Sous surface

Chapitre 3 : Maelys Ashford

4746 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 15/03/2021 20:39

La Citroën de Sandra arriva à Portesham vers onze heures et demi. L'air embaumait le sel de la mer toute proche, et les maisons aux volets bleus, gris ou verts et aux minuscules jardins entourés de haies touffues et désordonnées donnaient à la petite ville un air de campagne, malgré les nombreuses boutiques aux murs tagués et le centre commercial non-loin de là.

Mae Scott s'appelait désormais Maelys Ashford, aka Mae, et avait pour mère Sandra Ashford, mère divorcée de trente-sept ans, soit onze ans de plus que son véritable âge, pour rendre son rôle plus crédible. Kenneth Ashford, seize ans, était l'aîné, et avait récemment eut des problèmes judiciaires pour trafic de drogue, pour rendre son admission aux potentielles activités de Nils Wheeler plus facile.

Le cadet de la famille Ashford était Raven, quinze ans, qui avait également participé au "faux" trafic de Kenneth. Son rôle le voulait d'une nature violente, cherchant constamment la bagarre. Mae avait argumenté par la pensée que ce genre de modifications sur son comportement ne serait peut être pas nécessaire. Raven avait pour autre but de tenter une approche plus intime avec Maya, de devenir s'il le pouvait son petit copain, pour pouvoir gagner en facilité dans son admission aux activités du père de la concernée.

Mae, elle, devait se lier d'amitié avec Jessika, la petite sœur de Maya, la dernière fille de Nils et de Sunny. Sur les photos, Jessika était une jeune fille rondouillarde, aux cheveux blonds ondulés et au teint blafard. Mae espérait de tout son cœur qu'elles s'entendent bien.

Sandra sortit du véhicule gris et commença à sortir leurs bagages. Aussitôt, une foule de petits enfants âgés de cinq à neuf ans sortirent de derrière une maison de brique et coururent vers les quatre nouveaux venus. Ils étaient suivis par un garçon d'environ treize ans, le visage écarlate et trempé de sueur.

-- A l'attaque ! hurla une petite fille d'au moins sept ans, armée d'un bâton recouvert de terre.

Sandra attrapa son arme improvisée et fit tournoyer la jeune fille, qui hurla de joie.

-- Encore ! s'écria-t-elle.

-- Je suis désolé ! haleta l'adolescent qui suivait le cortège d'enfants. Ces malades sont infatigables !

-- Je vois ça, sourit la contrôleuse de mission avant de faire tournoyer la gamine sous son bras.

-- Vous venez d'arriver ? demanda-t-il. Je m'appelle Matt, j'habite la grande maison avec les baies vitrées, au cœur de la ville. J'essaie d'empêcher ces sales gosses d'aller jouer au parc, qui est infesté de frelons depuis qu'on a découvert leur nid.

-- Sandra Ashford, enchantée, fit Sandra en lui serrant la main. Je te présente mes trois enfants, Kenneth, Raven et Maelys. Kenneth !

L'agent sortit la tête de l'entrebâillement de la porte d'entrée de la nouvelle maison des Ashford, les bras chargés de cartons de déménagement.

-- Une seconde maman ! s'exclama-t-il, avant de disparaître.

Sandra leva les yeux au ciel, puis posa une main sur l'épaule de Mae.

-- Et si tu allais t'amuser avec Matt et les petits, pendant que les garçons et moi on déballe les cartons.

-- Tout le sale boulot pour nous, quoi, rouspéta Raven en se saisissant d'une énorme boîte remplie de coussins et de lingerie.

Mae hocha la tête. Elle trouvait cette idée excellente, d'autant plus que Matt était vraiment craquant. Ses cheveux noirs mi-longs retombaient devant ses yeux et sa veste camouflage et son pantalon déchiré lui donnaient un look sauvage très à son goût.

Le jeune garçon l'entraîna dans les rues du village, la foule de jeunes enfants marchant en chantonnant devant eux.

