Elementary

Chapitre 10 : Langue déliée, mémoire embrumée

4966 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/03/2021 15:49




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Chapitre 10

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Il était presque dix-huit heures quand Shaolan parvint enfin chez lui, fatigué de cette journée si riche en émotions. Encore désorienté par les propos qu'avait tenus Tomoyo le matin même dans la cour, il n'avait eu de cesse de ruminer toutes ces nouvelles informations dans son esprit, à tel point qu'il n'était pas parvenu à retenir ne serait-ce qu'un mot des cours qui lui avaient été dispensés dans la matinée. Et maintenant, je suis censé faire quoi ? En soupirant, il ouvrit la porte et, à peine eut-il franchi le seuil de la porte que l'increvable Meiling se jeta à son cou, pleurnichant comme jamais.

« Shaooooolan ! s'exclama-t-elle avec la moue d'une fillette de cinq ans.

– Qu'est-ce qu'il t'arrive encore, Mei... » s'exaspéra-t-il.

Est-ce qu'un jour elle pourra perdre cette stupide habitude qu'elle a à se suspendre à mon cou comme un singe ? Sa nuque lui faisait mal à force de devoir soutenir le poids de sa cousine de façon répétée. Si seulement elle pouvait être moins collante...

« Pour une fois qu'on se retrouve seuls rien que tous les deux depuis l'arrivée de Kinomoto, je ne peux même pas rester ici ! Je dois dormir chez une amie, mais je ne veux pas te laisser tout seul... » chouina-t-elle d'une voix presque incompréhensible.

Shaolan ne comprit pas tous les dires de sa cousine mais il parvint rapidement à en saisir l'essentiel. Comment ça seuls ? Kinomoto n'est pas rentrée ?

« Elle est partie où Kinomoto ?

– Mais on s'en fiche d'elle... Elle a juste dit qu'elle allait en soirée avec des amies et qu'elle n'allait peut-être pas être de retour avant demain matin.

– Une soirée ?! s'écria Shaolan, perdant tout sang-froid. Elle aurait pu me prévenir quand même ! Qu'est-ce qu'elle fera si elle fait une mauvaise rencontre ou si elle venait à utiliser ses pouvoirs sans même s'en rendre compte ? Quelle idiote celle-là !

– Calme-toi Shao... souffla Meiling d'un ton légèrement agacé. Aux dernières nouvelles, c'est une grande fille, pas la peine d'essayer de prendre le rôle de son père.

– Je n'aurais pas à agir comme ça si elle avait un minimum le sens des responsabilités !

– Mais Shao...

– Qu'est-ce qu'elle peut m'agacer quand elle agit sur des coups de tête comme ça... grogna-t-il en faisant les cent pas.

– Pas la peine de t'énerver pour si peu. Ça ne te ressemble pas de t'emporter comme ça ! » rétorqua Meiling, dévisageant son cousin avec un regard rempli d'incompréhension.

Shaolan se figea soudainement, était-il réellement si énervé ? Il avait monté le ton sans vraiment s'en rendre compte. Il avait l'impression de ne plus trop se maîtriser en ce moment, surtout quand cela concernait Sakura. Ai-je fréquenté trop longtemps le monde des humains ? se demanda-t-il, ennuyé par cette versatilité qui l'empêchait de réfléchir correctement. Pour récupérer son calme, Shaolan prit le temps de prendre une longue inspiration, puis il expira un grand coup, évacuant ses mauvaises pensées à mesure que sa cage thoracique se relâchait.

« Désolé, je... je ne voulais pas être aussi désagréable. Excuse-moi. »

Meiling afficha un sourire tendre et apaisé. Qu'est-ce qu'elle aimait le voir ainsi, il avait l'air d'un enfant essayant de trouver les mots justes pour se faire pardonner. Tellement mignon. Touchée en plein cœur, la jeune chinoise ne put s'empêcher de serrer dans ses bras ce jeune homme qui lui faisait face, le surprenant au passage par ce geste si soudain. Ne pouvant pas voir le visage de la jeune fille dans cette position, Shaolan s'inquiéta de savoir si Meiling avait réellement été blessée par son attitude.

« Tu es sûre que ça va ?

– Oui, oui, ne t'inquiète pas, le rassura-t-elle. C'est juste que ce sera plus difficile pour moi de te laisser ce soir si tu fais une expression aussi adorable.

