était plus fort qu'elle. Elle se sentait encore trop fragile. Tellement vulnérable.


Tout allait bien trop vite pour elle.


Kaori prit une grande inspiration pour calmer les battements affolés de son cœur. Elle avait juste besoin d'un peu de temps. Pour assimiler. Pour soutenir le choc. Pour comprendre.


Mais Kaori était complètement perdue. Elle n'arrivait pas à penser correctement. A réfléchir posément. A analyser ses sentiments.


Que ressentait-elle réellement ? Qu'éprouvait-elle pour cet homme qui comptait tant pour elle mais qu'elle n'avait pas revu depuis un si long mois ?


Amour. Souffrances. Joie. Craintes. Soulagement. Colère. Tendresse... Toutes ces émotions se bousculaient avec une telle ferveur et une telle violence que Kaori se sentait incapable de faire la part des choses. Elle était plongée dans l'incertitude et la confusion la plus totale.


" Ryô ! " Kaori prononça machinalement son nom lorsqu'elle le vit s'éloigner. Elle fronça les sourcils en le voyant vaciller légèrement et prendre appui sur le mur pour ne pas tomber lamentablement sur le sol. Kaori ne le lâcha pas des yeux. Elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Sous ce regard inquiet, Ryô s'engouffra dans une petite ruelle laissant glisser sur le sol son vieil imper élimé aux manches.


" Mais qu'est-ce que j'ai fait ? " La jeune femme sentit son cœur se serrer. Elle savait qu'il souffrait. Qu'il avait mal. Qu'elle lui avait fait cruellement mal.


La ruelle était sombre. Étroite. Humide. Et silencieuse. Quelques caisses pourries traînaient ici et là et des vieux journaux et magazines gisaient sur le sol. Kaori était mal à l'aise. Elle récupéra rapidement le pardessus de Ryô et, mue par une envie irrépressible de sentir son odeur et sa chaleur, le serra quelques instants contre son cœur.


Le vent se renforça faisant frissonner une Kaori de plus en plus sensible à la fraîcheur de la fin de la nuit. Instinctivement, la jeune femme posa l'imper sur ses épaules et resserra le col. Elle attendit quelques instants. Ses yeux s'attardèrent une nouvelle fois sur cette petite artère de Tôkyô qui semblait l'appeler.


La jeune femme avait l'impression d'être à la croisée des chemins. Que son avenir allait se jouer dans les minutes que allaient suivre.


Kaori s'avança lentement. D'un pas hésitant et vacillant. Le corps secoué de vifs tremblements et les mains terriblement moites.


Le calme qui régnait dans ce petit passage ne l'aidait pas à se détendre. Tout au contraire. Elle se sentait complètement oppressée.


Elle n'aimait pas cet endroit. Elle n'aimait pas les ruelles. Elles lui rappelaient trop de choses. De trop douloureux souvenirs. Son terrible cauchemar. Cette cruelle réalité dont elle essayait vainement de s'échapper et qu'elle tentait par tous les moyens d'oublier.


Mais Ryô était là.


Les yeux ouverts d'effroi et d'appréhension, le jeune femme distingua des jambes qui dépassaient d'une grande caisse en bois. Il ne lui fallut que quelques secondes pour reconnaître son partenaire et venir s'agenouiller près de ce corps apparemment épuisé d'avoir absorbé une trop grande quantité d'alcool.


Kaori sourit malgré elle. Il ressemblait à un petit garçon. Il paraissait si vulnérable et si fragile à la fois. Elle sentit son cœur se gonfler d'amour et de tendresse. Elle ne ressentait plus aucune colère ni aucune haine. Elle ne ressentait plus de crainte ni de doute.


Kaori avança une main pour caresser le visage de son compagnon. Mais elle se ravisa immédiatement. Elle sentit qu'elle n'avait pas le droit. Pas après tout le mal qu'elle lui avait fait mal.


Alors elle l'observa avec attention. Cheveux en désordre. Yeux cernés. Traits tirés. Teint blafard. Il paraissait épuisé. Éreinté. Et complètement éteint.


Kaori ne l'avait jamais vu ainsi. Tout en lui transpirait l'alcool. Tout en lui transpirait la solitude et la détresse. Elle n'avait plus en face d'elle le nettoyeur le plus redouté du Japon mais un homme meurtri et blessé par l'égoïsme et la lâcheté d'une jeune femme.


Et tout ça, c'était de sa faute.


Elle n'avait été que lâcheté et égoïsme. Elle n'avait pensé qu'à elle, laissant de côté les sentiments et les émotions de son partenaire.


Le souvenir de la déclaration de Ryô lui déchira une nouvelle fois le cœur. Il lui avait enfin dit qu'il l'aimait et, elle, elle l'avait repoussée.


La jeune femme sentit les larmes lui monter aux yeux tandis que sa faible voix déchira le silence pesant de cette nuit.


" Pardon. "


Ébranlée et à bout de nerf, Kaori porta sa main à sa bouche " Pardon, Ryô ! ... Je... je ne savais pas... Je... je ne pensais pas..." Des larmes silencieuses coulèrent le long de ses joues pâles. " Je... je n'ai pensé qu'à moi. Qu'à ma propre souffrance... "


La jeune femme posa ses mains sur ses genoux et, dans un geste rageur, serra convulsivement son jean. " J'ai cru que je pourrais m'en sortir tout seule... J'ai vraiment cru que je serai assez forte, assez courageuse pour faire face à ce..." Kaori étouffa un nouveau sanglot " Mais j'avais tort !... J'ai besoin de toi Ryô ! Si tu savais comme j'ai besoin de toi !"


Le dos douloureusement courbé et la tête baissée, elle laissa libre court à son chagrin dans un gémissement plaintif. " Je suis loin d'être aussi forte et aussi courageuse qu'on le dit, Ryô. Je n'ai pas ton énergie et ta volonté... Je ne suis bonne qu'à pleurer et me faire plaindre !" Rageusement, Kaori essuya les larmes qui continuaient à couler sur son visage et souffla désespérément " Ryô, je t'en prie... Pardonne-moi... Je... je n'y arriverai pas toute seule... "


C'est alors qu'elle entendit cette voix rauque et usée par l'alcool et la cigarette." Mon Sugar boy... ne pleure surtout pas ".


Qu'elle frissonna sous la caresse de ces mains à la fois douces et rassurantes sur ses joues humides.


Qu'elle se blottit avec désespoir mêlé de joie dans ses bras protecteurs. Retrouvant cette force qui lui avait tellement manquée. Cette chaleur qui réchauffait son cœur devenu si froid et si fermé aux autres.

Un sourire magnifique se dessina alors sur les lèvres de la jeune femme. Elle sentit une chaleur bienfaisante l'envahir petit à petit. Elle se sentait apaisée. Protégée.


Kaori avait l'impression de renaître à la vie.


Aucun mot ne fut prononcé. Il n'y avait rien à dire.


Ils restèrent de longues minutes, enlacés l'un contre l'autre. Ryô la serrant de plus en plus fort, de plus en plus près comme s'il avait peur qu'elle ne le quitte à nouveau.


Corps contre corps. Cœur contre cœur.


Le ciel pleurait à présent sur Tokyo. De cette petite pluie fine et insidieuse qui vous mouille aussi vite que la pire des tempête.


Mais Ryô et Kaori ne sentaient rien. Ne voyaient rien. Ils s'étaient enfin retrouvés et ils ne voulaient plus se séparer.


Et c'est tout ce qui leur importait pour le moment.



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