-- Tu vas adorer vivre à Portesham, sourit Matt. La mer est à à peine un kilomètre d'ici, et les gens sont super sympa. La vieille Jane a toujours un gâteau en rab', dans son frigo, et outre le fait que c'est moi le plus beau ici, les mecs de notre âge roulent des mécaniques devant les bijoux comme toi.

Mae se sentit étrangement flattée, et rougit un peu.

-- Super, lâcha-t-elle avec un sourire. On pourrait aller se baigner ?

-- Bof, la mer doit être vachement froide, mais mon père est surfeur, si ça te dit...

-- Je n'ai jamais surfé, gloussa la jeune agente. Il faudrait que je demande à S... à ma mère, si je veux y aller.

Elle se maudit d'avoir faillit révéler que la contrôleuse de mission n'était pas sa mère.

-- Aucun problème, fit Matt en haussant les épaules. Je vais te faire faire le tour de la ville, et ça occupera ces sales mioches, au moins.

Mae lâcha un éclat de rire un peu idiot, et s'en voulut. Matt était quelqu'un de vraiment sympathique, mais elle ne voulait pas qu'il la prenne pour le genre de fille qui rit à rien et qui est aussi bête qu'un caillou. Elle le suivit avec entrain, suivie du cortège de jeunes enfants.

Ils parcoururent les petites ruelles de Portesham, qui s'élargirent peu à peu. Les bâtiments arboraient des pierres grises et brunes délavées par l'air marin, les baies vitrées donnant sur de minuscules jardins encombrés d'objets de plastique aux couleurs de l'arc-en-ciel, les haies étaient taillées au millimètre, et les portes affichaient des peintures bleues, vertes, grises ou blanches écaillées. Les commerces avaient des vitrines un peu sales, mais leur contenu était vraiment intéressant : des baskets, des maillots de football, des planches de surf, tout une vitrine sur les articles de pêche, un pressing, une sorte de bar en rénovation... Tout laissait voir que Portesham ne serait pas aussi ennuyeuse qu'elle en avait extérieurement l'air. Matt trottinait presque, et semblait tout connaître par cœur.

-- Tu veux aller t'acheter des baskets ? demanda-t-il lorsqu'il vit Mae loucher sur une vitrine pleine de Vans et Nike.

-- Je n'ai pas d'argent sur moi, soupira-t-elle.

-- Alors je te paye ton cadeau de bienvenue ! s'exclama le jeune garçon. Je t'avoue que ça fait plusieurs années qu'on a eu la visite de personne, ici.

-- Je refuse ! s'écria Mae. Catégoriquement ! Je ne peux pas te demander de me payer des chaussures !

-- T-t-t, fit Matt avec un sourire malicieux. Tes vieilles Adidas ne tiendront pas une semaine avec le sable des plages, alors suis-moi.

Il attrapa le poignet de la jeune fille aux cheveux bruns et poussa la porte de la boutique. Le carillon tinta, et la femme derrière le comptoir se retourna. Elle était vraiment grosse, ses joues potelées trop maquillées. Ses cheveux étaient blonds et humides. Une forte odeur de déodorant flottait dans le magasin.

-- Matt ! gronda la vendeuse. Je croyais t'avoir dit de ne plus revenir ici, après ce que toi et tes camarades ont fait !

-- Soit cool, Stella, lança le jeune garçon. Maelys vient d'arriver en ville, elle a besoin de pompes neuves.

-- Ca ira pour cette fois, mais tu ne touches à rien, sale chenapan !

-- Je n'ai plus six ans, grommela tout bas Matt en entraînant Mae vers des étagères exposant des baskets.

Tandis qu'elle observait les chaussures, Matt s'assura que Stella ne pouvait pas l'entendre, et chuchota :

-- Cette grosse vache est vraiment détestable !

-- Qu'est-ce que tu as fait pour qu'elle ne veuille plus te voir , demanda la jeune agente sur le même ton.

-- Oh, avec les potes on a un peu trop fumé, et on a décidé de saccager son magasin, sourit Matt. Cette salope hurlait comme une possédée, c'était à mourir de rire, et les caméras de son magasin étaient désactivées pour raison X ou Y.

-- Vous aviez fumé des joints ? s'étrangla Mae.

