Elementary

Chapitre 17 : Besoin d'air

5462 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 17:44

 

 

 

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Chapitre 17

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Dans la chambre de Meiling, dont les rideaux avaient été gardés fermés, Sakura ouvrait enfin les yeux. Le moment que Shaolan attendait si ardemment. Il n’avait pas bougé. Il était resté là, à ses côtés, surveillant de près sa respiration.

Un peu à l’ouest, les paupières de la jeune fille papillonnèrent quelques instants avant qu’elle ne remarque la présence du beau brun au bord du lit. Elle se mit alors à sourire.

« Bonsoir, se contenta de lancer Shaolan, en lui rendant cette douce expression.

– Bonsoir. »

Le regard qu’ils s’échangeaient montrait la même lueur. Ce n’était qu’un seul petit mot, mais par l’intonation et l’expression qui l’accompagnaient, il en devenait impossible de le nier. L’atmosphère était… intense. Profondément charnelle. Ce désir réciproque se laissait deviner au bout de leurs lèvres entrouvertes.

La main de Shaolan couvrit délicatement celle de la jeune fille, l’effleurant à peine. Ce simple contact réveilla une délicieuse sensation de fourmillements dans le bas ventre de Sakura… Ses pupilles se dilatèrent. Elle était troublée par le tumulte qui s’emparait d’elle.

« C’est trop puissant… » chuchota-t-elle, croyant qu’elle se parlait à elle-même.

Le sourire mutin de Shaolan redoubla. Il savait bien ce qu’elle devait ressentir maintenant… La belle hybride était pleinement éveillée. Ses émotions devaient être exacerbées. Pire encore. Toutes ces transformations l’avaient mise dans un tel état de fébrilité qu’un simple souffle, chaud et humide, contre sa peau pourrait la faire sombrer dans ses plus bas instincts.

« Ne te retiens pas. »

Il eut à peine le temps de prononcer cette phrase que Sakura empoigna son col pour l’embrasser à pleine bouche. Shaolan se pencha pour approfondir le baiser, alors que ses mains quémandeuses commençaient à explorer la silhouette féminine. Elle s’agrippait à lui de toutes ses forces, comme s’il eut été capable de s’enfuir si elle ne le faisait pas. Il était à elle dorénavant… Cet élan de possessivité lui était nouveau et, étrangement, elle adorait ça.

À bout de souffle, ils s’éloignèrent un peu. Shaolan colla son front contre celui de celle qu’il aimait tant. Il adorait voir ce qu’il provoquait chez elle… Elle avait les yeux brillants, une respiration lourde, les joues rougies par l’empressement et l’excitation.

« Je ne m’attendais pas à tant d’énergie… la taquina-t-il, d’une voix rauque.

– Parce que Monsieur s’en plaindrait peut-être ? rétorqua-t-elle en haussant un sourcil.

– Certainement pas, Madame. »

Au même moment, il vira ses chaussures, comme la couette qui couvrait Sakura et se plaça au-dessus d’elle. Il se fraya un chemin entre ses cuisses pour les remonter autour de sa taille. Les joues de la jeune fille s’empourprèrent violemment quand elle prit conscience qu’elle n’était habillée que d’un simple t-shirt et d’une culotte en coton blanc. Déjà vu...

« Attends, Shaolan... »

En réponse, l’hybride déposa sa paume de main contre la joue de la jeune fille. Elle était bouillante. Il se rapprocha jusqu’à lui faire sentir la chaleur de son souffle.

« Tu veux vraiment que j’attende… Sakura ? »

Son cœur battait dans sa poitrine avec une telle force qu’elle en avait mal. C’était vraiment trop pour elle. Mais en croisant les prunelles ambre de Shaolan, elle ne put s’empêcher de craquer… Oui, elle le voulait. Elle le savait maintenant, elle en était persuadée. Elle n’avait plus à hésiter. Quelque chose se contracta, là, en bas. Sa libido s’enflammait.

