Des fiançailles salvatrices

Chapitre 2 : Des retrouvailles amères

5306 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 30/05/2024 15:46

2. Retrouvailles amères

 

La nouvelle maîtresse des lieux avançait d’un pas trainant dans les couloirs, laissant le bout de ses doigts effleurer le long des murs. Sakura soupira à défaut de hurler. Cela faisait deux mois qu’elle était enfermée dans sa propre demeure.

Elle était obligée de par la tradition de se terrer avec des vêtements sobres au fin fond de ses quartiers. Elle devait respecter le deuil de son père avec solennité. Il n’était pas approprié pour une jeune fille à marier de se montrer au monde alors que son père bien-aimé vient d’être enseveli. Sakura reconnut en son for intérieur que son géniteur méritait ce respect de sa part même si cela lui coûtait.

Aimant courir à perdre haleine et les grands espaces, elle tournait en rond et se sentait prisonnière. Elle en perdait l’appétit et sa joie de vivre. Elle s’ennuyait malgré ses tâches quotidiennes. Classer, ordonner, planifier, une tonne de documents atterrissait chaque jour sur le bureau de son père. La jeune femme s’en occupait non sans râler. Elle savait que c’était important pour le bon fonctionnement de ses terres. Cependant, tout cela était si fastidieux.

 Sakura sourit en pensant à sa liberté prochaine. Bientôt, elle pourrait rendre de nouveau visite aux villageois. Experte en magie médicinale, elle faisait office de médecin auprès de ces gens. Déjà toute petite, elle avait développé une certaine affinité avec les plantes.

Le seul caprice qu’elle avait exigé de la part de son cher père était la réalisation d’une spirale aromatique et d’un jardin médicinal. La camomille, par exemple, était une fleur odorante. La feuille, une fois séchée avec soin, pouvait être infusée pour adoucir les migraines et le stress du quotidien. Les plantes étaient parées de mystère et Sakura avait envie de tous les percer. Même les plantes dites impures et néfastes comme l’ortie pouvaient être délicieuses en purée ou efficace contre certains maux. Il ne fallait pas s’arrêter à l’aspect ou aux dires du peuple pour apprécier à sa juste valeur un végétal.

« Tout comme lui, pensa-t-elle avec un brin de nostalgie. Non ! Tu ne dois pas. C’est un parjure. Il n’a jamais été l’homme que tu imaginais. Chez lui, les épines visibles étaient réellement empoisonnées. »

A l’époque, Shaolan l’accompagnait souvent dans ses tournées médicales. Il était fasciné par son art. Le jeune homme admirait cette douceur naturelle qu’elle octroyait à chacun de ses patients. Il la contemplait avec un regard empli de fierté appuyé contre un mur ou assis au fond d’une pièce. Il effaçait sa présence de peur de la déranger mais restait bien présent en cas de problème, éternel protecteur de l’ombre. Sakura n’ignorait pas qu’il l’observait en douce, un sourire flottant sur ses lèvres. Cela lui plaisait. L’adolescente se sentait spéciale aux yeux du guerrier.

 Shaolan l’appelait « sa petite magicienne ». Il détestait les fleurs, arguant que leur pollen le faisait continuellement éternuer. Pourtant, il ne se dérobait jamais lors d’une cueillette à la recherche de plantes rares. Alors que Sakura était à genoux au milieu des herbes, Shaolan s’était assis à ses côtés sans rien dire. Sentant le poids de son regard, la jeune fille s’était redressée. Il en avait profité pour coincer une pensée sauvage derrière son oreille.

- Ça te va à merveille, ma petite magicienne. 

- NON ! Ça suffit ! se dit-elle à haute voix, au milieu des documents urgents à traiter.

 Sakura revint au moment présent. Elle ne put empêcher une larme de s’échapper. De rage, elle fit tomber la pile située sur sa droite. Le désordre s’accentua dans la pièce exiguë. Exaspérée, la nouvelle maîtresse se leva. Elle avait besoin d’air, aussi ouvrit-elle la fenêtre.

Attiré par le bruit incongru, un jeune homme pénétra dans le bureau et vint la rejoindre. Il se tint droit, les bras derrière le dos, attendant que la jeune femme lui adressât la parole. Il n’avait nul besoin de signaler sa présence, il savait que la dame l’avait remarqué. Finalement, Sakura se tourna vers lui. Elle le vit lui présenter un sourire bienveillant.