Le fait de voir qu'un adolescent de son âge ait consommé de la drogue la rendait perplexe, surtout qu'au campus, personne ne pouvait se vanter d'en avoir pris sous peine d'être exclu définitivement de l'organisation de CHERUB.

-- Ouais, Vincenzo, un de mes amis, avait totalement distribué des joints au collège, sans que personne ne le remarque, expliqua Matt. J'avoue, c'était la première fois que j'en ai pris, et la dernière. C'était totalement malade.

-- Tes parents sont au courant ?

-- Ma mère a pété un câble, lorsque Stella a tout cafté. Mon père m'a privé d'argent de poche et d'écrans durant un mois, mais il a été super cool. Vincenzo est allé au poste pour détention de stupéfiants, et c'est sa mère et son beau-père qui ont dut payer l'amende. Il s'est fait hurler dessus, et je ne l'ai pas revu pendant plus d'un mois. Privé de sortie, il venait même pas au collège.

-- C'est du sérieux, gronda Mae, à qui Matt faisait légèrement peur, désormais.

Puis, elle repensa à sa mission, et dit d'un ton plus relaxé :

-- Ton pote devrait causer avec mes frères Kenneth et Raven, ils ont déjà été impliqués dans une affaire de trafic de drogue.

Derrière le comptoir, la grosse Stella s'exclama d'une voix dure :

-- Grouillez-vous, là-bas ! J'ai pas que ça à faire de vous voir manigancer dans ma boutique !

Ils hochèrent silencieusement la tête, et se reconcentrèrent sur les chaussures.

Une quinzaine de minutes plus tard, Mae et Matt ressortirent du magasin de Stella, et la jeune agente de CHERUB portait fièrement ses nouvelles baskets, des Nike Air Max blanches et bleues qui avaient coûté une petite fortune au porte-monnaie de son nouvel ami. La jeune brune lui promit de le rembourser, mais il refusa, répétant qu'il s'agissait d'un cadeau d'ami.

Ils retrouvèrent les enfants de Portesham sur un parking fermé, puis les abandonnèrent une nouvelle fois pour aller se promener sur la plage. Le vent était frais, et les vagues se levaient à plus de trois mètres de hauteur, au loin. Baskets et chaussettes en main, l'écume de mer venait lécher leurs orteils, tandis qu'ils remontaient la bande de sable qui longeait la côte. Puis vint le moment redouté par Mae, lorsque Matt la raccompagna jusqu'à chez elle.

-- C'était sympa, non ? demanda le jeune adolescent aux cheveux noir, alors qu'ils arrivaient près du domicile Ashford.

-- Génial, sourit l'agente. Les baskets, la balade, merci pour cette super journée. N'empêche, j'ai super faim.

-- Moi aussi, rit Matt. Se priver de déjeuner juste pour grimper en haut de l'église n'était pas l'idée du siècle.

-- Bon, ben, je vais rentrer, sinon ma mère va se demander où je suis passée toute la journée.

-- Attends.

Mae fut parcourue de frissons, et se retourna vers son nouvel ami.

-- Ce soir, à vingt-et-une heure, les potes et moi, on a organisé une sorte de pique-nique près de la plage. Ce serra marée haute, il y aura un feu de camp, tu pourras même te baigner au clair de lune, si ça te tente.

-- C'est super ! s'exclama Mae, qui, plus que d'avoir peut-être une chance de voir Jessika, souhaitait rester une nouvelle fois en la compagnie de Matt. Je suis sûre que ma mère sera d'accord, mais je vais quand même lui demander.

-- Alors à ce soir sur la plage, Maelys ! la salua Matt.

-- Tu peux m'appeler Mae, lui conseilla-t-elle. C'est comme ça que tout le monde m'appelait, quand je vivais à Londres.

Matt lui sourit et lui fit un signe de la main, qu'elle lui rendit. Son sourire... elle le trouvait tellement craquant, rien que de rester avec lui pendant une journée, elle n'avait souhaité que de lui tenir la main. Malheureusement, Matt ne semblait pas partager le même sentiment à son égard. " Du moins, extérieurement " pensa-t-elle, pour se redonner un peu d'espoir.