« Shao... »

Tout à coup, on toqua à la porte. Shaolan releva la tête d’un coup, dominant toujours de tout son long une Sakura pantelante. Brisé ce contact qu’il avait toujours désiré était inimaginable pour lui.

« Fais chier, grommela-t-il, c’est qui ? » demanda-t-il d’une voix plus forte.

En réponse, l’importun ouvrit la porte dans un grand fracas. Toya était maintenant face à eux, fulminant de colère. Il analysa rapidement la situation : Sakura, étendue sur le lit, les joues rouges, à peine habillée, les cheveux en pagaille… Au-dessus d’elle, un prédateur, placé entre ses cuisses, l’air beaucoup trop entreprenant. Un agneau, un loup. Il se rua sur Shaolan pour l’empoigner et l’éloigner de Sakura d’un coup bref.

« Toya ! Lâche-le ! hurla Sakura, effarée.

– Je vais lui apprendre, moi, à toucher à ma petite sœur ! »

Shaolan ne broncha pas. Il faisait face à Toya qui le maintenait fermement par la chemise, dévoilant une belle partie de ses abdominaux. Il connaissait que trop bien le côté protecteur de ce grand frère, il s’y était déjà frotté de près quand Sakura avait décidé de repartir chez elle sur un coup de tête. Mais cette fois, la situation était clairement différente… Il restait calme, silencieux. Au fond, il savait bien que ce qu’il s’était apprêté à faire à la jeune fille… n’était pas de toute innocence.

« Ce n’est pas à toi de décider ! renchérit Sakura. Je n’étais pas contre le... »

Elle se coupa net. Les deux jeunes hommes tournèrent un regard interloqué vers elle. La pauvre devint plus rouge encore. Même elle semblait choquée par ses propres mots.

« Pas. Contre ? »

Toya ne parvenait pas à enregistrer ces informations. Pour lui, ce n’était encore qu’une enfant, une gamine dont la morve pendait au nez, chouinarde et capricieuse. Une petite chose sans cesse terrorisée par ses cauchemars, se refusant à avouer combien elle avait besoin d’affection. Et là, elle…

« Papa… Papa est ici ? » tenta Sakura, comme pour s’échapper.

Toya, sans montrer la moindre émotion, relâcha lentement Shaolan, tout en continuant de fixer sa sœur. Ses épaules se relâchèrent. Son esprit combatif l’abandonna, pour ne laisser place qu’à l’incompréhension, le désarroi et une pointe d’horreur. D’une voix quelque peu étranglée, il répondit tout de même.

« Il est en bas.

– Super, je vais le voir dans ce cas. »

Elle se releva rapidement, avec un sourire timide.

« Je… je te conseille d’enfiler quelque chose, quand même, déclara-t-il en lui tournant le dos.

– C’est ce que j’allais faire ! Tu me prends pour qui ? »

Toya jeta un petit coup d’œil à sa cadette. Elle avait les sourcils froncés, la mine boudeuse… comme au bon vieux temps.

« Alors fais-le, petit monstre.

– T’as dit quoi là ? » hurla-t-elle à pleins poumons, en tentant de choper un coussin.

Mais, une fois armée du petit cube duveteux, elle se rendit compte que l’aîné avait déjà pris la fuite. Elle tourna son regard vers Shaolan. Il se retenait clairement de rire, mais la lueur moqueuse qui animait ses yeux suffisait amplement à agacer la jeune fille.

« Je te préviens, tu ferais mieux de te taire.

– Petit monstre ? lâcha-t-il en redoublant son sourire.

– Tu veux mourir ?

