Elementary

Chapitre 16 : Un être semblable à Dieu

5467 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 17:06

 

 

 

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Chapitre 16

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Les secondes passaient, puis les minutes… la grande aiguille était presque parvenue à dessiner un cercle complet et Sakura ne se réveillait toujours pas. Gagné par la frustration, Clow Reed faisait les cents pas, s’éloignant de la table de pierre où reposait le corps inerte de la pauvre fille… et revenant rapidement auprès de celui-ci, à la recherche d’un battement de cils, ou d’un léger mouvement du doigt, même un simple frémissement. Mais rien. Sa peau rejoignait peu à peu la pâleur de sa robe, la transformant en une parfaite statue de marbre.

« Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. »

Il refusait de croire que son cœur ait pu céder.

« C’était elle. Elle devait y arriver. Ce n’est pas possible. »

L’aerevia, terrorisée, n’avait pas bougé de place. Elle restait raide comme un piquet, à côté de Sakura, ne pouvant détacher ses yeux d’elle. Certes, les Elementary connaissaient peu de choses à la compassion… Mais voir s’abattre autant de cruauté sur un corps si jeune et constater, impuissante, les derniers soulèvements de cette poitrine juvénile l’avait bouleversée malgré elle. Un tableau de film d’horreur. Une enfant sacrifiée. Du sang. De la folie. Rien ne pourrait pardonner un tel péché…

Clow Reed s’emporta, la colère prenait le dessus. D’un coup sec et bref, il envoya valser l’aerevia pour l’écarter de son chemin.

« Ça ne peut être que de votre faute ! À vous ! Votre faute ! »

En furie, il avait lancé des yeux assassins à ces deux cobayes malchanceux qui tremblaient comme des feuilles. Ils sentaient presque l’odeur de la mort s’attaquer à eux.

« Vous n’étiez pas assez puissants pour un sang comme le sien ! Elle est noble, pure, forte, spéciale ! Rien à voir avec des déchets comme vous ! »

Sa voix, puissante, enveloppait toute la pièce. Les ondes percutaient les murs de roches qui les renvoyaient vers le centre de la pièce, créant un écho étrange, déformé. Le son qui en résultait soulignait avec amertume la monstruosité de l’individu qui l’avait porté. Il n’avait rien d’un humain, ça c’était certain. Soudain, la bête parut se calmer. Ses yeux cherchèrent d’un côté et l’autre de la pièce, totalement désemparés.

« Du sang, du sang… Il va falloir plus de sang... »

Il se dirigea à la hâte vers un large coffre de bois blanc, l’un des rares meubles de la pièce. Il l’ouvrit promptement et se mit à fouiller. Il avait amassé tout un tas de babioles, du matériel médical pour une majeure partie. Il sortit une longue tige de métal, puis une seconde, et enfin un socle en plastique noir, destiné à soutenir le tout. Il les emboîta ensemble pour former une sorte de pied de perfusion. Toujours en transe, il se mit à sortir des poches en plastique, de fins tuyaux transparents, et tout ce qui lui servirait à finaliser sa petite construction qui, sans l’aide des connaissances médicales nécessaires, semblait plutôt archaïque et peu fiable…

Le regard sombre et fou, il se tourna à nouveau vers les deux Elementary.

« Plus de sang, je vous dis… Il va en falloir plus... »

La femme émit un petit glapissement, avant de bouger des pieds frénétiquement pour essayer de s’enfuir. Mais c’était inutile, et ses mouvements hasardeux ne faisaient que lui causer de graves brûlures au cou, le collier lui léchant la peau avec appétit. L’homme, plus calme, paraissait avoir intériorisé toutes ses émotions. Il était toujours sur sa chaise, le dos droit, les yeux ahuris, la bouche légèrement entrouverte… Même les petits cris suraigus de sa semblable ne semblaient pas pouvoir le sortir de sa torpeur.

