Elementary

Chapitre 11 : Questions sans réponse

5249 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 15:56




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Chapitre 11

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« Impossible... Vraiment impossible. J'peux pas. » s'entêtait Sakura, seule dans les toilettes.

Son élan de courage semblait s'être effacé au moment même où elle était arrivée dans le couloir de sa salle de cours. Sans réfléchir, elle s'était instinctivement réfugiée dans les toilettes des filles, la sueur au front, le souffle court. Mais ressaisis-toi, bon sang ! Elle paniquait. Elle voulait savoir la vérité, elle le voulait vraiment. Mais à côté de cela, elle ne savait pas si elle pourrait l'accepter. Et si on avait réellement... Sakura ravala sa salive avec difficulté. Ça aurait été dégueulasse de sa part de profiter de moi alors que j'étais à peine consciente. Un frisson la parcourra, est-ce qu'elle ne l'aurait pas poussé par elle-même à entamer une relation physique, échauffée par l'alcool qui circulait dans ses veines ? Est-ce qu'elle aurait véritablement le droit de le blâmer si elle ne se souvenait même plus de l'attitude qu'elle avait adoptée en face de lui ? Mais bien sûr, qu'importe à quel point j'ai pu jouer les aguicheuses, le fait de me voir alcoolisée aurait dû éveiller un minimum son sens des responsabilités ! Le sens des responsabilités... En avait-il un ?

« Raaaah... »

Agacée, Sakura se passa énergétiquement les mains dans ses cheveux. Il fallait qu'elle arrête de cogiter, cela la rendait tout bonnement folle ! Aller, maintenant, on y va ! Sakura croisa son regard dans la glace. Elle prit un air assuré, comme pour s'encourager elle-même. Tu vas y arriver. Tu vas rentrer dans cette classe et tu vas... tu vas... Je vais faire quoi déjà ? Elle arqua un sourcil. Je ne vais quand même pas lui poser la question, non ? Elle s'imagina en vitesse rapide toutes les situations dans lesquelles elle pourrait aborder ce sujet avec lui. Aucune ne lui paraissait tolérable. Non, je ne lui demanderai rien, c'est hors de question ! Déterminée, elle plaqua ses deux mains sur le bord du lavabo. Non, analyser son comportement suffira. Oui, cela me suffira. Elle soupira un grand coup, l'air épuisé. Tout ce flot d'émotions de si bon matin la rendait totalement amorphe.

La sonnerie, ferme et pressante, ramena Sakura à elle. Cette fois, elle n'avait plus le choix, elle devait y aller. Les membres lourds et raides, elle sortit des toilettes. Elle ne pouvait plus rien entendre d'autre que les battements de son cœur au fur et à mesure qu'elle approchait cette fameuse classe. Cette classe où il devait déjà se trouver. Une fois devant la porte, elle prit une grande inspiration et poussa la porte d'un coup sec. À tel point que la porte claqua bruyamment contre le mur, attirant ainsi l'attention de tous les élèves.

« Désolée, j'ai vraiment du mal à contrôler ma force. » se justifia-t-elle en riant nerveusement.

Ces quelques mots suffirent à provoquer l'hilarité de la classe entière. Heureusement pour elle, le professeur n'était pas encore présent. Elle se contenta donc de sourire autant qui lui était possible avant de se diriger vers sa place. Ne le regarde pas maintenant... Pas maintenant. Mais c'était trop tard. Inconsciemment, en levant simplement son regard, les yeux de Sakura croisèrent ceux de Shaolan. Elle eut un petit hoquet de surprise alors que lui, imperturbable, la dévisageait franchement.

« Alors, t'as dégrisé, Kinomoto ? » lui demanda-t-il, toujours avec cette expression d'indifférence la plus totale.