– Meiling... » soupira-t-il, affichant malgré tout un petit sourire amusé.

Ils restèrent quelques instants ainsi avant que Meiling ne décide par elle-même, et à son plus grand regret, de rompre cette embrassade.

« Bon, ce n'est pas tout, mais je vais devoir te laisser. Mon amie m'attend certainement à l'heure qu'il est, lâcha-t-elle d'un air gêné.

– Un ami ? Humain ou Elementary ? la questionna-t-il, intrigué.

– C'est une Elementary, tu ne la connais pas. Elle veut juste m'aider à me préparer pour mon jugement à la Cour des Miracles, notamment en me donnant quelques astuces pour maîtriser ma défense de façon efficace. »

C'est vrai, songea Shaolan, j'avais oublié que son jugement aurait lieu ce week-end... À cause de leur éloignement avec la société des Elementary, la date fatidique avait été reportée à deux reprises. N'empêche, le coup d'aller chercher des subterfuges pour éviter une trop lourde peine, cela lui ressemble bien. Ce n'était pas une méthode très honnête, certes, mais il ne voulait pas l'en blâmer, au contraire. Une fois qu'elle serait exposée aux yeux d'une assemblée d'Elementary chargée de juger son cas, elle n'aurait plus que sa bouche pour se défendre. Il valait donc mieux pour elle qu'elle ait bien ficelé son discours au préalable. Sinon, elle pourrait bien se retrouver expulsée de la communauté des Elementary, une bonne fois pour toutes... Surtout que le fait qu'elle soit potentiellement une nomagis la mettait dans une posture encore plus délicate. Les Elementary ne perdaient que rarement l'occasion de pouvoir se débarrasser d'une enfant sans pouvoir. Ça ne serait pas facile pour elle... Il en était convaincu. Meiling, ayant remarqué l'air préoccupé de son cousin, posa une main réconfortante sur le dessus de sa tête.

« N'aie pas l'air si inquiet ! lui ordonna-t-elle, en souriant. Tu disais toi-même qu'il faudrait que j'affronte les conséquences de mes actes, et je suis prête à le faire. Il est grand temps que je prenne mes responsabilités, tu ne pourras pas veiller sur moi indéfiniment, tu sais.

– Mmh. »

Il ne sut lui donner une autre réponse. Elle avait raison, elle avait commis une erreur monstrueuse et, maintenant, elle devait le payer. Mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir un pincement au cœur. C'était sa cousine, il la connaissait plus que les soi-disant parents qui l'avaient mise au monde. Elle n'était pas mauvaise, son âme n'était pas assez impure pour qu'elle puisse s'en prendre à un humain pour des raison futiles. Il en était certain. Pourtant, cette entêtée continuait de prétendre être la seule fautive dans cette affaire, de n'avoir été poussée par personne. Avec un tel comportement, Shaolan se retrouvait impuissant. Et le temps qu'elle s'enfermerait dans ses mensonges, il serait désarmé.

Il la regarda donc s'éloigner, un gros sac à la main et un sourire insouciant sur les lèvres. Un véritable sourire ? Il ne saurait le dire... Une fois que Meiling fut partie, il rentra à l'intérieur de la maison, l'esprit mitigé. Il sentait qu'il avait besoin de se reposer... Et ce, malgré l'inquiétude qui l'habitait concernant l'inconsciente qui traînait dans Dieu sait quel bar avec Dieu sait quelles personnes. Ce fut donc dans un sommeil agité que sombra le bel hybride, toujours dans le salon qui lui servait dorénavant de chambre.

 

BAAM !

Shaolan se réveilla brutalement, le sang battant à toute allure dans ses veines. C'était quoi ce bruit ? Sur le qui-vive, il se leva, faisant attention à rester le plus silencieux possible. Il jeta un rapide coup d’œil à son téléphone : trois heures quarante-sept du matin. Qui peut essayer de rentrer par effraction à une telle heure ? Quelle impolitesse... ironisa-t-il, le regard sombre. Dans la plus grande des discrétions, il longea un premier mur pour tenter d'approcher la zone d'où avait émané la nuisance sonore. Cela venait de l'entrée. Et alors qu'il se rapprochait dangereusement, il entendit une forme de long gémissement. C'était une femme. Se rendant compte que cette personne exprimait sa douleur, il se rua vers la porte d'entrée sans plus chercher à se cacher. C'est alors qu'il découvrit Sakura, étalée sur le sol.

