Des fiançailles salvatrices

Chapitre 3 : Tentation

4576 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour il y a 3 mois

3.Tentation

 

 

Eriol siffla de bien-être alors qu’il pataugeait dans son bain chaud : il était enchanté de cette première rencontre avec sa pupille. Il sautillait presque dans l’eau. Il pensait qu’il s’ennuierait dans ce village perdu mais il avait déniché une perle des plus intéressantes. Il sourit en songeant à l’amusement à venir aux côtés de cette magnifique fleur sauvage.

Et cette bâtisse ! Ce lieu était véritablement exquis compte tenu de l’endroit où il se tenait. Sa chambre était spacieuse, même pour les critères de grands seigneurs, et décorée avec un goût certain. Certes, le mobilier était simple et peu travaillé. Pourtant, l’ensemble donnait un effet chaleureux et rendait le lieu accueillant.

La grande surprise fut la présence de cet onsen*. Il n’était pas courant d’en faire construire un dans des campagnes aussi reculées. Mais après tout, le domaine était situé dans le nord du pays et au flanc d’une montagne boisée. Il était logique qu’un onsen fusse aménagé afin de supporter la rigueur de l’hiver. Le seigneur Kinomoto avait été sage dans ses décisions. Cet homme réfléchi aurait certainement plu à l’émissaire de l’empereur. Ces idées auraient pu mettre en lumière certaines situations délicates se déroulant autour du monarque divin. En tout cas, Eriol félicita cet homme pour ce magnifique endroit.

Un peu plus tôt, dans sa chambre, les domestiques avaient prié Eriol de se changer pour ensuite le conduire vers ce lieu de béatitude. On lui avait même préparé un panier flottant, lui permettant de se restaurer tout en se détendant. Le jeune seigneur avait été au comble du ravissement. Rares étaient les fois où il avait été aussi bien accueilli.

Il s’appuya sur le bord du bassin avec un soupir d’aise. Il ferma les yeux, savourant la chaleur détendre ses muscles fatigués. Il fut interrompu dans sa relaxation par le bruit d’un corps entrant dans l’eau. En soulevant une paupière, il vit Shaolan s’installer en face de lui, la mine renfrognée.

Le garde du corps l’intriguait. Depuis l’annonce de cette mission, il semblait se rembrunir de plus en plus. Les lieux étaient pourtant plus enchanteurs que ce qui était prévu. Sans oublier que c’était une mission facile : trouver un fiancé à une jeune demoiselle de renom. Sa beauté ne ferait qu’accroître les demandes des maîtres des environs. C’était une histoire de quelques semaines. Et si les domestiques les gâtaient comme en ce moment, Eriol risquait de ne plus rentrer. Alors pourquoi arborer cet air belliqueux devant ces gens bienveillants ?

Un sourire naquit sur les lèvres du jeune malicieux. Et si il titillait ce guerrier ?

-Je n’aurais jamais cru qu’une telle fleur puisse pousser dans un endroit pareil. Elle possède une telle grâce, une telle dignité. Elle vaut bien toutes les geishas d’Edo.

 Shaolan tourna vers lui un regard noir. Sakura, une geisha ? C’était ternir sa vertu. Sa beauté était naturelle et non le fruit de savants artifices. De plus, la jeune fille n’usait d’aucun stratagème dans le but de séduire son entourage. C’était sa force : elle enchantait les gens sans une once de calcul. Elle était l’innocence même, ce qui en faisait une perle rare.

Depuis son entretien avec Sakura, le seigneur Hiragisawa ne manquait pas une occasion de faire l’éloge de celle-ci à l’énervement grandissant de Shaolan. Toutefois, ce dernier devait faire abstraction de ses sentiments ; il ne cessait de ressasser le passé et se bornait à se rappeler sa faute.

 Si seulement il avait pu changer ce qu’il en était, il serait en train d’enlacer la seule femme régnant sur son cœur. Parfois, quand la mélancolie et la rêverie s’emparaient de lui, il imaginait les nuits passionnées dans ses bras. Le couple se promènerait main dans la main dans le village de son enfance. Sakura lui offrirait un sourire radieux à chacun de ses retours de chasse. Et peut-être, attendrait-elle un enfant de lui… Fonder une famille avec elle était son plus grand désir impossible à concrétiser. Il sentit à l’évocation de cette envie son cœur se serrer.