Sakura garda le silence. Il semblait comme d'habitude, aussi agaçant et indiscret qu'à l'accoutumée. Mais comment pouvait-elle interpréter ce comportement ? Cela voulait dire qu'il ne s'était strictement rien passé ? Ou bien faisait-il en sorte qu'elle pense qu'il ne s'est rien passé ? Elle était perdue. Un simple regard suffirait, hein ? ironisa-t-elle intérieurement. S'il était si facile à comprendre, il ne poserait pas autant de problèmes... Elle n'était pas mieux avancée. Shaolan était si froid, distant, impénétrable... Comment pourrait-elle lui faire cracher le morceau ? Une fois assise, elle tenta de tourner subtilement la tête pour l'observer. Seulement, elle n'avait pas imaginé la possibilité que lui aussi soit en train de la scruter à ce moment précis. Gênée, elle se retourna instantanément, les joues rougissantes. C'est vraiment trop embarrassant... pensa-t-elle en plaçant ses mains devant son visage. Elle ne se sentait même plus capable de le regarder dans les yeux !

À côté de Shaolan, la jeune Meiling Li avait assisté à la scène avec une très profonde stupéfaction. Sakura rougissait, Shaolan ne la lâchait pas du regard. Depuis quand sont-ils comme ça ? se demanda-t-elle, soudainement terrifiée. Il s'est passé un truc, c'est certain, mais quoi ? J'ai loupé quel épisode exactement ?

En observant ce petit spectacle, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une haine viscérale pour Eriol. Si celui-ci ne lui avait pas demandé de venir la veille, jamais Sakura et Shaolan ne se seraient retrouvés seuls tous les deux. Si travailler pour Eriol devenait dangereux pour son avenir amoureux, cela n'avait plus aucun sens ! Cette Kinomoto... Elle avait pourtant dit qu'elle ne rentrerait pas... fulmina-t-elle, tordant légèrement son crayon sous la pression de son pouce. Finalement, on dirait qu'elle n'a pas pu louper l'occasion de passer une soirée en tête à tête avec mon Shaolan. Quelle peste ! Le crayon cassa. Le chinoise fulminait littéralement. Elle ne supportait vraiment pas l'idée que Shaolan puisse s'enticher d'une autre fille qu'elle. Il lui appartenait. À la fin de l'heure, Meiling décida de profiter du temps de la pause pour s'entretenir en privée avec Eriol. Elle devait le tenir au courant de la situation pour qu'il puisse remédier à ce nouveau problème. Après tout, elle s'était alliée à lui que dans le but d'obtenir ce futur radieux qu'elle a toujours souhaité pour Shaolan et elle. S'il n'était pas capable de l'aider, leur pacte serait rompu et elle ne serait plus obligée d'être sous ses ordres. Il n'avait qu'une parole. Meiling repéra rapidement Eriol près du distributeur de boissons dans le hall. Elle le prit par la main et le dirigea dans un coin de la cour, à l'abri des regards indiscrets.

« Que puis-je pour toi ? demanda Eriol avec le sourire faux qu'il utilisait depuis son immersion dans le lycée.

– Pas la peine de jouer à ce petit jeu avec moi, je dois te parler d'un truc urgent là, déclara-t-elle à voix basse.

– Je ne vois pas de quoi tu parles, Li. » certifia-t-il, toujours aussi souriant.

Meiling fronça les sourcils, visiblement très contrariée par sa réaction. Est-ce que c'était divertissant pour lui de jouer avec ses nerfs ?

« Je dois vraiment parler à Clow Reed, pas le soi-disant Hiragizawa pour lequel tu te fais passer.

– Alors si tu oses lui parler à lui, dans l'enceinte de cette école, aie au moins l'obligeance de le vouvoyer. Tu n'as l'autorisation de me parler aussi vulgairement que si tu me considères comme Eriol Hiragizawa. C'est bien clair ? »

La jeune fille fit un pas en arrière, désemparée. Ce regard qu'il lui offrait, froid et impérieux, c'était bien celui de Clow Reed. Le seul, l'unique. Par un simple changement d'expression, elle avait l'impression qu'il était devenu une toute autre personne. Il ne dégageait plus la même présence. La profonde bienveillance et l'apparente sincérité s'étaient transformées en une ombre menaçante. Son talent de manipulateur lui glaçait le sang.

