Sous surface
La journée de dimanche, Mae passa la majorité de son temps à se promener dans la ville avec Matt, Jessika, Vincenzo et toute la bande. Elle se sentait à sa place, dans ce groupe d'amis, et ses problèmes au campus semblaient bien lointains... Elle tentait parfois d'orienter un peu la conversation vers la famille de Jessika et la mystérieuse proposition de travail de cette dernière, mais la jeune blonde restait très évasive à ce sujet, lui conseillant de rester patiente si elle voulait se voir se faire confier une mission. Cela ne dérangeait pas plus que ça la jeune agente, qui prenait un agréable plaisir à traîner avec ses nouveaux amis dans Portesham, sans trop se soucier de faire avancer la mission.
L'après-midi, les filles de la bande - dont Janet, qui avait enfin réussi à se décoller du bras de Vince - allèrent dévaliser l'une des petites boutiques de vêtements de la ville, située devant le parking de la supérette, à deux rues du magasin de chaussures de Stella, la grosse vendeuse hargneuse. Mae, qui avait enfin réussi à se procurer l'argent de poche dont elle avait besoin pour parvenir à ses fins, s'acheta deux T-shirts un peu rock, un pantalon de jean à trous et un anorak mauve qui lui allait à ravir. Elle lorgnait avec envie le porte-monnaie plein à craquer de Jessika, qui avait sans doute obtenu autant d'argent grâce aux activités illégales de son père dont elle ne faisait pour le moment pas allusion. Janet et sa meilleure amie nommée Anaïk, une jolie brune originaire d'Arménie, piaillaient comme des folles devant les vitrines cadenassées où étaient exposés des sac à mains de valeur élevée et ornés de logos connus et terriblement chers. Une jeune adolescente rousse nommée Gal, qui arborait un style plus grunge, n'acheta qu'une paire de chaussettes de couleur étrange, car le montant de son argent était largement inférieur à celui de ses amies. Mae ne se préoccupa d'elle, préférant rester en compagnie des trois autres, qui, comme elle, portaient toutes un intérêt spécial à la mode et au luxe. Lorsqu'elle était plus jeune, l'agente de CHERUB avait souvent été gâtée par son père, qui avait amassé une petite fortune grâce à ses reventes de drogue dans toute l'Angleterre. Depuis qu'elle était à CHERUB, elle avait dut se contenter d'une vie plus modeste, et, même si elle ne l'avait jamais dit à ses amis de peur de paraître ennuyeuse, elle brûlait d'envie de retourner faire du lèche-vitrine. Cette mission était un véritable cadeau du ciel.
En fin d'après-midi, toute la bande se retrouva pour aller commander des sandwiches dans un petit stand de rue à ciel ouvert, sur une place où les dernières boutiques en activité s'empressaient de fermer. Entourée de ses nouveaux amis, Mae se sentait invulnérable, même lorsque deux skinheads visiblement soûls passèrent en leur lançant une volée d'injures et en leur faisant des doigts d'honneurs gratuits. Le quinquagénaire qui se trouvait derrière le présentoir de sandwiches marmonna des insultes dans son épaisse moustache, mais n'alla pas corriger les deux jeunes adultes, qui étaient sans doute dangereux après consommation d'alcool.
Ils dînèrent sur place, puis rentrèrent chacun leur tour chez eux, en se donnant rendez-vous devant le collège, le lendemain matin. Mae salua Matt et Jessika, puis prit le chemin de sa maison. Les bâtisses de pierres avaient un petit air lugubre, dans cette nuit tombante, et le cri des mouettes se faisait entendre à des kilomètres. La jeune fille aux cheveux bruns se sentait presque chez elle, dans cette petite ville de bord de mer.
A l'approche de sa maison, elle entendit des cris monter du premier étage de la maison. C'était, à l'évidence, la voix de Sandra, que jamais la jeune agente n'avait entendue aussi énervée. Elle courut jusqu'à la porte d'entrée, voulut ouvrir, mais la contrôleuse de mission le fit avant elle, et, de plus, d'une manière très brusque. Interloquée, Mae fit un léger pas en arrière et fixa la jeune femme blonde d'un air interrogateur.
