Elementary

Chapitre 15 : Kaina

5633 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 16:35

 

 

 

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Chapitre 15

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« Sakura… Mon adorable petite fille… mon cœur saigne en voyant ce destin impur qui s’acharne contre toi. Tu es si belle, si innocente… Ce n’est pas ce que je souhaitais pour toi, ce n’est pas la vie que je voulais t’offrir. Ton frère a été si chanceux de naître humain… Et je n’aurais jamais assez d’excuses à te présenter pour t’avoir transmise cette nature que j’ai pourtant essayé de fuir toute ma vie. Si seulement tu étais née humaine, si seulement… Mais certaines choses ne se passent pas comme prévues… Tu devais devenir une Elementary… Tu devais surmonter les obstacles qui seraient mis sur ton chemin… Et même si je t’aurais préféré une existence tranquille à tout ce bain de sang, il est impossible de nier que tu es destinée à de grandes choses. Tu seras leur lumière, Sakura… Tu sauras guider la communauté, tu sauras la transformer, j’en suis persuadée. Tu es forte ma fille, et je serai toujours avec toi… à jamais. »

 

Une larme coula sur la joue de la jeune fille. Ses sourcils se froncèrent, sa lèvre inférieure eut un léger frémissement… Elle émergeait doucement du monde des rêves, encouragée par cette présence maternelle qui la faisait remonter à la surface. Ses yeux s’ouvrirent tous deux, et prise par cet éveil brutal, elle eut besoin d’une grande inspiration qui la fit se redresser d’un coup sec. Sa respiration se fit bruyante pendant quelques minutes, et des particules noires continuaient de danser devant ses yeux, lui brouillant la vue. Elle tentait de comprendre ce qui lui arrivait, mais sa tête l’empêchait de réfléchir correctement…

Après avoir recouvert presque toute sa vision, elle se mit à analyser ce qui l’entourait comme elle le pouvait. Elle observa d’abord ses poignets, puis ses chevilles, férocement menottés et reliés par des chaînes à cette table de pierre où elle avait été déposée. Ses vêtements aussi avaient été changés pour une robe blanche immaculée. Les petits motifs brodés semblaient témoigner de la grande richesse du tissu. Elle ne faisait pas partie de ses habits, elle ne pensait pas l’avoir déjà vue. Toujours en quête d’indices, elle leva un peu plus les yeux pour affronter la luminosité environnante… La lumière lui brûlait la rétine mais elle put tout de même remarquer la présence de deux autres personnes. Une femme et un homme. Deux adultes. Leur visage ne lui revenait pas. Ils étaient attachés à une chaise, bâillonnés et avaient l’air totalement effrayé. Sakura avait de plus en plus de mal à croire que tout ceci faisait partie de la réalité…

« Enfin réveillée ! »

La voix était plus lointaine, elle dut plisser davantage les yeux pour en connaître la source. Un jeune homme, un peu près de sa taille, des cheveux bleus, des lunettes, un sourire étrange… Hiiragizawa Eriol ? Les souvenirs lui revinrent brutalement. Même si elle pensait que tout cela avait fait partie d’un rêve, elle pouvait se remémorer le visage d’Eriol, penché sur elle, lui demandant de le suivre gentiment, avant de l’emmener contre son gré, traversant la fraîcheur de la nuit. Pourquoi ? Sakura leva ses mains, lourdes de leurs entraves, et tenta de saisir les chaînes avec le peu de force qui lui restait. Le métal, glacial et épais d’au moins deux centimètres, ne pourrait certainement pas céder si facilement… Elle laissa retomber les chaînes qui s’entrechoquèrent en rencontrant la surface dure de la pierre. Un bruit désagréable qui la fit grincer des dents.

Eriol s’était avancé davantage.