– Raaaanh… Te fâche pas, je trouve ce surnom a-do-rable ! Et assez approprié…

– Connard. »

Sans lui accorder plus d’attention, elle se dirigea vers l’armoire qu’elle ouvrit en grand. Un pantalon, un pantalon… Et alors qu’elle s’affairait à trouver de quoi s’habiller, le regard de Shaolan s’égara sur ce corps qui le provoquait inconsciemment. Elle se mettait sur la pointe des pieds, pour se saisir d’un jean, allongeant ainsi ses jambes déjà si fines. Pour le bref contact qu’il avait entretenu avec elles, Shaolan pouvait certifier qu’elles étaient d’une incroyable douceur. Ses yeux remontèrent vers un lieu plus prompt aux pensées libidineuses. Oui, ce n’était pas très saint de la mater comme il le faisait, mais merde quoi, il avait quand même été vachement excité avant que le frère relou ne fasse son entrée.

Sakura, qui s’était sentie épiée, lança un petit regard en coin.

« Tu pourrais préserver un minimum de pudeur, tu ne crois pas ? »

Sans répondre, Shaolan s’avança pour se saisir de ses hanches. Elle sursauta. Elle voulut se retourner mais il se plaqua contre elle, l’empêchant de bouger. Cette soudaine proximité et, surtout, ce contact dur et chaud contre son fessier… la fit rougir brutalement. Le jeune hybride profita de son égarement pour murmurer à son oreille.

« Ta famille est en bas, donc je ne peux pas me permettre de t’emprunter plus longtemps, mais sache que je ressens toujours le besoin pressant de finir ce que j’ai commencé… »

Sa voix lui avait-elle toujours parue aussi rauque ? Sakura ravala sa salive. Bon Dieu, même si elle n’avait jamais eu d’expérience en la matière, elle pouvait sentir qu’elle en avait envie. De façon violente, sauvage, primitive. Elle l’imaginait, la soulevant, puis la jetant sur lit, la couvrant de baisers brûlants, la déshabillant avec urgence pour la… Putain de merde… Elle sentit la main de Shaolan, impérieuse, se glissait d’un seul coup entre ses cuisses. Elle était trempée. Il insista un peu, du bout de son index, pour titiller sa perle de plaisir, ce qui eut pour effet de la faire gémir d’une manière plutôt indiscrète… Submergée, elle dut prendre appui contre l’armoire pour ne pas perdre l’équilibre, se cambrant malgré elle. Shaolan retira sa main pour la lécher avec une certaine… gourmandise. La voir dans une telle position… totalement offerte, ça le dévorait de l’intérieur. Mais il devait se retenir, pour cette fois.

« À ta place, je chercherai aussi une nouvelle culotte, tiroir du bas. »

Avec un nouveau sourire, il quitta la pièce sans ajouter quoi que ce soit. S’il était resté, ne serait-ce qu’une minute de plus, il n’aurait pas pu s’empêcher de la faire sienne sur le champ. Et il n’aurait certainement pas été capable de la ménager…

Une fois seule, Sakura se laissa couler sur le sol, épuisée. Elle venait de revenir à elle, et ce flot de sentiments l’avait totalement submergée. Jamais elle ne se serait crue capable d’agir ainsi… Il l’avait touchée, et elle avait adoré ça. Elle en voulait même plus. Avant, elle se serait sentie gênée rien que d’imaginer deux corps partageant un moment d’intimité charnelle… Mais, à ce moment précis, l’envie qui la tiraillait prenait très largement le dessus sur toute forme d’embarras.

La tête ailleurs, elle prit de quoi s’habiller et, rapidement, elle se faufila hors de la chambre pour s’introduire dans la salle de bain. Avant d’enfiler ces vêtements, elle devait se débarrasser de la moiteur qui persistait entre ses jambes…

Une fois prête, elle descendit les escaliers. Des voix s’animaient dans le salon… Elle retrouva, sans trop de surprise, la mère de Shaolan, accompagnée de son frère, son père et Shoalan lui-même. La conversation s’arrêta net. Yelan accorda un sourire chaleureux à la nouvelle arrivée.

« Bonjour, Sakura. Tu as bien dormi ? »

La jeune fille afficha une mine radieuse. Voir cette femme lui donnait toujours la drôle d’impression que tout irait pour le mieux. Même si c’était rarement le cas.