-- Je vais prendre l'air, gronda-t-elle pour toute réponse.
Et elle s'en fut à grands pas. L'adolescente aux cheveux bruns pénétra dans le domicile Ashford, et trouva Kenneth, assis sur le canapé du salon, en train de travailler sur un document recto-verso contenant plusieurs pages. La petite télévision du salon diffusait un épisode des Simpson.
-- Qu'est-ce que c'est ? demanda Mae en désignant les feuilles.
-- Je travaille sur une feuille compte-rendu des activités précédentes de Nils Wheeler, répondit le jeune homme en se grattant le cou. Sandra veut que j'apprenne ce truc par cœur, alors je m'y mets.
-- D'ailleurs, tu sais ce qu'elle a ? fit l'agente en s'asseyant à côté de Kenneth, et en éteignant la télévision. Je l'ai vue sortir, elle avait l'air hors d'elle.
-- Elle s'est engueulée avec Raven.
Cette annonce étonna Mae.
-- Pourquoi ?
-- Il semblerait que notre cher coéquipier ne s'intéresse nullement aux besoins de la mission. Elle a appris qu'il s'était baladé dans une ville voisine et qu'il avait dévalisé la supérette de Portesham avec des voyous de dix-huit ans. Il n'a même pas essayé d'approcher Maya durant la soirée de vendredi.
-- Mais à quoi il joue ? s'énerva la jeune fille. Il est censé connaître le truc, lui.
-- Je vais te dire un truc, déclara Kenneth en se tournant vers elle. Raven a vu son frère piquer une crise de nerfs et plaquer sa petite amie. Récemment, sa copine Joyce a rompu avec lui par message. Il ne se sent pas de fleurter avec quelqu'un d'autre que sa bien aimée. Le problème, c'est qu'il ralentit la mission.
Mae étudia quelques secondes les propos de son ami, avant de lancer :
-- Certes, il n'a pas envie de jouer le petit copain, mais il pourrait au moins essayer. Avec lui, la mission risque d'être foutue.
Elle n'attendit pas de réponse et gravit les escaliers qui menaient à sa chambre. La pièce était beaucoup moins luxueuse que celle qu'elle avait, au septième étage du bâtiment principal du campus de CHERUB, mais elle suffisait aux besoins d'une adolescente de treize ans. Un lit une place avait récemment été installé dans un coin, et un étroit bureau dans l'autre. Une étagère ornait un mur au papier peint décoloré, et une armoire de bois clair, visiblement neuve. Mae avait déjà accroché quelques posters de ses groupes musicaux préférés sur ses murs. La jeune fille aux cheveux bruns se laissa tomber sur son lit, puis jeta un regard fiévreux à son sac de classe, qui attendait, au pied de son bureau.
xxx
Budmouth Academy était un grand établissement situé au Nord-Ouest de la grande ville de Weymouth, à huit kilomètres de Portesham. Le bus de ramassage scolaire ne venant pas jusqu'au petit village où l'équipe de Sandra s'était établie, la contrôleuse de mission était obligée de transporter la jeune adolescente et ses coéquipiers jusqu'à leur collège. La jeune brune avait été placée - grâce à l'équipe de CHERUB qui travaillait sur cette mission - dans la même classe que Jessika, la fille du trafiquant d'armes qu'elle était censée approcher.
Mae se sentait ridicule, dans son uniforme blanc, noir et bleu marine, avec ce blazer scintillant et cette jupe parfaitement repassée, trop courte à son goût, qui laissait voir ses jambes bronzées par son séjour en Indonésie, juste après la fin du programme d'entraînement initial. Elle enviait les garçons en short qui discutaient bruyamment, sous les regards courroucés des surveillants chargés de les conduire en classe. Mae se rangea timidement avec les élèves de sa classe, et fut immédiatement reconnue par Jessika.
-- Mae ? s'étonna-t-elle. Tu es inscrite au collège Budmouth, toi aussi ?
-- Jessika ! s'exclama l'agente en retour. C'est incroyable, je ne pensais pas te retrouver ici !