 « Raaaah ! Pourquoi suis-je donc en train de me torturer l’esprit ? Tu dois l’oublier, bougre d’imbécile, pour son bien-être ! »

 -Seigneur, veuillez cesser de parler ainsi de ma maîtresse. Je ne peux tolérer un pareil langage à propos d’une personne aussi pure.

 Shaolan se tourna vers la servante qui venait de prendre la parole. Il reconnut la dévouée Naoko, ancienne nourrice de Sakura et servante au domaine. Naoko vouait une admiration sans borne pour la beauté et l’intelligence de sa maîtresse. Elle était également discrète ; le guerrier Read pouvait compter sur son silence.

La servante s’était approchée sans bruit, les bras chargés de linges propres. Elle était en train de les poser sur un meuble en osier quand elle avait entendu ces propos déplacés. Elle avait réagi au quart de tour. Elle sortait de son rôle de domestique et risquait d’être punie pour cela. Eriol en fut surpris, perdant par la même son air fanfaron. Shaolan sourit à son tour. Le sire Hiragisawa allait apprendre à connaître ce qu’était le véritable dévouement au sein du domaine Kinomoto. Et cela, au mépris des conséquences.

 -Ma maîtresse possède toujours sa vertu et je la protégerai corps et âme si l’occasion se présentait, continua Naoko. Veuillez faire preuve de respect en ces lieux.

 -Je ne doute en aucun cas de la vertu de votre maîtresse, elle ne sera qu’un atout supplémentaire pour conclure son mariage avec un noble prétendant. Il serait mal venu de s’apercevoir le jour de ses noces que sa virginité a été consommée par un inconnu.

 Shaolan se sentit rougir à cette remarque. Heureusement, les vapeurs d’eau pouvaient cacher l’état de son visage. Il n’avait point pensé à ce détail, trop préoccupé par l’anonymat de son identité. Néanmoins, ce « détail » s’imposerait comme important dans un futur proche. Certes, à l’époque, il avait sérieusement songé à épouser la demoiselle, sauvant ainsi sa réputation. Il avait dû y renoncer à cause de cet événement.

Shaolan s’enfonça dans l’eau. Sa mâchoire jusqu’au nez fut immergée. Il songea à la plus belle nuit de sa vie. Il l’avait déflorée avec douceur, avec tout l’amour qu’il lui vouait. Il avait été émerveillé par la douceur de sa peau, par ses gestes tendres et par cette timidité nouvelle. Il s’était donné autant qu’il avait pris. Cette intimité n’avait pas été que physique : cela avait été une communion.

 A présent, tout avait changé. Il ne méritait plus son amour, au contraire, il avait essayé de se faire haïr d’elle. Avait-elle lu ses insultes ? Dans son for intérieur, il espérait que non. Quel esprit contradictoire ! Il le fallait : il devait attiser sa haine. Elle allait prendre un mari. Elle allait se construire une nouvelle vie auprès d’un autre.

Avant la réalisation de ce projet, le problème de sa virginité se poserait tôt ou tard. Qu’allait-il faire ? Il devait la sauver de ses erreurs passées. Sakura ne méritait pas de subir l’infamie à cause d’un misérable tel que lui.

 -Je m’excuse pour mes propos et vous promets de ne plus émettre de telles ignominies envers votre maîtresse.

 Le guerrier tiqua. Il se tourna vers Eriol et l’observa attentivement. Pourquoi un seigneur s’excusait-il auprès de cette servante ? Ce seigneur d’Edo était soi-disant puissant, le favori de l’empereur, une place de choix dans ce monde d’intrigues. Lors de leur voyage, Shaolan l’avait déjà vu s’abaisser devant ses serviteurs. Il n’avait jamais connu de maître aussi dépourvu d’orgueil. Ce genre d’attitude n’appelait pas le respect. N’importe quel quidam pouvait le qualifier d’incapable.

Cependant, son regard changeait par moment : il semblait froid et calculateur. Pendant ces brefs instants, Shaolan se sentait mal à l’aise sans en expliquer la raison. Il comparait aisément le seigneur Hiragisawa à un serpent patientant tranquillement l’instant où il attraperait sa proie. Le guerrier se méfiait de cet air benêt affiché par ce représentant de l’autorité impériale.