« Vous... Vous pensez pouvoir faire quelque chose pour ce rapprochement entre Shaolan et Kinomoto ? tenta-t-elle d'une voix qui laissait très largement transparaître son appréhension.

– Pour cette fois, je vais te répondre. Mais à l'avenir, tu ne devras t'adresser à moi qu'au manoir, reprit-il avant de marquer une légère pause. Concernant Sakura, je vais pouvoir me retrouver seul avec elle après la réunion du Conseil à laquelle elle m'a conviée. Je profiterai de ce moment pour jauger si ce rapprochement est réellement une menace pour nos plans... Jusqu'à ce que j'en sache davantage, tu n'as pas intérêt à faire la moindre vague. Je ne me suis pas intégré au lycée pour être découvert à cause de ton indiscrétion, rentre-toi bien ça dans la tête. »

Meiling hocha la tête vivement, blême. Quand il était en colère, il avait réellement le don de terrifier n'importe qui, aussi puissant puisse-t-il être. Si effrayant... Plus elle le regardait, plus Meiling se rendait compte qu'elle avait probablement signé un pacte avec le Diable lui-même.

À l'origine, la jeune fille ne croyait pas en l'existence du mal. Pour elle, chacun avait une part d'ombre et de lumière en lui. Mais pour Clow Reed, elle n'apercevait rien d'autre qu'une obscurité angoissante. L'espoir d'une simple étincelle ne semblait être qu'une vaine chimère... Saurait-elle préserver sa propre lumière d'une telle noirceur ? Pourrait-elle sortir indemne d'une telle alliance ? Elle baissa les yeux et se mordit l'intérieur des joues pour retenir les larmes qui menaçaient de couler. Elle ne voulait pas pleurer devant lui, cela lui donnerait bien trop de satisfaction. Eriol esquissa un sourire suffisant avant de se détourner d'elle sans ajouter un mot. Il pouvait deviner si aisément ses pensées qu'elle en devenait profondément ennuyeuse. Quelle simplette... Elle se rend seulement maintenant compte du piège dans lequel elle a sauté à pieds joints.

À quelques mètres de là, Tomoyo observait avec amusement sa meilleure amie qui faisait les cent pas. Elle ne comprenait pas tellement la situation, Sakura n'avait fait que bredouiller des paroles incompréhensibles sans oser aller dans les détails, mais elle savait que quelque chose s'était passé entre elle et Shaolan et que cela semblait hautement la perturber. Alors comme ça tu serais passé à la vitesse supérieure, mon cher Li ? Elle ne put s'empêcher d'en rire. Sakura n'était habituellement pas du genre à se laisser déstabiliser, encore plus quand cela concernait les garçons. Pourtant, ce fameux Shaolan paraissait pouvoir briser sa coquille avec une facilité incroyable ! Cela tenait presque du miracle. Elle avait enfin l'impression qu'une personne pourrait avoir la capacité d'atteindre Sakura. C'était tout ce qu'elle lui souhaitait.

« Dis, Sakura, finit-elle par l'interpeller. Li n'a pas l'air de te laisser indifférente depuis que tu vis chez lui, je me trompe ?

– Qu'est-ce que tu racontes ? s'étrangla Sakura. C'est un juste un idiot, c'est normal qu'il me trouble. Il ne pense pas comme un être rationnel !

– Quelle mauvaise foi... se moqua Tomoyo en roulant des yeux.

– Moi ? Pas du tout. » fit-elle avec une mine boudeuse.

Sakura détestait quand Tomoyo savait exactement où toucher pour la titiller. Elle était bien trop perspicace comme fille. Heureusement, même l'incroyable sens de déduction de la grande Tomoyo avait ses limites... Jamais elle ne pourrait deviner que Sakura avait des doutes sur ce qui aurait pu potentiellement se passer entre Shaolan et elle la veille. Oh mon Dieu... Si elle savait ! Elle-même avait du mal à y croire. Et le comportement de Shaolan ne l'aiguillait pas davantage. Elle ne sentait pas la force de lui poser des questions... Surtout qu'il en profiterait certainement pour l'agacer, certainement en la forçant à mettre des mots précis sur des questions qu'elle trouverait déjà bien embarrassantes à formuler. Elle l'imaginait très bien faire cela, trop bien même. Sakura soupira. Comment pourrait-elle s'en sortir maintenant ? Elle se sentait presque piégée.

