Sous surface

Malgré sa lourde journée épuisante qui aurait dut la clouer au lit en un rien de temps, malgré ce même lit douillet et frais, Mae ne parvint pas à fermer l'oeil.

Sa journée s'était terminée par un cours de judo éprouvant, et elle était retournée dans sa chambre en nage. Elle s'était empressée de prendre une douche, de se mettre en pyjama et de sauter sous sa couette. Mais un détail la chiffonnait.

Un GROS détail.

Depuis que Fatiah l'avait informé qu'elle aurait la possibilité d'accepter une place dans une mission, Mae ne cessait d'y penser. Elle était impatiente d'en savoir plus, mais également craintive de ne pas être à la hauteur de son rôle dans ladite mission. Elle appréhendait l'ordre de mission qu'elle recevrait plus que tout, mais surtout, elle craignait d'être vraiment déçue des personnes avec qui elle allait devoir effectuer la mission.

C'était la perspective de ne pas s'entendre avec ses coéquipiers qui lui faisait peur. Ryan n'était encore qu'un T-shirt rouge, mais son frère Raven lui avait clairement interdit de recroiser sa route. " Du calme " songea la jeune agente. " Il y a une chance sur deux-cent-soixante-et-onze agents opérationnels pour que ce soit lui ".

Ne parvenant toujours pas à dormir, elle ouvrit la fenêtre et alla sur le balcon. L'air était glacial et humide, signe que la pluie ne tarderait pas à se montrer. Mae scruta le terrain de course, en face de sa chambre. Il était calme, vide, désert, sombre, tout le contraire de la journée, où il y avait toujours quelqu'un pour fouler son sol sablonneux.

Sentant subitement la fatigue arriver, Mae se traîna vers son lit et s'y affala. Elle réussit enfin à s'endormir.

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9h57, centre de control

Mae, habillée de son T-shirt gris CHERUB, d'une veste de survêtement Nike, d'un pantalon de treillis kaki et de ses habituelles rangers cirées et aux semelles propres, se pointa devant le bureau de Sandra Wolf. Le matin même, vers huit heures et demie, Kenneth l'avait informée que la contrôleuse de mission demandait à voir les trois agents choisis pour la mission au centre de control. Lorsque Mae avait demandé qui serait le troisième, Kenneth avait répondu qu'il l'ignorait également, ce qui n'était pas pour rassurer la nouvelle agente.

Lorsque sa montre afficha dix heures, la jeune brune toqua à la porte de Sandra. La voix de cette dernière lui répondit d'entrer.

Mae poussa la porte renforcée de blindages - pour éviter que les conversations ne s'entendent de l'extérieur.

-- Bonjour Mae Scott, fit Sandra avec un léger sourire. Assied-toi, je t'en prie. Kenneth est déjà là- Votre troisième coéquipier ne tardera pas à arriver.

Mae hocha la tête et prit place sur un fauteuil rouge et confortable.

Sandra Wolf était une ancienne agente âgée de vingt-six ans. Ses cheveux blond solaire et lisses illuminaient son visage clair. Ses sourcils étaient fins, biens dessinés, et ses lèvres plus sombres que sa peau. Ses yeux étaient verts et avaient quelque chose de provocateur. Malgré ce beau visage, Sandra, du haut de ses un mètre soixante-neuf, n'aurait jamais put devenir mannequin. Musclée et endurante, elle s'était maintenue en forme, même après sa retraite d'agent. De plus, ses formes féminines n'étaient pas trop généreuses, ce qui n'empêchait pas certains agents plus âgés d'être de gentils serviteurs en sa présence.

-- Salut ! fit Kenneth en voyant Mae. Alors, pas trop stressée ?

-- Tu pourras te retirer de la mission quand tu voudras, ajouta Sandra. Il est normal de perdre une partie de ses moyens avant un entretien.

Tout à coup, la porte du bureau s'entrouvrit, sur le passage du dernier participant à la mission. Mae se retourna, et ses yeux s'écarquillèrent. " Oh non, pourquoi il a fallu que ce soit lui ? " songea-t-elle au désespoir.