 -Où se trouve votre maîtresse à l’heure actuelle ? questionna Eriol en exécutant des vagues de ses mains comme un enfant jouant dans l’eau.

 -Oh ! Elle doit sans doute vérifier que vous ne manqueriez de rien. Ma maîtresse est très prévenante et attentive aux besoins de ses convives. Souhaitez-vous la voir après votre bain ?

Le seigneur posa l’arrière de sa tête sur le rebord du bassin. Il ferma les yeux, semblant réfléchir à la question. Finalement, il répondit par la négative. Il se sentait harassé par ce voyage interminable. Il rêvait d’un confort que seule une chambre pouvait lui offrir.

-Je souhaiterais dîner avec elle ce soir. Informez-la, je vous prie, de mon projet.

Naoka s’inclina en signe de respect et abandonna les deux hommes.

Shaolan songea que c’était certainement sa chance de rencontrer Sakura avant sa rencontre officielle avec l’émissaire. Il devait lui expliquer l’importance du secret de son identité. Il était impératif qu’elle comprît la situation.

Discrètement, le jeune homme nagea vers le bord. Il saisit la serviette préparée par la servante. Il voulut s’en aller sur la pointe des pieds. Eriol avait conservé les yeux fermés. Les traits de son visage étaient détendus. Sa respiration régulière témoignait de son assoupissement. Shaolan n’en revenait pas de la facilité de sa future escapade. Il tourna le dos à l’onsen quand la voix glaciale retentit.

-Où allez-vous seigneur Read ?

Shaolan s’immobilisa et jeta un regard derrière lui. Il rencontra ces yeux calculateurs si étranges et sentit une gêne monter en lui. Le temps s’étira dans un silence malaisant. Le seigneur attendait une réponse.

Le jeune homme déglutit afin de reprendre contenance. Il n’allait pas se laisser déstabiliser par cet homme fade et sans prestige. Il se pencha en signe de respect.

-Veuillez excuser ma grossièreté, Seigneur, je pensais que vous vous étiez assoupi. Je désirais simplement vérifier que nos hommes sont également installés agréablement.

A cette explication, le visage d’Eriol s’éclaira et redevint naïf. Ses doigts jouèrent à éclabousser un être imaginaire.

-Je vous en prie, seigneur Read, faites ce que vous avez à faire. J’aimerais toutefois que vous reveniez à temps pour partager notre repas. Votre compagnie me serait agréable.

-Bien, Seigneur.

Le jeune homme s’éclipsa avant que son maître ne changeât d’avis.

Shaolan n’avait jamais été si habile à se vêtir en un aussi court laps de temps. Ses pas résonnèrent dans les couloirs vides. Ils étaient pressés et lourds. Ce constat démontrait de l’angoisse grandissante du guerrier. L’excitation et la crainte se mélangeaient dans son cœur à l’idée de revoir la source de ses fantasmes.

Il se doutait de ses habitudes malgré les années d’absence. Sakura se changerait sûrement pour une tenue plus souple afin d’être à son aise lors du dîner. Son kimono traditionnel, bien que la mettant en valeur tel un joyau, était trop encombrant pour manipuler avec grâce les baguettes. Il sourit en imaginant à quel point ce genre d’apparat devait la mettre en rogne. Sakura était synonyme de liberté, de sauvagerie et de beauté naturelle. Cette femme qui les avait accueillis, ce n’était pas sa Sakura.

Shaolan songea soudain à la broche qu’elle portait. Il avait eu une bouffée d’espoir en apercevant ce bijou parer ses doux cheveux miel. 

Instinctivement, il mit sa main dans sa poche. Celle-ci cachait un trésor. Incapable de contrôler son envie, il en sortit une étoffe. Il s’arrêta soudainement, caché dans une ombre du couloir. Il porta le tissu de soie vers son visage. Il savoura le délicat parfum de cerisier qui s’en dégageait encore. Ce mouchoir était brodé d’un motif de fleur de cerisier. Un loup richement travaillé trônait au milieu cette immense fleur rose. 

Au Japon, offrir une pince à cheveux à une jeune fille signifiait une demande en mariage. Lorsque la jeune fille se parait de cette pince, c’était une forme d’acceptation de cette demande. Sakura avait été si heureuse quand Shaolan lui avait offert cette pince à cheveux. Il revoyait encore son regard pétillant de bonheur. Il se détestait tellement d’avoir gâché tout ça.