« Kinomoto ? s'écria-t-il, abasourdi. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? »

L'interpellée, dans une grande lenteur, tourna la tête pour chercher la personne qui s'adressait à elle. Quand elle eut enfin trouvé la silhouette de Shaolan devant elle, elle afficha un sourire béat.

« Ah mais c'est Li que voilà ! C'est cool à toi de passer m’voir ! »

Elle avait une voix étrange, serpentant entre des tons graves et d’autres plus aiguës, voire totalement dissonants. Shaolan écarquilla les yeux, stupéfait de la scène qui s'offrait à lui.

« J'rêve ?! Tu es totalement ivre ! »

Sakura se mit à rire, un rire excessivement bruyant. Elle en avait les larmes aux yeux ! Avec des mouvements hésitants, elle parvint avec toutes les peines du monde à se mettre dans une position – vaguement – assise.

« Bah qu'est-ce qui t'arrives, Li ? T'es pas content d'me voir ? Ta ptite gueule d'ange me manquait à moi ! » s'esclaffa-t-elle, les yeux anormalement brillants.

Shaolan, qui, visiblement, désapprouvait totalement sa conduite, adopta une attitude distante avec la jeune alcoolisée.

« Tu ne peux pas t'empêcher de jouer les imprudentes ? Tu es rentrée toute seule ? Tu te rends pas compte de tout ce qui aurait pu t'arriver ? »

La jeune fille fit la moue. Avec un léger froncement de sourcils, elle accomplit une prouesse en parvenant à se mettre debout grâce à l'appui d'un mur. Puis, après avoir pris une petite impulsion, elle avança une main vacillante vers Shaolan pour prendre son équilibre sur son bras.

« Arrête de râler... Je sais m’débrouiller.

– La preuve que non. Je te laisse une soirée et te voilà en état d'ébriété. Si je ne te maintenais pas, tu ne pourrais même pas tenir debout...

– Bien sûr que si ! » s'exclama-t-elle en le défiant du regard.

À ces mots, Sakura fit tous les efforts possibles pour se concentrer. Tenir debout, tenir debout. Une fois qu'elle se crut stabilisée, elle lâcha le bras de Shaolan. Mais, même pas une poignée de secondes plus tard, elle retomba sur ses fesses, perplexe.

« Ah bah non, en fait... lâcha-t-elle en regardant ses jambes avec stupéfaction. Elles veulent pas.

– J'te jure... » soupira Shaolan.

Ne voulant pas s'éterniser dans l'entrée, Shaolan se baissa pour prendre Sakura dans ses bras. Celle-ci se laissa faire sans rechigner. Avec une facilité déconcertante, il monta les escaliers pour l'amener dans sa chambre. Une fois à l'intérieur, il la déposa délicatement sur le lit alors qu'elle restait là, le dévisageant en silence.

« On dirait un prince... lâcha-t-elle dans un souffle.

– Pour arriver à un stade pareil, tu as dû boire comme un trou, répliqua-t-il, quelque peu déstabilisé par ses propos.

– C'est Rika... Elle a dit que comme j'étais pas trop en forme et bien il fallait que je boive pour me redonner des couleurs !

– Des couleurs ? C'est certain, tu n'as jamais eu le nez aussi rouge. »

Sakura écarquilla les yeux, l'air horrifié, avant de mettre ses deux mains au-dessus de son nez pour le cacher.

« Ne le regarde pas ! Ne le regarde pas ! paniqua-t-elle.

– Trop tard... soupira-t-il, légèrement amusé par sa réaction. Ne sois pas embarrassée, sinon il va devenir encore plus rouge !

– Li, t'es méchant ! » s'écria-t-elle en voulant lui donner des petits coups de poing comme le ferait une enfant vexée.

Shaolan n'eut aucun mal à arrêter ses mains en plein vol. Il la regarda quelques instants avec l'indifférence la plus totale puis, devant l'expression boudeuse de Sakura, il ne put s'empêcher d'éclater de rire. Un rire vrai. D'abord consternée devant son hilarité, elle finit par le rejoindre en se mettant à rire à son tour. Après un moment, Shaolan reprit son calme et dévisagea Sakura, les yeux encore pétillants.