« Tu ne dois pas comprendre ce qu’il t’arrive, n’est-ce pas ? J’ai dû utiliser un bon nombre de sortilèges pour diminuer tes pouvoirs… Histoire de pouvoir garder le contrôle sur toi. Ces manipulations sont très dangereuses pour l’état mental des personnes atteintes… Mais je sais que tu es assez forte pour endurer ça, n’est-ce pas Sakura ? »

L’interpelée croisa le regard de son agresseur. La haine commençait à illuminer ses yeux d’une lueur nouvelle.

« Libère moi. »

Eriol s’arrêta net, stupéfait. Il la dévisagea quelques instants sans lui répondre, avant d’afficher un sourire sardonique.

« Tu es déjà capable de parler ? J’imagine que je vais devoir enclencher rapidement le reste des festivités, avant que tu ne puisses recouvrir toutes tes capacités.

– Réponds. »

La voix de Sakura était dure, autoritaire. La mâchoire du jeune homme se crispa.

« Je te conseille d’utiliser un autre ton avec moi.

– Tu ne me fais pas peur.

– Ton imprudence te perdra.

– Tu es un Elementary, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que tu me veux ? » insista Sakura, toujours aussi glaciale.

Au fond, elle devinait déjà sa réponse. Cet Elementary qui s’intéressait à elle dans l’ombre… ça ne peut être que lui… Elle en était presque sûre, et c’était certainement pour cette raison que la haine était venue, plus puissante que jamais, pour lui insuffler la force de surmonter les différents maléfices qui pesaient sur son corps. Mais elle voulait l’entendre le dire… Elle voulait qu’il confirme tout cela de sa propre bouche.

« Ne fais pas l’idiote, Sakura… Tu sais très bien qui je suis… On va enfin pouvoir s’amuser. »

Le doute n’était plus permis. La jeune Elementary resserra ses poings de colère, son beau visage s’était tordu sous les traits de la rage qui la dévorait.

« Je veux te tuer » lâcha-t-elle haineuse, en se concentrant pour faire appel à ses pouvoirs qui, malgré ses efforts, ne lui répondaient pas.

« J’imagine bien ma chère, j’imagine bien… Mais vois-tu, j’ai une expérience importante à faire. Et je ne peux pas te laisser m’empêcher de la réaliser, tu comprends ? C’est pour l’avenir de notre race ! Pour lui assurer une complète suprématie ! »

Sakura se contenta de le fixer. Elle ne voulait pas le suivre dans son délire, ce serait de l’énergie gaspillée inutilement… Et ce n’était certainement pas ce dont elle avait besoin à ce moment précis.

« Et ces deux personnes que tu vois là-bas vont nous aider à atteindre le rêve de tout Elementary ! »

Animé par son enthousiasme sadique, il se rapprocha des deux autres captifs pour poser une main dominatrice sur le sommet de leur crâne. Il resserra ses doigts pour empoigner leur chevelure sans ménagement et leur fit remonter la tête d’un coup sec.

« Inutile de te les présenter, je n’ai pas retenu leur nom… Mais la femme que tu vois là est une aerevia, assez talentueuse, son sang est presque pur… Et lui c’est un terravi, il est aussi d’une lignée supérieure. Je ne pouvais pas enlever les plus doués en matière de magie, car cela m’aurait certainement privé d’une grande liberté d’action… Mais avec tout le potentiel que tu as, ils seront amplement suffisants. »

Sakura ne comprenait rien à ce qu’il racontait. Il était là, à s’exciter dans de grands discours, le regard fou. Il avait tout d’un monstre. D’un pas plus affirmé, le sombre mage s’avança à nouveau vers elle, avec un sourire des plus inquiétants. Il s’arrêta quelques instants, la zieutant des pieds à la tête avec appétit.

« Je vais te raconter une histoire, Sakura… Une merveilleuse histoire… Celle de Kaina. »

Il marqua une petite pause alors qu’il s’abaissait pour atteindre le dessous de la table de pierre. Il attrapa ce qui ressemblait à un petit moulinet en acier et, en l’activant d’un tour de main, une des quatre chaînes fut happée par le système, petit à petit, forçant Sakura à tendre l’une de ses jambes.