« Si tu gigotes trop, tu seras choisie la première… » menaça Clow Reed en s’approchant dangereusement.

Et, alors que l’aerevia tentait tant bien que mal de se redresser, elle se fit empoigner par le sombre mage avec force, lui arrachant un cri retentissant. Un cri horrible…

 

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Noir… Du noir à perte de vue… Le vide est-il noir ? Plus de chaud, plus de froid, plus de corps, plus rien… Juste le noir. Le noir, ce n’est pas si mal après tout… Au moins, ce n’est pas rouge. Le rouge du sang fait peur… Peur, peur, peur… Mais le noir lui est neutre, ce n’est même pas une couleur. Il est simplement l’absence de lumière, l’absence. Simplement absente, tout comme l’était son corps… depuis combien de temps déjà ? Elle ne savait plus.

Une fois remise dans cet état de semi-mort, Sakura s’était dit que finalement l’angoisse du noir valait peut-être mieux que la douleur du réveil. Peut-être. Et sa volonté ayant flanchée, elle avait fini par s’abandonner au noir. Le noir n’était pas source de souffrance, lui. Il n’était rien. Le rien n’est ni bon, ni mauvais, il est juste lui, impartial. Elle commençait à perdre des concepts, ceux du monde réel. Le ciel, la lumière, le mouvement, les sens, le corps… Tous s’étaient dissipés, comme des bulles de savon qui s’éclataient les unes après les autres. C’était mieux ainsi. Elle pensait encore, enfin à la manière dont pourrait le faire une âme flottant dans l’obscurité sans aucun repère. Des pensées qui avançaient, chacune leur tour, avec de légères connexions, fébriles, mais juste assez pour créer un contact, permettant ainsi un voyage fluide, sans réel recul. Ce n’était pas vraiment la même chose que réfléchir. Réfléchir demande plus d’efforts, c’est à l’esprit de rechercher les cases qui peuvent l’aider à parvenir à un résultat. Ici, il n’y a pas de résultat attendu… Les pensées viennent d’elles-mêmes, et elle essaie de les emboîter les unes avec les autres, sans se soucier que le rendu soit parfait, le temps que ça tienne.

Elle aurait pu rester ainsi indéfiniment… Se perdant un peu plus, jusqu’au moment où il n’y aurait plus de cases à placer. Mais l’une d’elle, entre ses mains, sembla lui procurer une forme de sentiment. Le rouge… Même si elle le détestait, il était là, envahissant plusieurs parcelles de son esprit. Le rouge du sang… Malgré le noir, elle ne put s’empêcher de sortir de son indifférence. Sang ? Qu’est-ce que le sang ? Elle se mit finalement à réfléchir, ce qui lui demanda beaucoup de peine… Après tout ce qu’elle avait laissé derrière elle. Elle parvint pourtant à une image, quelque chose d’assez flou, quelque chose qui lui ressemble un peu… Une femme, très jolie. Elle sourit. Puis le noir à nouveau et, d’un seul coup, un cri horrible. Un cri qui la secoue jusqu’aux tréfonds de son être. Elle devait sortir, elle ne comprenait pas pourquoi, mais elle le sentait. C’était urgent. Le noir se fissura, la lumière pointait au travers d’une blessure béante… Sans se poser plus de questions, elle s’y engouffra pleinement, ignorant le liquide vermeil qui en dégoulinait grossièrement. La lumière l’aveuglait, le réveil fut bien là, brutal, puissant. Nouveau cri, cette fois c’était le sien.

Revenue parmi les vivants, Sakura se redressa. Ses chaînes avaient été relâchées pour la mise en place de la perfusion. Le silence était complet. Encore désorientée, elle regarda les deux individus les plus proches d’elle, Clow Reed et la pauvre aerevia qu’il maintenait fermement par le bras. Tous deux la regardaient, avec des yeux ronds comme des soucoupes. Un ange passa avant qu’un sourire hystérique ne se dessine enfin sur le visage du mage.