« Plutôt oui. »

Répondit-elle simplement avant de tourner son regard vers les baies vitrées. Elle ne l’avait pas remarqué, puisque les rideaux de la chambre où elle s’était endormie étaient clos, mais il faisait bien nuit noire dehors. Un peu surprise, elle se tourna à nouveau vers le quatuor.

« J’ai dormi longtemps ? »

Un silence s’installa et l’expression de Toya sembla se rembrunir.

« Cinq jours, annonça-t-il, en déviant le regard.

– Cinq ? répéta-t-elle, interloquée.

– Cinq, confirma-t-il en soupirant. Tu nous as beaucoup inquiétés. »

Yelan se resservit une tasse de thé.

« Mais ce n’est pas si étonnant, compléta-t-elle, toujours aussi sereine. Il était à prévoir que ton corps mettrait du temps à se remettre d’une telle transformation.

– Elle n’aurait jamais dû la subir, cette transformation. »

Le regard de Toya se fit accusateur. Il défiait directement la mère de Shaolan. Il n’aimait vraiment pas le ton léger qu’elle prenait pour un sujet aussi sérieux. À ses yeux, sa sœur n’aurait jamais eu à souffrir d’autant d’épreuves si ces foutus Elementary s’étaient tenus loin d’elle. Fujitaka déposa une main réconfortante mais ferme sur le bras de son aîné.

« Calme toi, Toya. Yelan a toujours été de notre côté.

– Tu es beaucoup trop gentil pour t’en rendre compte, répliqua-t-il en dégageant son bras d’un coup sec. Que ce soit elle ou son fils, ils nous ont promis qu’ils allaient l’entraîner, tout ça dans le but de la protéger. Et regarde-la maintenant ! Ce monstre lui a remis la main dessus, il l’a… »

Il bouillonnait tellement qu’il dut s’interrompre de lui-même pour reprendre le contrôle. Il inspira un grand coup. Sakura observait son grand frère avec beaucoup de peine… Elle l’avait toujours su. Même avec les brimades et les chamailleries, il avait toujours voulu la protéger. Et le voir se torturer ainsi… ça lui brisait le cœur.

« Vous croyez que vos pouvoirs vous donnent plus de droits sur elle ? Elle est et restera toujours une humaine pour moi. Elle n’est pas comme vous, elle mérite beaucoup mieux.

– On le sait déjà... »

Un éclair de fureur passa dans les yeux de Toya. C’était bien cet arrogant, ce petit con de Shaolan, qui avait osé prendre la parole. Bien évidemment, les images qu’il avait encore de lui sur sa petite sœur ne l’aidaient pas à garder son calme. Il se releva, serrant les poings.

« T’as un truc à dire ? Tu ne sais rien, tu as passé du temps avec elle, et alors ? Tu ne peux pas la comprendre !

– Je sais qu’elle aurait été mieux en tant que simple humaine… Qu’elle aurait certainement été plus heureuse avec une petite vie tranquille à vos côtés.

– C’est exactement ce que je disais, alors pourquoi tu ressens le besoin de me couper comme ça ? »

Toya continuait de s’énerver face à un Shaolan toujours aussi indifférent. Ce dernier haussait un sourcil d’incompréhension. Il ne comprenait pas pourquoi ces humains avaient tant de mal à rester civilisés. Et alors que Toya semblait s’échauffer pour une nouvelle tirade, Sakura se racla la gorge. Les regards se tournèrent à nouveau vers elle.

« Et moi dans tout ça ? Je n’ai pas mon mot à dire sur la vie qui me rendrait heureuse ou pas ?

– Tu ne vas pas me dire que tu n’aurais pas préféré éviter toute cette merde ?! »

Sakura baissa les yeux, quand son frère était dans cet état, c’était vraiment difficile de communiquer. Mais elle ressentait le besoin de mettre les choses au clair… Yelan, qui l’observait du coin de l’œil, se mit à sourire. C’est donc ça… Elle savait ce que ressentait la jeune fille au fond. Sakura releva la tête, l’air déterminée.