« Kaina était une Elementary… D’après la légende, elle aurait été une native de l’eau, une aquavia tout comme toi à l’origine… »

Une fois la chaîne tendue, il s’attaqua à un autre moulinet, resserrant alors une autre chaîne. Sakura, sachant qu’elle s’épuiserait pour rien, restait d’un calme absolu, plus figée que le marbre.

« Elle était très puissante certes, belle et majestueuse, digne d’un dirigeant de clan… Mais, au lieu de se choisir un destin aussi glorieux, elle avait préféré s’enticher d’un humain. Un être faible sans aucune consistance… Un simple rebus de la nature. »

Il serra la chaîne un peu plus fort, arrachant un gémissement presque inaudible de la bouche de la jeune fille. La tension était difficilement supportable.

« Elle a décidé qu’elle ferait tout pour cet amour. Mais sa famille n’était bien sûr pas de cet avis, et ils auraient tout fait pour l’empêcher de rencontrer à nouveau cet insecte… Quitte à utiliser leurs pouvoirs contre elle. Car l’honneur de la famille passait bien avant tout le reste, ce qui est compréhensible après tout. »

Il s’attaqua à la troisième chaîne.

« Et au lieu de se ranger du côté de la raison, imagine un peu ce qu’elle a fait ! s’écria-t-il, hilare. Elle a voulu emmagasiner plus de puissance, bien évidemment ! Devenir une Elementary contre qui personne n’oserait se confronter, pour pouvoir vivre la vie qu’elle souhaitait. Alors elle a utilisé un rituel qui aujourd’hui est tabou… et certainement à cause de cette histoire d’ailleurs. Elle pratiqua le rituel de passation de pouvoirs, non pas une, mais trois fois ! »

Sakura écarquilla les yeux. Le rituel de passation… Elle s’en rappelait parfaitement, Shaolan le lui avait déjà expliqué. Ma cicatrice…

« … avec un membre de chacun des pouvoirs qui lui manquaient : un ignivi, un aerevi et un terravi ! Chacun d’eux était un membre plus ou moins éloigné de sa propre famille... »

Eriol passa enfin à la dernière chaîne, alors que Sakura commençait à comprendre où mènerait cette histoire sordide.

« Elle a voulu assimiler les quatre éléments, Sakura… Les quatre en un seul corps ! Pense au miracle que cela serait de pouvoir user de chacun de ces éléments ! Cela reviendrait à faire de toi la Déesse de ce monde ! »

Après un bref rire cynique, faiblement retenu, son sourire de Diable commença à s’effacer.

« C’était une précurseure, c’est sûr… Mais elle n’en restait pas moins une idiote qui s’était amourachée d’un humain. Avec un motif aussi bancal, elle ne pouvait que courir à sa perte. Elle est morte avant même d’achever complètement les rituels. Son corps ne l’avait pas supporté… Une faiblarde sans intérêt. »

La jeune fille était maintenant incapable de bouger, les liens ayant été tirés de sorte à ce que ses membres soient tendus au maximum. Satisfait, le mage laissa son regard perverti vagabonder sur la peau de sa proie.

« Mais toi, ma très chère… Tu seras différente. Je l’ai ressenti dès que je t’ai vue. Tu avais une telle haine, tu étais si jeune, et pourtant si féroce à ta manière… Tu as une force à l’intérieur de toi, un vrai bijou de puissance. Je suis certain que tu y arriveras.

– Tu es cinglé. »

Ces mots lui avaient échappés. Mais voir ce sadique lui raconter toutes ces choses insensées l’avait faite céder. Quelque peu vexé par cette insulte, l’ignivi se contenta de hausser les épaules, avant de poser une main ferme sur son ventre. Le tissu était si fin qu’il pouvait sentir les palpitations de son épiderme.