Avant son départ, Sakura s’était empressée de lui présenter ce mouchoir. Elle avait demandé à un artisan couturier de reproduire les mêmes motifs que sur la broche. Ainsi, ils auraient été liés pour toujours. Ces symboles auraient été une promesse d’amour et de félicité uniquement connus d’eux seuls. C’était leur plus merveilleux secret.

Se souvenant de la fierté de Sakura à porter un tel cadeau, le jeune homme ne put réprimer un sentiment de honte. Il l’avait déshonorée, avec son corps, son âme et ses actes. Il devait à tout prix réparer ses erreurs. Pour l’heure, il devait impérativement se faire haïr d’elle. Ce serait à la fois une tâche aisée et pénible à accomplir. 

Sans s’en apercevoir, il arriva très vite devant les appartements de la maîtresse des lieux. Il fut étonné de l’absence de domestiques. Personne n’était présent pour l’annoncer. Il frappa doucement à la porte. Malheureusement, il n’obtint aucune réponse. Vérifiant que personne ne pouvait le voir, il eut l’audace de pénétrer dans ce lieu privé. 

A peine eut-il franchi la porte qu’une odeur de cerisier en fleur le submergea. Une bouffée de nostalgie l’envahit. Il se sentit presque coupable du bien-être accompagnant ce ressenti. La chambre était simplement décorée. La pièce était meublée d’un lit, d’une table de nuit et d’une chaise. Sur la table, étaient déposés un livre et quelques plantes. Shaolan sourit en se souvenant du don de sa petite magicienne. 

Il inspecta encore la pièce et nota un placard où étaient rangées de nombreuses tenues. Il se dirigea vers sa droite et fit coulisser la porte qui donnait sur le balcon. Le jour ne tarderait pas à faire place à la nuit. Il voyait déjà des couleurs orangées dans le ciel peu nuageux. Ce spectacle aux airs de tableau le calma quelque peu. Il s’approcha du bord de la terrasse en bois, savourant l’air frais de cette campagne qui lui avait tant manqué. 

Brusquement, la porte s’ouvrit et quelqu’un pénétra dans la pièce. Il entendit des gestes saccadés ainsi que des vêtements que l’on chiffonnait. Il revint à l’intérieur, ne s’attendant pas à cette vision. 

Sakura était à moitié nue devant lui. Elle lui présentait son dos si délicat, ignorante de sa présence. Elle se changeait devant lui, faisant valser avec une certaine rage les tenues somptueuses. Il n’eut jamais autant envie d’elle qu’à ce moment. Elle était encore plus belle que dans son souvenir. Son corps d’adolescente était à présent celui d’une femme aux formes sûres et à la peau parfaite. Il aurait tout donné pour pouvoir la toucher, la caresser. 

Du coin de l’œil, la jeune femme s’aperçut d’une ombre derrière elle. Elle sursauta, plaquant dans le même geste n’importe quel tissu capable de cacher son corps. Elle se retourna violemment. Un cri s’étouffa dans sa gorge. Mais bientôt, la surprise fit place à la colère. 

-Que faites-vous chez moi ? questionna-t-elle d’une voix méprisante.

Malgré son ton calme, on pouvait sentir son ire face à cette intrusion dans son intimité. 

Shaolan accusa le ton froid. Il inspira profondément, prêt à présenter son discours. Il rassembla tout son courage. Il se voulut impassible devant la déesse qui se présentait à lui : sa belle proche de la nudité, recouverte par une étoffe de fortune bleu nuit. La colère amplifiait sa beauté. D’un air suffisant et arrogant, Shaolan émit un petit rire cynique. 

-Tu me vouvoies maintenant ? 

-Nous nous connaissons ? Je n’en avais pas l’impression tout à l’heure ? 

-Sakura, ne joue pas les arrogantes avec moi. L’heure est grave. 

Il avait repris son attitude indifférente et sérieuse. Elle s’en aperçut immédiatement et se mit sur ses gardes. De quoi désirait-il l’entretenir ? De sa virginité perdue ? De la recherche d’un mari ? Au diable tout cela, il n’avait plus le droit de se mêler de sa vie. Elle le jugea du regard, la tête haute.

-La seule chose grave que je vois ici, c’est un homme qui est entré dans mes appartements privés sans y avoir été invité et qui, de surcroît, m’espionne lorsque je me change. 