-Yukito ?

-Désirez-vous quelque chose ?

Sakura soupira pour l’ixième fois de la journée. Elle se massa les tempes pour calmer cette migraine naissante qu’elle sentait envahir sa tête.

-Sois franc. Qu’es-tu venu me dire ?

Le serviteur hésita. Il connaissait sa place. Même s’ils avaient partagé des jeux d’enfant, ils n’avaient plus du tout le même statut à l’heure d’aujourd’hui. Pourtant, sa jeune maîtresse n’avait plus d’appui ni de conseillers avisés dans son entourage direct. De plus, ils étaient dans un espace privé, sans qu’aucune oreille indiscrète ne vienne rapporter leurs rapports amicaux. Aussi, se permit-il d’être sincère avec elle.

 -Vous semblez soucieuse, maîtresse.

 -Yukito, tu peux m’appeler Sakura comme avant, du moins lorsque nous sommes en privé. Je suis peut-être devenue la régente du domaine mais je suis toujours ta meilleure amie.

 -Jamais je n’oserai. Vous êtes ma dame et je vous dois respect et obéissance. Je remplis mon devoir de majordome. Quant à vous, il serait peut-être temps de remplir le vôtre, à commencer par votre tenue.

Sakura gonfla ses joues en signe de contrariété. Elle s’était déjà faite réprimander par son ancienne nourrice à la vue de sa tenue délaissée : une vieille tunique déchirée par endroits mais tellement confortable.

 -Oh Yukito ! Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi. J’en ai déjà assez d’entendre ma nourrice et surtout Toya. Ils me rappellent sans cesse mes devoirs et exigent le port du kimono. Je veux rester libre.

Yukito ne put s’empêcher de pouffer face à cette réplique. Il masqua son sourire de son poing afin de rester digne devant sa dame.

 -Vous ne trouverez jamais un mari avec une telle mentalité.

 -Je ne désire pas de mari. Les hommes sont menteurs et blessants. Aucun homme ne pourra me combler.

 Son regard se baissa quelque peu et la tristesse gagna son visage. Elle répéta de sa faible et mélancolique voix « aucun ». Un silence gênant s’installa quelques secondes. Yukito ouvrit ses grands yeux gris d’incompréhension. Il n’avait jamais vu sa dame avec une telle peine affichée si ouvertement. Son cœur semblait meurtri.

Il décida d’évoquer un souvenir joyeux, en espérant raviver le sourire de sa maîtresse.

 -Aucun ? Vraiment ? Je me souviens d’un certain Shaolan qui ne vous laissait pourtant pas indifférente.

 -Arrête Yukito. Là, tu deviens insultant, le coupa-t-elle, un regard froid inhabituel habitant son regard de jade.

 Yukito baissa la tête et s’inclina en signe d’excuse. Sakura semblait bouleversée par cette conversation. D’habitude, l’évocation du jeune homme mettait du baume au cœur de la jeune femme. Depuis quand ce nom était-il proscrit dans cette demeure ?

Yukito ne fit aucun commentaire. Toutefois, il se promit de mener sa propre enquête. Il ne doutait pas que sa dame leur cachait des choses. Elle avait changé depuis qu’elle avait pris possession de ce bureau. Sakura était davantage taciturne et chagrinée pour une obscure raison. La mort de son précédent maître n’était pas la seule raison. Le serviteur en était certain.

Sakura n’osait avouer à sa maisonnée qu’elle détestait depuis peu songer à ce parjure. Comment expliquer ce rejet à ses gens ? Elle aurait été obligée de leur confier que cet ingrat lui avait dérobé sa virginité. Elle était impure à présent. C’était une raison supplémentaire de refuser toute demande en mariage. Le constat de son corps profané apporterait l’opprobre sur son nom et sa famille. La cheffe de famille avait tellement honte de son manque de clairvoyance.

Aucun des deux n’osa se mouvoir. Sakura avait conscience de son agressivité et la déplorait. Mais elle ne pouvait revenir sur ses paroles ou ses actes sans se compromettre en tant que dirigeante.  Ils n’eurent pas longtemps à rester dans cette position malaisante car Toya entra dans le bureau.