« Pense ce que tu veux… Les plus grands ont toujours été vus comme des fous, avant d’être idolâtrés, une fois qu’ils étaient parvenus à montrer le bien-fondé de leur pensée. Tu seras importante, Sakura… Tu seras le premier réceptacle de la puissance suprême… Et une fois que j’aurai implanté les pouvoirs de la terre et de l’air dans ton petit corps, et éveillé tous tes nouveaux pouvoirs…

– Vous passerez à l’extraction de mes pouvoirs pour vous accaparer cette puissance. »

Elle avait fini sa phrase, sous son regard surpris.

« Décidément, tu es pleine de caractère… et plus intelligente que le laisse penser ton joli minois. »

Il remonta un peu sa main pour appuyer sur la cicatrice de la jeune fille. Sous le coup de la douleur, la pauvre Sakura ne put retenir un cri déchirant…

« Mais ne t’inquiète pas… Je n’ai pas l’intention de te tuer. Je voudrais qu’on partage cette puissance à deux… Nous serions comme Roi et Reine sur cette terre de damnés, nous mettrions en lumière un monde nouveau…

– Jamais ! » hurla-t-elle, avec force.

Il appuya encore plus fort sur la source de sa souffrance.

« Tu céderas.

– Tu rêves ! »

La voix de la jeune fille, au-delà même de la douleur, restait venimeuse et pleine de rancune. Le mage relâcha la pression, et l’observa avec dédain.

« Tu n’auras pas d’autres choix. Enfin, si tu tiens à garder une poignée d’élus en vie... »

Sakura tourna la tête vers lui d’un coup vif.

« Ton père, Fujitaka Kinomoto… Ton frère Toya… Ton amie Tomoyo Daidouji… Ce sont certes des humains, mais si tu te montres coopérative, cela pourrait te permettre de les sauver. »

Toujours aussi perplexe, la jeune fille se contentait de dévisager son agresseur.

« Quoi ? Tu croyais sincèrement que c’était en vivant avec d’autres personnes que tu pourrais les protéger ? Ne sois pas si naïve… Si je l’avais souhaité, je les aurais tués depuis bien longtemps déjà. »

Sous le coup de l’émotion, Sakura s’était mordue la lèvre inférieure avec force, laissant l’empreinte creusée de ses dents sur sa peau. Jamais elle n’avait été en sécurité, son entourage non plus… Le danger avait été si proche, elle ne s’en était même pas rendue compte. Elle se sentait si naïve, si humiliée.

« Sakura… Cède moi, et tu pourras sauver la vie de ceux qui te sont chers… »

La jeune fille ne répondit pas immédiatement, elle se contentait de le dévisager, avec toute le mépris qu’elle lui devait. Elle ne supportait pas de se retrouver encore une fois dans la position de victime, alors qu’elle avait maintenant tant de puissance… Elle aurait aimé enfin utiliser cette force pour évincer celui qui était à l’origine de tous ses malheurs. Sa mâchoire se contracta.

« Pourquoi essayer de me faire chanter ? Tu pourrais très bien me tuer, cela t’éviterait bien des problèmes. Je pense que tu le sais, j’aurai toujours cette envie dévorante de t’étriper… lança Sakura, avec une voix plus tranchante qu’un couteau aiguisé.

– Quelle belle franchise… Mais contrairement à ce que tu as l’air de croire, je t’apprécie assez pour vouloir te laisser en vie. Je souhaite réellement t’avoir à mes côtés.

– Et pour ça tu épargnerais toutes les personnes que je veux ?

– Toutes… enfin dans une certaine limite.

– Lesquelles ? demanda Sakura, méfiante.

– Shaolan mourra. Yelan aussi. Et toutes les personnes qui, par la suite, tenteront de s’attaquer à moi, ou même de me manquer de respect. »

La jeune fille fronça les sourcils. Shaolan et Yelan Li ? Pourquoi eux en particulier ? Sakura se concentra pour réfléchir… Un conflit entre familles ?

« Tu as un problème avec les Li ? » l’interrogea Sakura.

Ce n’était pas qu’elle s’intéressait particulièrement à lui, mais l’évocation de ces noms l’avait intriguée. Elle sentait qu’il devait exister des liens entre sa famille, celle des Li et cet individu… Mais elle ne les comprenait pas.

