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Chapitre 14 : Privation

4941 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 16:25

 

 

 

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Chapitre 14

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Une fois sorti du tribunal, Shaolan n’eut qu’une obsession : trouver sa mère. Mais même quand il parvint enfin à mettre la main dessus, celle-ci ne semblait pas vouloir s’atteler à cette conversation, certainement trop douloureuse.

« Je n'ai pas le temps de tout te raconter, Shaolan... Il me reste encore des réunions, des rassemblements à préparer... » se justifiait Yelan en tentant d'échapper à son fils.

Shaolan, ne voulant pas voir sa mère s'éclipser encore une fois sans lui donner le moindre éclaircissement, lui retint le bras alors qu'elle essayait de se rendre dans son bureau, accompagnée de ses nouveaux gardes du corps tout de noir vêtus.

« J'ai besoin de savoir, tu n'as pas le droit de me fuir comme ça. Tu me dois des explications ! » s'énerva Shaolan, au bord de la crise de nerfs.

Yelan s'arrêta quelques secondes, puis se tourna vers son fils, le regard désolé. Elle pouvait sentir la poigne de Shaolan, la force de la colère qui l'habitait juste là, concentrée sur son bras si mince. Il semblait fulminer de l'intérieur, et son regard enflammé pouvait amplement en témoigner. Si elle ne lui donnait pas un minimum de réponses, elle savait qu'il ne répondrait plus de rien... C'était une particularité des ignivis, le sang chaud, l'impatience, la force enragée.

« Très bien, céda-t-elle finalement avant de jeter un bref regard à ses accompagnants. Laissez-nous messieurs. »

À ces mots, les deux hommes, d'apparence peu commodes, hochèrent subtilement la tête puis s'effacèrent. Une fois seuls, Yelan invita son fils à entrer dans son immense bureau pour un peu plus d'intimité. Le visage fermé, il se laissa guider sans trop de mal puis, quand il fut entré, il prit place sur un siège faisant face au bureau de sa mère. Yelan eut un mouvement d'hésitation avant de s'asseoir à son tour mais pas à sa place habituelle, cette position aurait été trop formelle, elle préféra plutôt prendre celle juste à côté de Shaolan.

Elle garda le silence une minute ou deux, fixant un point au loin. Peut-être cherchait-elle les premiers mots qui conviendraient à ce type de situation. Mais aucune introduction n'était prévue pour un cas aussi unique...

« Alors il est bien vivant ? demanda finalement Shaolan en serrant les mâchoires.

– Oui... lâcha-t-elle dans un souffle, un peu désemparée. J'aurais voulu te le dire plus tôt mais...

– Alors pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt justement ? lança-t-il avec un ton de reproche évident.

– C'était compliqué...

– Non, ça ne l'était pas. Ta saleté de père n'est pas morte, je ne vois pas ce qu'il y a de compliqué là-dedans. »

La voix de Shaolan était froide, sans la moindre marque de compassion. C'était certainement la première fois dans toute sa vie qu'il en voulait vraiment à sa mère. Elle avait toujours été pour lui un modèle de sagesse et d'honnêteté. Se prendre une telle vérité en pleine face avait un peu effrité cette belle image. Pouvait-il lui faire confiance maintenant qu'il savait qu'elle aussi était capable de mentir ? Yelan baissa les yeux, elle inspira profondément pour reprendre son calme et empêcher ses larmes de couler. Elle avait tant redouté ce moment...

« Dis-moi, Shaolan... Qu'aurais-tu fait si tu avais su que ton père était encore en vie ?

– Je serais parti le tuer, trancha-t-il sans l'ombre d'une hésitation.

– Et c'est bien là le problème... »

Shaolan, surpris de ces paroles, leva son regard vers sa mère, celle-ci l'observait avec un tendre sourire. Il pouvait sentir l'affection de sa mère l'envelopper de tout son être rien qu'avec cette seule et simple expression. Une tendresse si intense que cela le troublait...