Toya était le chef des gardes personnels des Kinomoto et le conseiller militaire du précédent maître des lieux. Malgré sa jeunesse, il avait su s’imposer à tous par sa rigueur et son autorité naturelle. Plus jeune, il avait effectué tous les postes existants : garde de nuit, protecteur, soldat et même corvée de cuisine. De ce fait, il connaissait les difficultés des attributions de chacun. Il avait mis un point d’honneur à combler les lacunes et à former dignement les plus jeunes. Même les anciens félicitaient son ingéniosité et ce fut sans regret que certains lui avaient cédé la place.

Toya pouvait également se montrer très austère comme à cet instant. Il était habillé de ses vêtements officiels. Cela lui conféra un air digne tout en étant patibulaire. Il toisa Sakura de la tête aux pieds. Au froncement de ses sourcils et à son air pincé, la jeune maîtresse comprit qu’une nouvelle remontrance allait franchir ses lèvres.

 -Maîtresse, allez vous habiller !

 -Toya, je sais que tu es un maître d’armes exemplaire mais tu dépasses tes fonctions.

 -Cessez ce jeu avec moi et allez vous habiller dignement selon votre rang. Je suis toujours votre aîné. N’oubliez pas qui vous bottait les fesses dans votre jeunesse.

Sakura lui tira une langue sans une once de dignité ou de raffinement. Le guerrier esquissa un sourire avant de se reprendre. Yukito ne put s’empêcher de se réjouir de cette légèreté. Seul Toya avait le don d’apaiser sa maîtresse. Cet homme était vraiment doué en tout. Derrière cette froideur se cachait un être attentionné et chaleureux.

-Une escorte de cavaliers arrive à vive allure, reprit-il sans évoquer cette grossièreté chez Sakura. Elle porte les emblèmes impériaux. Vos devoirs exigent que vous les receviez dignement dans la salle du conseil avec le kimono traditionnel.

 Sakura sursauta à cette nouvelle. Des visiteurs impériaux !  La dame n’imaginait pas qu’ils viendraient si tôt. Sans demander son reste, elle appela ses domestiques pour se préparer à recevoir ses invités. Elle partit sans refermer la porte. L’élégance semblait bel et bien l’avoir abandonnée.

Se retrouvant seuls, Yukito en profita pour observer avec bienveillance Toya. Ce dernier le remarqua rapidement. Il jeta un œil à la porte ouverte. Aucune trace de Sakura. Il s’avança pour la glisser doucement. Se retournant vers son ami, il le questionna sur son attitude.

 -Tu ne peux t’en empêcher, n’est-ce pas ? sourit Yukito

 -Je ne vois pas de quoi tu parles.

 -De jouer au grand frère avec notre dame. Tu as toujours eu une affection particulière pour elle. Parfois, tu te montres un peu trop protecteur.

 -Serait-ce un reproche que j’entends là ? Oui c’est vrai, notre chère petite Sakura a beau avoir grandi, je ne peux m’empêcher de veiller sur elle. Mais, j’ai une plus grande affection pour une autre personne.

 Yukito ouvrit des yeux étonnés. Il resta interdit devant cette déclaration. Toya venait de se dévoiler. Le majordome n’espérait pas un tel aveu de cet homme d’habitude si secret.

Complètement médusé, le domestique ne réagit pas à l’approche du maître d’armes. Il eut une vague pensée sur cette démarche féline et en ressentit un frisson le long du dos. Lorsque Toya se pencha sur lui, il ne réagit pas davantage. Sa bouche devint subitement sèche. Ils étaient seuls, dans un lieu intime où personne ne viendrait les déranger. Cette intimité lui donnait des papillons dans le ventre. Yukito se mit à apprécier cette sensation.

Le majordome ne put réprimer un sentiment de déception quand il reçut la main de son aîné sur l’épaule. Qu’avait-il espéré un quart de seconde ? Yukito n’en était pas certain et ignorait s’il devait en tenir compte. Après tout, ils étaient amis depuis de nombreuses années et ils servaient les mêmes maîtres.

Malheureusement, son cœur n’était pas du même avis. Il battait la chamade en réalisant l’incroyable proximité de leurs visages. Toya, de son air implacable, le scrutait en silence. Apparemment, il attendait quelque chose : un signe, un geste peut-être une parole de sa part. Au bout de quelques instants, il abandonna cette posture et donna ses ordres.