-- Le hasard fait bien les choses, on dirait, sourit la jeune adolescente blonde. Janet et Gal sont dans une autre classe, et Anaïk fait les cours depuis chez elle, alors je pensais que tout espoir était perdu.
-- Visiblement non !
Une femme sans doute âgée de soixante ans aux cheveux grisonnants et à la peau fripée accueillit la classe. Elle les fit entrer dans la salle, et monta sur l'estrade.
-- Aujourd'hui nous allons accueillir une nouvelle élève, grinça-t-elle d'une voix éraillée. Mademoiselle Maelys Ashford, qui nous vient de Portesham. Un mot à dire, Ashford ?
-- Ben, je suis contente de voir que tout le monde ou presque à l'air sympa, ici, déclara l'agente avec un léger sourire. Sauf votre respect, bien sûr, Madame.
Quelques murmures amusés fusèrent dans les rangs. La professeure fronça les sourcils, mécontente de l'attitude de sa nouvelle élève.
-- Allez vous assoir, Ashford, gronda-t-elle. Je suis Mrs. Kelly, professeure principale de la cinquième E et de mathématiques. Ouvrez votre cahier à la page 78, exercice sept, tout le monde.
Mae s'affala sur sa chaise, juste derrière Jessika, qui ricana :
-- Celle-là, tu peux la martyriser autant que tu veux, ma vieille, elle ne fera qu'aller pleurnicher au directeur !
Après les cours de la matinée, les deux amies se retrouvèrent à la cantine en compagnie de Gal et de Janet. A l'étonnement de Mae, elle vit Matt s'approcher d'elles, l'uniforme mis de travers, un plateau dans les mains.
-- Wow, s'exclama-t-il. Maelys Ashford, à Budmouth. Coïncidence ?
-- Ma mère nous a inscrits, moi et mes frères, dans l'établissement qu'elle jugeait le meilleur, sourit l'agente aux cheveux bruns. Alors, outre les profs de l'âge de pierre et la bouffe venue des marais d'Amazonie, ce bahut est super.
-- C'est super que tu sois là, fit le jeune garçon aux cheveux noirs. C'est toi qui manquait à notre petit groupe.
Réconfortée par les commentaires de son ami, Mae se sentait à présent chez elle. Mais elle brûlait d'autre chose, une attirance inexplicable envers Matt. Il resta dans son esprit tout au long de la journée, mais, Mae, concentrée également sur les fins de la mission, tenta d'en apprendre plus sur le père de Jessika.
-- Tes parents font quoi, dans la vie ? demanda-t-elle, tout en se posant la question si ce n'était pas un peu direct.
-- Ma mère, j'ignore totalement où elle se trouve aujourd'hui, soupira la jeune adolescente légèrement bedonnante. Mon père bosse à la mairie en plus de pêcher de temps en temps avec ses amis près de Portesham. En fait, il n'a signé aucun droit à la pêche pour le faire dans les eaux anglaises, du coup, ce qu'il fait est illégal, mais il s'en fout, il gagne rentablement sa vie.
-- Mais comment ? Travailler à la municipalité ne doit pas rapporter tant que ça, si ?
-- Assez pour nous faire vivre, sourit Jessika. Mais pas que ; ça à aussi un rapport avec le boulot secret que je voulais te confier. Si tu es toujours partante, je peux t'en dire plus à la sortie des cours.
Mae voyait là une très bonne occasion d'en apprendre plus sur Wheeler, et accepta avec joie, sans pour autant montrer beaucoup d'entrain. Il fallait que cela soit réaliste.
Le soir venu, Jessika, Mae et Matt saluèrent leurs amis et se rendirent au second parking le plus proche de Budmouth Academy, là où leurs parents allaient pour fuir la foule. Ils rirent à quelques blagues idiotes, puis Jessika s'arrêta, et plongea ses yeux dans ceux de la jeune agente.
-- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda l'adolescente aux cheveux bruns.
-- Il est temps de parler du travail que mon père à la possibilité de te refiler, déclara la blonde avec un sourire en coin.
Mae coula un regard étonné en direction de Matt, qui les écoutaient, adossé au mur d'un immeuble, dans la ruelle où ils venaient de s'engager.