Les heures de cours passèrent rapidement, et quand le soir arriva, Sakura n'eut pas d'autre choix que de se diriger vers la salle de réunion du Conseil. Elle n'en avait pas réellement l'envie, mais elle devait y aller. Et alors qu'elle se dirigeait vers l'endroit fixé, une main se posa sur son bras. Sortie de ses pensées par ce geste, elle eut un mouvement de surprise avant de se retourner.

« Ah c'est toi, Hiiragizawa… » elle soupira, soulagée. « Tu vas bien ? s'enquit-elle, souriante.

– Appelle moi donc Eriol ! Oui, je vais bien. C'est juste que, comme je n'étais pas trop sûr du lieu où se trouvait la réunion, j'ai préféré te suivre. Excuse-moi si je t'ai effrayée.

– Oh non, ne t'inquiète pas... Eriol. Je comprends que tu aies besoin d'être guidé. »

Cela lui donnait toujours une drôle de sensation de dire son prénom, comme si elle gardait une forme d'amertume dans sa bouche. Elle ne comprenait pas pourquoi, c'était simplement une réaction physique.

Ensemble, ils allèrent donc jusqu'à la salle où attendaient déjà une petite dizaine d'élèves, tous assis avec de quoi écrire juste en face d'eux. Eriol partit s'asseoir à l'une des tables libres et Sakura prit sa place habituelle en tête de classe, pouvant ainsi faire face à toute sa petite assemblée.

« Bonsoir à tous, nous allons commencer la réunion. Je demande donc aux délégués de chaque classe de présenter leurs questions ainsi que leurs requêtes. »

C'est à la suite de ces quelques mots que débuta une réunion assez animée qui dura presque une heure et demi. De quoi définitivement rincer la pauvre Sakura qui aurait été capable de ramper jusqu'au premier lit venu si elle ne devait pas s'efforcer de faire bonne figure. Elle quitta donc la salle en dernière, discutant encore avec quelques étudiants qui avaient attendu la fin de la séance pour lui parler. Elle se retrouva finalement seule avec Eriol avant même qu'elle n'ait eu le temps de s'en rendre compte. Elle avança, l'invitant à lui emboîter le pas.

« Alors, comment as-tu trouvé cette première réunion ? l'interrogea Sakura, usant de ses dernières forces pour paraître courtoise.

– Très instructive. Je trouve ça fantastique qu'il y ait une telle liberté de débat, tu t'intéresses à chaque question, tu ne mets personne de côté... Je trouve ça vraiment exceptionnel. J'ai rarement vu des présidentes de Conseil aussi appliquée que toi. »

Sakura lui sourit. Elle commençait à s'habituer au flux de compliments que lui faisait sans cesse Eriol. À un tel point qu'elle avait commencé à trouver cela bizarre... Comme s'il était un peu trop mielleux à ses yeux. Mais cela venait peut-être simplement du fait qu'il n'était pas coutume pour la plupart des garçons de son lycée de complimenter les filles avec autant de politesse. Encore moins pour un certain Shaolan Li... Sakura secoua la tête. Non mais pourquoi je me remets à penser à ce type ?

« Il y a quelque chose qui ne va pas ? demanda Eriol d'un air inquiet.

– Non, pas du tout... J'ai juste pensé à quelqu'un et ça m'a un peu agacée, admit-elle en riant doucement.

– Quelqu'un... Shaolan Li ? » suggéra-t-il en jaugeant bien la réaction de Sakura.

Celle-ci écarquilla les yeux, stupéfaite.