« Ces pouvoirs, maman me les a transmis… Et même si elle aurait peut-être préféré que je ne les utilise pas, ils restent l’héritage le plus vivant que j’ai d’elle. Je ne te permets pas de les dénigrer… »

Le grand frère, surpris, se laissa retomber sur le canapé.

« Après tout ce que tu as subi…

– Je l’ai tué, Toya. »

Le grand brun sentit son sang se glacer. Le sourire de Yelan s’effaça soudainement. Même Shoalan avait senti un frisson désagréable le parcourir à la suite de ces mots si froids.

« Je l’ai tué, c’est tout ce que je voulais. Et c’est grâce à ces pouvoirs. »

La jeune fille garda une position ferme. Elle resta quelques instants ainsi, les poings serrés avant de se détourner du groupe.

« Si vous n’avez plus besoin de moi, je vais prendre l’air. Après cinq jours de sommeil, je pense que j’en ai bien besoin.

– Je comprends, intervint Yelan, mais nous aurons besoin d’avoir une petite conversation à ton retour... »

Sakura tourna légèrement la tête pour trouver quatre têtes marquées par une expression grave. Elle en avait marre. Elle avait la douloureuse impression que les jours d’insouciance, où sa plus grande responsabilité était celle de tenir le conseil des étudiants de son lycée, étaient bien loin derrière elle. Sa curiosité l’empêcha malgré tout de quitter la pièce.

« Autant tout me dire maintenant. »

Yelan adressa un regard à Fujitaka. Celui-ci sembla hésiter, puis il hocha la tête comme pour donner son consentement.

« Très bien. Jusqu’à maintenant, on ne l’avait jamais évoqué, car on espérait réellement pouvoir te garder à l’écart de notre communauté… »

Toya pesta bruyamment, mais Yelan l’ignora et poursuivit.

« … Tu as de la famille chez les Elementary. Ils ont déjà manifesté le désir de te rencontrer. »

Sakura, dont l’intérêt était maintenant éveillé, se tourna vers son père, visiblement choquée.

« Maman avait bien de la famille chez les Elementary alors ? »

Fujitaka se pencha, plaçant ses coudes sur ses cuisses et son menton sur ses mains jointes. Il avait toujours redouté ce jour.

« Ta mère avait tout fait pour que tu ne te souviennes de rien à propos des Elementary… Elle a volontairement bloqué ta mémoire pour qu’elle ne provoque pas ton éveil. Si l’on avait décidé de parler de sa famille, cela aurait inévitablement engendré des questions… Tu comprends, ma chérie ? Le but n’était pas de te mentir, mais de te préserver. »

La jeune fille fronça les sourcils… Elle comprenait son père. Après tout, si sa mère avait fait tant d’efforts pour verrouiller ses souvenirs, il était évident que son père n’aurait pas voulu tout anéantir en évoquant cette branche de la famille. Mais elle ne pouvait s’empêcher d’être contrariée. Depuis le jour où elle avait appris qu’elle était une Elementary, tout ce qu’on lui révélait semblait être les détails de la vie d’une parfaite étrangère.

« Ils sont beaucoup ? »

C’est tout ce qu’elle parvînt à sortir.

« Eh bien, si on parle de famille proche… Tu as tes grands-parents, deux oncles et un cousin. »

Sakura haussa les sourcils. De mieux en mieux…

« C’est noté. »

Tous la regardèrent avec une perplexité plus ou moins appuyée. La nouvelle était grande, et pourtant, elle semblait totalement indifférente. Sur ce, elle s’éloigna. Elle avait vraiment besoin de s’aérer.

« On verra tout ça plus tard... »

Ce fut les derniers mots qu’elle lança avant de sortir par la porte principale.