« Quand tu t'es éveillé et que tu as commencé à te battre avec... lui... J'ai eu vraiment peur. J'étais terrifiée, totalement impuissante... Et je savais très bien qu'il n'aurait aucun scrupule à tuer l'un de ses enfants... Il a toujours été de la vieille école, que tu sois sa chair et son sang importait peu pour lui. Mais moi, je ne voulais pas te perdre... Je te voyais te battre de toutes tes forces, je t'ai vu le blesser mais aussi être blessé. Évidemment, j'ai été très soulagée quand tu es venu à bout de son corps, mais ce miracle t'avait coûté bien trop de blessures... Tu pouvais à peine tenir sur tes jambes, on ne savait même pas si tu pourrais te remettre d’un tel combat. Alors, quand j'ai senti sa présence à nouveau, je me suis refusée ce supplice qui avait été le mien. J'ai refusé de te voir repartir pour le tuer alors même que tu n'avais pas entièrement récupéré de tes blessures... Je t'aime Shaolan. Je sais, c'est étonnant venant d'une mère de ma nature mais tu es ce que j'ai fait de plus beau dans ma vie avec tes quatre sœurs... Cet homme m'a déjà enlevé ma dignité, je ne veux pas le laisser t'enlever à moi... »

Le jeune hybride conserva le silence quelques instants. Jamais il ne se serait attendu à une telle réponse et jamais il n'avait vu sa mère habitée par une telle émotion... Ce n'était pas dans ses habitudes de laisser transparaître ses sentiments. Il ne pouvait qu'être touché par cette confession, mais il n'en perdait pas moins l'amertume qu'avait laissé ces mensonges.

« Je comprends, tu voulais me protéger... Mais je n'accepte pas que tu aies gardé tout cela pour toi. Pendant des années j'ai cru que j'avais eu sa peau, que j'avais réussi à l'éloigner de nos vies, que plus jamais il ne ferait de mal à toi ou aux filles... Et là, devant toute une assemblée, tu dis qu'il est revenu. J'aurais dû être le premier au courant, je n'aurais jamais dû l'apprendre de cette manière.

– Je le sais bien, mais je n'avais pas le choix... Meiling m'avait coincée, je ne pouvais le nier. Je n'aurais jamais cru que Reed l'aurait utilisée elle...

– Mais l'utiliser pour quoi ? l'interrogea Shaolan dont les questions se bousculaient dans son esprit.

– Pour s'approcher de Sakura Kinomoto. » répondit Yelan en toute franchise.

Elle n'avait plus besoin de lui cacher la vérité. Au point où ils en étaient, il valait mieux pour elle de jouer cartes sur table, sinon elle savait bien que Shaolan ne lui pardonnerait jamais. Il avait toujours détesté les mensonges et les trahisons, et elle ne voulait surtout pas perdre la confiance de son propre fils, elle tenait trop à lui.

« Approcher Kinomoto ? s'interloqua-t-il. Mais qu'est-ce qu'elle a à voir avec toute cette histoire ?

– Te souviens-tu de cette affaire ? Celle où la très puissante Nadeshiko a trouvé la mort ?

– Bien sûr, beaucoup ont même dit que c'était son insertion dans le monde des humains qui avait été à la source de sa perte. Ils se sont servis de sa mort pour que plus personne n'ait envie de se familiariser avec les êtres humains. Certes, j'étais encore loin de l'âge de raison à cette période-là, mais cet événement a encore des conséquences aujourd'hui, donc...

– C'est vrai, mais est-ce que tu as su qui l'avait tué exactement ? »

Shaolan écarquilla les yeux, il avait peur de comprendre. Il scruta les yeux de sa mère et se rendit alors compte que ce qu'il craignait le plus était bien vrai.

« Alors c'est lui ? s'exclama Shaolan, en resserrant les poings. C'est lui qui l’a tuée ?