« Mais pourquoi tu penses à lui en particulier ? Je ne comprends pas, rétorqua-t-elle, cachant maladroitement sa contrariété.

– C'est juste que récemment, vous sembliez plus proches d'une certaine manière... »

Sakura observa Eriol quelques instants, conservant un silence impassible. Elle semblait sérieusement réfléchir à son point de vue. Proches ? Elle ne pouvait pas véritablement le nier. Même s'il parvenait toujours à l'agacer, elle ne le voyait plus exactement de la même manière qu'auparavant. Elle pouvait même le trouver sympa à de rares occasions. En ce sens, elle pouvait bien considérer qu'ils étaient devenus plus proches, oui, d'une certaine manière.

« Je ne pense pas que ce soit faux. » admit-elle simplement en regardant droit devant elle.

Eriol retint son souffle quelques secondes. Meiling avait raison, il était passé à côté de quelque chose. Jamais il n'aurait pensé que la relation entre Shaolan et Sakura aurait pu évoluer de cette façon. Jamais. Il les avait si longtemps observés. Shaolan avait toujours été imbuvable avec Sakura, et elle, trop entêtée. Comment deux caractères aussi forts et, a priori, incompatibles auraient pu se rapprocher en vivant sous le même toit ? Il aurait plutôt pensé que partager le même air leur deviendrait si insupportable qu'ils en viendraient limite à s'entre-déchirer et qu'au bout du compte, Sakura serait rentrée chez elle, se retrouvant plus vulnérable que jamais.

Mais l'histoire semblait prendre une toute autre tournure. Cela l'inquiétait beaucoup. Il n'aurait donc plus le choix, il devrait accélérer ses plans avant que Sakura ne commence à réaliser qu'elle pourrait éprouver des sentiments pour Shaolan. Il ne pouvait l'autoriser. Sakura ne pouvait être à personne d'autre qu'à lui. Il l'avait marquée, il lui avait donné des pouvoirs, il l'avait liée à lui. Shaolan n'avait rien fait. Il était juste inutile.

Inconsciemment, en remuant tout cela dans son esprit, Eriol avait laissé retomber son beau sourire pour une expression plus sombre, marquée par une profonde frustration. Ce que Sakura remarqua assez rapidement, sans pourtant aller jusqu'à lui poser des questions sur ce changement de comportement. Pourquoi ? Elle ne le savait pas réellement elle-même. Peut-être se disait-elle simplement qu'il ne lui dirait pas la vérité. Il avait l'air de faire tant d'efforts pour masquer ses émotions au quotidien, au point qu'il lui semblait parfois qu'il ne possédait pas d'autre visage.

Une fois sortis du lycée, le chemin des deux jeunes se sépara assez rapidement. Quand Sakura fut enfin seule, son sourire s'effaça presque instantanément. Plus personne n'était présent pour le voir de toutes façons. Les yeux figés sur le sol, elle se mit alors à réfléchir. Elle devait maintenant être sûre de ce qu'elle allait faire. Rester dans la même demeure que Shaolan ne lui paraissait plus raisonnable. Elle ne pouvait même plus le regarder dans les yeux, alors vivre sous le même toit ! Impossible. Mais aller chez elle, n'était-ce pas simplement de la folie ? Soucieuse, Sakura s'arrêta au croisement d'une rue. Elle leva le regard et se rendit compte que deux routes s'offraient à elle. La maison des Li et la sienne. Leur maison, la mienne... C'était l'heure de trancher.

 

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Shaolan, exténué, poussa la porte de sa maison qui lui paraissait plus lourde que jamais. Il avait deviné, à travers son regard inquisiteur, que Sakura se posait des questions... Mais il n'avait pas vraiment eu le courage d'entamer une conversation. Il aurait voulu la voir prendre les devants. Malheureusement, elle n'avait fait que tourner autour du pot, lui jetant des coups d’œil pressants avant de, finalement, tourner vivement le regard. Il n'avait pas pu s'empêcher de trouver ces petites tentatives adorables. C’était plus fort que lui, quand il la voyait dans cet état, il ne souhaitait qu’une chose : faire durer le plaisir autant que possible.