« Tu n’as pas à le savoir. Je veux juste savoir si nous avons un accord.

– De toutes façons, avec ou sans mon avis, tu me feras subir ce rituel, alors à quoi bon ? s’agaça Sakura.

– Tu le sais déjà… Ce rituel est douloureux. Il te faudra beaucoup de volonté pour activer ces pouvoirs…

– La volonté de te tuer me suffira. »

Le mage fut secoué par un premier ricanement, avant d’être emporté par un fou rire tonitruant.

« J’imagine que je n’aurai pas mieux pour l’instant. Alors commençons. »

Avec un large sourire, il redéposa sa main sur la cicatrice de la jeune fille, mais avec plus de délicatesse cette fois. Il ferma les yeux et sa main s’illumina d’une lueur orangée… La cicatrice s’activa à son tour, faisant hurler la pauvre Sakura.

Une vague de chaleur fit reculer le mage. Une flamme se forma juste sous sa poitrine… la faisant souffrir comme jamais. Ses pouvoirs d’ignivia émergeaient, puissants, redoutables. Ses yeux étaient écarquillés, la douleur était insoutenable… Comment pourrait-elle subir deux autres rituels alors qu’elle sentait déjà que son âme fondait sous le coup de cette première transformation ?

 

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Installé dans son canapé, la jambe agitée par l’anxiété, Shaolan écoutait attentivement Wei qui luttait au téléphone pour joindre Yelan… La contacter directement était presque impossible, même pour son fils en personne. Ce n’était pas tellement un choix qu’elle avait fait, mais les protections autour d’elle, surtout depuis la révélation de la résurrection de Clow Reed, avaient été particulièrement renforcées.

« Son fils a besoin de lui parler de toute urgence… Nous n’avons pas le temps de nous déplacer sur l’île pour une audience, Monsieur. »

Shaolan resserra les poings, il ne pouvait plus attendre. Agacé comme jamais, il se leva et arracha le téléphone de la main de Wei, le surprenant au passage.

« Qui que vous soyez, je vous ordonne de me passer ma mère immédiatement, sinon je viendrai jusqu’à vous, mais ce sera pour vous enfoncer ce foutu téléphone bien profond dans votre fondement. »

La personne à l’autre bout du fil ne répondit pas. Il entendit simplement quelques voix plus lointaines discuter de façon presque inaudible, l’air embarrassé.

« Très bien. Nous allons rediriger l’appel. »

Une musique se fit entendre, arrachant une grimace horrifiée à Shaolan.

« Une musique d’attente, c’est sérieux ça ?

– Que voulez-vous, jeune maître… Même si cela peut paraître paradoxal, les Elementary s’inspirent parfois de coutumes humaines étranges... »

Le jeune hybride arqua un sourcil. Ils ne se sont pas inspirés des meilleures en tous cas… La musique s’arrêta.

« Mère ?

– Shaolan, je t’avais dit que j’interrogeais Meiling pour avoir au plus vite des informations et que je te transmettais tout dès que possible.

– Elle n’a pas parlé, je ne me trompe pas ? »

Un silence gêné s’installa.

« Non, pas encore…

– Passe là moi.

– Shaolan… Les Immaculés…

– Au Diable les Immaculés ! s’exclama-t-il. Sakura est en danger, et si on ne s’active pas maintenant, il sera trop tard ! Tu n’avais pas dit que tu ferais tout pour la sauver ?

Nouveau silence… Il se rendit alors compte qu’il avait utilisé son prénom, et non son nom comme il le faisait habituellement lorsqu’il lui parlait de Sakura, mais sa mère ne sembla pas le relever.

« D’accord, mais il faudra faire vite. »

Shaolan n’eut pas le temps de réagir que le téléphone fut transmis à sa cousine.

« Shao… ?

– Meiling. Dis-moi tout de suite où se trouve Kinomoto, on n’a pas le temps.