– Oui, mais ce n'est pas tout... Il a aussi torturé sa fille, Sakura. Il lui a fait subir le rituel de passation de pouvoirs. C'est d'ailleurs à cause de cela qu'elle a des capacités hybrides qui se sont manifestées après son éveil. Je ne sais pas encore pourquoi il a fait ça, mais ce qui est sûr, c'est que s'il la laissait tranquille jusqu'à maintenant, c'est qu'il ne voulait pas se contenter de la transformer en hybride. Son projet est bien plus grand. C'est pour cela que je t'ai envoyé la protéger... Je veux pouvoir comprendre ce qu'il veut et attendre le bon moment pour l'anéantir. »

L'anéantir ? Ce mot provoqua un éclair de stupeur dans le regard ambre de Shaolan. Remarquant certainement son étonnement, Yelan reprit la parole en posant sa main chaleureuse sur l'épaule de son fils.

« Avant, j'étais une femme perdue, qui craignait qu'en brisant son alliance, elle mettrait en danger ses enfants. Maintenant, je sais que le danger ne vient que de cette alliance elle-même, donc si je dois le détruire pour garantir votre protection, je n'hésiterai pas une seconde. Que ce soit pour la sécurité de tes sœurs, la tienne ou même celle de Sakura, tu peux me croire sur parole. »

Shaolan fixa sa mère dans les yeux, la bouche sèche. Il ne s'était pas attendu à de telles déclarations... Il lui fallait encaisser tant de choses en si peu de temps. Son père était en vie, sa mère le savait depuis toujours. Sakura, de son côté, avait été torturée alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, et ce, par ce même père barbare qu'il exécrait plus que tout au monde. Maintenant, Sakura était en danger et il n'avait aucune idée des plans de Reed... Ce qui ne faisait qu'accentuer son inquiétude. Sa mère reprit la parole, tout en fixant Wei, qui s’était posté un peu plus loin.

« Wei n’est pas resté à Tomoeda ? »

Shaolan eut une révélation, la panique s’empara de lui.

« Il faut que je rentre, il n’y a pas une minute à perdre ! »

 

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Sakura, loin des soucis du procès, se faisait pouponner dans un salon spécialement choisi par la grande Tomoyo Daidouji. La pauvre était figée sur un siège bien douillet, avec un masque aux concombres sur le visage, une femme pour lui faire sa manucure et une autre pour sa pédicure. Bouger le moindre petit doigt lui était devenu totalement impossible. Seules ses lèvres pouvaient se risquer à remuer malgré le masque qui lui tirait la peau.

« Tu es sûre que tout cela est nécessaire Tomoyo ? demanda Sakura. On était là simplement pour faire les boutiques à l’origine... »

Tomoyo leva son regard de son magazine pour adresser un large sourire à sa meilleure amie.

« Il n’y a rien de mal à se faire plaisir de temps en temps… Et puis ce salon fait partie d’une des branches de l’entreprise de ma mère, alors autant profiter de notre statut de privilégiées.

– Elle n’était pas censée travailler dans les jouets pour enfants ta mère ? » l’interrogea Sakura, perdue.

L’air de rien, Tomoyo reprit sa lecture et lui répondit d’une voix un peu plus distante.

« Tu sais, on commence par les jouets, puis le business s’étend, on s’intéresse à d’autres secteurs tout aussi lucratifs, voire plus, et ça se diversifie, toujours et encore…

– Aaah… »

Sakura n’y comprenait pas grand-chose, mais elle savait que poser trop de questions sur le sujet pouvait s’avérer assez douloureux pour Tomoyo. Avec tout ce travail, sa mère était très peu présente, même pour les grandes occasions.

« Et toi tu ne veux pas aussi te faire faire quelques soins, histoire de te détendre un peu ? fit Sakura pour changer de sujet.

– J’en ai pas le besoin, moi, je suis parfaitement détendue. » déclara-t-elle, avec un petit sourire.

Moi ? Sakura enleva un concombre pour la regarder.

« Comment ça ? Parce qu’à tes yeux j’en aurais besoin ?

– Ton rôle de Présidente, ta vie chez les Li, l’arrivée du nouvel élève… Tu es tellement occupée en ce moment que tes sourcils, toujours froncés, commencent à marquer un début de rides sur ton front.

– Dis pas des choses pareilles ! s’exclama Sakura, en bondissant d’un seul coup, faisant reculer les femmes qui s’occupaient d’elle.