En rentrant, il entendit le son de la douche qui coulait dans la salle de bain, et il pouvait déjà sentir l'odeur du dîner qui mijotait dans la cuisine. Cette atmosphère, paisible et sereine, le calmait. Il fit quelques pas et se retrouva dans le salon, où Wei triait des revues. Celui-ci releva la tête vers le jeune homme, aussi souriant et bienveillant que d'habitude.

« Bonsoir M. Li, ce soir nous aurons du rôti de porc cuit au four sur un lit de pommes de terre, et accompagné d'une marinade de légumes verts, cela vous convient-il ?

– Parfaitement, les filles sont en haut ? demanda-t-il innocemment.

– Et bien... »

Wei garda le silence quelques instants, mal à l'aise. Il semblait hésiter à l'idée de parler, comme s'il savait d’avance que ce qu'il allait dire provoquerait la colère de son maître. Shaolan quant à lui, jaugea la réaction de son majordome et, presque intuitivement, il sembla deviner la source du malaise.

« Kinomoto n'est pas rentrée, c'est ça ?

– Ce n'est pas exactement cela, Monsieur. En vérité, Mlle Kinomoto a décidé de rentrer chez elle. Elle a donc rassemblé ses affaires et m'a chargé d'excuser auprès de vous cet acte précipité.

– Elle n'est pas prête à retourner chez elle. On ne sait même pas si elle est capable de dominer ses instincts d'ignivia.

– Je ne le sais que trop bien. C'est pour cela que j'ai essayé de la retenir, mais Mlle Kinomoto a réussi à s'échapper en créant un mur de glace que je n'ai pu liquéfier qu'au bout d'une bonne demi-heure... Ce qui était plus que suffisant pour sa fuite.

– Un mur de glace ? s'étonna Shaolan. Comment a-t-elle pu arriver à ce niveau de magie aquavia sans même passer par un entraînement ?

– Si vous me permettez de faire une hypothèse, je dirais que Mlle Kinomoto a un rapport très intuitif avec sa magie... Comme si elle parvenait à synchroniser à la perfection ses désirs avec ses moyens spirituels. C'est assez impressionnant à un si jeune âge, il faut l'admettre. Et puis, si comme je le pense, sa mère lui a légué une partie de ses pouvoirs avant de nous quitter… Elle devait déjà posséder des capacités pleinement développées. »

Shaolan ne savait pas ce qu'il devait en penser. À première vue, Sakura semblait bien assez forte pour pouvoir se défendre, mais elle était encore si lunatique. Il ne pouvait pas la laisser seule avec de simples humains. Si jamais elle venait à faire un acte incontrôlé, au point de ravir la vie d’un des membres de sa famille, il savait qu'elle ne s'en remettrait pas. Elle était bien trop sensible. Il n'avait donc plus le choix.

« Wei, je vais partir chez les Kinomoto. Je reviendrai le plus rapidement possible, et avec la fugueuse. » affirma-t-il avec assurance.

Les épaules de Wei se relâchèrent, comme si ce qu'il venait d'entendre l'avait profondément soulagé. Quand Shaolan avait ce regard, il était sûr qu'il irait au bout des choses, coûte que coûte. C'était dans sa nature.

Comme il l'avait annoncé, Shaolan se rendit à la maison des Kinomoto. Une fois devant la charmante bâtisse, sa détermination était toujours aussi brûlante. C'était donc avec un empressement particulier qu'il appuya sur la sonnette avant de devoir attendre une paire de minutes. Quand la porte s'ouvrit enfin, c'est un beau jeune homme aux cheveux bruns et au regard noir qui lui fit face : Toya.

« Bonsoir, je sais qu'il est déjà tard, mais j'ai réellement besoin de voir votre sœur. »

Toya soutint le regard du jeune impertinent qui se trouvait devant lui. Il savait que derrière ces brèves politesses, ce jeune garçon était une menace potentielle. Il n'acceptait pas qu'un individu de sexe masculin puisse être trop proche de sa petite sœur. Et le fait qu'il n'ait pas pu empêcher ce Shaolan Li de partager la même maison que Sakura l'agaçait de façon prodigieuse.