– Tu ne vois plus qu’elle… et ça me fait mal…

– C’est d’une vie dont on parle, pas d’amour ou quoi que ce soit du genre !

– C’est du pareil au même dans notre race, et tu le sais très bien ! l’accusa-t-elle avec une voix plus forte.

– Meiling… gronda-t-il. Sache que si elle vient à subir quoi que ce soit parce que tu n’auras pas voulu parler, je te le ferai regretter. Famille ou pas. »

Meiling fut prise d’un sanglot étouffé.

« Tu l’aimes ?

– Mei, réponds. »

Elle n’avait plus de doutes… Celui qu’elle avait toujours aimé, celui pour lequel elle avait risqué la blancheur de son âme, avait laissé son cœur s’enticher d’une autre. Elle l’avait senti venir… Mais cette fois, cette émotion lui paraissait plus palpable, comme si le point de non-retour avait été franchi. Elle ne pourrait plus rien faire pour le faire changer d’avis… Il s’est lié à elle… Les larmes ruisselaient sur ses joues, mais au lieu de la colère, c’est une tristesse infinie qui s’empara d’elle. Et en guise de dernière preuve d’amour… Elle pensa qu’avouer ce qu’elle savait était la seule chose qui lui restait à faire.

« Il a un manoir… un peu à l’écart de la ville. Derrière le quartier sud, il est en surplomb sur la colline, tu ne peux pas le louper. Je ne sais vraiment pas s’il l’a amenée là-bas, mais c’est là qu’il habitait… Et où il me recevait, il n’y a jamais eu d’autres endroits.

– Tu as d’autres infos qui pourraient m’intéresser ?

– Il a un familier… Spinel, tu dois y faire attention… Il n’est pas particulièrement dangereux dans son état de repos, mais une fois revenu à sa forme originelle, il peut s’avérer être une vraie menace... il pourrait aussi avertir son maître de ton arrivée, il est assez doué pour observer les choses au loin.

– C’est tout ?

– C’est tout ce qu’il a bien voulu me dire…

– Bien, je vais commencer avec ça. Merci, Mei. »

Il allait raccrocher, quand il entendit ces derniers mots aussi faibles qu’un chuchotement : « Je t’aime, Shaolan... ». Le bip impassible signala la fin de l’appel. Il ne fallait pas qu’il se laisse troubler… Cette fois-ci, il savait où aller.

 

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« Merde ! »

Clow jura, la rage aux poings. Sakura, la sueur au front, pâle comme un linge, continuait de se tordre sous la douleur, alors que le mage avait retiré sa main.

« Pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi ?! »

Il s’énervait. Cela faisait plusieurs longues minutes qu’il stimulait ses pouvoirs d’ignivia sans que ceux-ci n’aient montré le moindre signe d’éveil véritable. La respiration de Sakura était entrecoupée, elle se sentait déjà au bout, totalement vidée de toute énergie. Ses membres étaient animés par quelques tressauts, semblables à de faibles convulsions.

Le mage ayant repris peu à peu son calme, il attarda son regard sur Sakura. Il se repassait le problème en tête… Comment éveiller un pouvoir qui entre en contradiction avec le premier ? Comment ? Eau et feu… La légende de Kaina, même si elle avait de fortes probabilités d’être réelle, ne possédait que peu d’informations sur la pratique du rituel au complet. Il n’y avait aucun détail concernant l’accumulation des pouvoirs. Et puis, à terme, elle avait, de toutes façons, échouer. Mais, bien que l’impasse semblât évidente, Clow Reed se refusait à croire que cette expérience était irréalisable. Il savait qu’il pouvait le faire, il en était convaincu. Peut-être un ordre à suivre ? La stabilisation par les pouvoirs secondaires ? Une lumière se fit dans son esprit, telle une révélation grandiose. Le face à face entre des pouvoirs opposés était certainement trop violent. S’il parvenait à implanter une source aerevia, et une terravia dans son corps, avant de réveiller l’ensemble en une fois, peut-être qu’il parviendrait enfin à un résultat concluant. Un fin sourire, rempli de fiel, se dessina sur son visage.