-- Te préoccupe pas, il est au courant de tout, commenta Jessika. Bien, tu jures que cela reste entre nous ?
-- B... Bien sûr, bégaya Mae, qui savait pourtant exactement de quoi il retournait.
-- J'ai parlé de toi à mon père, Ashford, commença-t-elle. Il pense que tu en as dans le ventre, alors j'ai le droit de te parler de tout. Mon père dirige un petit réseau de contrebande, de la revente d'armes à feu, plus précisément.
-- Quoi ? fit mine de s'étrangler l'agente. Mais c'est illégal !
-- Pas vrai ? sourit Jessika. Il prend des commandes au large, avec la France. Depuis le Brexit, les transactions sont compliquées, mais les gens ont toujours besoin de ça.
-- Et à qui il les revend, ses flingues ?
-- Des acheteurs fiables, des gangs de motards, des étudiants fauchés reconvertis en trafiquants de drogue. On poursuit l'interdit, si tu veux. Tu es qualifiée pour ce genre de choses, Mae, c'est pour ça qu'on se fait confiance.
-- Ton père t'a chargée de recruter des gens ?
-- Non, mais en ce moment, il a besoin de mains d'œuvre. Il a du boulot, et il rémunère bien, je te le promets. Tu ne peux pas être déçue.
-- Jamais ma mère ne va me permettre de telles choses ! se réécria l'adolescente brune.
Matt et Jessika échangèrent un regard inquiet, puis le jeune garçon aux cheveux noirs posa une main sur l'épaule de Mae, tout en la fixant profondément dans les yeux.
-- Cela doit rester secret, dit-il avec fermeté. Tu ne diras rien à ta mère, rien à tes frères non plus. Sache que si tu dévoiles ne serait-ce qu'une information sur le gang de Nils Wheeler, il chargera ses pires colosses de vous régler votre compte, à toi et à ta famille.
Il parlait d'un ton cru et menaçant que Mae ne lui aurai jamais cru. Elle fut saisie d'une soudaine peur, puis se rassura en songeant que Wheeler avait affaire à une unité de renseignements ultrasecrète très développée, et que jamais il ne parviendrait à faire du mal aux agents de CHERUB.
-- Très bien, souffla Mae, en reprenant courage. Quand est-ce qu'on peut en reparler ?
-- Tu n'as qu'à à venir chez moi, mercredi, après les cours, proposa Jessika. Tu pourras rencontrer mon père et ma sœur.
Ils allaient repartir en direction du parking, lorsque deux skinheads tatoués et chauves déboulèrent de chaque côté de la rue. Des sourires cruels ornaient leurs visages pâles.
-- Hep, Brook ! lança l'un d'eux d'une voix éraillée par une cigarette récente. Tu ne crois pas que j'ai assez attendu ?
Matt se figea, et se retourna lentement.
-- Helmut, franchement, je ne m'attendais pas à te voir ici...
-- Le fric, nabot, gronda le second, en faisant quelques pas en avant.
Les deux colosses faisaient presque deux mètres de haut, et arboraient un style de voyous sortant de prison - y comprendre T-shirt sans manches blancs et tachés ici et là de gouttes de sang, tatouages vulgaires sur le torse et les bras, voir au cou, bracelets de chaînes argentées et pantalons de jogging sombre -, cependant, Mae ignorait pourquoi ils venaient s'en prendre à son ami.
L'un des deux skinhead s'avança, menaçant, et l'agente put apercevoir le manche d'une arme blanche lui sous l'élastique de son jogging. Elle comprit que Matt devait de l'argent aux inconnus, et que ses derniers n'hésiteraient pas à l'éliminer s'il décidait de ne pas coopérer. Son sang se glaça dans ses veines.
-- C'est ta dernière chance, Brook, gronda le dénommé Helmut. L'argent.
-- Vous savez que mon amie ici présente est la dernière fille de Nils Wheeler ? cracha le collégien. Son père vous fera exécuter devant vos mères pour avoir porté atteinte à sa protégée.