-- 'Jour, gronda Raven en s'affalant sur le siège. J'ai un important devoir de sciences biologiques à finir, et Mme. Wendayl a dut décaler son cours pour me permettre de venir ici.

-- Ravie de savoir que tu te portes bien, toi aussi, gronda Sandra en serrant les dents, avant de reprendre un visage plus impliqué. Bon, vous savez pourquoi vous êtes là, tous les trois ?

Elle n'attendit pas de réponse, et poursuivit :

-- M. Kelly et le comité d'éthique de CHERUB approuvent à l'unanimité cette mission. Je vais vous donner les ordres de mission, mais s'abord, j'aimeriez que vous m'écoutiez attentivement, surtout vous, Raven et Kenneth. Mae vient à peine de terminer les cent jours du programme d'entraînement initial, elle aura donc sans doute besoin de votre aide durant cette mission. Je veux que vous soyez compréhensifs et intelligents, avec elle, compris ?

Ils hochèrent la tête.

-- J'ai juste une question, fit Mae.

-- Je t'écoute.

-- Pourquoi m'avoir choisie moi qu'un autre agent. Je veux dire, bien sûr, je suis ravie de participer à ma première mission aussi tôt, mais...

-- Pour la simple et bonne raison qu'il nous fallait une jeune fille d'environ douze ans, intelligente, sportive, et surtout concentrée. Bien sûr, nous aurions put prendre quelqu'un d'autre, mais tu étais la plus qualifiée.

-- Pourquoi pas Fatiah ou Ayline ? insista Mae.

-- Fatiah n'avait malheureusement pas le bon profil, souffla Sandra. Et Ayline a effectué une mission il y a presque trois mois. De plus, je doute que son état émotionnel soit au meilleur, en ce moment.

Raven émit un grondement inaudible, reprochant sans doute à Ayline de ne pas s'être montrée très compréhensive avec Ryan.

-- Cela répond à ta question, Mae ? demanda la contrôleuse de mission.

-- Oui, merci.

-- Bien. Je vais brièvement vous exposer la situation, vous consulterez vos ordres de mission dans votre chambre, entre vous, mais pas avec un agent extérieur à cette mission. Ecoutez-moi, maintenant.

Sandra approcha légèrement sa chaise de son bureau d'un coup de pied, et croisa les mains sur sa table.

-- Portesham est une ville non loin des côtes maritimes de la manche, commença la contrôleuse de mission. Enfin, une petite ville, du comté de Dorset. Portesham a récemment fait l'objet d'un article d'un journal londonien. Dans cet article, le journaliste Miles Andrews parlait de la saisie d'un petit stock d'armes, dans une maison en bordure de la ville. Au total, une dizaine d'AK-47, quinze Magnum 9mm, des armes puissantes qui n'avaient rien à faire là-bas. La maison a été perquisitionné, et son possesseur a été interpellé, puis condamné à plusieurs mois de prison, mais aucune preuve ne pouvait affirmer que c'était lui qui avait caché les armes dans sa maison.

-- Traces ADN ? demanda Kenneth.

-- Aucunes. A l'évidence, les armes ont été manipulées avec des gants en latex stérilisés et désinfectés. C'est ça le problème. Le journal pour qui travaillait Miles Andrews a décidé que ce sujet était clos, mais on avait bel et bien la preuve que des connaisseurs en la matière avaient opéré. Patrick North, le possesseur de la maison perquisitionnée, était sans doute réellement impliqué, sauf s'il s'agissait bel et bien d'une escroquerie, d'un coup dans le dos.

-- Et Andrews ? fit valoir Mae. Il en sait peut-être quelque chose, puisque c'est lui qui a lancé l'article ?