Elle allait pousser la porte de sa maison, mais ce fut Sandra qui l'ouvrit.

-- Coucou ma chérie, fit-elle avec une voix un peu trop enthousiaste. Alors, ta journée ?

-- Euh, ça va... répondit Mae en se grattant frénétiquement la nuque.

Elles entrèrent avec un peu de précipitation, puis la contrôleuse de mission emmena son agente dans la cuisine. Il régnait une forte chaleur dans la pièce, addition des radiateurs à eau en marche depuis leur arrivée, et du double vitrage installé pour protéger les conversations des membres de CHERUB durant la mission. Kenneth et Raven étaient attablés devant un goûter composé de tartines de confiture de myrtille et de tranches de pain de campagne. Outre leurs vêtements propres et leurs cheveux lavés, ils arboraient de nombreux bleus aux bras et aux jambes, dévoilés par une tenue estivale enfilée à la va-vite.

-- Qu'est-ce qui vous arrive ? demanda Mae.

-- Déballage et de cartons durant tout le début d'après-midi, tu ajoutes trois ou quatre chutes dans les escaliers à cause du poids des boîtes, et voilà le résultat, grimaça Kenneth en levant ses avant-bras couverts d'hématomes et de légères coupures à la hauteur de Mae.

-- La miss a eut la belle vie, avec son petit copain, railla Raven.

-- Matt n'est pas mon... se réécria la jeune brune.

Mais elle croisa le regard de Sandra, qui lui indiquait clairement de ne pas pousser le débat en dispute. Elles s'assirent en face des deux garçons, et se servirent en tartines.

-- Rapport de cette première journée, fit la contrôleuse aux cheveux blonds en avalant un morceau de pain recouvert de myrtilles en bouillie.

-- Déballage de cartons, fit Kenneth en haussant les épaules. C'est surtout à Mae qu'il faut poser la question.

La jeune agente s'en donna à cœur-joie. Elle expliqua toutes les informations obtenues sur Matt, Stella, Vincenzo...

-- Les noms Maya, Jessika ou Nils Wheeler ne sont sortis à aucun moment ? demanda Sandra, interloquée.

Mae se rendit soudain compte qu'elle avait passé la journée avec Matt en ne pensant qu'à lui, et n'avait pas une fois tenté de tourner la conversation vers ses cibles.

-- Je... désolée, ça m'était totalement sorti de l'esprit, balbutia-t-elle.

Raven poussa un profond soupir.

-- Concentre toi deux secondes, gronda-t-il.

-- Raven, c'est son premier jour de mission ! s'offusqua Sandra. Elle pourra toujours trouver une autre occasion...

-- Je crois bien que j'en ai une, lâcha Mae. Matt et sa bande d'amis pique-niquent près de l'eau à vingt-et-une heure. Ce serait l'occasion d'y aller, et d'en savoir plus sur Maya et Jessika.

-- Parfait ! s'exclama Kenneth en se levant d'un coup, ce qui lui arracha une grimace de douleur. Tu penses que cela leur poserait problème, d'amener tes deux grands frères ?


xxx


-- Je vous le rappelle, gronda Sandra, appuyée sur l'encadrement de la porte. Ca risque de souffler un peu, et la nuit, personne ne pourra vous voir vous noyer ! Alors faites...

-- ... Attention, on sait, soupira Kenneth. Ne t'en fait pas, ajouta-t-il. C'est l'occasion de s'amuser un peu, et de - je l'espère - faire progresser la mission.

-- Bonne soirée, maman ! siffla Raven avec un sourire narquois plein de sous-entendus.

Dans la fraîcheur du soir, ils quittèrent la minuscule allée du domicile Ashford, et remontèrent la ruelle qui allait les emmener à la plage. Mae était en tête du groupe, retraçant l'itinéraire qu'elle avait emprunté plus tôt dans la journée en compagnie de Matt. L'air embaumait à la fois le frais sel marin et l'odeur écœurante des planches pourries des cabanons mordus par les petites tempêtes de bord de mer. Mae se sentait étrangement libre, et avait vraiment hâte de retrouver son nouvel ami.