« Oui ! Je le savais ! Je le savais ! »

Dans la joie, il avait rejeté le cobaye pour saisir Sakura violemment par les épaules.

« C’est parfait ! Tout simplement parfait ! Il ne reste plus qu’une seule étape, tu verras. Tu y es presque. Kaina n’en avait pas fait autant que toi, tu peux me croire ! Une fois que tu auras éveillé tous tes pouvoirs, tu seras la plus puissante Elementary que le monde ait connu. Tu comprends ça, Sakura ? Est-ce que tu le comprends ? »

La raison l’avait perdu depuis si longtemps, mais dorénavant, cela se sentait. La folie suintait par tous les pores de sa peau. Le regard, le sourire, la position du corps, tout en était imbibé. Sakura se laissait secouer, comme une vulgaire poupée de chiffon. Son esprit ne s’était pas totalement remis de son voyage, et les morceaux peinaient à se recoller entre eux, la laissant pantelante, avec une amnésie partielle qui lui rongeait le crâne.

« Qui ? »

C’est le seul son qui put sortir de sa bouche. Clow Reed se figea net, intrigué. Il s’écarta un peu pour mieux observer la jeune fille.

« Qui ? » répéta-t-il, hébété.

Elle pencha la tête sur le côté, perdue. Le mage se mit à sourire de plus bel.

« Je rêve ? Tu aurais perdu la mémoire ? »

Une part de lui ne pouvait s’empêcher de jubiler. La jolie Sakura n’était plus qu’un pantin docile et sans souvenirs, et cela pourrait bien arranger une bonne partie de ses affaires. Mais alors que ses pensées malsaines chaviraient vers un monde interdit, une voix le ramena à lui. Il sursauta et se releva d’un coup sec.

Soudain, une explosion détruisit une parcelle du plafond, plus loin dans la pièce, laissant s’engouffrer des flammes d’une chaleur infernale. Au milieu de ce brasier, un corps sauta pour se réceptionner lourdement sur le sol. Clow Reed contracta la mâchoire… Lui… L’importun se releva avec une lenteur mesurée. Ses poings étaient encore garnis de ses plus belles flammes. Il leva d’un coup la main, et une bourrasque de vent fit disparaître le feu pour le rendre visible aux yeux de tous. Shaolan Li.

« Bonsoir, fils. Quel mauvais vent t’amènes ? »

Le mage avait lancé cela sur le ton de l’humour, bien que son visage fermé semblât montrer une toute autre émotion.

« Éloigne-toi d’elle.

– Tu n’as rien à faire ici. » objecta Clow Reed, en se rapprochant un peu plus de la Sakura, toujours aussi désorientée.

La voix de Shaolan gronda, plus menaçante que jamais.

« Je t’ai dit de la laisser.

– Spinel ! » invoqua Clow Reed, avec autorité, en espérant qu’une petite bataille occuperait assez Shaolan pour qu’il puisse s’éclipser.

Mais son familier, pourtant fidèle et obéissant depuis les premiers jours de sa création ne répondait pas à l’appel. Mécontent de la tournure que prenaient les événements, il observa Shaolan avec une véhémence appuyée. Il savait qu’il était en cause.

« J’ai renvoyé le gros chat dans son panier, si tu veux savoir. » balança Shaolan, le regard noir.

Clow Reed se contenta de jeter un regard rempli de haine à son interlocuteur. Ce petit arrogant l’agaçait, toujours à se mettre dans ses pattes. Sakura, dans les vapes, releva un peu la tête. Ses yeux, livides, ne semblaient plus réellement voir le monde qui l’entourait… En remarquant l’état de la jeune fille, Shaolan s’assombrit davantage.

« Qu’est-ce que tu lui as fait ?