– Veuillez ne pas bouger s’il vous plaît, l’avertit la chargée de la manucure, sensiblement frustrée par cette agitation.

– Désolée. » lâcha Sakura, soudainement gênée.

Tomoyo, amusée par cette réaction, ne put s’empêcher de se moquer gentiment.

« Tu sais Sakura, c’est ce genre de réaction qui te rend si transparente à mes yeux… Et bientôt, tu pourrais bien l’être aux yeux de Li.

– Et pourquoi ça ? s’agaça Sakura, l’air bougon.

– Tu es différente avec lui, même si tu râles, même si tu te disputes avec, je vois bien que tu te plais à ses côtés. Tu peux être franche avec lui et ça, ça te fait vraiment du bien. Je me trompe ? »

Sakura replaça les concombres en silence, crispant légèrement ses lèvres.

« Tu m’énerves, Tomoyo… » finit-elle par lâcher.

Le sourire de la jeune Daidouji redoubla davantage. Décidément, beaucoup trop transparente…

 

Beauté faite, coiffure faite, sachets de vêtements en mains, les deux compères sortirent enfin du centre commercial, aux alentours des dix-neuf heures… La journée avait été beaucoup plus longue que prévue, mais Sakura, même si elle ne l’aurait jamais avoué de vive voix, était plutôt ravie de cette tournure.

Arrivées à la limousine, elles marquèrent une petite pause.

« Tu veux venir manger à la maison ? » demanda Tomoyo.

Sakura hésita. Cela lui donnait envie, mais elle avait la chance d’avoir la maison des Li pour elle toute seule ce soir… Et elle ressentait le besoin de se coucher tôt, dans le calme et la tranquillité de quatre murs silencieux.

« Je suis assez fatiguée à vrai dire… et j’aimerais vraiment pouvoir me coucher tôt aujourd’hui... avoua Sakura, en se frottant le haut de la tête.

– Oh c’est dommage… lâcha Tomoyo, sincèrement déçue.

– Une prochaine fois ? Quand j’aurai besoin de fuir les deux cousins pour une soirée ?

– Avec plaisir. » assura-t-elle, le sourire revenu.

 

Après un bon quart d’heure de route, le chauffeur s’arrêta devant la demeure des Li. Grande, majestueuse, forte. Sakura prit Tomoyo dans ses bras quelques instants pour lui dire au revoir, puis elle sortit de la voiture, avant de l’observer partir au loin pour disparaître dans le premier virage. Bizarrement, elle se sentit soudainement envahie par une profonde solitude. Cela faisait combien de temps qu’elle ne s’était pas retrouvée seule en soirée comme cela ? L’air était frais, et le ciel déjà bien obscurci.

Elle entra dans la maison, déposa ses sachets sur le côté sans prendre le temps de les ranger. Elle se dirigea ensuite dans la cuisine, prise d’une envie de thé bien chaud. Elle s’en prépara un avant de prendre place dans le canapé du salon. Une fois déchaussée, elle replia ses jambes et resserra un peu plus fort la tasse chaude entre ses mains, plaçant son visage un peu au-dessus de la vapeur provoquée par la boisson. Elle n’avait même pas pris la peine d’ouvrir la lumière, la baie vitrée laissait entrer celle de la lune naissante, et elle lui suffisait amplement.

Tout était si calme, apaisé. La chaleur du thé se diffusait lentement dans son corps… Une gorgée après l’autre, elle se sentit partir. La pression de ses mains s’était doucement relâchée. Elle n’avait pas le courage de monter les escaliers, et le canapé lui semblait aussi moelleux qu’un nuage… Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour tomber dans les bras de Morphée, laissant tomber sa tasse assez lourdement sur le parquet.

 

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La petite Sakura se retrouvait à nouveau piégée dans le placard, emprisonnée et condamnée à regarder sa mère se faisant tuer, encore et encore... Les mêmes coups de couteau s'abattaient sur le corps fragile et déjà sans vie de Nadeshiko, la même odeur âcre de sang se propageait dans la pièce, la même chaleur infernale léchait les murs...