« Tu es tellement belle quand tu ris comme ça... Pourquoi tu ne le fais pas plus souvent ? » finit-il par demander.

Sa bouche avait parlé sans passer par le filtre de sa raison. Sakura s'arrêta de rire à son tour et, toujours avec un sourire aux lèvres, elle lui répondit.

« Si t’étais plus agréable, je rirais plus souvent, crois-moi ! assura-t-elle, en pouffant légèrement.

– Je suis si désagréable que ça ? » l'interrogea-t-il, fronçant subtilement les sourcils sans pour autant se sentir réellement contrarié ; l'ambiance était bien trop détendue pour qu'il se mette en colère pour si peu.

« Oh que oui ! Tu es toujours là avec ce froncement de sourcils, déclara-t-elle en posant son doigt sur le front de Shaolan comme pour en effacer les plis. Moi aussi j'aimerais te voir sourire, ce serait tellement mais tellement plus drôle !

– Je n'ai pas l'air assez heureux à tes yeux ? »

La question semblait innocente, pourtant elle avait sensiblement changé l'atmosphère de la pièce. Shaolan fixait Sakura dans les yeux, dans l'attente de sa réponse. Il semblait scruter son visage, à la recherche de la moindre réaction.

« Et bien... reprit-elle avec une voix à peine audible. J'ai toujours l'impression que tu es toujours triste. Tu es là à me prendre de haut mais, en même temps, t’as l'air tellement ailleurs... Quand j'ai su que j'étais de la même espèce que toi, j'ai cru que j'allais mieux te comprendre. Mais, finalement, t’es encore inaccessible. Tu laisses aucune... ouverture. »

Shaolan continua de détailler Sakura du regard. Il ne savait pas pourquoi mais cette jeune fille semblait pouvoir lire en lui avec une telle facilité... Quand elle lui parlait de cette façon, il se sentait mis à nu, dépouillé de son apparente indifférence. Elle était la seule à le voir tel qu'il est. Non pas un puissant Elementary, mais juste Shaolan Li. N'étant pas consciente des contraintes sociales liées à la société des Elementary, elle ne le traitait pas selon son rang, elle lui parlait comme s'il était l'égal de tous les autres. Elle ne s'embarrassait pas d'embellir sa pensée pour ne pas le brusquer. Elle lui parlait franchement et il aimait ça. Il aimait qu'elle le sonde ainsi, qu'elle analyse son visage, ses émotions... Il se sentait vraiment exister sous ses yeux. La seule...

Inconsciemment, Shaolan se mit à caresser la joue de la jeune fille. Celle-ci ne le repoussa pas, elle se contenta de l'observer, intriguée. Ses yeux étaient animés d'une lueur nouvelle, une lueur certainement due à l'influence de l'alcool mélangée aux émotions qui la troublaient. Elle était dans un état second. Des papillons commençaient à s'agiter dans le bas de son ventre et son cœur paraissait se suspendre aux lèvres de ce beau jeune homme qui se penchait sur elle. Toute la pièce semblait être plongée hors du temps et de l'espace. Avec une telle proximité, une simple seconde pouvait s'étirer indéfiniment, infiniment... Soudain, l'horloge se figea. Leurs lèvres venaient de s'unir. Malgré le goût de vodka qui embaumait la bouche de la jeune fille, Shaolan trouvait ce baiser enivrant. La forme de ses lèvres semblait avoir été dessinée pour se mouler aux siennes. Elles s'épousaient à la perfection.

Avide d'exprimer ce sentiment qui le torturait de plus en plus ces derniers temps, Shaolan se montrait possessif, recherchant le contact avec le corps de celle qu'il désirait. Il voulait la faire sienne, il devait la faire sienne. Ses mains empressées se glissèrent derrière le dos de la jeune Sakura pour la serrer un peu plus contre son corps. Il voulait sentir sa chaleur, sa douceur. À sa grande surprise, Sakura semblait nourrir la même envie. De ses doigts hésitants, elle se mit à dessiner des arabesques dans le dos du jeune homme. Il en eut des frissons. Je ne vais pas tenir longtemps si elle continue de… Shaolan lâcha ses lèvres si délectables pour contempler à nouveau son visage. Elle était magnifique. Les yeux mi-clos et brillants, elle l'observait les joues rougissantes, les lèvres gonflées, le souffle court. Si parfaite...