– Utilise tes dons, au lieu de poser des questions inutiles. »

Il l’avait bien senti, certes, mais il ne voulait pas y croire. Plus que le pouvoir de l’eau, plus que celui du feu… L’hybride pouvait sentir que les quatre éléments convergeaient en un seul corps, celui de Sakura. La haine déforma ses traits. Même à cette distance, il pouvait remarquer les nouveaux sceaux qui marquaient sa peau.

« Comment as-tu pu... »

Ses yeux s’enflammèrent. Les degrés grimpèrent à une vitesse fulgurante. Clow Reed, bien décidé à remettre le gêneur à sa place, avança légèrement le buste, levant une main incandescente.

« Sache que la chance que tu as eu la dernière fois, ne se reproduira plus. J’avais perdu une partie de mes pouvoirs à cause du rituel de passation que j’avais fait subir à Sakura… Mais j’ai pu recouvrir une grande partie de ma puissance. Tu me sentiras passer. »

Au lieu de répondre à ces basses provocations, Shaolan jeta un regard de coin aux deux Elementary qui étaient restés agglutinés dans un coin, espérant peut-être se faire oublier de cette manière. D’un geste rapide, l’hybride souleva un vent puissant qui porta les deux individus en une fois pour les faire remonter par la trappe qu’il avait formée par son arrivée.

D’abord paniqués, les deux malchanceux comprirent la situation, et se rassérénèrent en rejoignant la pièce du dessus pour s’enfuir. Clow Reed le laissa faire, après tout ils n’étaient plus d’aucune utilité.

« Je suis quand même étonné que tu aies réussi à nous trouver… Ce sous-sol est couvert de roches de Claris, il enferme l’aura de nos pouvoirs… Mais j’imagine que tu as dû te faire aiguiller par une petite traîtresse. »

L’allusion à Meiling était peu subtile.

« Arrête de parler, tu me rends malade. »

Comme pour le faire taire, Shaolan lança une bourrasque puissante qui emporta son père à l’autre bout de la pièce, avec une grande violence. Par une invocation de flammes, Reed put tout de même amortir le coup pour ne pas s’écraser contre un mur. En réplique, il invoqua une nuée infernale qui s’abattit sur son fils. Les flammes étaient d’un bleu obsédant, projetant leur lumière sur les roches alentour. Shaolan fit appel au vent, mais se débarrasser d’un tel sortilège n’était pas chose facile. Le combat avec le familier de son père l’avait déjà bien amoché, et cela se ressentait dans sa magie. Il parvint malgré tout à s’extraire du maléfice pour, à son tour, jeter un sort de feu qu’il coupla avec ses capacités d’aerevi pour lui donner plus de vitesse et d’ampleur.

Le duel était titanesque. Les sortilèges s’enchaînaient, et les deux semblaient subir les dégâts de l’épuisement qu’entraînait un tel usage des pouvoirs élémentaires. L’envie de détruire était là, et elle commençait à se répercuter sur l’édifice… Shaolan était à deux doigts de coincer Clow Reed sous un énorme rocher prêt à céder, quand il entendit un craquement. Il se retourna. Sakura était toujours là, sur la table de pierre, déphasée. Elle leva le regard et vit cette partie du plafond qui se détachait du reste. Un deuxième craquement. La roche céda. À toute vitesse, Shaolan tourna le dos au mage pour se ruer sur la pauvre fille qui allait se faire écraser… Profitant de l’occasion, Clow Reed lança une sphère incendiaire dans le dos de son adversaire, le projetant en avant. Le malheureux percuta de plein fouet le morceau de plafond, faisant reculer celui-ci de quelques mètres. Étalé par terre, le corps de Shaolan était inerte… Le choc avait été impressionnant.

Les yeux de Sakura regardèrent, d’abord sidérés, le pauvre Shaolan puis… en voyant le sang se répandre peu à peu sur le sol, les larmes lui montèrent. Le souvenir du cadavre de sa mère se superposa brutalement au corps du jeune homme. La réalisation fut violente. Un premier tressaut souleva sa poitrine, ses pupilles vacillèrent telle la flamme d’une bougie… Sa bouche, s’entrouvrit, sèche.