Tout était à sa place, rien n'avait bougé. La tragédie tournait en boucle devant les yeux meurtris de la petite Sakura, muette face à un tel déchaînement de violence. La fumée du feu venait s'engouffrer dans ses poumons, la privant de cet air si vital qu'il lui fallait. Elle se sentait mourir de l'intérieur. Suffoquant. Toussotant. Brûlant.

Enfin, le temps s'arrêta, l'homme finit par se lever, dans ce même mouvement que Sakura avait pu observer des centaines de fois. Il allait partir mais, comme le redoutait la petite, le sombre individu se détourna et se dirigea vers le placard maudit. Non, non...Ne viens pas... Pars. Ça allait recommencer, l'insoutenable allait se reproduire. Revivre cette torture était bien plus effroyable que tout ce qui pouvait exister en ce monde. Elle allait revivre toutes ces douleurs qui avaient marquées sa chair, toute cette torture qui avait tant imprégnée sa peau que son esprit juvénile... Elle allait réentendre la voix de ses cauchemars, revoir cet homme qui prenait tant de plaisir à observer sa souffrance. La porte s'ouvrit, Sakura hurla pour de bon.

« Alors, finalement tu étais là, ma chère... »

Tout s'accéléra. Elle revit le cadavre calciné de sa mère, le visage sadique de son assassin, ce mur dans lequel il l'avait projetée... Les images s'entrechoquaient, les sons et les couleurs se confondaient. Elle revoyait ces frêles petits bras qui pouvaient à peine la soutenir, ce sang qui coulait de sa bouche, ces plaies et ces hématomes qui couvraient maintenant son corps. Tout s'accélérait jusqu'à ce moment inévitable. Elle sentit alors les mains oppressantes du sombre individu la saisir par ses épaules. Il lui broyait les os. Et, dans un rire tonitruant, il la souleva. Non, pitié... Je vous en supplie... Sakura pleurait et sa voix s'éclatait en mille morceaux, elle ne voulait pas revivre ça. Tout mais pas ça. Elle voulait se secouer, elle voulait se réveiller de ce cauchemar. Mais rien n'y faisait, son corps restait passif, attendant l'inéluctable. L'assassin, avec la fillette sur son épaule, sortit de la pièce en flammes, un sourire fou sur les lèvres.

« On va enfin pouvoir s'amuser... »

Soudain, alors que Sakura perdait tout espoir d'échapper à son destin. Son corps se mit enfin à bouger, il était comme happé. Elle fut aspirée par un halo aussi sombre que les ténèbres… La chute lui coupa le souffle. Tout devint noir autour d'elle et elle put enfin entendre une voix sortir des tréfonds de l'obscurité.

« Réveille-toi Sakura… On va devoir y aller. »

Les yeux de la jeune fille papillonnèrent un peu… Une larme coula. Et, pendant quelques secondes, elle crut voir le visage de Shaolan penché sur elle.

« Shao… lan ? »

La personne se crispa.

« Non, ma belle… Il ne sera plus jamais là. Oublie-le. »

L’illusion de ses pensées s’effrita pour laisser apparaître le visage souriant d’Eriol. Sakura fronça les sourcils, désorientée.

« Hiiragizawa ? Je rêve encore ? »

Sa voix était faible. Sa tête lui faisait terriblement mal… Elle tenta de se redresser, mais elle sentit un poids lui enserrer le poignet. Son regard tomba et elle remarqua un gros bracelet de cuir, avec un tas de breloques qui tintaient les unes contre les autres…

« Qu’est-ce que…

– Ne t’inquiète pas, Sakura, c’est juste le temps de te ramener… Je ne voulais pas perdre de temps à me battre avec toi ici… Le temps presse, donc je t’ai privée de tes pouvoirs pour l’instant. »

Sakura fixa à nouveau Eriol. Il était vraiment réel ? Elle ne comprenait vraiment plus rien… Ses pensées s’emmêlaient, et un cœur semblait battre, au creux de son poignet, comprimant son os à chaque impulsion.

