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Chapitre 8 : Kvothe

1071 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/02/2024 23:15

Mon premier souvenir net est celui d’un chat qui, d’un bond gracieux, a atterri sur mes genoux. C’était Cléo, la protégée de la Maison de la santé. Les guérisseurs estimaient qu’elle apportait du réconfort aux malades… Aux malades et aux endeuillés, manifestement.

Mon deuxième souvenir a été celui d’un jeune homme qui se penchait vers moi pour me demander ce qui se passait. Ses cheveux sont comme des flammes, aussi rouges que mon nom. L’étranger. Le naufragé. Comme je l’apprendrai plus tard, il était venu faire ses adieux à ceux qui l’avaient remis sur pied.

J’imagine que j’ai dû balbutier une vague explication à grands renforts de sanglots. L'inconnu a ensuite délicatement pris le poignet de Boquillon, qui était devenu aussi blanc que la neige au nord des Provinces-Unies, puis a secoué doucement la tête pour signifier qu’il ne pouvait rien faire. J’ai failli l’étrangler. De toute façon, qui était-il, ce stupide voyageur, pour croire qu’il pouvait faire quoi que ce soit de plus? Mon père était mort ! Mort !

Ma pensée a dû être si violente que Cléo, qui glissait inconsciemment vers le bord de mes genoux depuis un moment, s’est retrouvée au bord du vide. Boum, elle est tombée par terre. Elle a levé des grands yeux vers moi, avec une telle expression d’incompréhension que j’ai failli en sourire, les yeux pleins de larmes.

Puis le regard du rouquin est tombé sur la main de Boquillon, qui reposait contre son cœur immobile. Mais il y avait quelque chose d’étrange dans ce geste, comme si le vieux bûcheron avait cherché à protéger ou à cacher quelque chose avant d’expirer. Prise d’un absurde espoir, j’ai doucement écarté la main, déjà un peu raide. Quelque chose de brillant est apparu dessous. Mon souffle est resté bloqué au fond de mes poumons. C’était la broche, celle que j’avais essayé de dérober, adolescente, pour forcer mon père à me donner le trésor. Le symbole était toujours aussi mystérieux.

Par contre, les yeux de l’étranger se sont agrandis. J’ai pris le temps d’observer son teint pâle, ses yeux verts et ses traits sans cesse changeants, comme s’il portait un masque. Il a soudain claqué la langue d’un air satisfait, ses doigts fins – était-ce un artiste ? – passant et repassant sur les contours de la broche.

-         Je peux au moins t’aider d’une manière, a-t-il déclaré. Je sais ce que ton père a voulu te dire.

-         Me dire ?

-         Le trésor qu’il voulait te transmettre. Je sais ce que c’est.

Une centaine de répliques se sont bousculées dans ma tête, mêlées d’un rire railleur. Ce charlatan allait-il bientôt prétendre qu’il pouvait communiquer avec les morts ? Il croyait peut-être que j’étais assez désespérée pour croire n’importe quoi ?

-         Je vois que tu doutes et tu as raison. Alors si cela peut te rassurer, sache que j’étudie à l’Université. Et je m’appelle Kvothe.

-         L’Université ?

Ce lieu était légendaire. On racontait que là-bas, on pouvait apprendre la magie, même si Boquillon m’avait toujours assuré que c’était des balivernes. A ma connaissance, c’était aussi le seul sanctuaire de savoir qui accueillait indifféremment les hommes et les femmes. Puis mes sourcils se sont froncés :

-         Mais vous êtes bien trop jeune.

L’étranger a esquissé un sourire malicieux :

-         L’âge est une question de point de vue, et j’ai déjà vécu davantage que tu ne pourrais l’imaginer. Mais tu as raison : j’ai intégré l’Université avant d’avoir l’âge requis. Heureusement, les maîtres ont fait une petite entorse au règlement. (Un clin-d’œil). Mais maintenant, c’est moi qui ai une question pour toi. Est-ce que tu as déjà entendu parler des Archives de l’Université ?

Question absurde : les Archives étaient aussi légendaires que l’Université elle-même. On y trouvait l’histoire de l’humanité tout entière et j’avais souvent rêvé de pouvoir les contempler une fois. J’ai ainsi appris que Kvothe les avait arpentées en long, en large et en travers, à la recherche d’une certaine information qu’il n’a pas daigné me communiquer. Ce travail de fourmi lui avait permis d’apprendre une foule de choses au passage, dont la signification du symbole sur le médaillon.

-         Ton père est un Passeur de Mémoire, a-t-il conclu.

Voyant que ce terme ne me disait rien, il a poursuivi :

-         Chez de nombreux peuples, il existe une tradition orale : les parents transmettent leur histoire et leurs légendes à leurs enfants, qui les transmettent à leur tour. Ce savoir peut aussi passer par un cercle d’anciens. C’est exactement ce qui se passe dans votre île, chez les Miroans, mais en secret.

-         En secret ?

Cette fois, j’étais vraiment perdue. Boquillon était certes bougon, mais il n’avait pas semblé avoir de secrets particuliers. Au contraire, il avait toujours été très honnête avec moi.

-         Non, ce n’est pas la bonne question, m’a rabrouée Kvothe. La bonne question est : est-ce que tu veux vraiment recevoir ce trésor? Mais avant de me répondre, rappelle-toi que toute connaissance a un prix. Une fois que tu l’as acquise, tu ne peux plus t’en défaire.



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