« Non... »

Le son avait été presque étouffé. Une larme s’échoua sur sa joue, puis une autre... elle prit une grande inspiration, et se mit à hurler de toutes ses forces.

« Nooon ! »

Une lumière aveuglante jaillit du corps de la jeune Sakura, englobant tout l’espace. Les tremblements s’intensifièrent, tout risquait de se transformer en une tombe gigantesque. Les marques de Sakura s’activèrent toutes à la fois. Elle cria de plus bel, la douleur était insupportable. Une émanation noirâtre sortit de chacun des sceaux, la faisant se tordre sur elle-même. Ses chaînes se mirent à se dissoudre… La table se creusa, comme si elle fondait sous le corps de la jeune fille.

Clow Reed, qui était encore à distance, observait la scène avec fascination. C’était très certainement le plus bel éveil qui lui serait donné de voir… L’enveloppe charnelle de la belle, libérée de ses entraves, se souleva doucement, avant de s’arrêter d’un coup net. Le temps sembla s’arrêter quelques instants. La lumière disparut. Puis, suspendu dans le silence, un rire se fit entendre. Celui de Sakura. Un rire fou, qui ne s’arrêtait pas. Elle tourna un œil bestial vers Clow Reed. La proie devint chasseur.

« Alors comme ça on se terre comme un lapin ? »

Le mage ravala sa salive avec beaucoup de difficulté. Ce n’était plus Sakura. Quelque chose s’était emparée d’elle, une noirceur. Son expression était passée d’innocente angélique et naïve, à une sorte d’entité malfaisante et sadique. Il ne parvint pas à lui répondre quoi que ce soit. La jeune fille, toujours en lévitation au-dessus de la table d’expérimentation, se redressa pour se mettre à la verticale. Avec un petit sourire en coin, elle se mit à se pincer doucement la lèvre inférieure, gardant cette lueur étrange dans le regard.

« Bah alors Clow Reed, ce n’est pas toi qui voulais t’amuser ? »

Il ne se souvenait pas lui avoir dit son véritable nom. Et bien qu’elle ne lui eût encore rien fait, le mage se sentait terrifié par sa simple présence. Cet effroi était une sensation bien nouvelle pour lui. C’était quelque chose d’humiliant, de dégradant… Mais il ne pouvait l’éviter, cette peur clouait ses pieds au sol, l’empêchant de fuir.

« Très bien, très bien… Dans ce cas, c’est à moi de jouer un peu. »

Sur ces mots, Sakura leva son index. Le mage sentit son corps être emprisonné par des liens puissants, comme si de longs bras articulés s’enroulaient autour de ses membres pour le maintenir. Elle leva son doigt, et le corps du dernier s’éleva de lui-même. Elle le fit basculer à droite, puis à gauche… simplement en agitant le bout de son doigt. Clow Reed n’était plus qu’un jouet facilement manipulable. Elle gloussa. Le pouvoir était une chose tellement grisante… Juste à voir qu’un être aussi puissant que Reed ne pouvait plus rien faire face à elle… juste à le voir être trimbalé d’un bout à l’autre de la pièce simplement en agitant son index de façon aléatoire, des frissons remontaient le long de son échine, lui quémandant encore plus de cette distraction si plaisante. Elle fit un geste plus ample et bref qui envoya le mage s’abattre contre un rocher. Elle se mit à rire de plus bel.