 -Allez, mon ami, il est temps de recevoir ces gens en faisant honneur à notre maîtresse bien-aimée.

 Yukito se ressaisit à cette injonction et articula un « oui » dynamique en guise de réponse.

  

 

Shaolan regarda avec appréhension le bâtiment face à lui. Il se remémora ses jeux d’enfants avec Sakura dans ces murs. Elle respirait la joie de vivre, un sourire perpétuel aux lèvres, un sourire d’enfant. Il avait toujours été fasciné par ses yeux pétillant de malice. Ce qui lui manquait le plus, c’était ce parfum de cerisier se dégageant de sa peau. Elle portait bien son nom. Et cette nuit-là, l’unique qu’ils avaient partagée ensemble, il s’était enivré de ce parfum.

Il aurait offert son âme pour être uni à cet être exceptionnel mais la réalité était tout autre. Elle ne devrait jamais découvrir ses sentiments et son désir envers elle. Avait-elle lu ses insultes non fondées ? Non, il ne le pensait pas : le seigneur Kinomoto n’aurait jamais infligé une telle déchéance à sa fille chérie.

Son cheval fit un écart. Il le calma d’une caresse. À sa gauche, reclus dans son carrosse, Eriol Hiragisawa râlait entre ses dents sur le temps d’attente. Shaolan ne partageait pas son impatience mais il prit garde de ne point l’exprimer à voix haute. Cet homme le perturbait inlassablement. Il sentait que derrière ces airs mollassons et cette futilité se cachaient une autre personnalité. Shaolan n’arrivait pas à déterminer le danger que lui inspirait le favori du roi. Que cachait-il derrière ces lunettes ? Le guerrier avait compris que le noble cachait une partie de son expression faciale à l’aide de cet objet. Il révélait ainsi en partie ce qu’il pensait vraiment de son entourage.

Enfin, un garde vint leur annoncer l’autorisation de pénétrer dans le domaine. A pas lent, les chevaux pénétrèrent dans la cour centrale. Des samouraïs étaient rangés pour faire honneur aux représentants de l’empereur. Eriol ne put s’empêcher de murmurer son mécontentement à Shaolan.

 -Par Bouddha ! Quel patelin perdu ! J’espère que la maîtresse possède une quelconque beauté sinon je vais m’ennuyer à mourir dans cet endroit sordide. Le village est même trop petit pour détenir un lieu divertissant pour les hommes. Ah ! La capitale me manque !

 Shaolan sourit intérieurement une nouvelle fois à la remarque de son maître. Si seulement il connaissait les qualités de sa Sakura, il saurait qu’il n’aurait jamais le temps de s’ennuyer. Décidément, il ne comprenait pas la réaction d’Eriol.

Cette terre prodiguait un bon riz. La population mangeait à sa faim. La nature entourait ces territoires et offrait de grands espaces de liberté. On était moins oppressé qu’à la capitale. Les gens étaient accueillants et chaleureux. Chacun aidait son voisin. On ne pouvait pas se sentir seul ou abandonné ici. Sans oublier que la taverne offrait le meilleur alcool de riz de la région. Il y avait toujours une bonne ambiance là-bas, contrairement aux bars sordides de la capitale où finissaient des poivrots aux manières peu recommandables.

« Cela aurait été merveilleux de m’établir dans un tel lieu », songea-t-il avec nostalgie.

 Son attention fut attirée par deux hommes se dirigeant vers eux. Un homme grand, au visage impassible, marchait d’un pas assuré à la façon des militaires endurcis : Toya n’avait point changé après ces cinq années de silence. Un homme plus petit et à la démarche plus hésitante mais néanmoins certaine le suivait avec un peu de recul.

 D’un même mouvement, il se baissèrent selon le salut traditionnel. Toya les présenta.

 -Toya Kirono, maître d’armes et capitaine de la garde du domaine de Tomoéda. Voici Yukito Tsukishiro, majordome en chef de la maisonnée. Nous sommes tous deux au service de la dame Kinomoto. Elle vous fait savoir qu’elle est enchantée de votre visite et qu’elle vous attend dans la salle du conseil pour vous recevoir selon votre rang.

 -Je te remercie maître d’armes. Je suis Eriol Hiragisawa, je suis ici pour représenter l’empereur. Pourquoi ta maîtresse n’est-elle point venue nous saluer elle-même ?