« Qu’est-ce qu’il m’arrive ? »

Elle leva sa main jusqu’à son front, elle se sentit brûlante. Sa voix était traînante, épuisée.

« … j’ai mal. Qu’est-ce que tu fais là ?

– C’est l’une des conséquences de la privation des pouvoirs avec ce type d’objet… Tu dois te sentir étourdie, tes repères spatio-temporels sont totalement chamboulés, et tu n’arrives plus à distinguer ce qui est réel ou non… Tout ce que je peux te dire, c’est que tu es bien imprudente… Laisser une porte d’entrée ouverte, voyons… Je te croyais plus maligne que ça, Sakura. »

Un frisson vint remonter le long de la colonne de la jeune fille. La sensation d’un danger proche qui la menaçait. Elle savait qu’elle devait fuir, elle sentait bien que les yeux d’Eriol n’étaient plus ceux, si bienveillants et admiratifs, de ce nouvel élève perdu en quête de nouveaux amis. Elle savait qu’elle s’était faite berner. Elle le sentait. Mais ses bras n’arrivaient plus à soutenir son poids, ses jambes étaient cotonneuses… et ses paupières, particulièrement lourdes, risquaient de la faire repartir dans l’inconscience d’ici peu.

« Plus les pouvoirs sont grands, plus la privation est douloureuse pour le mage… Quelle chance pour moi. »

Le noir revint. Elle sentit des bras la soulever. Il l’emportait. Non, je ne veux pas… L’air frais de l’extérieur se fit sentir, dur et glacial. Laisse-moi… Elle n’était plus en sécurité. Sa vie était entre les mains de cet imposteur… Et elle ne pouvait plus rien faire pour se défendre. Shaolan, reviens

 

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À peine une heure après le drame, Shaolan débarqua en trombe dans la maison. Il se prit les pieds dans les sachets au passage, les dégageant d’un simple coup de pied. Il les observa quelques instants, son anxiété redoubla.

« Kinomoto ? »

Aucune réponse.

« Kinomoto ! Tu dors ? »

Il monta les marches les escaliers, quatre à quatre, espérant de tout cœur s’être trompé. Il ouvrit sa chambre, celle de Meiling, inspecta la salle de bain… rien. Il repartit vers les escaliers.

« Wei ! »

Le majordome apparut en bas des escaliers, l’air préoccupé.

« Elle n’est pas au rez-de-chaussée non plus, Monsieur. Je n’ai trouvé que cet objet, au pied du canapé... »

Shaolan observa la tasse que son majordome tenait entre les mains. Il savait que Sakura n’était pas du genre à laisser traîner la vaisselle par terre… Elle cherchait toujours à limiter les tâches de Wei au maximum.

« Putain ! »

Il bouillonnait, il le sentait. Tout en jouant avec le bout de ses doigts contre la rampe d’escaliers, il se mit à réfléchir.

« Je peux toujours vérifier chez les Kinomoto, mais vaudrait mieux pas les mettre au courant pour l’instant. Le frère serait certainement ingérable en pensant que sa sœur est en danger. Il faudrait aussi voir si Tomoyo n’est pas au courant de quelque chose… Sur ce coup-là, Meiling ne doit pas être impliquée. En tous cas, pas directement… Mais il vaudrait mieux la faire venir, j’ai des questions à lui poser. Je suis sûr qu’elle est au courant de certaines choses.

– Je peux passer discrètement chez les Kinomoto. »

Shaolan leva son regard vers son serviteur. Il savait à quel point il pouvait être efficace sur ce type de mission, où la discrétion était une réelle nécessité.

« Très bien, je vais me charger de Tomoyo. J’appellerai Meiling, tu peux t’occuper de prévenir ma mère ?

– Que dois-je lui dire, Monsieur ?

– Que nous avons perdu Kinomoto de vue, et que j’ai un mauvais pressentiment. »

 

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Après une heure de temps, Shaolan s’était rendue chez Tomoyo pour l’interroger. Il avait été gêné de la déranger en pleine nuit, mais elle l’avait rassuré en déclarant qu’elle aurait voulu être mise au courant dans une telle situation.