Intriguée par les tremblements qui agitaient la caverne, elle releva les yeux. Puis, avec indifférence, elle dirigea ses deux mains vers le plafond. Une boule se forma en leur creux, un mélange étrange, tantôt rouge, tantôt noir comme l’encre. La forme grossissait, grossissait… jusqu’au moment où Sakura l’expulsa, en un rayon plus large qu’elle-même, faisant place nette sur un ciel obscur, dépourvu d’étoiles. Tout avait été pulvérisé en un coup. Le manoir n’était plus qu’une suite de débris qui entourait le cratère dont le sous-sol était devenu l’épicentre. L’air frais rencontra les joies échauffées de Sakura… Puissance, puissance… Elle savourait pleinement son œuvre.

Avec beaucoup de mal, Clow Reed parvint à se relever. Il sentait bien que ses capacités de régénération le perdaient et que son corps le faisait souffrir de façon anormale. Lui qui s’était cru invulnérable… Sakura tourna un regard sombre vers lui.

« Tu ne pouvais pas te contenter de jouer les morts ? Tu es d’un ennui. »

Sa fierté légendaire de mage de premier ordre aurait dû le pousser à répondre, mais sa bouche avait été capturée par la beauté qui s’offrait à lui. Sakura le surplombait… Sa peau était juste éclairée par une faible lune. Sa robe, légèrement déchirée, épousait son corps à la perfection et laissait entrevoir par endroits la chair de tous les péchés. Ses lèvres pulpeuses étaient étirées par un sourire mauvais, retroussant un peu sa lèvre supérieure pour découvrir un aperçu de sa dentition si parfaite… Sans oublier ses yeux, perçants, semblables à deux pierres d’émeraude. Elle avait tout d’une souveraine, autant par sa magnificence que par sa posture. Elle venait d’un autre monde, hors d’atteinte…

En un battement de cils, Sakura se rapprocha de Reed pour lui faire face. Leurs visages n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, et le sourire de la jeune fille s’accentua. Le mage était figé.

« Tu en veux encore, Clow ? »

Elle leva sa main doucement pour caresser la mâchoire masculine du bout de ses doigts. Elle s’approcha davantage, assez pour pouvoir lui susurrer à l’oreille.

« Tu veux que je te fasse du mal ?… Tu veux que je te fasse ressentir ce que tu as fait à ma mère ?

– Sak... »

Son corps fut expulsé avant qu’il n’ait pu terminer de parler et se fracassa contre un reste de roche. Une giclée de sang traça une longue ligne écarlate, parsemée de quelques gouttes.

« Ne m’appelle pas comme ça ! hurla Sakura, presque possédée. Tu n’as aucun droit de m’appeler par mon prénom ! Tu dois me montrer le respect que tu me dois ! »

Sa voix avait été puissante, autoritaire, implacable. Une voix si forte qu’à elle seule elle vous forcerait à mettre le genou à terre. Elle voulait voir le monde tomber pour elle. Un nouveau sourire se dessina sur son visage. Oui, tous. Pas un seul être sur ce sol de damnés serait capable de lui résister… Un petit rire agita ses épaules.

« Je vais te faire souffrir… de toutes les manières possibles. Tu vas me supplier de te tuer. Tu subiras tous les supplices dont je ferai le caprice… Tu mourras à petit feu... »

Elle entrait un plein délire. La folie s’emparait d’elle. Son esprit allait passer le point de non-retour quand, subitement, elle sentit une drôle de sensation lui étreindre le corps. Des bras immatériels, aussi froids que la glace, l’encerclaient.

Sakura, ma pauvre Sakura…

Elle était persuadée d’avoir entendu ces mots, mais elle n’en comprenait pas la source. Sakura zieuta autour d’elle, légèrement troublée. Elle connaissait cette voix.

Ne choisis pas la haine, je t’en supplie…

Des lèvres invisibles et froides vinrent se poser contre sa joue. Et malgré cette fraîcheur frissonnante, la jeune fille sentit une vague de chaleur s’emparer doucement de son corps. Le chaud...

Choisis l’amour… Choisis le.