 -Elle s’excuse de son absence mais votre visite l’a quelque peu surprise. Elle ne vous attendait pas si tôt. N’y voyez ici aucun reproche : nous sommes une terre éloignée et modeste.  Notre dame est en train de donner des ordres pour vous préparer des appartements et un bain afin que vous vous reposiez de ce long périple.

 -Bien bien ! J’accepte ses excuses. Mes hommes et les chevaux ont besoin de repos. Je vais charger un de mes plus fidèles serviteurs de s’occuper de l’intendance pendant que je vais rencontrer votre maîtresse. Shaolan !

 Un jeune samouraï se détacha de l’escorte et se plaça aux côtés du seigneur Hiragisawa. Il secoua brièvement la tête pour signifier son attention et sa soumission à ses ordres. Yukito et Toya tiquèrent à l’appel de ce nom mais ne réagirent pas.

 -Voici Shaolan Read, mon serviteur en qui j’ai le plus confiance. Shaolan, tu vas t’occuper de l’intendance et de la répartition des hommes, dès que tu as fini, rejoins-moi dans la salle de conseil.

 -Bien maître.

 Yukito et Toya se raidirent devant cette présentation d’un membre de leur famille. Pourquoi cette attitude froide et distante ? Dès qu’Eriol s’éloigna, Toya fondit sur le jeune homme. Cinq ans sans nouvelles et voilà que cet avorton revenait fier comme un paon aux côtés d’un noble impérial. Il ne laisserait pas passer cet affront. Il avait été son apprenti et Toya n’hésiterait pas à lui faire mordre de nouveau la poussière si les réponses attendues ne lui convenaient pas.

Quelque chose dans le regard du garçon l’empêcha d’aller au bout de sa démarche. Toya s’était toujours vanté d’avoir un instinct efficace en cas de danger. En croisant le regard déterminé de Shaolan, ses questions moururent sur ses lèvres. Ce n’était pas un vantard qui se tenait devant lui mais un homme capable du pire si on le titillait. En son for intérieur, il se promit de tirer tout cela au clair dès qu’ils seraient dans un endroit plus privé.

 -Aucune question, aucun commentaire, siffla Shaolan à leur attention. Vous ne me connaissez pas et ne m’avez jamais vu. Est-ce clair ? Je vous expliquerai tout en temps utile. Faites passer le mot à vos hommes pour qu’ils ne s’adressent pas aux miens.

 -Dis donc morveux, pourquoi obéirais-je à tes ordres surtout lorsque tu affiches un tel comportement ?

 -Pour le bien-être de ta maîtresse, maintenant plus de question. Ayez confiance en moi, en souvenir de votre maître, en souvenir de notre complicité passée, je vous en prie.

 Toya vit la tristesse et la prière sourde dans les yeux de son ancien apprenti. Dans un soupir d’exaspération, il acquiesça de la tête.

 -Tu ne t’en tireras pas comme ça. Cette discussion est juste remise à plus tard. Bon, en attendant, occupons-nous de cette intendance.

 

 

 Eriol Hiragisawa, noble de la cour impériale et favori du roi, pénétra avec suffisance dans une grande salle aux peintures riches. Il fut étonné de la splendeur des lieux dans un village aussi rustique. Un tapis violet aux broderies argentées ornait la salle jusqu’à un siège surélevé où trônait la plus belle apparition de sa vie. Une jeune fille, à la beauté indiscutable, se tenait devant lui.

La dame portait un kimono aux couleurs rose et violet brodé d’or. Ses beaux cheveux miel étaient retenus dans un chignon sophistiqué. Ce dernier était piqué de deux pinces à cheveux représentant des cerisiers en fleurs et un loup. Eriol admira cette peau de pêche, ce visage en forme de cœur et ces yeux si semblables à des pierres précieuses. Malgré l’absence de maquillage, le noble dut admettre que ses traits étaient véritablement divins. Les seules parures garnissant sa tenue étaient un bracelet de jade et un collier issu de la même pierre. Cette jeune fille faisait dignement honneur à son rang et à sa famille. Il serait aisé de la marier rapidement et ainsi quitter cet endroit isolé.