A cette annonce, les deux colosses de dix-huit ans frémirent. L'idée de s'opposer au père de Jessika avait l'air de ne pas leur plaire, détail que Mae nota avec attention. Cette attitude soulignait l'importance de Nils, et les soupçons de CHERUB semblaient justes.
-- Arrête le bluff, gamin, grogna hargneusement Helmut en roulant des épaules, prêt à en découdre. La fille de Wheeler a quinze ans.
-- C'est la nana cheloue qui traîne tout le temps près du Franprix avec sa pote naine ? se moqua son allié.
-- Je te défends de te foutre de la gueule de ma sœur ! s'écria Jessika, que toute cette discussion mettait hors d'elle.
-- Viens Clark, on va un peu nettoyer cette rue, sourit Helmut. Les éboueurs font mal leur travail.
Mae comprit que l'affrontement était inévitable, et elle se prépara à porter un coup, bien décidée à ne pas laisser Matt et Jessika se faire écraser comme des moucherons par les skinhead. Mais elle doutait clairement de l'issue de l'affrontement : elle avait affaire à des adultes violents et prêts à en découdre, et il était sur que Matt et Jessika ne pouvaient disposer des mêmes connaissances en combat qu'elle. Son cerveau était en ébullition, mais Helmut craqua son poing droit dans son gauche, et passa à l'attaque.
Le coup était destiné à Matt, mais Mae se jeta devant lui, attrapa le bras hypertrophié de son adversaire, et le déséquilibra sur le côté. Le skinhead se dégagea avec véhémence, et tenta de saisir l'agente par les cheveux. Mae se glissa sous son torse musclé, et lui porta un puissant crochet à l'abdomen. Helmut était musclé, mais il eut le souffle coupé par la force de la frappe, et fit quelques pas hésitants en arrière. Voyant que son ami était en difficultés, Clark vint à sa rescousse, et parvint à repousser la jeune fille aux cheveux bruns. Il tordit le bras de Mae en arrière, et elle poussa un cri de douleur. Matt voulut lui venir en aide, mais ses gestes, beaucoup plus lents et beaucoup moins précis que ceux de son amie, et il fut repoussé sur le sol goudronné. Jessika sortit son téléphone portable de la poche de sa veste, et composa un numéro. " La police ? " songea Mae. En réalité, Jessika faisait appel à son père, pour qu'il dépêche des hommes de main musclés pour venir à son secours. En raison de son lien de parenté avec un trafiquant d'armes, appeler la police était livré Nils Wheeler au commissaire du coin, et lui offrir quelques années de prison en plus.
Mae reçut un violent direct à la mâchoire, et se mordit accidentellement la langue. Un soudain flot de sang se déversa dans sa bouche, et s'échappa en filets d'entre ses lèvres. Matt était au sol, les joues humides des larmes du jeune garçon aux cheveux noirs, et il se faisait pousser sur le goudron à grand coups de pieds. Les skinheads avaient bien prévu leur coup ; ils avaient attendu que les trois collégiens s'engage dans une petite ruelle très peu fréquentée, puis s'étaient acharnés sur leurs souffre-douleurs.
Soudain, une berline noire aux vitres teintées se gara derrière les deux voyous, et trois hommes encore plus impressionnants que les agresseurs en sortirent. L'un d'entre eux brandit une arme à feu, et Mae comprit qu'il s'agissait des associés de Wheeler.
-- Encore un coup sur ces gamins et je fais voler vos têtes, grogna l'un des gardes du corps, celui qui brandissait le Magnum neuf millimètres.
Les deux skinhead se retournèrent lentement, et comprirent que Matt n'avait pas menti : Jessika avait immédiatement appelé son père, et ils se trouvaient en très mauvaise posture.
-- Vous pouvez y aller, déclara l'homme armé. Mais sachez que, durant les prochaines semaines, voir les prochains mois, vos familles vont souffrir. Puis viendra votre tour.
Sans demander leur reste, ils partirent, mais Helmut ne put s'empêcher de donner un dernier coup de pied dans le corps de Matt, recroquevillé en position fœtale. Alors l'homme qui brandissait le Magnum fit feu. L'arme était équipée d'un silencieux, et n'en sortit qu'un bref sifflement. La balle toucha le colosse au talon droit, et il poussa un hurlement de douleur étouffé.