-- Tu as lu dans mes pensées, sourit Sandra. J'ai rendez-vous avec lui dans trois jours. Bref, on a poussé le sujet, et on a découvert qu'un ancien trafiquant d'armes nommé Nils Wheeler vit encore aujourd'hui à Portesham. La police l'a interrogé, sa maison à à peine un kilomètre de la mer a été fouillée de fond en comble, mais rien n'a été retrouvé. Il a donc été classé innocent dans cette affaire. Cependant, Wheeler n'a cessé ses activités de trafiquant d'armes il n y a seulement un an et demi. Déjà inculpé une fois pour mitraillettes et kalachnikov cachées dans un porte-container à destination des USA, c'était un vrai pro. Dès qu'il est sorti de derrière les barreaux, il a tout arrêté, et a fait incinérer tout son stock.

Les trois agents hochèrent la tête, assimilant les informations données par Sandra.

-- Et notre rôle dans tout ça ? demanda Raven.

-- Nils Wheeler est le père divorcé de deux filles : Maya Wheeler, quinze ans, et Jessika, douze. Kenneth et Raven, vous devrez approcher Maya et tout faire pour devenir ses amis. Elle est de nature solitaire, mais entant qu'agents de CHERUB T-shirts bleu marine, vous saurez la faire plier. Mae, toi, tu vas devoir devenir amie avec Jessika. Ca ne devrait pas te poser de problèmes. Votre but sera de pénétrer dans le domicile Wheeler pour placer des micros et des caméras. Nous possédons les meilleurs dispositifs qui vous permettront d'agir en tout sécurité. Une fois que nous aurons les discutions de Nils en clair, nous pourrons peut-être découvrir quelque chose. Avec un peu de chance, nous le coincerons au téléphone avec un complice grâce au micros espions.

-- On ne pourrait pas plutôt mettre sa ligne téléphonique sur écoute ? fit Mae.

-- Wheeler n'est pas débile, gronda Raven. Seul un terroriste débutant pourrait commettre l'erreur de ne pas téléphoner sur une ligne privée, bloquée, sophistiquée et tout le tralala.

-- Raven, du calme, grogna Sandra en haussant la voix. Mae débute, dans sa carrière d'agent.

Elle reprit plus doucement :

-- Il a raison, Mae. Si Wheeler est, comme nous le soupçonnons, lié à cette histoire d'armes cachées, alors il utilisera des systèmes impénétrables. C'est malheureusement encore d'actualité, nombreux sont les gents riches à vouloir ne pas se faire espionner au téléphone.

-- Et que se passera-t-il si on découvre qu'il est bel et bien le cerveau ou un membre de ce trafic ?

-- Alors on enregistrera la conversation et on la livrera à la police. Le truc serait d'inviter nos amis les policiers à l'un de leurs échanges d'armes, ou directement au dépôt, pour les attraper en flagrant délit.

Mae hocha la tête. Sandra se leva, et tendit trois chemises cartonnées contenant chacune un petit monticule de feuilles.

-- Ce sont vos ordres de mission, expliqua la contrôleuse de mission aux longs cheveux blonds. Lisez les bien, et nous pourrons emménager à Portesham demain.