Mais avant qu'il ait pu chasser cet impromptu, son père prit les devants en s'affichant dans l'embrasure de la porte.

« Oh ! Mais tu es le fils de Yelan ! C'est un plaisir de te voir, tu es venu voir Sakura ? » l'interrogea-t-il, affublé d'un tablier rose avec des petits chatons.

Surpris, Shaolan ne put rien faire d'autre que hocher la tête, les yeux écarquillés.

« Allons Toya, ne reste pas dans le chemin et laisse entrer notre invité. J'imagine qu'à une telle heure, il doit être assez pressé. »

Malgré lui, le grand frère surprotecteur se retrouva contraint de laisser entrer le loup dans la bergerie. Et, alors qu'ils atteignaient le couloir menant à la cuisine, des pas se firent entendre et une silhouette descendit ardemment les escaliers. Une silhouette habillée d'une simple nuisette bleu vert avec un fin liseré de dentelle blanche. La silhouette de Sakura Kinomoto. Shaolan grossit les yeux face à cette vision onirique. Elle venait certainement de prendre une douche puisque ses cheveux étaient encore très humides. En remarquant que son père et son frère étaient en compagnie de celui qu'elle essayait de fuir à tout prix, Sakura se figea. Et, dans une raideur insurmontable, elle se détourna en silence, comme pour revenir sur ses pas et ne pas à avoir à affronter ce moment déplaisant. Une tentative totalement vaine, évidemment.

« Sakura, viens donc saluer ton ami. » l'invita son père, tout sourire.

Sakura s'efforça de sourire, mais l'expression qu'elle affichait transpirer la fausseté. Elle ne pouvait clairement pas se réjouir de voir Shaolan sous son toit. Voyant qu'elle hésitait à descendre, Shaolan décida de faire un premier pas vers elle.

« Kinomoto, j'ai réellement besoin de te parler. Je te promets que je ne serai pas long, mais c'est nécessaire. »

Les yeux de Shaolan semblaient la transpercer. Avec une telle attitude, elle savait qu'il ne la laisserait pas tranquille le temps qu'elle ne lui aurait pas accordé cette conversation qu'il semblait tant désirer. Elle regarda d'abord son père, puis son frère, et lui adressa un petit signe de tête pour leur faire comprendre qu'elle voulait bien se retrouver seule avec lui. Le père dut traîner l'aîné de force mais, au bout de quelques instants, les deux jeunes purent enfin se retrouver seuls. Un silence pesant s'installa entre eux. Ils ne pensaient plus à rien, ils ne se regardaient pas.

Toujours sans rien dire, Sakura invita Shaolan d'un geste de la main à la suivre et monta les escaliers qui grinçaient subtilement sous le poids de chacun de ses pas. Elle ouvrit sa chambre, le fit entrer et lui indiqua le siège de son bureau où il pouvait s'asseoir avant de se diriger vers son placard pour saisir et enfiler une petite laine. Shaolan l'observait sans rien faire de plus. La jeune fille finit par s'asseoir sur le bord de son lit, et trouva enfin la force de planter ses yeux dans ceux de Shaolan.

« Tu es venu me demander de rentrer, c'est ça ? le questionna-t-elle, sans détour.

– Ce serait le but final de ma visite, c'est certain. Mais d'abord, je pense qu'il est important de mettre au clair certaines choses. »

Sakura détourna le regard, elle avait peur des mots qui allaient suivre.

« Qu'est-ce que tu penses qu'il s'est passé la nuit dernière, Kinomoto ? » lui demanda-t-il, se penchant légèrement sur le devant du siège.

Elle ne répondit pas immédiatement. À la place, elle préféra prendre une lente inspiration et expirer profondément, les larmes commençaient à lui monter. Elle commençait à croire que l'impensable s'était réellement produit... Et cette éventualité la bouleversait totalement.