 Eriol s’approcha respectueusement vers cette beauté de la nature. Il était ravi d’avoir pour pupille une telle dame. Scandaleusement, il se demanda s’il ne pourrait pas être l’heureux élu de sa quête. Il avait de quoi l’entretenir. Beaucoup disaient qu’il était un parti favorable. En quoi cela serait-il désagréable d’être sienne ? Un petit sourire naquit à cette pensée. Il se promit de l’étudier davantage au calme après s’être entretenu avec la belle. Il devait s’assurer que les promesses de son apparence étaient conformes à ses actes et ses manières.

Eriol s’agenouilla à quelques mètres d’elle et après avoir présenté ses respects, attendit calmement. Sakura se baissa à son tour et présenta également ses respects et renouvela, personnellement cette fois-ci, son plaisir à le recevoir en sa demeure.

 -Je suis Sakura Kinomoto, héritière et maîtresse de Tomoéda. Puis-je vous demander votre identité et la raison de votre visite en ces lieux ?

 -Je suis Eriol Hiragisawa, représentant de l’empereur. Notre souverain bien-aimé a entendu votre requête et me charge de vous aider. Pour ce faire, j’ai pour mission de chasser les mécréants qui viennent sur vos terres. Je dois également choisir un mari digne de vous qui saura vous mettre à l’abri du besoin et vous offrira amour et protection.

 -Je vous remercie et je remercie l’empereur d’avoir accédé à ma requête. Cependant, je suis encore un peu jeune pour prendre un mari. De plus, un document issu de l’empereur doit, je crois, officialiser cette demande auprès des jeunes gens nobles de la région. Or, aucune rumeur ne m’est parvenue en ce sens.

 -Mademoiselle, vous avez l’âge qu’il faut, ainsi qu’une dot assez importante pour prendre un bon mari. De plus, je détiens la dépêche que vous réclamez. Je vous en prie.

 Eriol sortit de son kimono de voyage un rouleau entouré d’une corde rouge. Une servante se leva immédiatement et prit le parchemin tendu pour le tendre, tête baissée, à sa maîtresse. Aussitôt après elle se replaça à sa position initiale.

 Sakura déroula le document et le lut attentivement. Il y était écrit tout ce que sire Hiragasawa venait de lui annoncer. Le sceau impérial confirmait l’authenticité du document et rendait la demande indiscutable. Dieu, elle allait devoir se marier et renoncer à sa liberté. Son enfance était loin à présent. Elle eut une pensée nostalgique pour son père.

 -Avez-vous déjà choisi des prétendants ? demanda-t-elle sans le regarder, trop inquiète de la suite des événements.

 -Non, pas encore. Je désirais évaluer d’abord vos biens et m’occuper de ces pillards avant toute chose. Toutefois, je ne pense pas que ma venue passera inaperçue avec tous les hommes qui m’ont accompagné. Je pressens que vous aurez bientôt d’autres visiteurs.

-Des pique-assiettes, oui ! marmonna-t-elle malgré elle.

-Plaît-il ?

-Je pensais simplement à voix haute. Peut-être désirez-vous vous reposer avant ces tâches ? J’ai fait demander un bain pour vous. Cela vous convient-il ?

 -Assurément mais j’attends mon second avant de partir me désaltérer.

 -Votre second ?

 A cet instant, une domestique annonça le second en question. Shaolan entra paré de son armure verte de Samouraï. Interdite, Sakura posa le rouleau à ses côtés. Même si elle l’aurait voulu, elle n’aurait pu oublier. Comment faire pour effacer ce visage de sa mémoire ? Ces yeux chocolat, cette tignasse brune, ce corps si fort qui avait su se montrer si doux. Inconsciemment, la jeune fille agrippa ses genoux d’un geste nerveux. Elle n’en croyait pas ses yeux. Cet homme devait être un mirage. Il était impossible qu’il fût réellement en ces lieux en cet instant.

 Impassible, Shaolan avança respectueusement vers les deux nobles et s’agenouilla en posant une main sur sa poitrine.  Il attendit, les yeux baissés, un geste de son maître. C’était mieux ainsi. Il aurait été incapable de la regarder sans avoir envie de la toucher. Cela était défendu. Il avait perdu ce droit. Il n’était pas digne d’une telle dame. Malgré tout, il sentait son cœur tambouriné dans sa poitrine. Il souffrait d’être si près et si loin d’elle. S’il relevait la tête, est-ce qu’elle lui sourirait comme dans leur adolescence ?