 

Avec ce départ précipité, le petit groupe se retrouva face à un silence assez pesant… C’est finalement Yelan qui le brisa, avec une voix grave qui ne s’accordait pas avec son visage habituellement souriant.

« Il faut qu’elle rentre chez vous. »

Cette nouvelle annonce provoqua la consternation des trois autres.

« Mais avant qu’elle n’arrive vous demandiez à ce qu’elle reste encore chez vous pour la surveiller, répliqua Toya, désabusé.

– Yelan… » lâcha Fujitaka, lui aussi profondément surpris de ce revirement.

La cheffe de clan plongea son regard dans celui du père.

« Je pense que vous l’avez remarqué aussi… »

Shaolan, qui était resté assez silencieux, comprit ce à quoi sa mère faisait allusion.

« Elle voulait le tuer… » lâcha-t-il dans un souffle.

Une lueur inquiète passa dans les yeux du père. Il baissa soudainement les yeux. Quant à Toya, il tentait de comprendre l’enjeu de cette conversation, mais tout lui échappait.

« On ne peut pas lui reprocher d’être soulagée de la mort de ce monstre, non ? demanda Toya, perdu. Je pense que c’est assez normal.

– Tu ne comprends pas… intervint Yelan d’une voix douce. Sakura est maintenant détentrice de pouvoirs destructeurs. Si elle est capable de se laisser guider par la haine… C’est plus que préoccupant. Je l’ai vue de mes propres yeux… Sa puissance est… divine. »

Toya écarquilla les yeux. La situation le dépassait totalement.

« Et alors, vous proposez qu’elle rentre chez nous ?

– Oui, il faut qu’elle se reconnecte à du positif. Qu’elle se replonge dans un environnement familial plus serein. Si on la perd sur ce plan-là, les choses pourraient devenir dangereuses. Au point que même moi je ne serais plus capable de la canaliser… »

Elle marqua une légère pause, avant d’afficher un petit sourire, presque nostalgique.

« Ne choisis pas la haine, choisis l’amour… n’est-ce pas ? »

 

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Sakura avançait, seule, dans les rues de Tomoeda. La banalité de cette petite marche, avec ces paysages qu’elle connaissait depuis toujours, la rassurait un peu. C’était le décor de son ancienne vie. Peu à peu, elle en avait été arrachée… Depuis combien de temps n’était-elle pas allée au lycée comme une simple adolescente ? Les mots de son frère lui revinrent à l’esprit. Tu ne vas pas me dire que tu n’aurais pas préféré éviter toute cette merde ?! Elle ne pouvait nier une part de vérité là-dedans. Mais, si elle était honnête avec elle-même, elle savait, qu’au fond, les emmerdes avaient commencé bien avant qu’elle ne découvre sa nature Elementary… La mort de sa mère avait été le déclencheur de tout. Et chaque jour qu’elle avait vu depuis n’était qu’une pâle illusion d’une vie paisible, à laquelle les cauchemars étaient les retours à la triste et insupportable réalité. Avoir une petite existence paisible ? Laisse-moi rire…

Sakura leva la tête. Elle observa cette lune si familière… Ronde, blanche, immaculée, lumineuse. Mais si lointaine. Cet astre ne cessait de la fasciner et engendrait toujours, de façon inévitable, cette sensation de vide en elle. Elle se sentait si seule… Bien sûr, elle était entourée, que ce soit par son père, son frère, Tomoyo, Yelan… et Shaolan. Mais elle gardait ce profond sentiment de solitude en elle. Comme si personne ne pouvait la comprendre. Cela l’avait vraiment retournée de voir qu’ils étaient là, tous les quatre rassemblés pour mettre au point ses perspectives d’avenir à elle. Ne devrait-elle pas être la première concernée par le sujet ? Elle avait la fâcheuse impression d’être sans cesse écartée, comme on le ferait pour une enfant qu’on veut cajoler. Si pour certains l’ignorance est un cadeau, pour elle, elle n’était qu’une pure torture.

