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Chapitre 9 : Passeur de Mémoire

438 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/02/2024 23:21

Je n’ai évidemment pas hésité, ne serait-ce que pour maintenir un dernier lien avec mon père.

Et en fait, j’aurais peut-être préféré ne jamais savoir quel était ce fameux trésor.

Parce que vous vous souvenez de mes peurs d’adolescente, quand je redoutais une invasion ?

Eh bien…

L’invasion avait déjà eu lieu. Oh, c’était si loin dans le passé que plus personne ne s’en souvenait, mais mon père et les rares Passeurs de Mémoire de notre île luttaient pour en perpétuer le souvenir, le transmettant secrètement à travers les siècles.

Quant au nom des envahisseurs… Ils s’appelaient les Khatriens.

Car il n’y avait qu’un seul peuple natif de cette île : le mien.

Les Khatriens avaient déferlé, nous avaient vaincus et avaient établi leur domination sur l’île. L’histoire des Miroans ayant failli épuiser les ressources n’était qu’un tissu de mensonges, ou plutôt, un des nombreux moyens mis en œuvre par les conquérants pour remplacer tout un pan d’histoire par un autre. Ils nous avaient forcés à adopter leur langue, avaient détruit nos archives, nos livres, tout ce qui faisait référence à notre histoire. Puis d’esclaves, notre rôle avait évolué, jusqu’à ce que nous devenions plus ou moins égaux.

Voilà pourquoi mon père avait toujours détesté ce peuple. Peut-être qu’il attendait que je sois comme lui ? Peut-être qu’être prête, c’était ça ?

Puis je me suis souvenue d’un adage : l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs

Le monde s’est mis à tanguer. La réalité avait perdu sa solidité, comme si le sol s’était transformé en une substance visqueuse et nauséabonde. Et je coulais, coulais, coulais. Des bribes de rationalité flottaient autour de moi, sans que j’arrive à m’y raccrocher.

Un mensonge.

Toute ma vie, j’avais cru à un mensonge.

Le vide en moi a ouvert sa gueule béante, prêt à m’engloutir.

Puis le sang a afflué sur mes joues, mes poings se sont serrés, mes yeux plissés. Ma bouche s’est transformée en une unique ligne longiligne, tandis que mon corps continuait à trembler. Un hurlement silencieux a lutté pour sortir de ma gorge.

Ensuite, le sang a reflué, ma lèvre inférieure s’est ouverte en tremblant, mon nez et le blanc de mes yeux ont rougi, tandis que mon nez commençait à piquer. Mes cils se sont emplis de gouttelettes irisées.  


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