« Nous allons changer de tactique… »

Sakura, qui peinait à se remettre de ses efforts, observa son malfaiteur d’un œil distrait. Elle ne comprenait plus ce qu’il se passait, elle était dans un état second.

« Démarrons un nouveau rituel ! » chantonna Clow Reed, en se dirigeant vers le terravi.

D’un coup bref, il détacha son premier cobaye, tout en invoquant un collier de feu autour de son cou. Un de ses petits tours préférés pour assujettir les personnes réticentes à l’obéissance… ou simplement pour le plaisir d’asseoir sa parfaite domination.

« Je te conseille de ne pas bouger, ni même de parler. Il est très aisé de me contrarier. »

Le terravi, en état de choc, se contenta de le fixer de ses yeux ronds, le souffle coupé. Bien sûr, il savait la personne, ou la chose, qui lui faisait face… Et la réputation de Clow Reed, ainsi que sa simple présence, suffisaient à soumettre n’importe quel Elementary doté d’un instinct de survie un minimum développé.

Il se laissa donc guider, docilement, en espérant que cela lui permettrait d’avoir une fin plus douce. Arrivée à la table où était allongée Sakura, il croisa les yeux de la jeune fille. À ce moment précis, elle semblait totalement terrifiée. Elle avait encore sa haine, quelque part, endormie au fond de son esprit, mais le traumatisme de son premier rituel de passation était ancré au plus profond de son être… Et la peur. La vraie peur. Celle qui tétanise, celle qui contraint le corps à manquer d’air, celle qui s’appuie de tout son long sur le corps de sa victime… l’avait totalement envahie.

« Tu te souviens, n’est-ce pas ? »

La voix de Clow avait été étonnamment douce, presque nostalgique. Les dents de Sakura se mirent à claquer.

« Première étape, ma chère… »

Le mage sortit une seringue de sa poche, en enleva la protection en plastique, puis en enfonça l’aiguille profondément dans le bras du terravi. Celui-ci, totalement ignorant de la réalité du rituel (car si les Elementary le connaissaient de nom, peu étaient au courant des étapes de la passation), observa le sang sortir de son corps d’un air inquiet. Le mage le remarqua.

« Ne t’inquiète pas, petit. Si tu tiens tranquille, je te rendrai même ta liberté. Je ne prends ton sang que pour le transfuser dans le corps de cette jeune fille… Ce sera douloureux pour elle. Mais je ne ferai pas la démarche inverse, car cela marquerait la réciprocité de l’échange. Je veux que tu donnes une partie de tes pouvoirs, mais je ne t’autoriserai certainement pas à lui en prendre. »

Le terravi ravala sa salive, à demi-soulagé. La seringue pleine de son flux vitale, le savant fou retira précautionneusement l’instrument. Une lueur marqua la pointe l’aiguille. Un bouton rougeâtre se montrait déjà, prêt à se mêler à la substance vermeille de la pauvre Sakura.

« Pas ça... »

Ces deux mots, étouffés par un sanglot, sortaient de la bouche de la jeune fille avec peine. Oui, elle se souvenait de tout maintenant. Ce n’était pas aussi précis qu’un souvenir. Ce n’était pas comme un film linéaire, où elle pouvait identifier toutes les séquences… Non, c’était quelque chose de plus flou, mais de nettement plus palpable à la fois. Ça la prenait au corps, attaquait ses sens.