Cette étreinte glaciale s’effaça aussi soudainement qu’elle était apparue pour se transformer en une sorte de brise qu’elle suivit du regard pour tomber sur le corps de Shaolan. Sakura écarquilla les yeux. Choisis-le. Elle remarqua que son bras commençait à s’animer, puis elle entendit une sorte de long râle de douleur… Il était en vie. Elle se précipita auprès de lui, le cœur battant, avant même de s’en rendre compte. Sa main s’approcha de son dos, avant de s’en éloigner subrepticement. Ses yeux se mouillèrent.

Avec l’appui de ses deux bras, Shaolan parvint enfin à se redresser. Il se retourna, un peu à l’ouest, pour se retrouver nez à nez avec Sakura. Leurs yeux s’accrochèrent, leurs pupilles se dilatèrent, leur bouche s’entrouvrit légèrement. Le temps était comme suspendu. D’un seul coup, Shaolan la prit dans ses bras avec force.

« Sakura, Sakura, Sakura… »

Il était si chaud, si réconfortant. La jeune fille ne put s’empêcher de joindre ses mains dans son dos pour accentuer la proximité entre leurs corps. Elle voulait le sentir, mêler son odeur à la sienne, se mouler à lui.

« Je suis désolé… Jamais je n’aurais dû te laisser… C’était une terrible erreur… Je suis tellement désolé, Sakura... »

Sa voix était presque brisée par l’émotion. Cela augmenta un peu plus cette sensation de bien-être qui se saisissait de la jeune fille… C’était si agréable. Elle se souvenait de tout, de qui elle était, de qui il était… Des événements qui les avaient rassemblés, de leurs disputes, de leurs moments de tendresse. Le puzzle se reconstituait lentement dans son esprit. Elle sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine.

« Shaolan... »

Le jeune homme sursauta. L’entendre prononcer son prénom était la plus exquise des caresses qu’il ait pu connaître… Il s’éloigna un peu pour observer son visage. Elle avait les larmes aux yeux, les joues rougies, le regard doux. Elle était tout.

« Sakura, je pense que je… »

Les mots se coincèrent dans sa gorge. Sakura posa une main délicate sur l’avant-bras du jeune homme, elle se mit à l’effleurer avec tendresse, comme pour l’encourager. Shaolan se mit à sourire doucement.

« Sakura, je…

– Vous avez vraiment cru que cela suffirait pour me tuer ? »

Les deux amoureux tournèrent vivement la tête vers un Clow Reed enragé. Il tenait à peine sur ses jambes, du sang continuait de dégouliner sur son front, sa lèvre était gonflée, déformée. Il était en piteux état.

« Vous croyez vraiment que je vais vous laisser tout gâcher ?! »

Ses yeux étaient fous. Il leva une main menaçante, alors que Sakura s’était raccroché à Shaolan avec force. Mais, soudainement, venue de nulle part, une force incommensurable emporta le mage, le souleva pour le laisser retomber violemment sur le sol. Il hurla.

« Tu ne toucheras plus ces enfants ! »

Sidérés, Shaolan et Sakura se retrouvèrent face à une Yelan Li en furie. Wei la suivait de près. Des flammes se mirent à s’activer à l’endroit où Clow Reed était retombé. Elles grandirent, grandirent… jouant entre le bleu, le rouge et le jaune. La chaleur devenait insupportable. Yelan écarquilla les yeux. Elle devinait ce qu’il était en train de faire… C’était exactement comme cette fameuse nuit. Elle tourna son regard vers son fils. Shaolan s’était relevé, observant le feu avec méfiance.

« L’auto-combustion. Quel lâche. »

La rage au bout des lèvres, il allait s’élancer vers son paternel pour lui asséner le coup de grâce avant qu’il n’arrive à la fin du processus, mais il fut retenu par la main de Sakura. Il l’observa quelques instants.