Ils arrivèrent au bout de l'impasse en goudron, et empruntèrent un petit sentier taillé entre les hautes herbes. Les insectes semblaient former une chorale et leurs sons cassés se transformait en un chant presque agréable, qui évoquait légèrement le son d'un système d'arrosage automatique. Les trois agents aperçurent enfin les lueurs orangées de trois feux de camp, situés à environ deux cents mètres de la plage. Des cris, des rires, des exclamations leurs parvinrent, signe que beaucoup de gens étaient déjà là. Mae était interloquée ; Matt lui avait pourtant dit qu'il ne s'agirait que d'une petite fête nocturne avec ses amis, mais tous les adolescents de Portesham étaient rassemblés.

Les nuages commencèrent à dévorer la lune lorsque Mae, Kenneth et Raven atteignirent la foule d'enfants. D'un barbecue allumé s'échappait une fumée noire qui assaillit les narines des agents, en même temps que l'odeur des saucisses et des côtes de bœuf grillées. Des enfants plus jeunes se poursuivaient ou mangeaient des sandwiches, assis sur une nappe à carreaux posée au sol. Mae aperçut Matt qui discutait avec un grand collégien aux cheveux sombres et à la peau de miel, ainsi qu'une petite brune enveloppée dans un paréo violet sombre. Elle s'accrochait au bras du garçon d'origine latino, et semblait captivée par leur discussion, sans pour autant placer un mot.

Sans plus attendre, la nouvelle agente CHERUB s'approcha d'eux.

-- Mae ! s'exclama Matt, un large sourire illuminant son visage. Tu es venue !

-- Je n'allais pas rater ça ! rétorqua la jeune brune. J'ai amené mes deux frères Kenneth et Raven, si ça ne dérange pas.

-- Pas de problèmes, de toute façon, ça aurait été bête qu'ils ratent une soirée pareille !

Kenneth jeta un regard discret à Mae, qui signifiait clairement que lui et Raven allaient essayer de voir s'ils pouvaient trouver Maya.

-- On va jeter un œil au stand de boissons, déclara l'agent en entraînant Raven derrière lui.

Mae acquiesça, puis se tourna vers Matt et ses deux amis.

-- Je te présente Vincenzo, déclara le jeune adolescent aux cheveux noirs. Tu sais, celui du casse. Et voici sa petite-amie Janet Quill.

-- Matt, on avait dit que c'était du passé, gronda Vincenzo, sourcils froncés. En plus, je ne vois pas pourquoi une fille que tu connais à peine serait mise dans la confidence.

-- Relax, Vince, lâcha Matt. Viens, on va rejoindre le reste de la bande.

Ils le suivirent tous docilement. Vincenzo jetait des regards mauvais, et roulait des épaules, tandis que Janet restait accrochée à son bras, comme si elle avait besoin de son appui pour tenir debout.

Pour le moment, Mae ignorait comment elle pourrait tourner la conversation vers Jessika, étant donné qu'elle n'était pas censée la connaître. " Je pourrais peut-être demander à Kenneth... " songea la jeune agente. Elle scruta les groupes de gens rassemblés autour des feux de camp, mais ne vit ni Kenneth ni Raven.

Matt entraîna ses trois amis vers un plus grand groupe de gens, tous allongés ou assis sur une grande nappe turquoise imprimée de petites tortues. Les garçons discutaient avec animosité d'un côté, autour de saladiers remplis de chips, de gressins et de mini hot-dogs. Certains avaient des canettes de bière dans la main. De l'autre côté de la nappe, les filles discutaient, gloussaient ou regardaient des vidéos sur leur téléphone, malgré le faible réseau, au bord de la mer. Le cœur de Mae fit un bond dans sa poitrine lorsqu'elle aperçu la silhouette un peu rondouillarde de Jessika Wheeler. La jeune fille aux cheveux blonds ondulés discutait amicalement avec une adolescente d'environ quatorze ans aux cheveux châtains et à la poitrine mise en valeur par son débardeur blanc. Cette dernière levait les sourcils lorsque Jessika lui parlait, mais elle semblait mourir d'ennui. Lorsque Matt, Mae, Vincenzo et Janet arrivèrent près du groupe, la jeune fille au débardeur toisa la jeune agente, et celle-ci eut l'horrible sentiment que l'inconnue la jugeait profondément. Elle n'avait jamais ressenti pareille impression au campus de CHERUB, où chaque agents se respectaient comme il se doit.