-Pourquoi t’espionnerais-je ? Je t’ai déjà vue nue et plus encore… 

Il s’approcha à ces mots, faisant frémir d’effroi la régente du domaine. Voyant son émoi, Shaolan eut la décence de stopper son geste. Le jeu de séduction malsain avait des limites, même pour lui. Il n’était pas certain de résister lui-même à ses propres manigances.

-Mais tu te trompes, continua-t-il en la toisant de sa taille, je veux juste que tu me rendes un service. 

-Je n’ai aucun service à te rendre. 

-Sakura, pourquoi es-tu si agressive ? 

Shaolan ne comprenait pas ce débordement émanant de Sakura. Oui, il l’avait quittée pendant cinq ans ; il ne lui avait pas donné de nouvelles ; il était revenu tel un étranger ; il était dans sa chambre alors qu’elle se changeait. Mais tout cela n’expliquait pas cette haine qui semblait croître à chaque seconde dans l’émeraude de ses yeux. Il avait cru qu’une part d’elle serait tout de même heureuse de le retrouver. C’était la raison pour laquelle il s’inquiétait : il désirait lui inspirer du dégoût. 

-Pourquoi ? répéta-t-elle. Pourquoi ? Tu oses me demander pourquoi. Après …CA ! 

La maîtresse de céans le dépassa d’un geste impulsif, fondit sur le livre et en extirpa une lettre. Du moins, ce fut ce que crut Shaolan. Lorsqu’il s’aperçut de son erreur, son sang se glaça dans ses veines alors qu’elle exposait les salacités qu’il avait jadis rédigées. Sa bouche s’assécha. Sa respiration se bloqua. Il se figea sous le coup de l’émotion.

-Moi, je devrais poser la question, Shaolan : Pourquoi ? Pourquoi as-tu écrit cela ? Je croyais que tu m’aimais ? 

Elle abaissa son bras. Son corps, à l’apparence si frêle, fut pris de tremblements. Son visage était caché derrière le rideau de ses cheveux miel. Elle désirait masquer le trouble qui montait en elle. 

-Tu n’es qu’un sale… dit-elle d’une voix rauque.

Shaolan Read ne put supporter le mal-être de celle qui envahissait ses rêves. Inconsciemment, il la prit dans ses bras pour la consoler. Ses mains rencontrèrent la peau douce de sa compagne et ce contact l’ébranla. Il ne put résister à caresser son dos si agréable. 

Sakura fit mine de s’écarter. Elle frappa du coude comme elle le put en conservant le tissu sur sa poitrine. Shaolan ne la laissa pas s’échapper. Sa résistance n’était pas convaincante. Il raffermit son emprise, embrassant sa tempe gauche. Il redoubla l’intensité de ses caresses jusqu’à ce qu’elle se calmât.

De son côté, Sakura se répétait sans cesse qu’elle devait le repousser, que ce parjure ne devait plus la toucher, qu’elle faisait preuve de faiblesse en se laissant aller ainsi. Malgré tout, le front appuyé contre le torse tant désiré, elle savourait cette étreinte et cette odeur musquée. Il lui avait manqué. Elle se mordit les lèvres. Elle haïssait sa déficience. Elle souffrait de s’avouer à quel point cet enfoiré lui avait manqué. 

« Encore quelques instants et puis je le repousse. Juste un moment, ensuite je pourrais lui dire adieu. » 

La main du jeune homme remonta le long de ses hanches et entreprit de caresser sa joue tendre, l’obligeant par la même occasion à le regarder. 

Sakura s’étonna de ce qu’elle vit sur le visage de Shaolan. Son regard glacé et distant avait disparu. A la place, elle retrouva ces yeux pleins d’amour et d’inquiétude du passé. Pendant un instant, elle crut revenir à l’âge de ses 16 ans. Shaolan avait agi de la même façon lorsqu’elle s’était faite gronder par son père. Il avait vu sa tristesse et l’avait consolée de ses caresses. Était-ce possible qu’il l’aima encore ? 

Ne pouvant résister à une telle envie, le guerrier déposa un tendre baiser sur les lèvres de sa prisonnière. Il attendit un moment pour connaître sa réaction. Sakura fronça les sourcils, ébahie devant tant d’audace. Elle était mitigée entre une rage dévastatrice ou une passion aveuglante. Devant son apparente hésitation, Shaolan osa un autre baiser. 