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 « Nils Wheeler débute le trafic d'armes en 1987, à 15 ans. A cette époque, il ne faisait que jouer le rôle du passeur, sa famille vivant dans un petit hameau côtier du côté français de la Manche. En 1990, il intègre à part entière le gang des Walkers, des trafiquants d'armes professionnels, et vise plus haut. En 1992, il fait partie des treize suspects interpellés après la saisie d'un camion transportant plus de cent-cinquante AK47, puis est relâché, faute de preuves le concernant. En effet, durant l'opération, Nils Wheeler portait un sac sur la tête, jouant le rôle de l'otage, pour que les forces de police ne puissent pas le soupçonner. En 1995, Wheeler monte en grade chez les Walkers et parvint à devenir l'un des plus proches confidents de Maximilien Robinson, le chef du gang de trafic d'armes à feu. Il enregistre toutes leurs conversations, puis finit par retrouver un immense stock d'AK47, de kalachnikov et d'armes à feu de guerre. Il empoisonne Robinson, simulant un étouffement durant une de leurs discutions privées, puis monte à la tête des Walkers. En 2004, cinq agents de CHERUB parviennent à trouver une partie du stock mis en place par Nils Wheeler, arrêtant et inculpant seize membres des Walkers. Nils abandonne alors le groupe, qui finit par se désosser, et cache son stock d'armes dans un bunker souterrain en pleine campagne, au Sud de l'Angleterre. En 2016, Wheeler réapparaît dans les radars, et liquide, à l'aide de complices venant d'un autre gang de trafic d'armes, plus d'une dizaine de policiers. En 2017, Wheeler tente l'impossible : faire passer plus de deux cent armes à feu à bord d'un porte-container traversant l'Atlantique. A cause d'un système d'écoute placé par des agents des services secrets britanniques, environ soixante policiers arrêtent le porte-container dans un port, en Floride, et inculpent Wheeler pour trafic d'armes illégal à danger publique, mais étrangement, les homicides volontaires de 2016 ne sont absolument pas évoqué, sans doute car Nils Wheeler possédait de nombreux contacts au sein du gouvernement. Le trafiquant croupit en prison durant seize mois, puis met fin à ses projets à son retour à la vie normal. Il s'installe à Portesham fin 2019, après son divorce avec sa femme, Sunny. Cette dernière part vivre en Australie, à Sydney, et Nils garde ses enfants, Maya et Jessika Wheeler. Aux dernières nouvelles, il travaille entant que pêcheur à mi-temps, et fait partie du conseil de la mairie de Portesham. »

Extrait de l'ordre de mission de Mae Scott.

La porte de la chambre de Mae s'entrouvrit sur le passage de cette dernière. La jeune adolescente brune était trempée de sueur, ses vêtements de sport tachés d'auréoles, et une odeur de transpiration nauséabonde émanait d'elle. Elle venait de courir et sur le stade d'athlétisme du campus durant deux heures, en faisant de rapides pauses toutes les demi-heures. Depuis qu'elle avait commencé le PEI, elle avait été soumise à un dur entraînement physique pour garder une forme qui, selon Dwight, l'instructeur en chef de CHERUB, lui permettrai d'accomplir bien des missions, une fois le programme d'entraînement passé.

L'idée de partir pour sa première mission le lendemain l'effrayait quelque peu, mais elle était surtout tellement excitée ! Toute la fin de matinée, elle avait étudié son ordre de mission et révisé son scénario, pour être sûre de ne pas dévoiler un seul détail durant le temps de la mission. Sandra avait été claire là-dessus : à la moindre faille pouvant nuire à l'objectif de la mission, elle serait exfiltrée jusqu'au campus. La perspective d'échouer dans son premier rôle d'agent opérationnel ne la quittait pas une seconde, mais elle était concentrée et connaissait la mission dans les moindres détails. Ca ne devrait pas être si compliqué que cela.

Au dîner, en compagnie de ses amis, Mae eut la tentation d'évoquer le sujet de sa mission, mais cela devait rester confidentiel, avait dit sa contrôleuse. Dès que Fatiah, Eden ou Ayline tentaient d'évoquer le sujet, la jeune T-shirt gris souriait ou restait évasive.

Après leur repas, les quatre amis se rendirent dans la chambre d'Eden, deux paliers plus loin que celle de Mae. Les deux pièces se ressemblaient fortement, mais la décoration de celle d'Eden était relativement... différente. Tandis que Mae n'avait pas eu le temps d'y ajouter plus de touches personnelles, le jeune agent, qui avait reçu son T-shirt gris le même jour que Mae et Ayline, il y a un an de cela, avait placardé des posters de ses équipes de football et ses groupes de musique préférés. Les livres et cahiers de cours d'Eden étaient rassemblés en de hautes piles qui menaçaient de s'effondrer à tout moment, et des CD traînaient près de la chaîne hi-fi. Le lit d'Eden avait été maladroitement fait.

-- Tu es sûre que tu ne veux pas nous en dire plus, à propos de ta mission ? demanda Fatiah à Mae sur un ton inquisiteur mais amical.