Et maintenant, elle apprenait qu’elle avait de la famille chez les Elementary. Des grands-parents, deux oncles et un cousin… Qu’apprendrait-elle la prochaine fois ? Elle ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur cette nouvelle découverte. Étaient-ils comme la plupart des Elementary ? Ou plutôt comme l’était sa mère ? La deuxième option était préférable, bien évidemment, mais elle avait un mauvais pressentiment. Après tout, si sa mère l’avait tenue éloignée de cette vie d’Elementary, ce n’était certainement pas pour rien.

Elle finit par tomber sur le petit parc où elle avait rencontré pour la première fois la mère de Shaolan… Tout lui semblait déjà si lointain. Machinalement, elle se posa sur la balançoire, repliant ses jambes sous elle. Puis sans crier gare, les larmes montèrent… débordèrent. Elle se mordit la lèvre inférieure avec rage. Décidément, elle se sentait toujours aussi faible, désarmée, face à sa propre vie. Ses mains vinrent couvrir son visage baissé, de plus en plus inondé par le liquide salin. Ses sanglots secouaient sa respiration, l’empêchant de reprendre son souffle correctement.

« Sakura ? »

L’interpelée leva la tête d’un seul coup, affolée. Shaolan était devant elle, comme paralysé. Il n’aurait jamais pensé tomber sur un tel spectacle… Sans réfléchir, Sakura se mit debout, prête à s’enfuir. Elle ne voulait pas qu’il la voit comme ça… C’était hors de question. Mais quand elle voulut s’échapper, son poignet fut retenu par le jeune homme. Elle s’en dégagea d’un coup sec.

« Laisse-moi ! » hurla-t-elle.

Elle était dos à lui, les épaules tremblantes. Elle savait qu’il n’était pas en tort… Mais savoir qu’il avait assisté à quelque chose d’aussi pitoyable, ça l’enrageait. Elle tenta de se maîtriser.

« Rentre chez toi, j’ai besoin d’être seule. »

Il ne lui répondit pas, mais elle sentait encore sa présence, tout près d’elle. Elle comprima un peu plus ses poings contre sa poitrine.

« Va-t’en ! »

Sa voix s’était brisée d’elle-même. Il s’agissait maintenant plus d’une supplication qu’un véritable ordre… Elle flanchait.

« S’il te plaît... »

Soudain, deux bras vinrent l’entourer, la prenant au dépourvu. Elle sentit le menton de Shaolan se poser dans le creux de son épaule… Il la serra contre lui, doucement mais fermement. Sakura était déboussolée par ce contact. Elle aurait voulu avoir le courage de le repousser pour courir très loin de lui, mais elle n’en avait plus la force.

« Tu n’es pas obligée de tout garder pour toi… Tu peux me parler. »

Son souffle chaud caressait son cou. Une caresse aussi réconfortante que troublante. Sa lèvre tremblota, son cœur était tellement lourd… Elle avait besoin de le soulager. Ne pouvant pas lui faire face, elle resta dans cette même position, dos contre lui, la tête baissée, les bras crispés.

« C’est trop pour moi… lâcha-t-elle d’une voix peu assurée. Il y a trop de choses à encaisser. Mon esprit ne suit plus… J’ai l’impression de devenir folle. »

Ses jambes se dérobaient sous elle. Doucement, il l’accompagna jusqu’au sol, reposant l’arrière de sa tête contre la naissance de son torse. Malgré elle, elle s’accrocha à la chemise du jeune homme…

« J’ai des souvenirs qui se mélangent dans ma tête… Je revois la mort de ma mère, mais aussi toi, par terre, couvert de sang. Je ne sais même plus si cela s’est réellement produit… Tout est confus. J’ai des bribes qui me reviennent, des paroles qui n’ont aucun sens... »

Shaolan se contentait d’écouter. Il pouvait la sentir s’agiter.

« Il y a des choses… qui me perturbent encore. Des choses que j’ai entendues... »

La voix de la jeune fille se suspendit quelques instants. Elle reprit péniblement sa respiration.