« Faisons-le, à deux. »

Shaolan fut un peu déconcerté, mais il prit la main que Sakura lui tendait. Une lumière naquit de ce toucher. Une lumière orangée, diffuse, qui se mit à s’accroître sous l’œil médusé du jeune homme. Il regarda à nouveau Sakura. Elle semblait calme, résolue. L’éclat se transforma en une sorte de rayon, semblable à celui que Sakura avait invoqué pour détruire le bâtiment. Il se dirigea de lui-même au milieu des flammes. Puis, après une poignée de secondes, une sphère se développa pour enfermer les flammes et les réduire peu à peu. Sakura leva une main, sous les yeux intrigués de Shoalan, mais aussi de Yelan et Wei qui tentaient de comprendre la situation. Elle sembla se concentrer intensément et ses cheveux se mirent à onduler sous l’aura qui se dégageait d’elle. La sphère commença à se remplir d’eau, tout en rapetissant rapidement à mesure que la jeune Elementary refermait sa main en un poing ferme. Une fois devenue assez petite, elle éclata, pour ne laisser qu’une forme confuse de vapeur s’en échapper.

Soucieux, Yelan, Wei et Shaolan s’avancèrent vers le lieu où ils auraient dû retrouver le corps de Clow Reed. Mais il ne restait plus rien, ni même des cendres. Comme s’il s’était évaporé. Le trio se tourna vers Sakura, interloqués. La jeune fille dévia le regard, avec un faible sourire contrit.

« Quelle puissance… » murmura Yelan, bouleversée.

Shaolan observa sa mère avec intérêt. Il n’aurait su décrire avec exactitude l’émotion qui la prenait à cet instant précis. Elle semblait impressionnée, c’était une chose sûre. Mais, au-delà de ça, il pouvait sentir une forme de crainte, de terreur même. Il regarda Sakura à son tour. C’était compréhensible. À seulement dix-sept ans, cette jeune fille était très certainement devenue l’être le plus puissant que la Terre ait pu porter… Des pouvoirs qui dépassent l’entendement… Des pouvoirs dignes d’un Dieu.

 

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Quelques heures plus tard, le petit groupe était retourné à la demeure des Li. Sakura s’était endormi très rapidement dans la chambre de Meiling. Ce qui était plus que normal avec toutes les mutations que son corps venait de subir…

Assis au bord du lit, Shaolan se contentait de l’observer, inquiet. Il était heureux de la voir saine et sauve. Il était aussi soulagé de savoir que la menace qui pesait sur elle était évincée pour de bon. Mais il restait un problème de taille… La communauté des Elementary s’intéresserait forcément à une fille aussi puissante que Sakura. Et ils n’accepteraient certainement pas de la laisser vadrouiller du côté des humains. Le danger ne cesserait pas de l’entourer…

La porte s’entrouvrit un peu, juste assez pour que Yelan puisse se présenter dans l’embrasure.

« Elle dort toujours ? »

Shaolan hocha faiblement la tête avant de reporter son regard sur Sakura. Yelan la regarda à son tour… Elle avait vraiment pensé qu’elle serait capable de la protéger, comme elle l’avait promis à Nadeshiko. Et pourtant. En la voyant ainsi, allongée, épuisée… transformée. Elle sentait qu’elle avait échoué.

« Je vais devoir me rendre chez les Kinomoto pour leur expliquer la situation. Cela risque de me prendre un certain temps, tu peux veiller sur elle ? Wei restera en bas au besoin.

– Je ne sortirai pas de cette pièce le temps qu’elle n’est pas réveillée de toute façon. »

Un sourire empreint de bienveillance s’esquissa sur le visage de Yelan. Elle reconnaissait à peine ce fils qu’elle avait toujours connu dur et méfiant. À cet instant précis, tout son être paraissait s’être accroché à cette jeune fille… Ses yeux ne pourraient certainement plus la quitter. Deux âmes s’étaient trouvées, l’échec ne pouvait donc pas être si grand. Rassurée, elle referma la porte. Elle était en sécurité.


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