« Je suis quand même inquiète… Elle avait justement refusé de manger à la maison ce soir pour pouvoir se coucher plus tôt. Je l’ai ramenée directement chez toi. Peut-être est-elle partie voir sa famille finalement ?

– J’irai voir juste après, mais je préférais venir te voir avant pour éviter de les inquiéter pour rien. Mais pour l’instant, j’aimerais que cela reste entre nous d’accord ? Pour éviter une panique inutile.

– Je comprends. »

Shaolan n’avait pas été très honnête sur le coup, mais il préférait s’assurer de garder une marge de manœuvre… Le temps était compté, et il devait rester libre de ses mouvements pour être le plus efficace possible. Il avait déjà reçu un message de Wei lui affirmant que Sakura n’était pas rentrée chez elle. Ce qui ne pouvait que rendre la situation plus angoissante… Elle ne serait quand même pas repartie en soirée ? Pas avec ce qu’elle avait dit à Tomoyo, quand même…

La seule solution qu’il voyait était de loin la moins rassurante. À tel point qu’il n’osait pas la formuler, même en pensée. Il avait essayé de contacter Meiling, mais comme elle était en plein jugement, elle n’avait le droit à aucun contact avec l’extérieur, même pour un appel… Rien de plus frustrant. S’il avait su, il aurait emporté Sakura avec lui au tribunal… Jamais il n’aurait dû la laisser seule.

À bout d’idées, il était rentré chez lui, la mort dans l’âme. Il ne s’était jamais senti aussi… passif. Mais la seule chose qui lui semblait intelligente à faire était d’attendre des nouvelles de la part de Wei, ou indirectement de sa mère. Si elle est réellement entre les mains de ce psychopathe… Shaolan resserra la mâchoire sous l’émotion. Si jamais il ose… ne serait-ce que la toucher…

« Sakura... »

Les larmes lui montaient. Intrigué, il leva la main à sa joue pour récupérer une de ces perles salées… Et alors qu’il observait le liquide salin, hypnotisé, Wei fit son entrée. Shaolan leva les yeux vers son majordome qui le fixait, presque figé par l’étonnement.

« Monsieur ? »

D’un revers de main, Shaolan essuya le reste des larmes qui marquaient son visage, avant de prendre une voix plus dure.

« Des nouvelles ?

– Votre mère a réclamé un interrogatoire exceptionnel de Mademoiselle Li auprès des quatre Immaculés, car sans leur accord, cette décision pouvait paraître arbitraire.

– Et alors ?

– Trois oui, contre un refus, Octavia Aquavita. Votre mère est donc actuellement en train de récolter des informations auprès de votre cousine.

– C’est lent ! Beaucoup trop lent ! »

Shaolan avait crié, repoussant la table du salon d’un violent coup de pied qui la propulsa à l’autre bout de la pièce. La température de la pièce avait grimpé de quelques degrés. Wei observait son jeune maître qui lui tournait le dos. Sa respiration était lourde, et ses poings, serrés au point que ses phalanges en devenaient blanches… Il bouillonnait de l’intérieur, l’explosion était proche.

« Écoute moi bien Wei… commença Shaolan d’une voix beaucoup plus rauque, menaçante. Tu vas rappeler ma mère tout de suite, et tu vas lui dire de me passer Meiling au téléphone sur le champ. C’est bien clair ?! »

Il marqua une petite pause. Le thermomètre continuait sa dangereuse ascension.

« Ou faudra-t-il que je me mette à tuer des personnes au hasard dans Tomoeda, à l’aide de mes pouvoirs, pour attirer l’attention de la communauté et avoir des réponses plus rapides ? »

L’hybride s’était retourné d’un coup, les yeux sombres, animés par une lueur infernale qui ne présageait rien de bon. Un Elementary amoureux est un Elementary dangereux… C’est la seule pensée qui vint à l’esprit du pauvre Wei, qui se pressa d’exécuter les ordres qui venaient de lui être donnés.


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