-- Salut ! lança Matt à un collégien de quinze ans qui discutait avec les autres garçons.

-- Dégage, Silkface, gronda ce dernier. Je t'interdis de m'adresser la parole.

-- Toujours aussi amical, à ce que je vois, railla le garçon aux cheveux noirs avec un sourire narquois.

Le caïd se leva brusquement, révélant un tatouage de crâne humain sur son biceps gauche, impossible à se faire faire à un si jeune âge, normalement.

-- Cause toujours, le morveux, grogna-t-il. Je te jure que je veux plus te voir ici, ni toi, ni tes potes.

Puis, il lança un regard vers Mae, qui déglutit péniblement.

-- Et je te conseille d'empêcher ta petite amie de traîner près de moi, si tu ne veux pas que je la démonte.

Matt ne releva pas, et laissa le caïd s'en aller.

-- C'est qui, lui ? demanda l'agente, qui relâcha ses muscles, sûre à présent qu'une confrontation ne serait pas utile.

-- Tyron Clark, répondit Janet, qui avait enfin brisé son étrange silence. Une brute.

-- On a eu quelques problèmes avec lui, et il est prêt à nous dérouiller si on s'oppose encore à lui, ajouta Vincenzo.

-- Quel genre de problèmes ?

Mais Vince fit un geste souple de la main, lui signifiant clairement de laisser tomber.

-- Tu peux aller dire bonjour aux filles, lui proposa Matt en désignant la partie occupée par Jessika et les autres.

-- Janet ne vient pas ? questionna Mae.

-- Une histoire de dingue, s'esclaffa son ami. Elle est totalement accro à Vince depuis qu'il a donné de l'argent à son père qui avait plus de boulot, pour qu'il puisse se trouver un job. Environ un million, jamais vu ça.

-- Tu sais pas d'où il sortait ce fric, j'imagine.

-- Il m'a dit qu'il avait gagné ça à ses dernières vacances à Las Vegas, avec ses parents. Franchement, il est pas croyable, ce mec, mais je lui fait confiance.

Mae trouvait tout de même que Matt avait quelque chose d'un peu cachotier, sur le sujet de l'argent d'origine douteuse. Le fait que Vincenzo soit parti à Las Vegas avec ses parents était assez peu croyable, car Matt avait mentionné comme quoi ils manquaient un peu d'argent, ces derniers temps. Mais elle ne releva pas. "S'il y a une piste, je le saurais un jour ou l'autre " songea-t-elle.

Elle alla s'assoir sur la nappe, et joua le rôle de la nouvelle dans le quartier qui ne sait pas trop qui sont ses amis ou pas. Les filles ne lui prêtaient pas grande intérêt, alors elle choisit d'engager la conversation avec la plus proche, qui avait stratégiquement été désigné comme Jessika.

-- Excuse-moi, je suis totalement paumée, tu pourrais me dire où on trouve les boissons fraîches ? fit-elle d'une voix un peu innocente.

Sa cible aux cheveux blonds leva les yeux du téléphone de la fille aux cheveux châtains à côté d'elle, et se tourna vers Mae, un sourire timide au visage.

-- Ah, c'est pas loin du feu de camp des petits, tu veux que je te montre ?

Mae acquiesça, ravie de pouvoir enfin entrer en contact avec la fille de Nils Wheeler. Les deux jeunes adolescentes se dirigèrent vers un groupe d'enfants plus jeunes, qui jouaient et criaient autour d'un petit feu de camp, surveillés par deux étudiantes au teint blafard et aux yeux trop maquillés.