-- Je te l'ai déjà dit, soupira gentiment la jeune adolescente. Sandra m'a interdit de vous en parler avant que la mission ne prenne fin, et comme elle n'a même pas encore débuté...

Elle se tourna vers Ayline.

-- J'ai un truc dans le ventre, expliqua Mae. C'est horrible, je pars demain à sept heures quarante-cinq.

-- Le trac, répondit la jeune fille d'origine turque. C'est tout à fait normal, je ressentais la même chose avant ma mission au Pays de Galle. Mais ne t'inquiètes pas, une fois que tu auras les mains dedans, tu seras presque heureuse de partir quelques temps loin du campus.

-- C'est vrai que sans compter l'Indonésie durant le programme d'entraînement initial, cela doit faire plus de trois ans que je ne suis pas sortie en dehors des murs de quinze mètres sous surveillance.

-- Bah, moi, tout ce que j'aimerai, c'est être à ta place, sourit Eden. Tu es sûre qu'ils ne recherchent pas un profil masculin et viril ?

-- Viril mes fesses, pouffa Ayline.

-- Désolée, mais je crois bien que les préparatifs sont faits et ne pourront plus être modifiés. Oh, et quand j'y pense, je vais passer toute cette mission avec Raven pour frère...

-- Mais il y a Kenneth, fit Fatiah. C'est un point positif.

-- Kenneth et lui sont un peu amis, mais Raven en veut à nous quatre pour l'histoire entre Ayline et Ryan, soupira Mae.

-- Même à moi ? demanda Eden, incrédule.

Mais personne ne lui répondit. Un silence gêné et glacé trônait maintenant dans la pièce. Ce fut Ayline qui brisa le silence, la voix rauque et sèche.

-- J'ai un exposé de Géographie à finir pour demain après-midi, gronda-t-elle en se levant. Bonne nuit.

-- Il faut que j'aille faire mes valises pour demain, dit Mae à contrecœur, en se levant à son tour.

Ils se saluèrent, puis les trois filles quittèrent la chambre d'Eden, avant de rejoindre leurs lits.

Après avoir terminé ses bagages, Mae se coucha sur son lit, et fixa le plafond. Les paroles d'Ayline pour lui confirmer que stresser avant une mission était normal l'avaient un peu apaisée, mais elle redoutait de devoir supporter Raven pendant une durée indéterminée.

En fait, plus que d'être déçue ou énervée par le choix de son coéquipier, Mae redoutait Raven.

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Vers une heure du matin, Mae se réveilla avec une envie pressante. Elle courut aux toilettes se soulager, puis retourna sous sa couette. Après de vaines tentatives pour se rendormir, elle dut se résoudre à marcher un peu dans les couloirs du campus.

Discrètement, elle poussa la porte de sa chambre et la ferma en silence. Elle marchait sur la pointe des pieds pour ne réveiller aucun des agents qui dormaient, et qui auraient sans doute une journée très chargée le lendemain. Quant à elle, elle n'aurait aucuns cours durant sa mission, et en était plus que ravie.

Le couloir était d'une obscurité glaçante, jamais Mae ne s'y était aventurée de nuit. Le silence, dans cette zone sombre et immobile, jouait le rôle du maître, la jeune agente n'étant que l'élément qui venait perturber ce demi-sommeil.

Enfin, un autre bruit, plus discret, venait troubler le clame omniprésent. Mae s'approcha de l'origine de ce bruit, intriguée, et vit qu'il s'échappait d'une porte entrouverte, qui laissait un trait lumineux fendre la pénombre du couloir. La jeune brune passa un oeil dans l'ouverture, et remarqua la silhouette d'Ayline, courbée sur elle-même, tremblotant de sanglots. La jeune fille avait les cheveux en désordre et le visage rouge et baigné de larmes, et elle portait encore les mêmes vêtements que la veille. Plusieurs manuels de Géographie étaient ouverts face à elle, sur le tapis de sa chambre.

Doucement, Mae poussa la porte et pénétra dans la pièce de son amie. Lorsqu'elle l'entendit arriver, Ayline leva la tête, les yeux gonflés.