« Je ne sais pas... admit-elle d'une voix légèrement tremblante.

– Rien. » lança-t-il.

Sakura tourna la tête vers son interlocuteur dans un geste vif. Elle paraissait vraiment stupéfaite.

« Rien ? répéta-t-elle hébétée.

– Enfin, rien est peut-être un terme exagéré... Mais je pense que tu imagines des choses bien pires, reprit-il avant de marquer une petite pause. En vérité, la nuit dernière, quand tu es revenue totalement éméchée, il est vrai que nous nous sommes embrassés et je m'en excuse sincèrement... Cependant, nous n'avons pas été plus loin. Je peux te le jurer. »

Le visage de Sakura semblait totalement pétrifié. Elle ne savait plus quoi penser. Elle avait des images qui se bousculaient dans sa tête, des souvenirs qui s'entrechoquaient... Mais rien n'entrait en contradiction directe avec ce qu'il venait de lui affirmer. Et puis, elle devait l'admettre, Shaolan n'était pas du genre à mentir. Il lui avait déjà caché des choses, certes, notamment concernant sa chère et stupide cousine, mais jamais il n'avait menti quand cela n'impliquait que lui.

Involontairement, Sakura, qui avait posé ses mains sur sa couette, se mit à resserrer le tissu entre ses doigts. Elle ne pouvait plus se retenir. Devant lui, elle allait le faire. Devant lui, elle ferait cette chose honteuse. Elle s'effondra en larmes. Abasourdi, Shaolan dut prendre quelques secondes de réflexion avant d'aller vers elle pour la prendre dans ses bras, sans trop comprendre son geste lui-même.

« Je suis désolé, je t'ai annoncé ça de façon trop brutale ? C'est juste que je ne savais pas comment te l'annoncer autrement. Tu semblais tellement préoccupée aujourd'hui au lycée, je commençais à croire que tu avais imaginé certaines choses... Et quand j'ai su que tu étais partie, je me suis dit qu'il fallait absolument que je te dise exactement ce qu'il s'était passé. »

Sakura l'entendait mais ne parvenait déjà plus à l'écouter. Elle s'était tellement montée la tête, elle avait tellement eu peur d'avoir donné sa première fois sans même s'en souvenir... Sans même le savoir, elle avait contenu une pression qu'elle ne pouvait pas soutenir. Et maintenant le soulagement ruisselait sur ses joues.

Bien que le baiser avoué par Shaolan la troublât, le fait de pouvoir encore se dire pure était d'une telle délivrance qu'elle ne voyait plus cela que comme un détail, un élément du décor qu'elle traiterait avec plus d'attention quand le flux de ses sentiments serait redescendu. Shaolan, qui ne comprenait pas trop ce que pouvait penser Sakura dans une telle situation, continuait de la maintenir contre lui, espérant que ce contact physique pourrait l'apaiser. Il ne savait pas comment s'y prendre dans une telle situation. Il n'avait pas l'habitude d'être aussi... affectueux. Pourtant, cet élan lui était venu naturellement. Il lui avait suffi de voir ses larmes. Il suffisait que ce soit elle. Shaolan ne pouvait plus l'ignorer... Sakura était spéciale pour lui, elle était une vraie source d’humanité. Au-delà de ses origines d'Elementary.

Non loin de là, perché dans un arbre et à une hauteur suffisante pour pouvoir observer la chambre de Sakura depuis une fenêtre, Eriol, ou plutôt le furieux Clow Reed, observait cette scène d'embrassade d'un très mauvais œil. C'est bien pire que tout ce que j'imaginais... Shaolan était en train de devenir dangereux. Comment peut-il la toucher ainsi ? Il se sentait bouillir de l'intérieur. Non, il ne pouvait pas pardonner cet affront. Non, il ne pouvait pas laisser Shaolan s'en tirait. Il allait payer pour s'être approché de trop près de sa proie. Il ne lui faudrait pas longtemps pour utiliser cet imprudent pour les fins de son plan machiavélique...


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