-- Je m'appelle Jessika, et toi ? demanda la jeune fille blonde, qui ignorait totalement que son interlocutrice la connaissait déjà.

-- Maelys, mais appelle moi Mae, fit la jeune agente. Je suis arrivée ce midi à Portesham, je ne connais que Matt, qui m'a fait la visite.

-- Matt est super cool, commenta l'adolescente aux cheveux ondulés. Et super mignon, il faut l'admettre. Au moins trois de mes amies fantasment sur lui.

Cette nouvelle information mécontenta Mae, qui était également tombée sous le charme du beau garçon aux cheveux de jais.

-- Pas toi ? sourit la jeune brune, tentant de masquer sa jalousie.

-- Bof, je suis sortie avec quelqu'un une fois, mais il ne me branchait pas trop, et puis franchement ce n'est pas mon sujet favori, l'amour.

-- Exactement comme moi ! gloussa Mae.

-- La plus obsédée par les relations amoureuses, c'est de loin cette pauvre Janet ! s'esclaffa Jessika en éclatant de rire. Tu as vu comme elle est scotchée au bras de Vincenzo ?

-- Ce mec est une merveille de la nature, un peu trop renfrogné, quand même.

-- C'est un malade, il se drogue et il boit dans le dos de ses parents, et il a sans doute déjà couché avec une de ses innombrables nanas. Un vrai porc.

Jessika semblait vraiment ne pas apprécier Vincenzo, mais Mae était de son avis : elle le trouvait - niveau caractère - vraiment ressemblant à Raven, ou un peu à Ryan.

Elles arrivèrent enfin au stand de boissons, dirigé par une jeune fille aux cheveux roux coupés en un carré très court. Elle leur servit deux verres d'Orangina, puis les deux nouvelles amies allèrent s'assoir près de la plage. Elles se déchaussèrent, puis glissèrent leurs pieds nus dans le sable épais et humide qui formait la bande dorée au bord de la Manche. La lune jetait son reflet sur l'eau.

-- C'est super, ici, fit Mae pour réengager la conversation. J'en avais marre de Londres et de ses habitants pleins aux as qui se baladent en Lamborghini. Ici, le loyer est nettement moins cher.

-- Bienvenue à Portesham, ma vieille, sourit Jessika en haussant les épaules. Le trou du cul de l'Angleterre.

-- Ma mère, par contre, elle a l'air sympa, mais on a dut négocier plus d'une heure avec elle pour venir ici, mentit la jeune agente brune. Elle ne me donne même pas d'argent de poche.

-- Bah, Portesham est peut-être une ville paumée, mais il y a peut-être des moyens de se faire du fric.

-- Ah ouais ? demanda Mae en faisant mine d'être excitée par cette nouvelle. Comment ?

-- Tu peux bosser dans une supérette ou apporter des trucs plus dangereux à des particuliers, fit Jessika avec un clin d'œil. Il faudrait d'abord tester ta confiance, on ne peut pas donner ce genre de travail à n'importe qui.

-- Je peux en parler à mes frères ? questionna la jeune brune. Ils seraient intéressés, je pense.

Jessika se mordit la lèvre inférieur, affichant un air contrarié.

-- Je ne préfères pas. Les mecs du boulot les contacterons s'ils ont besoin d'eux, mais pour le moment, je préfère que ça reste entre nous. Avant que je puisse t'en dévoiler plus, es-tu vraiment digne de confiance ?

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, et poursuivit :

-- Je t'en dirais plus lorsque je saurais si je peux vraiment te faire confiance. En attendant, profite de ta soirée. Je vais rentrer, mon père veut que ma sœur et moi nous l'aidions à préparer quelque chose, il est resté évasif. Bonne nuit Mae !

-- Salut, fit la jeune fille, un peu déçue de ne pas en savoir plus.

Elle regarda Jessika s'éloigner avec une grande blonde un peu maigre habillée entièrement de noir et de chaines d'argent, sans doute sa grande sœur Maya.

Mais quelque chose la réjouissait : elle avait l'occasion de percer à un endroit où Raven et Kenneth ne pourraient pas encore aller...

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