 -Voici Shaolan Read, mon second. Il m’aidera à veiller sur vous et sur vos terres. Bien ! Maintenant que les présentations sont faites, j’ai hâte de savourer ce bain.

 Sakura fixait Shaolan avec incompréhension. Pourquoi cet homme venait-il de les présenter ? Ignorait-il leurs liens ?

Shaolan relava la tête. Sakura put rencontrer ce regard froid et implacable qui lui signifiait le silence. Ses doigts étaient blancs tellement elle serrait ses mains sur ses genoux. Toutefois, rien dans son attitude ne démontrait un quelconque malaise de la situation. Elle lui refusait la moindre sympathie. Au contraire, face à un tel mépris pour ce qu’ils avaient été, Sakura lui rendit ce regard distant à défaut de lui exprimer ouvertement du dégoût.

Alors, Shaolan sut qu’il l’avait perdue. Il ne lui en voulut pas. Il méritait cette indifférence. Il avait œuvré en ce sens. Il ignorait simplement à quel point cela était douloureux de la part de celle qu’il avait chérie.

 Une servante salua les deux visiteurs. Elle les invita à la suivre. Les bains personnels de la maison étaient prêts et n’attendaient plus qu’eux. Eriol se leva en marquant une dernière fois son respect et se dirigea vers la sortie. Shaolan exécuta les mêmes gestes avec plus de lenteur, assommé par ce premier échange. Arrivé à la porte, Eriol sembla se rappeler quelque chose et se tourna vers le jeune homme.

 -Shaolan, veux-tu bien récupérer le message de l’empereur aux pieds de la dame Kinomoto.

 Shaolan fit rapidement demi-tour pour se pencher aux pieds de Sakura. Celle-ci l’observa sans réagir, contrôlant sa respiration pour ne point se trahir. Il se releva doucement et captura son regard. Le temps semblait s’arrêter entre eux. Ni l’un ni l’autre n’osait bouger. Shaolan aurait tant voulu lui confier certaines choses… Il déplora l’ambivalence de ses propres sentiments.  Quant à Sakura, elle pinça les lèvres, prête à lui cracher à la figure. Comment osait-il autant d’impudence ? Il l’avait déjà salie une fois. Elle ne le laisserait pas réitérer ses méfaits.

Brisant ce silence entre eux, Shaolan se décida de lui murmurer les mêmes demandes qu’il avait précédemment faites à ses vieux amis.

 -Sakura…

 -Shaolan, le bain nous attend !

 -Oui, seigneur !

 Il sembla hésiter un instant puis se précipita rejoindre son maître. Tous deux quittèrent la pièce. Sakura demanda à rester seule et s’autorisa enfin à respirer. Elle ne comprenait pas la scène qui venait de se passer. Mais qu’importe, Shaolan était de retour dans ces murs. Jamais elle ne pourrait lui pardonner son outrage.

 Dans un geste las, elle défit ses cheveux pour récupérer un peu de sa liberté passée. Elle examina la broche dans ses mains. Elle sursauta en la reconnaissant. Elle était en argent, une tige longue et fine avec au bout un cercle représentant le profil d’un loup entouré d’une fleur de cerisier. Le dessin était peint avec raffinement à la main. Shaolan la lui offert en promesse de son amour éternel.

 Avec rage, elle jeta l’objet de l’autre côté de la pièce. Pourquoi avait-il fallu que ses domestiques aient choisi cette parure aujourd’hui ? Elles n’étaient pas au courant de sa venue. Fallait-il voir là un signe du destin ? Les larmes commencèrent à couler sur ses joues. Elle avança tremblante vers l’objet. Elle était indécise sur son prochain geste : l’écraser et le réduire à néant ou bien… D’une main hésitante, elle le ramassa. Envahie par des sentiments contradictoires, elle porta la parure à ses lèvres. Elle avait l’impression d’embrasser son passé, comme un adieu de ce que les amants avaient été l’un pour l’autre.

Apaisée par cette pensée, Sakura Kinomoto releva la tête. Elle se fit une promesse. Jamais elle ne ferait preuve de faiblesse envers ce parjure. Jamais !


Mot de l'auteur


Merci d'avoir lu ce deuxième chapitre. Cette histoire sera écrite en 13 chapitres. J'espère avancer rapidement et rattraper mon retard de ces derniers jours. À la prochaine!


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