« Serre les dents, Sakura... »

Elle ferma les yeux avec force. La gamine en elle se remit à pleurer. Tout mais pas ça… Je vous en supplie… 

Dans l’obscurité totale, elle sentit une douleur aiguë s’infiltrer dans le creux de son bras. Sa mâchoire se contracta. Elle sentit un fluide étranger forcer le passage… pousser pour entrer en elle, la posséder. Tout son corps se figea. Il la brûlait, Non ! pire que ça… Ce n’était pas du sang, c’était une lave dévorante qui envahissait son système. Pitié ! Il évoluait rapidement, tel un conquérant en soif de domination. Elle hurlait. Elle n’aurait su dire si son cri était physique, ou s’il n’existait qu’en elle, mais il était bien là, puissant, dévastateur. Son corps tout entier se mit à convulser. Brûle, brûle, brûle… Il fallait que ça s’arrête, c’était insupportable. Elle voulait s’ouvrir la peau, se vider de ce sang malsain qui voulait se lier à elle. Si son corps avait été capable de bouger, elle aurait certainement arraché ce bras contaminé. Elle aurait regardé cette chair se distendre, les tissus se déchirer, juste pour se séparer de cette douleur insoutenable. Gangrène. Mais il était déjà trop tard… Il se déplaçait trop vite. Son épaule, sa poitrine, sa tête, et bientôt tout le reste de son corps. Mourir, mourir, mourir ! Tout son être hurlait, se fissurait de l’intérieur.

Une fois entièrement consumée, ce fut au tour du froid… celui de la glace qui enferme les morts dans une cage éternelle. Elle commençait par les extrémités de ses membres, ses doigts, ses pieds, pour remonter lentement, sournoisement. Son épiderme, ses os, tout se figeait dans une froideur qui faisait perdre toutes sensations. C’était comme des lames aiguisées qui s’enfonçaient dans sa chair de part en part, remontant peu à peu, se multipliant avec gourmandise pour déguster ce corps meurtri. La glace gagnait du terrain… doucement, sans se presser. Jusqu’à arriver au cœur. Elle l’entoura avec une grande attention, se languissant de s’attaquer à cet organe vital. Elle était à demi-morte quand cette petite chose rouge, battant comme une aile enfermée dans un espace étroit, fut transpercée. Elle crut partir pour de bon. Toute chaleur la déserta. Éparpillée dans l’espace. Il n’y avait pas de lumière au bout du tunnel, ou une connerie du genre… Juste un néant angoissant, plus aucun corps, juste un vide sans fin, un silence niant toute forme d’existence.

Puis, quand elle s’était résolue à l’idée d’être morte, une douleur la ramena à son enveloppe charnelle. Un réveil puissant, violent, qui la ramena au jour dans une inspiration bruyante. Quand elle ouvrit ses yeux, exorbités, un cri retentissant sortit de ses poumons, comme s’il avait été bloqué là depuis des années. Il avait été si puissant qu’elle crut que sa gorge se fendait en deux. Elle tremblait encore. Elle sentit plus particulièrement une brûlure au niveau de son bras. Elle porta son regard sur la source de sa souffrance et vit son sang qui coulait sur son avant-bras. Sous la substance vermeille, une marque, semblable à celle de la flamme qu’elle gardait sous sa poitrine, s’était formée et représentait une sorte de branchage circulaire orné de feuilles.

« Eh bien, ce n’est pas trop tôt. J’étais sûr que tu y arriverais. »

Toujours attachée, Sakura détourna la tête pour voir qui lui parlait. Elle revit cet imposteur, Eriol, sous lequel se cachait le monstre de ses cauchemars… Ce Clow Reed. Elle dévia son regard. À son côté, l’aerevia était déjà prête, le bras tendu. Les larmes lui vinrent, plus fortes que jamais. Épuisée, mais maintenue éveillée par la peur, elle se secouait, espérant en vain pouvoir s’enfuir, ou juste s’éloigner un peu plus de l’horreur à venir. Elle n’était pas prête à revivre ça… Elle ne l’avait jamais été. Mais elle le savait, juste en croisant ces yeux avides de pouvoir, elle n’en aurait pas le choix. Son corps était à sa merci, et son esprit aussi. Il sortit une nouvelle seringue…

« Je compte sur toi, Sakura. »

Toujours ce même sourire diabolique, ce même instrument de torture qui s’avançait vers son bras… Le sang, toujours le sang, encore du sang. Elle se noyait dedans.


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