« Shaolan... » gémit-elle, en tentant de le rapprocher d'elle à l'aide des mains qu'elle avait placées dans son dos.

Son cœur loupa un battement. Elle avait dit son prénom d'une voix si sensuelle, si désireuse. Comment pouvait-il lui résister ? Elle était là, tout à lui. À ce moment précis, elle lui appartenait à lui et non pas à ce fichu Hiiragizawa. Dans un geste possessif, Shaolan se pencha à nouveau sur la jeune fille et s'accapara ses lèvres. Elle répondit presque immédiatement au baiser, avec tout autant de fougue. Lassée par sa passivité, Sakura attrapa Shaolan par son col et le fit chavirer sur les draps avant de se mettre à califourchon sur lui. Rien ne semblait pouvoir les arrêter. Rien. Pourtant, une pensée fulgurante traversa l'esprit de Shaolan et il stoppa les mains de Sakura qui s'apprêtaient à enlever son t-shirt.

« On ne peut pas. » déclara-t-il d'une voix implacable.

Il ne pouvait pas lui faire ça. Il le voulait, il en crevait d’envie même, mais il ne le pouvait pas. Pas dans l'état où elle était. Pourrait-elle seulement se souvenir de ce moment intime qu'ils ont passé ensemble une fois qu'elle aurait dessoûlé ? Bien sûr, il la désirait... Mais le faire dans ces conditions lui donnait l'impression de profiter de son état. Il avait déjà été bien trop loin. Sous le regard troublé de Sakura, Shaolan se retira du lit et la dirigea pour qu'elle se rallonge convenablement. La jeune fille, ne comprenant pas ce virement de situation, se mit à blêmir.

« Pourquoi ? lui demanda-t-elle d'une voix presque étouffée. Tu me désires pas ? »

Une larme coula sur la joue de la jeune fille. Son cœur semblait se détruire à mesure que l'espace entre eux grandissait. Elle ne voulait pas qu'il parte. Quand il remarqua la larme qui s'était égarée, Shaolan posa une main chaude et réconfortante sur la joue de Sakura.

« Non, ne pense pas ça... chuchota-t-il. Bien sûr que je te désire... Mais je ne peux pas te faire l'amour alors que tu es totalement ivre. »

Sakura piqua un fard. Le fait qu'il ait mis des mots sur ce qu'ils avaient été sur le point de faire la faisait défaillir. Sa timidité qu'elle cherchait habituellement à cacher revenait au galop. Involontairement, elle se mordit la lèvre inférieure et baissa les yeux ; une réaction qui n'échappa pas à l’œil attentif de Shaolan. Il avait l'impression qu'un éclair de lucidité l'avait aussi traversée.

C'est donc en silence qu'il caressa tendrement le dessus de la tête de la jeune fille avant de partir de la chambre sous le regard perdu de la jeune fille. Au moment où la porte se ferma, Sakura sentit comme une page se fermait avec elle. Ils allaient commencer un nouvel épisode... elle le sentait, mais son cœur tiendrait-il si une scène pareille venait à se reproduire ?

 