« Cet homme… Celui que j’ai tué… C’était ton père ? »

Shaolan n’osa pas répondre tout de suite. Il ne pensait pas que, dans l’état où elle était, elle avait pu saisir ces informations… Certes, il savait bien que ce n’était pas un sujet qu’il pourrait éviter pour toujours. Mais il aurait aimé le repousser un peu plus longtemps… Du moins, le temps qu’elle puisse se remettre de tout ce qu’elle avait vécu. Il engouffra son nez dans les cheveux de la jeune fille, prit une lente inspiration… C’était plus dur que ce qu’il imaginait.

« Oui… » lâcha-t-il dans un souffle.

Puis il sentit le besoin d’ajouter :

« Je suis désolé ».

Il sentit Sakura se contracter entre ses bras. Il ferma les yeux pour se concentrer sur cette odeur qu’elle dégageait… C’était mieux que d’imaginer l’expression qu’elle portait à ce moment précis.

« Décidément… lâcha Sakura dans un sanglot. J’ai l’impression qu’on ne m’épargne rien… »

Shaolan garda le silence. Il ne savait pas s’il était en droit de répondre quoi que ce soit. Bien sûr, connaissant Sakura, il se doutait qu’elle ne lui reprocherait jamais les actes de son père. En tous cas, pas directement. Mais il pouvait concevoir le choc que c’était pour elle de savoir qu’elle avait passé ces derniers jours à se rapprocher du fils de celui qui avait assassiné sa mère. Il aurait voulu avoir la délicatesse de mettre de la distance entre eux, pour qu’elle puisse encaisser cette énième révélation… Cependant, la peur qu’elle puisse s’échapper s’il relâchait sa prise le clouait sur place.

Ils restèrent ainsi, collés l’un contre l’autre, pendant de longues minutes… Aucun d’eux ne semblait vouloir se risquer à bouger, ou même à parler. Puis, une fois que les pièces semblaient un peu près en ordre dans son esprit, Sakura sentit le besoin de demander :

« Tu le savais depuis le début ?

– Non, je l’ai appris juste avant qu’il ne s’en prenne à toi… Lors du procès de Meiling.

– Ta cousine ? »

Sakura tentait de comprendre.

« Si elle a souhaité que je m’éveille, c’est parce qu’elle obéissait à ton père ?

– Il faut croire, oui…

– Tu m’avais dit que ton père était mort. »

Le ton qu’elle avait employé était un peu plus… suspicieux. Il ne pouvait pas lui en vouloir. La seule chose qu’il avait à lui offrir, c’était la vérité.

« Je le croyais aussi… J’en ai été convaincu toutes ces années. Ma mère n’avait pas osé me dire qu’il était encore en vie, de peur que j’essaie de l’affronter à nouveau. Puis elle l’a perdu de vue… Et c’est Meiling qui, lors de son procès, a annoncé qu’elle avait collaboré avec lui. C’est à ce moment que j’ai compris que tu étais en danger… Je suis revenu aussi vite que je le pouvais. Mais il était déjà trop tard… Je n’arrive toujours pas à croire tout ce qu’il s’est passé. Tu peux me croire… Je pense que ces derniers événements me paraissent tout aussi irréels qu’à toi. »

Il s’arrêta de lui-même. Peut-être était-ce un peu arrogant de sa part de comparer sa situation à la sienne… Elle avait vécu tellement de choses. Des choses terribles. Il regrettait d’avoir prononcé ces mots trop vite. Mais, contre toutes attentes, Sakura se retourna, sans s’éloigner, et prit le temps de le regarder droit dans les yeux. Elle semblait calme… Sa main rejoignit le torse du jeune homme avec une infinie tendresse.

« Je te crois. »

Ses yeux étaient encore humides. Elle se mordit l’intérieur des joues…

« Mais je crois que je vais avoir besoin de temps… »


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