Leurs bouches s’unirent comme dans le passé, oubliant ces années d’absence. Sakura céda à son désir en entourant de ses bras le cou de cet homme cher à son cœur. Le vêtement glissa au sol. Elle blottit son corps à moitié nu contre le sien ; sentant cette pression, il resserra son étreinte. 

Soudain, un éclair de lucidité survint dans l’esprit du guerrier. Il la repoussa violemment devant l’incompréhensibilité de celle-ci. Le jeune homme s’écarta de cette douce tentation. Il ramassa le tissu bleu nuit et le lui tendit en détournant le regard.

-Je suis désolé. Ça ne se reproduira plus. Sakura… Non, je veux dire lady Kinomoto, précisa-t-il en reprenant une voix pleine d’indifférence. Notre amour appartient au passé. Je suis entré au service du seigneur Hiragisawa selon le désir de votre parrain. Mon identité au domaine doit cependant rester secrète. Il en va des projets de mon seigneur Keroberos. Si vous désirez l’aider, vous devez jouer le jeu. C’était tout ce dont j’étais venu vous entretenir. Veuillez pardonner mon comportement déplacé. 

Shaolan s’inclina en signe de respect. Il avait parlé d’une voix dure, tranchante, en parfait contraste avec son geste. Il était redevenu l’être implacable et froid. Elle détestait cette attitude hautaine qu’il prenait avec elle, méprisait cet air suffisant. 

Sous le choc, elle resta sans bouger. Elle se sentait stupide. Elle serrait le vêtement contre elle, tel un bouclier capable de la protéger sa vertu. Elle aurait voulu se gifler devant tant d’idiotie de sa part. Où avait-elle donc la tête ?

Il ne l’aimait plus, c’était ce qu’elle avait compris. Il ne l’aimait plus mais la désirait toujours. Les faits étaient là. Aurait-il une autre faiblesse au point de lui proposer de devenir son amante au cours des jours à venir ? Non, ça, elle ne l’accepterait jamais. 

Elle se força à rassembler ses esprits. Elle devait se concentrer sur ce qui était vraiment important.

-Mon… mon parrain ?! Que vient-il faire dans cette affaire ? Et pourquoi dois-je taire ton -je veux dire- votre identité ? Ce jeu me paraît dangereux.

-Ecoutez, votre parrain a ses raisons et je ne peux en aucun cas les divulguer. La question est : allez-vous obéir à ce que réclame votre parent ? 

-Puisque je n’ai pas le choix… mais cela ne m’enchante guère. Votre maître semble être un piètre samouraï et un noble engourdi par les bonnes choses. Il est si superficiel et naïf qu’il ne remarquera rien. De plus, cela me répugne d’aider un être aussi immonde que vous. 

-Faites attention ! Mon seigneur n’est pas ce qu’il paraît être. Il cache des choses. Je le soupçonne d’être plus avisé qu’il aimerait le faire croire. Ne le sous-estimez pas et soyez prudente. 

Le guerrier se dirigea sans signe de reconnaissance vers la porte. Au dernier instant, avant de la franchir, il posa sur Sakura un regard plein de malice. 

-Vous sembliez moins répugnée, il y a quelques minutes, lorsque vous vous blottissiez de désir contre l’être immonde que je suis. 

Se laissant gagnée par la colère, elle prit le livre posé sur la table et le jeta à la tête de l’impudent. Ce dernier éclata de rire en franchissant le seuil de la porte sous les cris de rage de la belle. Cette dernière s’effondra sur le lit. Cet homme la troublait. Elle désirait se venger. Elle le ferait. Elle se le jura. 

Shaolan parcourait les couloirs avec tristesse. Cette dernière réplique lui avait coûté. Il se détestait d’être aussi vil avec elle. Toutefois, il fut satisfait : elle commençait déjà à éprouver du dégoût.



*onsen: Il s'agit de bains chauds, généralement communs, intérieurs ou extérieurs, dont l'eau est issue de sources volcaniques parfois réputées pour leurs propriétés ...


Mots de l'auteur


Merci d'voir lu ce chapitre. J'espère qu'il vous a plu. Le chapitre suivant ne devrait pas trop tardé. Bonne journée.


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