Le lendemain matin, Sakura se réveilla lentement, désorientée. Elle avait un affreux mal de tête et ses membres étaient animés de picotements très désagréables. Elle regarda autour d'elle, les yeux plissés sous l'agression des rayons du soleil. Quand elle se rendit compte qu'elle était bien dans la chambre de Shaolan, elle ne put s'empêcher de se demander comment elle était parvenue jusque-là. Doucement, elle se redressa pour s'asseoir sur le bord de son lit. Elle plongea son visage dans ses deux mains ouvertes avant de tenter de se remémorer les événements de la veille. Elle revit alors Rika, souriante, et toute la bande devant elle, insistant pour qu'elle les accompagne faire un tour dans les bars de la ville. Elle ne se souvint pas immédiatement pourquoi, mais elle sut qu'elle les avait suivies. Elles avaient bu quelques verres... De la bière, des cocktails, beaucoup de vodka. Pourquoi avait-elle autant bu ? Elle ne le savait plus. Elle put se rappeler de Tomoyo qui lui avait pris la main pour sortir du bar, mais elle l'avait repoussée. Des autres tentatives avaient été répétées, puis elle avait dû partir. Elle avait voulu boire encore un peu plus avec la bande. Encore un peu plus, toujours un peu plus. Pourquoi toujours plus ? Elle se revoyait danser, il y avait des silhouettes qui se remuaient aussi autour d'elle. De la musique, une musique assourdissante. Encore de l'alcool, un peu plus, un peu plus. Puis, elle s'était retrouvée seule. Elle se souvenait de la route obscure, du sol qui n'avait cessé de se dérober sous ses pieds, des lumières des réverbères, d'un chien qui aboyait, du hurlement d'un homme tout aussi ivre qui avait voulu l'attirer vers lui, puis le sol qui s'était dérobé à nouveau. Enfin la maison, la maison qu'elle cherchait, la maison des Li. Elle avait voulu rentrer, elle avait ouvert la porte, enfin certainement. Puis elle était tombée. Il y avait eu Shaolan, oui, elle se souvenait de Shaolan. Pas de ce qu'il disait, juste de son corps qui lui faisait face. Elle se rappela aussi de son odeur, de sa chaleur... Elle avait été dans ses bras ? Oui, enfin probablement. Non, c'est sûr. Il l'avait portée. Ensuite, elle s'est retrouvée dans la chambre. Dans la chambre, avec lui. Tout se brouillait. Était-il resté longtemps ? Elle avait l'impression de le voir au-dessus d'elle, mais est-ce qu'il l'avait réellement été ? Elle crut se souvenir de ses lèvres contre les siennes, mais n'était-ce pas plutôt l'un des rêves qu'elle avait fait cette nuit ? Ces images paraissaient si réelles. Qu'avaient-ils fait ensemble la nuit dernière ? Est-ce qu'on a... ? Elle imaginait le pire.

Horrifiée, elle se releva d'un coup sec, prise d'une soudaine bouffée de chaleur. Ça aurait été ma première fois et je ne m'en souviens même pas ? s'écria-t-elle intérieurement, totalement paniquée. Et avec lui ? Mais qu'est-ce qu'il m'a pris de boire ? Je ne peux pas l'avoir fait, ce n'est pas possible. En faisant les quatre cents pas dans la chambre, Sakura commençait à mélanger ses souvenirs à des images de fantasmes égarés au loin dans les profondeurs de son esprit. Qu'allait-elle faire maintenant ? Les doutes la hantaient mais si rien ne s'était passé, n'allait-elle pas se ridiculiser à demander de telles choses à Shaolan ? Shaolan ? Le prénom lui revenait en mémoire. Elle l'avait dit, elle en était persuadée.

« Shaolan... » lâcha-t-elle dans un souffle.

Oui, elle se rappelait bien du son de ce prénom dans sa bouche. Pour l'avoir prononcé, ils devaient réellement avoir passé un moment intime ensemble. Elle ressentit un frisson parcourir le long de sa colonne vertébrale. Pourquoi ? Pourquoi n'arrivait-elle pas à se rappeler ? Ce flottement dans son esprit était une véritable torture. Elle voulait savoir, mais ne voulait rien lui demander. Comment allait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Sa respiration devenait irrégulière. Elle devait reprendre son calme. Oui, la panique n'a jamais rien résolu. Elle prit donc une grande inspiration et expira profondément. Tentant de recouvrer ses esprits, elle jeta un coup d’œil au radio-réveil qui se tenait sur la table de nuit. Les chiffres lumineux et rouges affichaient huit heures trente-sept. Elle réfléchit quelques instants puis fut soulagée ; elle ne commençait les cours qu'à partir de dix heures. Elle avait donc le temps de se préparer. Sans perdre une seconde de plus, Sakura commença à prendre des affaires pour aller se laver. Elle devait rapidement s'occuper, agir pour ne plus réfléchir.

Précipitamment, elle entra dans la douche et laissa le jet d'eau couler sur sa peau. Cela lui faisait un bien prodigieux. Même sa migraine s'apaisait sous ce flux transparent et si chaud... Elle se sentait mieux. Mais il ne fallait pas qu'elle y repense. Non, cette chaleur n'était pas comme la sienne. Elle se frappa soudainement le visage, comme se reprendre à l'ordre. Calme tes hormones, purée. Elle se lava, optant finalement pour une eau froide et revigorante, puis éteignit la douchette avant de sortir. Dans des gestes mécaniques, elle s'habilla et se maquilla. Une fois prête, elle passa ses mains dans ses cheveux avant de les bloquer dans sa tignasse. Ne te dégonfle pas, ma grande. Elle devait maintenant passer par cette étape qu'elle redoutait tant : elle devait descendre. Descendre et rejoindre un endroit où elle risquerait de le croiser. Prenant son courage à deux mains, elle releva la tête et sortit de la salle de bain. Les jambes raides, Sakura descendit les escaliers pour rejoindre la cuisine.