-- Tu devrais aller dormir, fit-elle en un grondement étranglé. Tu as une mission qui commence, demain.

-- Pitié, Ay, pas de ça entre nous, sourit Mae.

Elle s'assit près de la jeune agente d'origine turque, qui poussa un long reniflement. Mae lui tendit un mouchoir posé sur son bureau, et Ayline se moucha.

-- Je… Tout se mélange, tout se complique, sanglota cette dernière. Ma mission était géniale, en plus j'étais heureuse que Ryan fasse enfin le programme, puis il m'a larguée en m'insultant, uniquement car il était frustré ! Ca fait deux mois qu'on ne s'est pas reparlé, mais je ne peut pas l'oublier, tu comprends ?

-- Ayline, souffla Mae. J'ai jamais vécu une histoire d'amour de toute ma vie. Mais tu sais comme moi que les garçons reviennent toujours vers nous, quand on leur manque trop.

-- Je doute que Ryan ne me regarde un jour comme avant, gronda amèrement Ayline. Il y a mille autres filles qu'il pourrait remarquer, dans ce campus.

-- Ne t'éternise pas là-dessus, ça te rend encore plus triste. Tu n'as pas encore fait ton exposé de Géo ?

-- Je n'arrive pas à me concentrer.

-- Alors je vais t'aider.

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Bip… Bip… Bip…

Mae ouvrit péniblement les yeux, et fixa l'écran noir aux chiffres verts de son réveille-matin. L'appareil affichait : 07:30. Après sa longue soirée de la veille passée en compagnie d'Ayline et d'un exposé de Géographie de trois pages A4 recto-verso, la nouvelle T-shirt gris se sentait exténuée. Elle mit un court moment à se souvenir que sa toute première mission débutait aujourd'hui.

Lentement, Mae se glissa hors du lit et marcha jusqu'à la salle de bain. Elle prit une rapide douche froide, qui fut désagréable mais qu'elle voulait vivifiante, se brossa les dents et s'habilla. Elle dut - à contrecœur - laisser son nouveau T-shirt gris dans son placard, et s'habilla d'un simple haut fleuri, d'un pantalon de jean skinny, d'un pull de laine mauve et de baskets Stan Smith. Elle se donna un coup de brosse dans ses cheveux encore humides, puis quitta sa chambre.

Elle atteignit le parking du campus en un rien de temps, empruntant des couloirs qu'elle n'allait pas revoir pendant une durée indéterminée. Sandra, Kenneth et Raven l'attendaient devant une Citroën grise garée non loin de la sortie.

La contrôleuse de mission semblait avoir prit dix ans : elle avait rejouté des mèches grises dans ses cheveux blonds et ses yeux avaient été alourdis par un far à paupières chair sombre, donnant l'impression de cernes. Elle avait modifié son style vestimentaire pour mieux correspondre à son rôle de mère des trois agents.

-- Bonjour Mae ! s'exclama-t-elle, joviale. Bien dormi ?

-- Oui, merci, mentit la jeune brune avec l'irrésistible envie de retourner sous sa couette. On en a pour combien de temps, entre le campus et Portesham ?

-- Oh, des heures ! s'exclama Sandra. Tu as l'air crevée, tu pourras roupiller dans la voiture.

-- On y va ? s'impatienta Raven, déjà à l'intérieur du véhicule.

Sandra obtempéra et ils prirent place à l'intérieur de la Citroën. La contrôleuse de mission alluma le moteur et ils roulèrent sur le sentier goudronné balisé jusqu'à l'ultime portail du campus. Les vigiles saluèrent la mission, et les caméras les fixèrent une dernière fois.

Ils s'engagèrent sur les petites routes qui allaient rejoindre les plus grande, les nationales, les autoroutes... Peu à peu, le bruit du moteur se fit plus régulier, la voiture se stabilisa, et Mae se laissa bercer par le ronflement de l'automobile grise.

Elle comprit alors que sa mission commençait maintenant.