-- Dépêche-toi de rejoindre le parking, ordonna l'homme à Mae, le regard dur, tandis que ses deux collègues hissaient Matt dans leurs bras, car le jeune garçon ne semblait plus en état de marcher. On va s'occuper de lui, et de Jessika. Je jure que la famille du bonhomme sera sous protection, désormais.
Hésitante, Mae jeta un dernier coup d'œil à son ami, qui semblait inconscient.
-- Je t'ai demandé d'accélérer la cadence, gronda-t-il. File, avant que les flics ne rappliquent !
Mae hocha la tête et détalla au pas de course. Arrivée au coin de la rue, elle se força à adopter une marche plus calme, pour ne pas attirer l'œil sur elle. Elle traversa deux passages cloutés, puis aperçut les premières voitures du parking. Celle de Sandra était en marche, et elle était au téléphone, l'air inquiet. Lorsqu'elle vit son agente arriver, la bouche ensanglantée, elle accourut.
-- Je peux savoir ce que tu faisais ? s'époumona-t-elle. Je t'ai appelé treize fois, j'étais morte d'inquiétude ! Et pourquoi tu saignes de la bouche ?
-- Je...
Mae jeta un regard aux quelques passants qui les fixaient de leurs yeux ronds, puis souffla :
-- Il faudra que je t'expliques à la maison. Je crois que la mission a pris une avancée capitale, aujourd'hui.
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La jeune adolescente aux cheveux bruns tamponna le mouchoir sur sa langue, puis essuya le sang séché qui maculait ses lèvres. Face à elle, sa contrôleuse de mission pianotait nerveusement des doigts sur la table.
-- Très bien, Mae, que s'est-il passé, exactement ?
-- Ce midi, j'ai déjeuné avec Jessika et la bande, et j'ai essayé de glisser une phrase sur ses parents. Selon elle, elle ignore où sa mère se cache, et elle m'a parlé de son père. Elle m'a apprit des choses que je savais déjà, comme le boulot de Wheeler à la mairie de Portesham, et son job de pêche, mais elle m'a révélé qu'il gagnait sa vie grâce à une autre activité.
-- Ce dont elle t'avait parlé pour le travail secret, comprit Sandra.
-- A la fin des cours, on a remonté une rue pour aller au parking, puis Matt et Jessika se sont arrêtés. Nos soupçons sont fondés, Nils intercepte et revend des armes en provenance d'Europe. Il les revend ensuite à des voyous et des criminels, mais toujours fiables. C'est comme ça qu'il gagne sa vie.
-- Tu as fait un excellent travail, Mae, sourit la femme aux cheveux blonds. Mais tu ne m'as toujours pas expliqué d'où venait le sang.
-- Après cette information, on allait te rejoindre, mais deux gars musclés avaient apparemment un différend à régler avec Matt, et ils se sont bastonnés. J'ai voulu les aider, mais je crois bien que j'ai explosé le nez d'un de ces skinheads !
-- Ce n'était pas prudent de t'attaquer à eux, la réprimanda Sandra.
-- Jessika a appelé son père, qui a dépêché trois colosses pour mettre une raclée aux agresseurs. Seulement, les deux gars qui nous ont attaqués, Helmut et Clark, ils avaient l'air de savoir, pour Nils Wheeler.
-- Intéressant...
Sandra pianota sur l'ordinateur portable sophistiqué ouvert devant elle. L'agente songea qu'elle devait sans doute rassembler tous les détails de la mission, ou faire un rapport à ses supérieurs à CHERUB.
-- Et, j'oubliais, Matt sait pour les activités de Nils Wheeler. Je pense qu'il est impliqué dedans, mais je ne sais pas exactement en quoi.
-- Tu as fait un excellent travail, Mae, souffla Sandra en sauvegardant ses écrits et en fermant l'ordinateur. Va prendre une douche, puis mets-toi à tes devoirs. Il est temps que tu fasses comme si tu étais une fille parfaitement normale.