« Bonjour, Mlle Kinomoto. »

Sakura eut un sursaut puis, se rendant compte qu'il s'agissait là simplement de l'adorable Wei, la pression sur ses épaules retomba. Un sourire se dessina sur ses lèvres.

« Bonjour, Wei.

– Je suis contente que vous ayez l'air en bonne forme, je vous ai préparé un petit-déjeuner pour vous requinquer. M. Li est parti pour vous procurer des aspirines à la pharmacie, il sera là dans quelques instants. »

Sakura sentit son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Il allait revenir, bientôt. Très bientôt. Elle se mit à table, mais son attention restait focalisée sur la porte d'entrée. Elle attendait que la porte s'ouvre et, pour cela, elle tendait l'oreille de façon à discerner le moindre son qui proviendrait de cet endroit caché de ses yeux. Et alors qu'elle mordait à pleines dents dans une pomme juteuse, la porte s'ouvrit brusquement. La pomme retomba dans l'assiette. La bouche de Sakura s'était figée. Elle entendit des pas, puis des voix.

« Elle est réveillée ? demandait la voix de Shaolan qu'elle reconnut instantanément.

– Oui, elle prend son petit-déjeuner en ce moment-même. Vous devriez la rejoindre.

– Je la verrai en cours, je dois repartir maintenant. Meiling m'a demandé de partir en avance pour la rejoindre au lycée, elle veut me parler. Donnez-lui bien ces cachets, c'est un seul toutes les quatre heures. »

Sur ce, la porte s'ouvrit à nouveau, puis se referma brutalement. Le silence revint. Un sentiment émergea en elle. Sakura se sentait... ennuyée ? déçue ? Elle aurait voulu le voir, son expression aurait certainement pu dissiper certains de ses doutes, ou peut-être pas. Elle sentait juste que le voir aurait pu l'aider. Elle termina son petit-déjeuner, mais chaque bouchée perdait peu à peu de sa saveur. Une fois que l'heure fut venue, elle partit à son tour de la maison pour aller en cours, le cœur lourd. Même si elle voyait Shaolan, pourrait-elle avoir une conversation avec lui dans l'enceinte du lycée ? Elle savait qu'elle ne pouvait pas approcher Shaolan lorsqu'elle était au lycée. Il était censé être son ennemi. Censé. Elle se trouvait idiote. Un ennemi ? Tu as peut-être couché avec ce mec que tu disais détester haut et fort, imbécile. La haine, l'amour, le désir. Pouvait-elle seulement les discerner ? Tout était confus dans son esprit. Shaolan était un gars froid, autoritaire, sarcastique. Mais il était aussi capable de lui tendre la main quand elle en avait besoin, de l'aider, de l'épauler. Il avait aussi cet aura, envoûtante, charismatique. Elle ne pouvait l'ignorer. Ce n'était pas pour rien que tant de filles lui couraient après dans le lycée. Il semblait carrément venir d'un autre monde, ce qui n'était pas faux. Il lui paraissait inaccessible. Inaccessible ? Ce n'était pas la première fois qu'elle pensait ça de lui, elle le sentait. Mais elle ne pouvait plus mettre le doigt sur le moment précis où cette pensée lui avait traversé l'esprit. Shaolan Li... Plus elle se répétait ce nom, plus il semblait se dissoudre dans son esprit. Il lui échappait.

Quelques minutes plus tard, elle arriva enfin au lycée de Tomoeda. Elle allait enfin le revoir. Inconsciemment, elle resserra ses poings, comme si elle se préparait à un véritable affrontement. Elle était maintenant prête. Au moment où leurs yeux se croiseraient, une fois qu'ils auraient échangé ce simple regard, elle le saurait. Elle saurait si cela s'était réellement passé. Elle en était persuadée. Le courage ne lui manquait plus, seul le doute persistait. Un doute qui la dévorait de l'intérieur, un doute qui devait être satisfait par la connaissance de cette vérité si redoutée...


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